Nouvel ouvrage sur la décroissance, nouvelle salve de simplismes et d’idioties alter-capitalistes et alter-industrielles. Je me contenterai d’en discuter un seul aspect (il fait trop chaud). Dans leur livre The Future is Degrowth – A Guide to a World Beyond Capitalism (« Le futur c’est la décroissance — Un guide pour un monde au-delà du capitalisme »), paru en juin 2022, et d’ores et déjà encensé par nombre de magazines et de personnalités affiliées à la décroissance, Matthias Schmelzer, Aaron Vansintjan, et Andrea Vetter mentionnent tout un ensemble de critiques de « la croissance », dont une « critique de l’industrialisme », qu’ils font remonter aux luddites et/ou à « des écrits débutant dans les années 1970 » (on ne sait pas trop).
Cela étant, Schmelzer, Vansintjan et Vetter (S, V & V) semblent approuver les principaux constats de l’anti-industrialisme. Ils admettent, par exemple, que « la technologie n’est pas neutre » — à moins que seules « les technologies complexes » ne le soient pas ?! Sous un intertitre stipulant « La technologie n’est pas neutre », on lit en effet :
« Les technologies complexes ne sont pas neutres. Nous pouvons définir une technologie complexe comme une technologie dont le fonctionnement nécessite des chaînes d’approvisionnement mondiales, de vastes infrastructures, des hiérarchies sociales et une expertise hautement spécialisée. Celles-ci favorisent ou exigent des actions et des structures de pouvoir spécifiques au niveau de leur production ou de leur utilisation — une forme spécifique de société. Peu importe que ces technologies soient mises au service d’un système capitaliste ou socialiste — elles déploient une logique rationaliste-utilitaire qui leur est propre et qui ne peut être facilement démocratisée. Ce problème remonte à l’émergence de la science moderne comme base de la technologie d’aujourd’hui. »
Notez le « qui ne peut être facilement démocratisée ». Comme quoi, ces technologies complexes, qui nécessitent des hiérarchies sociales, qui ne sont pas neutres, pourraient, moyennant quelques difficultés, devenir démocratiques. Autrement dit, ces technologiques complexes qui ne sont pas « neutres », finalement, pourraient bien l’être. Dans un passage ultérieur, leur vision de la non-neutralité de la technologie se réduit encore :
« Enfin, on peut également craindre que certaines technologies complexes ne favorisent des relations hiérarchiques et non démocratiques au sein de la société dans son ensemble. »
En quelques pages, nous passons donc de « la technologie n’est pas neutre » à « les technologies complexes ne sont pas neutres » et nécessitent « des hiérarchies sociales », et enfin à « on peut également craindre que certaines technologies complexes ne favorisent des relations hiérarchiques ». Bon, très bien, certaines seulement. Lesquelles ?
« Par exemple, les centrales nucléaires, telles qu’elles existent aujourd’hui, dépendent d’un régime d’experts techniques pour leur gestion et, à terme, leur démantèlement. En l’absence d’une expertise suffisante en matière de démantèlement, de stockage des déchets nucléaires socialement acceptable et de nouvelles sources d’énergie, les centrales nucléaires devront continuer à fonctionner au-delà de leur durée de vie prévue, comme c’est le cas aujourd’hui dans de nombreux pays occidentaux. De plus, la protection des actifs nucléaires et la gestion des déchets nécessitent une forte intervention militaire, ainsi que de grandes infrastructures pour les contenir — qui doivent ensuite demeurer inaccessibles au public pendant des millénaires. […] Ainsi, pour savoir si une certaine technologie énergétique est souhaitable, il ne s’agit pas seulement d’évaluer sa capacité technique à fournir une énergie fiable, mais de se demander si une telle division hiérarchique du travail, de l’expertise, de la gestion et de la sécurité est compatible avec une société démocratique, et dans quelle mesure un tel système énergétique restructure nécessairement la société vers des systèmes sociaux plus aliénés, autoritaires, militarisés et hautement centralisés. »
Pour nos experts décroissants, on a donc l’impression que la seule technologie complexe « favorisant » des relations hiérarchiques, c’est le nucléaire.
Plus loin, ils ajoutent que « la décroissance doit viser à démocratiser et à surmonter ces monopoles radicaux ancrés dans les forces productives de la société capitaliste », et à « limiter l’utilisation des technologies qui font obstacle à une bonne vie pour tous ». Ainsi, « l’objectif d’une société de décroissance doit être de dépasser l’industrialisme pour aller vers une société post-industrielle qui aspire à un type de technologie fondamentalement différent, ce qui implique une transformation profonde et une démocratisation des moyens de production et des infrastructures matérielles telles que les réseaux électriques, les voies de transport et les technologies de communication ».
