Au Brésil, une femme n’a pas le droit d’avorter — l’avortement y est illégal, considéré comme un crime — mais quiconque souhaite se mutiler pour changer de sexe/genre (les deux sont confusément confondus, même s’il est, bien entendu, parfaitement impossible de « changer de sexe ») n’a qu’à demander pour bénéficier d’une prise en charge chirurgicale gratuite par le système de santé. (Et n’importe quel homme se disant femme est immédiatement considéré comme tel aux yeux de la loi, et ainsi en mesure d’accéder à tous les espaces réservés aux femmes, ainsi qu’aux postes réservés aux femmes, etc.) Autrement dit, comme ailleurs, les fétichismes délirants des hommes y ont plus d’importance que la santé des femmes ou des enfants. L’article suivant a initialement été publié sur le site de Reduxx, une plateforme consacrée à la défense des femmes et des enfants, le 24 juin 2022. Il est rédigé par la co-fondatrice du site, Anna Slatz.
Une féministe brésilienne risquerait jusqu’à 25 ans de prison pour avoir fait remarquer qu’un politicien transidentifié était un homme, dans une affaire qui, espère-t-elle, réveillera le monde sur l’impact de l’idéologie du genre sur les droits des femmes.
Isabela Cêpa, également connue sous le nom de FEMINISA sur les médias sociaux, est une influenceuse féministe bien connue au Brésil pour ses prises de position sur les questions des violences sexuelles et domestiques. Elle s’est entretenue en exclusivité avec Reduxx sur ce qu’elle décrit comme des accusations « inconstitutionnelles » ayant été formellement déposées contre elle par l’État au nom d’un homme politique transidentifié — Erika Hilton du parti Socialisme et Liberté.
Hilton a été élue au gouvernement municipal de São Paolo en novembre 2020, remportant son siège par une victoire écrasante qui lui a valu d’être présenté comme la « femme » ayant reçu le plus de voix au Brésil. Au moment de sa victoire, Hilton a été célébré par les médias internationaux comme un « triomphe symbolique » pour les personnes transgenres. Hilton fait partie des 10 candidats ayant reçu le plus de voix dans tout le Brésil, et constituerait même la « seule femme » de cette liste.
L’importante médiatisation dont il a bénéficié a attiré l’attention de Cêpa.
« À l’époque, je ne savais même pas qui était cette personne. J’ai juste vu un titre sur une page Instagram stipulant que “la femme ayant reçu le plus de votes, à São Paulo, est une femme trans” », dit-elle, racontant comment son calvaire a commencé. « Ensuite, j’ai partagé une vidéo à mes abonnés en disant que j’étais déçue d’entendre que la femme ayant reçu le plus de votes à São Paulo — j’ai appris plus tard que c’était même dans tout le pays — était un homme. »
Cêpa est ensuite sortie faire des courses, pour constater, à son retour, qu’un véritable feu d’artifice d’indignation avait éclaté, un feu d’artifice qui est rapidement devenu incontrôlable.
« Quand je suis arrivée chez moi, j’étais déjà attaquée par des milliers de personnes », explique-t-elle, précisant que Suyanne Ynaya, rédactrice de la franchise brésilienne du magazine ELLE et amie d’Erika Hilton, avait posté sa vidéo Instagram sur Twitter, en lui reprochant d’avoir décrit Hilton comme un « homme ».
Pode empurrar ?
Sério a cada dia que passa eu fico pasma com esse povo.
Entre as pessoas que ganharam temos pessoas trans, indígenas, FEMINISTAS, negras e tem uma grande lista de pessoas que jamais imaginaríamos poder ter ganhado.
Enfim, olha o povo que a galera segue.🤦🏾♀️ pic.twitter.com/U04GcrRsek— 🇧🇷 Me chamo Suyane não Tsunami (@BentoYnaya) November 16, 2020
Mais l’attaque de Ynaya ne s’est pas arrêtée là. La rédactrice de ELLE a également accusé Cêpa d’avoir déposé une fausse accusation d’agression sexuelle contre un homme noir dans le but de la faire passer pour une raciste.
« C’est quelque chose qui n’est simplement jamais arrivé. Je n’ai jamais accusé un homme noir pour quoi que ce soit. Mais des gens ont commencé à répandre des rumeurs selon lesquelles j’étais non seulement transphobe, mais aussi une raciste et une menteuse qui profitait du mouvement féministe pour déposer de fausses accusations contre des hommes de couleur innocents. »
Cêpa a expliqué à Reduxx qu’elle avait été victime d’une agression sexuelle, mais que son violeur était caucasien. Malgré cela, Ynaya a continué à répandre la rumeur selon laquelle elle avait dénoncé un homme afro-brésilien, et a même attaqué Cêpa sous ses tweets en la qualifiant de « privilégiée et dégoûtante ».
