Six mois et un jour plus tard

Six mois et un jour plus tard

Six mois et un jour plus tard

25 août 2022 (09H00) – C’est sans doute Pépé Escobar, pour qui « Daria Dougina vole comme un aigle dans les cieux d’un autre monde », qui a le plus opportunément rappelé l’avis d’Alexandre Douguine : 

« Le statu quo actuel autour de l'opération Z [l’“Opération Militaire Spéciale” en Ukraine] ne doit pas durer plus de six mois… Maintenant[que les six mois sont passés], nous devons commencer.»

“Commencer”, c’est-à-dire passer aux choses sérieuses, et il est possible que le choc de la mort de Daria conduise Poutine à le faire, ou le contraigne c’est selon. Il est possible sinon probable, comme l’affirment nombre de commentateurs indépendants qui entendent s’élever contre l’affirmation occidentale ridicule que “Douguine est le Raspoutine de Poutine”, que Douguine n’ait aucune influence directe sur Poutine. Ce n’est d’ailleurs pas son rôle. Douguine est philosophe et métahistorien, ce qui n’implique nullement quelque influence directe que ce soit, mais plutôt des appréciations et des interprétations qui, elles, peuvent avoir indirectement de l’influence sur les esprits en aidant à découvrir la vérité-de-situationdu monde, découverte un instant, dans cet instant et dans ces circonstances. Ses conceptions d’ordre spirituel sont bien claires : pour lui « l’Histoire est ouverte » selon la vision de la Tradition (Guénon et Evola cités), c’est-à-dire qu’elle reçoit des impulsions et des dynamiques qui ne sont de ni l’ordre de la raison ni de l’ordre de l’humain bien qu’elles puissent être devinées sans être identifiées par la raison dans son sens traditionnel et par ce qu’il y a d’intuition dans ce qui est de l’ordre de l’humain.

Douguine n’a aucune influence directe sur Poutine, ce qui est le lot des philosophes : en tant que tels, la tambouille de la politique n’est pas leur tasse de thé. Il n’empêche qu’il peut y avoir des rencontres entre l’histoire et la métaphysique ; il n’empêche que nous sommes, “six mois et un jour” plus tard, à un moment où Poutine pourrait être dans la circonstance où il juge qu’une décision sur un changement de dynamique est nécessaire. Comme on pourrait s’en douter, l’hypothèse que je serais conduit à favoriser pour cette sorte d’appréciation spirituelle et poétique concerne l’action de forces extérieures et supérieures à nous, qui n’interfèrent pas nécessairement dans les actions humaines ni même ne les inspirent, mais les ordonnent selon une maîtrise qui nous dépasse absolument, selon l’orientation que ces forces veulent donner à l’avancement de l’histoire. En termes militaires et bien pliés, pour que les consignes soient comprises : ces forces ne s’intéressent pas à la tactique, elles s’occupent de la stratégie.

Je retrouve avec le plus grand intérêt cette idée dans ses grandes lignes chez Douguine lorsque, dans une interview passionnante, il explique (dans un français impeccable)  pour répondre à la question posée sur les causes de l’effondrement de l’Union Soviétique…

« … Les vraies causes ne sont pas à chercher dans le passé, elle sont dans le futur, ce sont les causes finales précisément oubliées avec le commencement de la modernité. L’explication causale directe n’est pas satisfaisante [parce qu’elle est pervertie par la modernité]… Nous devons envisager l’explication de la chute de l’Union Soviétique en nous interrogeant de savoir pour quel but [donc, dans le futur], et non pas à la suite de quelles causes [et donc dans le passé]. »

Si l’on veut interpréter : ce qui compte, lorsqu’on veut comprendre l’Histoire dans la séquence où nous nous trouvons, ce ne sont pas les causes d’un événement, ce qui l’a rendu possible, mais bien le but de cet événement, savoir à quoi il va servir par rapport à la “cause finale” qui est la destruction de la  modernité. Dans ce cas, encore plus précisément : ce qui compte ce n’est pas le passé, c’est le futur puisque le passé est dans la séquence de la modernité et que le futur doit nous conduire à sa destruction.