D’un côté, il s’agit de concevoir « un type de technologie fondamentalement différent », de l’autre il s’agit plutôt de « démocratiser » les « moyens de production et des infrastructures matérielles telles que les réseaux électriques, les voies de transport et les technologies de communication » existant actuellement. Allez comprendre. En vérité, malgré des formules prétentieuses aux accents radicaux ( « transformation profonde », « fondamentalement différent », etc.), pour S, V & V, l’essentiel des technologies modernes semble « démocratisable » — et donc, in fine, neutre. Cependant que d’un côté, ils font mine de convenir, avec les anti-industriels, que la technologie n’est pas neutre, de l’autre, ils avancent l’inverse.
« Dans une perspective décroissante, le fait de remettre la technologie moderne entre les mains des gens doit s’accompagner d’efforts pour développer des technologies différentes, non autoritaires. En effet, la critique de l’industrialisme et de la technologie, avec la critique féministe, est le courant de la critique de la décroissance qui s’oppose le plus résolument aux projets post-capitalistes (potentiels) qui préconisent sans critique l’accélération de l’innovation technologique — qu’il s’agisse des propositions technocentriques du Green New Deal, du post-capitalisme numérique ou de l’accélérationnisme. Car une technique non aliénante et non exploitante exigerait que la structure des moyens de production, tels qu’ils se sont développés sous le capitalisme et les États bureaucratiques et au sein des sociétés hiérarchisées, soit aussi fondamentalement transformée. La croissance économique n’est pas progressive, pas même à cet égard. Une correction de la distribution de la production, ou même une organisation complètement différente de la propriété de la production, n’est pas suffisante. La prise de conscience du fait que la technologie, l’infrastructure et les installations de production doivent non seulement être réappropriées, mais aussi transformées et (partiellement) liquidées est au cœur de la décroissance. »
Se réapproprier « l’infrastructure et les installations de production » (mais aussi en transformer une partie et en « liquider » une autre). Un peu tout donc. Oui, non, blanc, noir, peut-être, jour, nuit, au revoir. Démocratiser des technologies intrinsèquement autoritaires (ou plus ou moins, ou peut-être, ou on ne sait pas) tout en en concevant des non-autoritaires. Vous noterez le « (partiellement) » soigneusement placé entre parenthèses. S, V & V font partie de ces décroissants (partiellement) hostiles à la civilisation industrielle, (partiellement) hostiles au capitalisme, (partiellement) en faveur de la liberté et de la nature, (partiellement) rigoureux, (partiellement) cohérents.
Parce que tout de même, il ne faudrait pas exagérer : « la critique de l’industrialisme et de la technologie devient problématique lorsque le progrès technologique et la division du travail sont entièrement rejetés et leurs avantages niés ». Nos camarades décroissants nous mettent ainsi en gardent contre le « pessimisme technophobique », par quoi ils semblent désigner une assimilation confuse de deux positions : la technophobie peut désigner le rejet de toute technologie, c’est-à-dire jusqu’au morceau de silex ; mais elle peut aussi désigner la critique d’un certain ensemble de technologies, à savoir des technologies modernes, complexes.
En somme, S, V & V font mine de s’accorder avec l’anti-industrialisme tout en se prononçant contre un anti-industrialisme conséquent, contre l’anti-industrialisme. Oui, la technologie n’est pas neutre, enfin les technologies complexes, enfin certaines technologies complexes, enfin le nucléaire, parce que toutes les autres technologies sont à démocratiser — il s’agit simplement de les « remettre entre les mains des gens », et pouf ! Le tour est joué.
En réalité, personne ne s’est jamais déclaré hostile envers toute forme de technologie. L’idée n’a pas vraiment de sens. Mais des anti-industriels se sont déclarés hostiles envers un certain type de technologie. Lewis Mumford distinguait techniques autoritaires et techniques démocratiques (tout en se prononçant étrangement pour un mélange des deux, comme nos auteurs décroissants). Theodore Kaczynski discernait pareillement deux types de technologies, les technologies systémiques et les technologies cloisonnées, d’autres opposaient technologies dures et technologies douces, etc.
