Danton et Robespierre : l’histoire des stentors de la Révolution française… — Jimmy DALLEEDOO

Danton et Robespierre : l’histoire des stentors de la Révolution française… — Jimmy DALLEEDOO

Certains préfèrent Danton, mais d’autres préfèrent Robespierre. Ils furent les stentors de la grande Révolution française de 1789. Ils n’étaient pas seuls évidemment. En réalité, la révolution n’a pas commencé en 1789. Elle a commencé dans les esprits bien avant 1789. Nous devons discuter, débattre des origines de notre révolution française. Discuter, débattre aussi des personnages clefs de cette révolution. Danton et Robespierre en sont clairement les deux piliers. Il nous faut revenir à leurs enfances, leurs études, leurs vies simplement. Une révolution n’est pas uniquement sociale, elle est aussi cérébrale. La révolution de 1789 n’échappe pas à cette règle universelle. Je m’excuse d’avance auprès des lecteurs pour la longueur de mon texte, mais il m’aurait été difficile de faire plus court.

1- L’origine

Ils avaient 30 ans lorsqu’eût lieu la révolution. Ils étaient la deuxième génération des révolutionnaires. Mirabeau représentait la première génération. Ce dernier avait 40 ans lors de l’ouverture des états généraux de 1789. La jeune génération de trentenaire était faite d’hommes exaltés, fougueux, de jeunes loups prêts à en découdre. Ils étaient la parfaite illustration de ce que les Romains appelaient la Juvenilis ardor : l’ardeur de la jeunesse. Ils étaient jeunes, dans la force de l’âge, une maturation intellectuelle, une expérience dans leurs professions, des moyens physiques et des convictions.

Robespierre était le plus jeune des élus du tiers état. En effet, la moyenne d’âge pour les autres députés était de 53 ans. Il avait donc plus de 20 ans de moins que les autres. Le grand Robespierre fut un poussin avant de devenir le coq français combattant qu’on admire encore maintenant. Il se rangera du côté « des élus patriotes » lors de l’Assemblée nationale constituante. Il n’était évidemment pas le seul évidemment. De son côté nous retrouvons Barnave, Alexandre et Charles Lameth, âgés respectivement de 27, 28 et 31 ans le jour où ils prendront la Bastille. Au début, ils étaient dans la même unité d’action puisque subissant la même inégalité. La noblesse libérale était moins âgée que la noblesse conservatrice. Une partie de la jeune noblesse libérale avait été éprise d’un idéal de liberté.

La guerre d’indépendance aux États-Unis avait amorcé ce mouvement. Ce mouvement proche de Washington était conduit par un certain La Fayette, un marquis fait général par Washington alors qu’il avait 19 ans. C’est la génération de 1789. Mounier avait 30 ans, alors que le duc d’Aiguillon avait été aiguillé par sa subjectivité de 27 ans. Le plus jeune fut Mathieu de Montmorency, un noble libéral qui avait 22 ans. Louis XVI avait 30 ans lorsqu’il ouvrit les états généraux à l’hôtel des Menus-Plaisirs. La trentaine est l’âge idéal en 1789 pour la conquête du monde : il fallait naître vers 1760.

D’ailleurs, le grand Camille Desmoulins rendait grâce au Seigneur pour sa naissance : « Que je te remercie, ô ciel, d’avoir placé ma naissance à la fin de ce siècle ; le patriotisme s’étend chaque jour dans la progression accélérée d’un grand incendie. La jeunesse s’enflamme ; les vieillards, pour la première fois, ne regrettent plus le temps passé : ils en rougissent ». Lorsque les contradictions exposeront Versailles, l’âge de 40 ans fut le maximum et 25 ans le minimum. La limite entre les deux avait été faible ! Ils tombaient à pic ! Comme si cette réalité avait été programmée par la nature notre source…

Lorsque Robespierre fut élu, il n’avait que 29 ans. Il avait été élu de justesse. Autrement, il ne serait pas venu à Versailles. Il n’aurait pas connu Danton. Ce dernier était une voix montante sur la rive gauche de la Seine. Ces deux personnages étaient au bon endroit, au bon moment. Lorsqu’il fit paraître « L’esprit des lois » en 1748, Montesquieu affirmait que la France était un pays largement sous-peuplé. Il y dénonçait la misère du peuple, les inégalités sociales du pays : « Le clergé, le Prince, les villes, les grands, quelques citoyens principaux, sont devenus insensiblement propriétaires de toute la contrée : elle est inculte, et l’homme de travail n’a rien ».

La France est passée de 22, 6 millions d’habitants à la fin du règne de Louis XIV (1774) à 28,6 millions en 1789. Entre 1750 et 1789, la population a augmenté de plus d’un million en 10 ans. Lors de la prise de la Bastille, la France était très jeune puisque les moins de 20 ans constituent plus de 40 % de la population globale. Avant la révolution, Robespierre était un jeune avocat opprimé par « les anciens ». Desmoulins fut lui aussi un avocat, mais il décida de devenir journaliste avant la révolution.