Traduction [sic] : « Tu as tellement de plaintes contre toi, chaque personne qui te parle rapporte combien de choses mauvaises tu fais dehors à la recherche de la célébrité. Tu es une menteuse, privilégiée et dégoûtante. Ton féminisme ne frappe pas à ma porte et n’éduque pas mes enfants. Sache-le ! »
Sur Instagram, Ynaya a menacé de s’en prendre physiquement à Cêpa à plusieurs reprises, des menaces qu’elle a portées à la Police, sans aucun résultat.
« Je n’ai aucune idée de la raison pour laquelle elle a fait ça… Elle a supprimé des tweets après avoir réalisé que cela entraînerait des poursuites pénales contre elle », explique Cêpa, notant que certaines survivantes d’agressions sexuelles avaient commencé à s’insurger contre la campagne de Ynaya visant à délégitimer le témoignage d’agression sexuelle de Cêpa, mais la rédactrice de ELLE leur a dit que Cêpa ne méritait pas d’excuses parce qu’elle était transphobe.
Dans un enregistrement audio que Cêpa a fourni à Reduxx pour examen, on entend Ynaya traiter Cêpa de « raciste » ayant des problèmes de santé mentale, et répéter la rumeur selon laquelle elle avait (faussement) accusé un homme noir de viol.
« Impossible de compter le nombre de menaces que j’ai reçues, entre mes profils sur les médias sociaux et mes e‑mails », a déclaré Cêpa à Reduxx, précisant que dans les 24 heures qui avaient suivi le lancement de la campagne de Ynaya, elle avait perdu plus de 11 000 abonnés sur Instagram. « J’ai également été désinvitée à participer à un podcast où j’étais censée parler de violence sexuelle, en tant que survivante. Mes amis ont été menacés. »
Ces attaques sur les réseaux sociaux ont eu plus qu’un impact superficiel sur la vie de Cêpa, elles allaient également avoir un impact sur une situation de violence domestique dont elle tentait tant bien que mal de se sortir.
« Lorsque j’ai rompu avec mon [ex-petit ami] après qu’il m’ait violée, il a bénéficié de beaucoup de soutien pour prétendre que j’étais une fausse accusatrice. Les choses en sont arrivées à un point où je ne pouvais plus sortir sans être enregistrée, observée ou photographiée par ses partisans — toutes des femmes. Son ex-petite amie — une alliée trans très fanatique — a envoyé des informations privées sur l’enquête aux médias, et ensuite beaucoup de gens, sur internet, ont commencé à dire que j’étais une fausse accusatrice. »
L’ex-compagnon de Cêpa a été condamné pour avoir violé une ordonnance restrictive à son encontre la semaine dernière, et 6 autres crimes présumés font encore l’objet d’une enquête. Cêpa rapporte que, dans une conversation enregistrée, il lui a dit qu’il était « beaucoup trop facile » de convaincre les autres qu’il n’avait pas commis d’acte répréhensible à son égard en raison de la campagne des activistes trans qui avait été lancée pour la discréditer.
Pendant ce temps, Hilton se sert de la chute de popularité de Cêpa comme d’un sujet de discussion. Début 2021, il a mentionné qu’il prévoyait de dénoncer 50 personnes à la police, dont Cêpa et une de ses amies, qu’il a qualifiée de « mythomane ».
sim, sim, uma mitomaniaca transfobica defendendo outra feminista transfobica. nada de novo no front. feminisa inclusive é uma das 50 pessoas que estou processando.
— ERIKA HILTON 🏳️⚧️ ☀️ 🚩 (@ErikakHilton) June 19, 2021
En novembre 2021, Hilton a dénoncé Cêpa à la police, et en janvier (2022), la police s’est présentée sur le lieu de travail de la mère de Cêpa pour demander où elle se trouvait.
« Ils lui ont juste donné un document et elle m’a appelé, inquiète. À l’époque, j’étais en déplacement dans une autre ville. J’ai dû appeler le poste de police pour comprendre de quoi il s’agissait », raconte Cêpa. Elle s’est alors rendue dans un poste de police local pour parler avec l’officier qui s’y trouvait.