Ainsi pour l’assassinat de sa fille… L’événement s’est imposé à nous comme symbolique, il a touché toute la Russie. (Le bloc-BAO, lui, s’est abstenu dans l’indifférence de l’ignare, préférant préparer la fiesta extraordinaire de médiocrité et de simulation propre au simulacre, célébrant le 24 août l’indépendance de l’Ukraine, avec les bâtiments de l’UE s’étant élégamment parés d’un éclairage bleu-jaune.) Ce faisant, l’événement a mis en branle quelque chose de nouveau dans la continuité historique, ou disons “dans la continuité discontinue” puisque des interventions extérieures agissent à leur convenance, au moment opportun, pour donner une nouvelle orientation stratégique, une nouvelle  dynamique, une nouvelle inspiration au flux des événements. En quelque sorte, de l’horrible tragédie pouvant sortir quelque chose de supérieurement bien, Douguine se verrait consolidé dans ses conceptions par la disparition atroce de sa fille. Ce sont les événements à venir qui expliqueront cet horrible événement, qui le “justifieront”, tout horrible qu’il soit, au regard de la métahistoire. Ces mots de Batiouchka, un prêtre orthodoxe ami de Douguine, transcrivent selon un esprit religieux cette idée :

« Alexander a ensuite acquis une certaine notoriété dans les circuits universitaires et de philosophie politique au niveau international. Son influence sur le président Poutine a été très exagérée par les médias occidentaux ignorants et haineux qui ont décidé (ou plutôt reçu l'ordre) de le présenter comme le “conseiller de Poutine”, mais c'est une autre histoire. En fait, Alexandre était un théoricien. Toutefois, en tant que tel, ses livres, articles et conférences ont toujours été stimulants et incitent à la réflexion et continueront de l'être.

» J'espère et je prie pour que le sacrifice de sa fille, Daria, qui lui a brisé le cœur, comme à tout autre père, ne le rende pas amer. Au contraire, il l'incitera à purifier et à affiner davantage sa pensée, afin que son influence à travers elle soit toujours plus grande. »

On retrouve effectivement, également, cette sorte d’interprétation spontanée, sinon intuitive, dans divers cas et sous diverses plumes échappant à ‘La marée du soir’ qui tente de nous submerger. Je crois qu’on peut penser en interprétant que c’est ce que dit en substance Orlov lorsqu’il commente de cette façon, sans qu’il l’explicite précisément, l’assassinat de Daria Douguine. Sa remarque sur Daria et Alexandre, – « Le martyre de sa fille les a élevés, elle et lui… », – est essentielle par rapport à la conception que nous avons exposée dans la mesure où, dans cette époque totalement contrôlée par les forces du système de la communication, il importe essentiellement que les conceptions de Douguine soient connues pour que les esprits appréhendent avec justesse le sens à la fois profond et supérieur des événements, dans l’ordre où ils se trouvent assemblés, et dans lesquels se trouve l’horrible assassinat.

« Comme il semble habituel avec les Ukrainiens, l'acte odieux de l'assassinat de la fille de Douguine a été pour eux un acte puissamment autodestructeur. Avant cet événement, Douguine travaillait dans une relative obscurité et ses idées étaient connues dans des cercles plutôt étroits et considérées comme controversées. Mais aujourd'hui, son nom est partout et des dizaines de millions de personnes le recherchent et étudient son travail. Le martyre de sa fille les a élevés, elle et lui, au rang de héros nationaux et leurs noms, ainsi que son œuvre, vivront à jamais.