La France avait subi une peste dévastatrice dans les années 1720 précédant ainsi « la peste capitaliste » à venir. La famine avait été ralentie grâce à une augmentation de la production agricole de 40 % au 18e siècle. Les Français ont gagné 4 ans d’espérance de vie entre 1750 et 1789. Les conditions d’existence matérielle de la future nation française (car la France n’était pas encore une nation) ont été améliorées en quelques décennies, mais elles étaient encore très insuffisantes pour espérer atteindre la stabilité sociale.

L’écart entre les riches et les pauvres était révoltant, insolent, immonde, incohérent. Le prix des subsistances augmentait sans cesse : les futurs Français avaient trop faim ! La guerre des farines fut décrétée dans l’ouest en 1775. Entre 1771 et 1789, la France fut jalonnée par des révoltes frumentaires. Les familles de Danton et Robespierre furent touchées par la mortalité infantile très pesante dans cette France de la fin du 18e siècle. La mère de Robespierre est morte en mettant au monde un quatrième enfant, alors que Maximilien n’avait que 6 ans. C’est la première cassure pour le grand Robespierre et ce ne fut pas la dernière. Les différentes cassures nous feront comprendre le comportement du futur chef de la Convention nationale…

La future Nation française était en paix de 1763 à 1778. Robespierre et Danton sont alors des roturiers. Deux roturiers qui ont évolué dans un siècle qui fut dévoré par la passion rationaliste. La totalité de la France était alors catégorisée, cartographiée, rangée, classée, analysée : le calcul statistique se développait. La population française était divisée en catégories. De celle jugée la plus importante à celle moins considérée :

Clergé

Noblesse

Militaires

Officiers à magistrature

Universités (avocats, médecins)

Bourgeois (financiers, négociants, artisans, marchands)

Matelots et gens de mer

Gens de rivières

Laboureurs, Cultivateurs

Vignerons, Cultivateurs à bras

Manoeuvriers, journaliers

Domestiques et enfants de 15 ans et moins

Le classement était imparable, puisqu’un cochon valait moins qu’un veau, alors qu’un vigneron moins qu’un matelot. Danton et Robespierre se situent donc en cinquième position sociale. Ni prêtres ni nobles, mais roturiers. L’enfant d’Arras (Robespierre) détenait donc un rang le situant entre noblesse et bourgeoisie. La mère de Robespierre, Jacqueline Carraut était fille d’aubergiste. La mère de Danton, Marie-Madeleine Camut était la fille d’un entrepreneur de travaux publics spécialisé dans la charpenterie. Après les conflagrations sociales de 1792, un homme politique interpelle Danton qui était alors le ministre de la Justice concernant l’horreur des boucheries dans les rues de Paris. Le ministre Danton aurait répondu : « Monsieur, vous oubliez à qui vous parlez ; vous oubliez que nous sommes de la canaille, que nous sortons du ruisseau, qu’avec vos principes nous y serons bientôt plongés, et que nous ne pouvons gouverner qu’en faisant peur ! ». Danton sera surnommé « le Mirabeau du ruisseau ». Robespierre a conscience de son rang social.

Chaque roturier détenait un motif de plainte personnelle contre les nobles. Ils voulaient en finir avec ces inégalités sociales. Ils n’étaient pas sans rancune. Une petite anecdote nous fera comprendre leur état d’esprit. Barnave est allé au théâtre avec sa mère. Elle a été interdite de présence dans une loge du théâtre parce que cette loge était prévue pour le Duc de Tonnerre qui était alors un « sang pur ». Dans cette France royaliste, le rang primait sur le talent. Lorsqu’on demandait l’avis à Barnave concernant les massacres de juillet 1789, il répondait : « Ce sang était-il donc si pur ? ». Bref, ils haïssaient ce que la noblesse représentait : l’inégalité entre les hommes, l’injustice, c’est-à-dire un crime de la nature.

Pendant que la noblesse est engourdie de jeux de plaisirs, les paysans et les bourgeois étaient obligés de travailler pour payer les impôts, les différentes taxes. Les paysans aiguisent leur esprit pendant que l’esprit des nobles se dissout par les substances des plaisirs. L’année 1774 fut celle de la parution d’un livre qui a été présenté comme scandaleux : Les Souffrances du jeune Werther  de Goethe. Un livre tellement puissant qu’il engendrera des suicides.