« Lorsque l’agent m’a dit que c’était à cause du politicien, j’ai ri. Il n’y avait pas d’autre réaction possible… J’ai dit : Oui, je défends les droits des femmes sur la base de la biologie. Ce n’est pas un crime d’énoncer des faits. »
Après s’être entretenue avec la police, Cêpa n’a plus rien su des développements de son affaire jusqu’en juin 2022, lorsqu’une journaliste d’un grand journal brésilien l’a contactée afin de lui demander un commentaire pour un article qu’elle écrivait sur ces accusations.
« J’ai entendu parler de ces charges pour la première fois le 18 juin lorsqu’une journaliste de Folha m’a envoyé un message sur Instagram pour me demander une déclaration, quelques minutes avant de publier l’article », raconte Cêpa. « C’était la première fois que j’apprenais que j’étais formellement accusée, pénalement, de quelque chose. »
Cêpa a ainsi découvert, dans l’article de Folha, qu’elle était inculpée pour 5 chefs d’accusation de racisme après que le procureur de la République a passé au peigne fin ses comptes sur les réseaux sociaux en quête d’autres déclarations « transphobes ».
En 2019, la Cour fédérale suprême du Brésil a statué que la discrimination contre la « communauté LGBTQ » constituait une infraction pénale, mais qu’elle relevait des protections existantes fondées sur la race en tant que forme de « racisme social ». Cette décision est intervenue quelques années après que la police d’État de São Paolo a commencé à inclure les hommes transidentifiés dans les statistiques de « féminicides ».
En plus de ces charges, le média a annoncé que Cêpa risquait jusqu’à 25 ans de prison, un chiffre qui, selon elle, a été choisi pour décourager d’autres féministes de s’exprimer sur des questions similaires.
« Ce chiffre [25 ans] représente une peine plus lourde que ce qu’encoure un individu coupable de meurtre au premier degré ici », explique-t-elle, qualifiant le fait d’être menacée de cette peine de « terrorisme psychologique ».
S’exprimant pour Reduxx sur le cas de Cêpa, la journaliste brésilienne Andreia Nobre souligne que les dynamiques politiques jouent probablement un rôle dans son calvaire.
« [Cêpa] est poursuivie par un homme qui dit être trans, parce que des médias brésiliens ont écrit qu’il était la conseillère municipale la plus plébiscitée de tous les temps et qu’elle a contesté cela », explique Nobre. « Elle n’a fait qu’énoncer un fait. Comment peut-on croire qu’un gouvernement composé de 50% d’hommes se disant ‘cis’ et de 50% d’hommes se disant ‘trans’ représenterait un progrès ? »
Nobre, qui est l’auteur du tout nouveau Grumpy Guide to Motherhood (« Manuel énervé de la maternité ») et du Grumpy Guide to Radical Feminism (« Manuel énervé du féminisme radical »), salué par la critique, note que les femmes occupent moins de 20% des sièges politiques dans le monde, et qu’elles sont massivement sous-représentées dans la politique au Brésil.
« Cela montre aux femmes brésiliennes qu’elles ne sont pas des êtres humains méritant des droits », déclare Nobre. « C’est définitivement un recul. Nos droits sont à peine respectés au Brésil. »
Bien qu’elle n’ait toujours pas reçu de copie officielle des accusations ayant été portées contre elle par l’État, Cêpa a constitué une équipe de 12 avocates pour se battre en son nom.
« Il serait inconstitutionnel de me condamner pour un de ces chefs d’accusation… Je fais face à ce genre d’attaques de la part des militants trans depuis des années, alors quand j’en ai entendu parler, j’ai tout de suite constitué mon équipe juridique. »
L’année dernière, Hilton a annoncé qu’il allait poursuivre 50 personnes pour des remarques « transphobes », mais pour l’instant, Cêpa affirme qu’elle est la seule à avoir été officiellement visée. Dans des reportages diffusés par les médias brésiliens l’année dernière, Hilton semblait utiliser la menace de poursuivre des féministes comme stratégie de réélection, ralliant ses partisans autour de l’idée qu’il les poursuivrait après les avoir fait condamner pénalement, et qu’il donnerait l’argent du règlement à d’autres personnes transidentifiées.
Cêpa espère que son histoire permettra de souligner comment les femmes perdent des droits constitutionnels fondamentaux au nom de la validation des sentiments des hommes.
« Cette affaire n’a rien d’un crime de haine, il s’agit d’un différend politique. Personne ne peut imposer à une femme la conviction que son sexe n’a pas d’importance. »
Anna Slatz
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