» Les Ukrainiens n'auraient guère pu faire plus pour faire avancer la cause de la souveraineté eurasienne et pour hâter la disparition de leur faux clan nationaliste mono-ethnique mort-né, contrôlé par l'étranger. L'assassinat de la fille d'un philosophe est un acte d'humiliation nationale pour l’Ukraine et ses dirigeants, qui ont ordonné le meurtre, en porteront désormais une ignominie et une honte perpétuelles. »

Je n’entends bien entendu nullement avancer l’idée que, depuis le 20 août (le martyre de Daria Douguine) et le 24 août (“Six mois plus tard”), les événements historiques ont totalement changé. Je veux simplement suggérer que l’état de l’esprit a changé devant l’événement symbolique du 20 août, et que des conséquences opérationnelles vont nécessairement s’ensuivre (l’explication de cet acte symbolique, de ce martyre, se trouve « dans le futur », dans les événements à venir jusqu’à « la cause finale »). Je pense également que cet événement symbolique (le martyre) marque d’une façon incontestable, je dirais d’une façon inattendue et audacieuse “d’une façon rationnelle, voire scientifique selon la science historique”, que l’idéologie libérale, « idéologie de la Fin du Monde » selon Douguine, qui intoxique le bloc-BAO jusqu’à être partie de la machination d’un tel martyre par ses organes les plus infâmes et les plus coupables, et officiellement indifférent devant ce martyre, – je pense également que l’idéologie libérale est effectivement comme Douguine l’identifie, la représentation terrestre du « Mal absolu ».

C’est-à-dire, pour être précis et sans dissimulation, quelque chose qui relève véritablement, “scientifiquement”, du domaine diabolique selon l’entendement religieux et eschatologique du terme et de l’idée. Selon moi et pour moi sans plus me préoccuper de démonstration, – pour éviter tel effort inutile à telle vigilante sentinelle de la pensée courante, – qu’on croit ou pas au fait du “domaine diabolique” n’a ici strictement aucune importance puisque j’énonce cette vérité du “domaine diabolique” comme un terme “scientifique”, c’est-à-dire une chose dont on nous dit et nous répète qu’il n’en faut point douter.

Ici, ceci doit être précisé : je dis des choses qui, naturellement et comme on doit nécessairement l’avoir compris, ne doivent plus être identifiée politiquement ou géopolitiquement, Russes ou Ukrainiens, bloc-BAO et autres gâteries, mais bien des choses d’une sorte de métaphysique. Je le dis avec l’outil de l’“âme poétique” dont j’ai déjà souvent parlé, et qui doit être considéré comme un phénomène et un concept sérieux et d’importance par le lecteur, et non un simple caprice d’intellectuel éthéré…

Mais je le dis aussi avec un accès direct aux événements humains et une connaissance de ces événements, et une expérience indubitable de l’histoire humaine qui a mené à ces événements. On ne retrouve quasiment pas une telle expérience dans la génération actuelle, ou plutôt dans “la population actuelle” des “experts” occupés à cette sorte d’affaires, alors que cette “population actuelle” existait de mon temps comme l’on dit, chez mes pairs avec “une telle expérience”, malgré les désaccords que je pouvais avoir avec l’un ou l’autre. La “population actuelle”, dite-“experte” en ces choses, possède une mémoire réduite aux cendres éparses aux quatre vents d’une peau de chagrin dont les restes auraient brûlé. Cette “population actuelle” est littéralement zombifiée, coupée de toute mémoire sérieuse, enfoncée dans un néant de l’esprit, avec une psychologie à mesure qui ouvre tout grand ses bras à l’intervention directe et constante du Mal.

Bien entendu, ils ne savent par reconnaître un martyre là où il y en a un ; allez leur demander en plus de réaliser qu’ils en sont l’instrument, et que la dynamique qui les mène est une impulsion engendrée par « le Mal absolu » ! Vous imaginez les ricanements hébétés, avec consultation effrénée et paniquée de leur “feuille de route” pour voir s’il est quelque part question de la chose…

Source: Lire l'article complet de Dedefensa.org

À propos de l'auteur Dedefensa.org

« La crisologie de notre temps » • Nous estimons que la situation de la politique générale et des relations internationales, autant que celle des psychologies et des esprits, est devenue entièrement crisique. • La “crise” est aujourd’hui substance et essence même du monde, et c’est elle qui doit constituer l’objet de notre attention constante, de notre analyse et de notre intuition. • Dans l’esprit de la chose, elle doit figurer avec le nom du site, comme devise pour donner tout son sens à ce nom.

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