Le fait est, effectivement, qu’aucune technologie n’est neutre. Toute technologie possède des implications sociales et matérielles. Quels matériaux sont requis pour sa fabrication ? D’autres technologies, d’autres machines, d’autres infrastructures, sont-elles également requises pour sa fabrication ? Si oui, quels matériaux sont requis pour leur fabrication à elles ? Etc. Et quels savoir-faire ? Ces savoir-faire sont-ils productibles démocratiquement ? (Sans besoin d’un vaste État, d’un système scolaire, etc.). Et quel type d’organisation sociale ? Quel type de division/spécialisation du travail (compatible avec une véritable démocratie, ou non ?) ? Sur le plan des usages, quels sont les effets sociaux de cette technologie ? Etc.
En se posant ces questions avec un minimum d’honnêteté, on arrive à la conclusion que tout un ensemble de technologies — parmi lesquelles toutes les technologies modernes, toutes les hautes technologies, toutes les technologies qu’on pourrait dire « de civilisation » comme on parle de « maladies de civilisation » — est structurellement incompatible avec la démocratie, avec la liberté humaine. C’est donc au nom de l’émancipation humaine, de la liberté, d’une démocratie digne de ce nom, que des anti-industriels, des anti-technologistes, des anarchistes naturiens et autres néo-luddites s’opposent à cet ensemble de technologies. Assimiler une telle critique, cohérente (au contraire de la leur), de la technologie, une telle opposition à la technologie, à une forme de « phobie », relève du mensonge et de la diffamation la plus stupide.
Plus loin dans leur ouvrage, S, V & V s’appuient sur le concept flou (pour ne pas dire foireux) de « l’outil convivial » d’Ivan Illich. Pour Illich, tout était possiblement « convivial » : la télévision, le téléphone, le « système des postes » ou « les transports fluviaux en Indochine ». Il s’agissait simplement de ne pas dépasser quelque « seuil » mystérieux :
« L’outil est convivial dans la mesure où chacun peut l’utiliser, sans difficulté, aussi souvent ou aussi rarement qu’il le désire, à des fins qu’il détermine lui-même. L’usage que chacun en fait n’empiète pas sur la liberté d’autrui d’en faire autant. Personne n’a besoin d’un diplôme pour avoir le droit de s’en servir ; on peut le prendre ou non. Entre l’homme et le monde, il est conducteur de sens, traducteur d’intentionnalité.
Certaines institutions sont, structurellement, des outils conviviaux et ce, indépendamment de leur niveau technologique. Le téléphone en est un exemple. À la seule condition de pouvoir acheter un jeton, chacun peut appeler le correspondant de son choix, pour lui dire ce qu’il veut : les dernières informations boursières, des injures ou des paroles d’amour. Aucun bureaucrate ne pourra fixer d’avance le contenu d’une communication ; tout au plus, pourra-t-il en violer le secret ou au contraire le protéger. »
On peut, dans ce dernier paragraphe, remplacer « téléphone » par « électricité nucléaire » ou par plus ou moins n’importe quoi, ça fonctionne tout autant (« à la seule condition de pouvoir se payer de l’électricité nucléaire, chacun peut l’utiliser pour faire ce que bon lui semble : faire fonctionner une voiture électrique, un téléviseur, une tronçonneuse électrique. Aucun bureaucrate ne pourra fixer d’avance l’usage de l’électricité nucléaire. »). En considérant le téléphone isolément, isolément de la manière dont le réseau a été construit, isolément de tout ce qu’impliquait (de tout ce qu’implique) sa conception, sa construction et son existence, Illich pouvait bien prétendre ce qu’il voulait.
& donc, en s’appuyant sur cette formidable notion de la convivialité, S, V & V affirment :
« Parmi les exemples d’espaces qui encouragent aujourd’hui le développement de la technologie conviviale, on peut citer les bibliothèques de prêt d’outils, les cafés de réparation, les espaces de bricolage et certains hackers spaces, maker spaces ou fab labs à vocation écologique et non commerciale.