Les derniers mots du livre parlaient de la douleur d’un homme exploité : « toujours ramené à la morne et froide conscience de sa petitesse, alors qu’il espérait se perdre dans l’infini ». Au temps des lumières, la tradition était ciblée comme une ennemie. Le roi était le représentant des traditions monarchistes. Il représentait Dieu sur terre et son pouvoir émanait de Dieu. Les Français vivaient dans des maisons en terre battue, ils étaient éclairés par des bougies, allaient à l’église tous les dimanches. Ils étaient totalement noyés dans ces traditions. Bref, la France de cette époque était une France ésotérique. Les lumières apporteront l’éclaircie dans cette obscurité. Louis XV est mort en mai 1774. Son enterrement avait été effectué en catimini, sans gloire, sans peuple : un non-événement. L’abbé Véri avait déclaré : « Les églises désertes pendant les prières indiquées, dans le cours de sa maladie, furent le prélude de l’indifférence sur sa mort. Le mot d’indifférence n’est pas exact. La très grande majorité des courtisans et des peuples en eut de la joie ». En d’autres termes, les conditions subjectives avaient été réunies pour une révolution bien avant l’année 1789.

2- Les pauvres garçons ou le pauvre garçon

Rousseau disait que l’Homme est un arbre que la vie sociale, le choc des opinions et les vices de la cité abîment. Robespierre avait été abîmé bien plus que Danton. Les détracteurs de Robespierre ont organisé un feu nourri contre lui. Ils n’ont pas
compris les causes ayant mené l’homme à ses choix. La vie privée de Robespierre a attisé beaucoup de fantasmes naturellement. Concernant sa virilité d’abord. En effet, Robespierre n’a jamais été vu avec une femme. Mais… le Christ non plus. Le député Fréron, qui était amoureux de l’épouse de Camille Desmoulins racontait les années de collègue avec Robespierre : « Il était ce que nous l’avons vu depuis ; c’est à dire triste, bilieux, morose, jaloux des succès de ses camarades. Jamais il ne se mêlait à leurs jeux ; il se promenait seul à grands pas, toujours rêveur, et l’air malade. Il n’avait aucune des qualités du premier âge. Point communicatif, nul abandon, nul épanchement, nulle franchise, mais un exclusif amour-propre, une opiniâtreté insurmontable, un grand fond de fausseté. On ne se rappelle pas l’avoir vu rire une seule fois. Il gardait profondément le souvenir d’une injure ; il était vindicatif et traître, sachant déjà dissimuler son ressentiment ».

Son ancien professeur au collège Louis-Le-Grand, l’abbé Proyart, disait : « dès sa plus tendre enfance, résume-t-il, Robespierre annonça le caractère sombre et machinateur, qu’il porta toute sa vie. Il ne passa point par le bel âge de l’ingénuité ». Robespierre a été accablé d’injustice. C’est méchant, puisque Robespierre était orphelin. Danton, lui, avait pu compter sur l’amour de ses fils, de sa mère, de son beau-père. Danton avait eu à l’inverse une vie privée très douce. Robespierre avait uniquement sa sœur Charlotte. Personne n’a autant connu Robespierre que sa sœur Charlotte. Elle a écrit un mémoire pour casser la fable du Robespierre monstre. Elle fut aidée dans sa mission par Lamartine et la fille Duplay qui se fréquentaient. Lamartine et la fille Duplay ont affirmé que Robespierre n’était pas un homme assoiffé de sang comme on aime à le présenter. Il était généreux et bon. Ces trois personnages disaient : « Pour nous, nous l’aimons comme un bon frère ! Il était si bon ! Il était notre défenseur lorsque ma mère nous grondait. Il me donnait de si bons conseils que, toute jeune que j’étais, je les écoutais avec plaisir. Lorsque j’avais quelque chagrin, je lui contais tout. Ce n’était pas un juge sévère : c’était un ami, un frère bien bon ; il était si vertueux ! Il avait pour mon père et ma mère de la vénération. Nous l’aimons tous bien tendrement ».

Danton avait été attendu comme le messie par ses parents le jour de sa naissance. Il sera protégé et aimé contrairement à Robespierre qui fut seul dans sa vie. On lui donnera le prénom de Jacques. Robespierre avait perdu sa mère lorsqu’il avait 6 ans. Le père de Danton est mort lorsqu’il avait 2 ans. Le destin frappait-il les deux enfants d’une manière identique ? Non ! Danton a perdu son père à un âge dans lequel on ne produit pas de souvenirs. Ce n’est pas le cas de Robespierre qui avait noué des liens très forts avec sa mère. Le caractère traumatique de l’événement n’était donc pas identique. D’ailleurs, la tristesse de Robespierre avait été remarquée par sa sœur. Robespierre avait les yeux mouillés de larmes à chaque fois que le souvenir de sa mère était invoqué.