Le concept de technologie conviviale comprend cinq valeurs centrales pour le développement technologique dans le sens d’une perspective de décroissance : la connectivité, l’accessibilité, l’adaptabilité, la bio-interaction et l’adéquation. La connectivité demande de quelle manière une technologie façonne les relations entre les personnes, tant au niveau de sa production que de son utilisation ou de son infrastructure. La majorité des équipements techniques utilisés aujourd’hui, par exemple, contiennent des éléments métalliques qui sont principalement extraits dans des conditions d’exploitation dans le Sud économique. Dans une perspective de décroissance, il s’agit de développer et de promouvoir des technologies produites dans des conditions équitables, dont les infrastructures qui sont nécessaires à leur fonctionnement ne détruisent pas les communautés locales, et qui sont organisées sur une base décentralisée et égalitaire. L’accessibilité demande où, par qui et dans quelles circonstances une technologie peut être (en général) développée et utilisée. Dans la perspective de la décroissance, cela signifie, entre autres, promouvoir l’alphabétisation technologique des femmes en particulier, placer les technologies financées par les pouvoirs publics sous des licences libres et ne pas empêcher le développement technologique par des brevets motivés par le profit. L’adaptabilité concerne la mesure dans laquelle une technique peut être utilisée indépendamment, la facilité avec laquelle elle peut être étendue et couplée à d’autres techniques, et la manière dont cela peut être facilité par la normalisation des composants de base. Dans une perspective de décroissance, cela encourage l’allongement des périodes de garantie et la garantie de réparation, ainsi que le contrôle de ses propres données dans l’espace numérique, puisque les internautes pourraient alors sauvegarder les informations qu’ils partagent sur différentes plateformes. La bio-interaction désigne l’interaction avec le monde vivant : Quels sont les effets d’une technologie sur les organismes vivants, qu’il s’agisse d’humains, d’animaux ou de plantes, ainsi que sur des écosystèmes entiers ? Les penseurs de la décroissance demandent que les technologies soient prises en compte sur l’ensemble de leur cycle de vie, de l’acquisition des ressources à leur élimination, et que le principe de précaution soit appliqué lors de l’évaluation des risques sanitaires et environnementaux des nouvelles technologies. Ces technologies visent à réaliser une économie en circuit fermé aussi complète que possible, dans laquelle toutes les matières premières industrielles sont entièrement recyclées et toutes les matières premières dégradables sont réintroduites dans le cycle écologique. La cinquième dimension de la technologie conviviale, l’adéquation, consiste à évaluer si une certaine technologie est appropriée pour l’accomplissement d’une tâche donnée. Dans une société de décroissance, les technologies doivent maintenir une relation significative entre l’apport en temps et en ressources matérielles et ce qui doit être réalisé. Cela signifie, par exemple, qu’il faut se déplacer dans une ville largement dépourvue de voitures grâce aux transports publics, aux bicyclettes (cargo) et à pied — ce qui permet d’être plus rapide, de produire moins d’émissions et de préserver davantage de ressources. »
S’ils étaient honnêtes, S, V & V devraient parvenir à la conclusion selon laquelle toutes les technologies modernes ne sont pas « conviviales ». Mais non. Pourtant, si toutes les implications sociales et matérielles du développement (qu’ils appellent de leurs vœux) d’une « infrastructure massive (de panneaux solaires, d’éoliennes, d’usines de bioénergie, de turbines marémotrices et, surtout, de technologies permettant de stocker cette énergie, comme les batteries) » étaient prises en compte, il apparaîtrait clairement que ses impacts écologiques sont désastreux et qu’il implique la perpétuation de hiérarchies sociales. S, V & V semblent par ailleurs oublier ou ignorer que toutes les industries existantes sont lourdement destructrices sur le plan écologique.
C’est ainsi qu’ils promeuvent une utopie urbaine, technologique et industrielle, avec « des villes dotées d’une abondance de ressources publiques performantes, fiables et luxueuses auxquelles chacun aurait accès gratuitement et que chacun pourrait utiliser collectivement — des transports publics (dans les rues libérées des voitures privées) aux connexions internet rapides et aux cinémas communautaires ». C’est ainsi qu’ils vantent « les possibilités objectives découlant d’une prospective sur les communs numériques » et qu’ils se demandent « comment les nouveaux outils numériques peuvent aider à soutenir la planification démocratique et la prise de décision décentralisée — et donc comment ils peuvent contribuer à démocratiser les activités économiques ».
(En effet, n’étant pas à une absurdité près, à une contradiction près, S, V & V promeuvent aussi l’oxymore d’une « planification démocratique ».)
BREF. Une nouvelle illustration de la malhonnêteté, de la confusion et de la naïveté d’un certain pan de la décroissance (il y aurait bien plus à dire, par exemple sur leur réduction du capitalisme à « une société mue par l’accumulation », qui les amène à produire une critique tronquée du capitalisme, à promouvoir une sorte de capitalisme équitable, avec plein emploi pour tous et toutes, ou encore sur l’absence de toute critique sérieuse de l’État). La civilisation techno-industrielle « conviviale » qu’ils appellent de leurs vœux n’existe pas. Elle n’adviendra jamais. (C’est-à-dire que même dans l’hypothèse farfelue où elle adviendrait, elle ne serait ni écologique ni démocratique (ni « conviviale »).)
Celles et ceux qui se préoccupent de la nature, de la liberté et de l’égalité devraient plaider en faveur du démantèlement intégral de la civilisation industrielle, du retour à des petites sociétés à taille humaine, rudimentaires sur le plan technologique (pour faire schématique). Mais malheureusement, pour un certain nombre de raisons, dont plusieurs devraient être évidentes, une telle perspective n’a presque aucune chance, dans la situation présente (telle qu’elle est et telle qu’elle évolue), d’être portée par un nombre significatif d’individus. (L’absence de discussion sérieuse des forces en présence, de la volonté de puissance qui anime le capitalisme industriel, la civilisation, constitue d’ailleurs une des nombreuses lacunes du livre ici discuté, qui se contente de proposer un programme idéal absurde (incohérent sur le plan social comme sur le plan écologique), et donc indésirable, et n’ayant, en outre, strictement aucune chance d’être un minimum implémenté (même à la faveur de quelque « prochain cycle contre-hégémonique » à venir, dans lequel S, V & V semblent placer tous leurs espoirs).)
Selon toute probabilité, la civilisation techno-industrielle continuera, inexorablement, de tout détruire, y compris les rapports humains. Et nul doute que tout au long de l’empirement du désastre, nous aurons droit à bien d’autres plaidoyers en ce genre, proclamant qu’une autre manière de gérer les technologies modernes est possible, qu’internet et la démocratie peuvent très bien faire bon ménage, qu’il ne faut pas rejeter en bloc la modernité technologique, qu’il est possible de la démocratiser, etc. On n’attendait simplement pas telles niaiseries de la part de soi-disant « décroissants ».
Nicolas Casaux
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En bonus, un autre extrait traduit de leur ouvrage, dans lequel ils résument leur programme, leur version idéale de la décroissance :
« Nous nous concentrons sur des changements transformationnels dans six domaines : (1) la démocratisation de l’économie, qui comprend, par exemple, le renforcement des biens communs et de l’économie solidaire, le transfert de services publics comme l’eau ou l’électricité vers la propriété démocratique, le soutien institutionnel aux lieux de travail coopératifs, ou des propositions de coordination macroéconomique et de planification participative ; (2) la redistribution et la sécurité sociale, qui comprend des politiques garantissant l’accès aux services de base tels que les soins de santé, les transports publics, l’alimentation et l’éducation pour tous, ou, comme l’a appelé le mouvement français de la décroissance, la dotation inconditionnelle d’autonomie — les services de base universels ; (3) la démocratisation de la technologie, soutenue par des politiques telles que l’évaluation de l’impact des technologies sur la société et l’environnement tout au long de leur cycle de vie, ou l’ouverture de centres de réparation dans chaque communauté ; (4) la revalorisation du travail, qui comprend des politiques telles que la réduction radicale du temps de travail et l’élimination des emplois inutiles ou socialement nuisibles (comme la publicité ou l’industrie de la fracturation) tout en recentrant l’économie autour des besoins et du travail du soin (care) ; (5) la démocratisation du métabolisme social, ce qui signifie que de vastes zones de production et de consommation devront être démantelées, tandis que d’autres systèmes devront être développés à leur place — cela pourrait signifier, par exemple, la réforme des systèmes d’imposition pour décourager les activités industrielles nuisibles, ou des moratoires sur les infrastructures prévues pour les combustibles fossiles, comme les aéroports ou les méga autoroutes ; (6) la solidarité internationale, qui pourrait comprendre, par exemple, la restructuration du système monétaire international pour démanteler les hiérarchies inégales entre les nations, ou l’annulation des dettes des pays du Sud et le transfert de ressources, de technologies et d’argent en réparation de la dette climatique. Cette large sélection de politiques montre que la décroissance ne consiste pas à proposer une seule politique qui pourrait potentiellement tout changer (comme le soutiennent de nombreux défenseurs du revenu de base, par exemple), mais qu’elle offre plutôt un ensemble holistique où chaque politique complète les autres. »
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