Le père de Robespierre avait abandonné le foyer familial. Il était donc veuf et c’est ainsi que la tristesse l’aurait poussé à quitter Aras et la France. Robespierre était alors orphelin, pauvre et fut envoyé chez son grand-père maternel. Danton a été aimé par sa mère qui faisait preuve de beaucoup de tendresse à son égard. La veuve Danton épousa en 1770 Jean Recordain, un homme riche travaillant dans le secteur du coton à Arcis. Recordain aimera Jacques Danton comme son fils. Jean Recordain était riche et il apporta ce qui fut nécessaire à la famille de Jacques Danton. Danton avait donc une famille, mais Robespierre n’en avait pas. Le grand-père de Robespierre ne gardera pas l’enfant puisqu’il l’enverra presque immédiatement au collège Louis-Le-Grand. Lorsqu’on a 6 ans, on s’ouvre au monde, on communique pour s’affermir, pour grandir. À la roulette de la vie, le futur incorruptible avait perdu. Personne ne l’aimait, même pas la monarchie puisqu’il n’avait pas « le sang pur ». Que faire ?

Le monde extérieur ne veut pas de Robespierre, alors il se referme sur lui-même. C’est alors que Robespierre se met à lire Rousseau. Il va s’abreuver, après ce long désert, de cet idéal de perfection individuelle, philosophique, politique, sociale qu’on nomme vertu : qu’on peut aussi appeler « Homme nouveau ». Elle est toujours un refuge pour les cœurs chagrins. Danton lui, a vécu à la campagne. Il grandit dans la nature, dans la lumière, alors que Robespierre a grandi dans l’obscurité des quatre murs du collège. Danton s’adonnait aux divers plaisirs, aux bastonnades, aux bravades, à l’école buissonnière, aux jeux de cartes ayant une véritable passion pour le « Brelan ». Robespierre, lui, ne connaissait pas les plaisirs. Danton a bénéficié d’une vie heureuse. D’ailleurs, un peu avant de mourir, Danton avait déclaré : « je porte dans mon caractère une bonne portion de la gaieté française, et je la conserverai, je l’espère ».

Robespierre était un être vertueux, mais pas heureux. D’ailleurs, Robespierre l’a écrit, dans une lettre à une amie en juin 1787 : « lorsqu’on ne possède pas soi-même le bonheur, on voudrait par celui des autres ». Effectivement, lorsqu’il va écrire la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen en 1793 avec Saint-Just, l’article 1 disait : « le but de la société est le bonheur commun ». Robespierre décrocha une bourse d’études lorsqu’il avait 11 ans. Il intègre alors le collège Louis-Le-Grand. Danton entre au collège des oratoriens de Troyes à l’âge de 13 ans. Les portes du collège ont été ouvertes pour Danton grâce à Jean Recordain qui avait payé pour son fils. Robespierre a beaucoup travaillé pour y entrer. Danton voyait sa famille, ses amis, mais personne ne venait rendre visite au petit Maximilien. Il s’adonne donc aux études dans lesquelles il excellait. Danton était à l’aise dans la maison Richard. Ce collège était passé aux idées nouvelles, négation de la vie monacale, de la pédagogie réactionnaire des collèges. Danton avait évolué dans un cadre pédagogique laïque moderne.

Le professeur de Danton s’appelait M. Bérenger qui était un progressiste. Ce professeur était acquis aux idées de Rousseau, de Voltaire. Cette éducation libérale était très mal perçue par les conservateurs qui détestaient l’amoralité de ces « petits encyclopédistes ». Ces derniers n’aimaient pas ces professeurs progressistes passant outre la religion. Un professeur conservateur, connu à l’époque, avait dénoncé ce progressisme à plusieurs reprises. Il s’appelait l’abbé Proyart : le professeur de Robespierre à Louis-Le-Grand. La vie de Maximilien au collège était austère. Aucune nuit d’ivresse, pas de plaisirs, pas de luxe. Le calme et l’ordre règnent. Robespierre se levait à 5 h 30 ; à 6 h prière ; à 6 h 15 étude des saintes Écritures, ensuite la prière, les études, etc., etc. Il se couchait à 21 h en hiver comme en été. Danton a reçu une éducation libérale. Robespierre avait reçu une éducation telle qu’elle fut pratiquée à Sparte. Maximilien entra au collège

Louis-Le-Grand en 1769. Maximilien était entouré d’aristocrates qui disposaient de domestiques. Les camarades de son collège se moquaient de lui pour ses habits, son apparence provinciale. Maximilien est entré pauvre au collège. D’ailleurs, dans une lettre de 1778, Robespierre disait : « Je n’ai point d’habit, je manque de plusieurs choses, sans lesquelles je ne puis sortir ». André Stil disait, parlant du petit Maximilien : « La pauvreté, les humiliations isolent, mais rendent fier. La tristesse aussi ». Robespierre répondait par l’étude, en développant l’Homme vertueux ou Homme nouveau et en surclassant ses camarades. Maximilien avait tout de même un ami dans ce collège. Il s’appelait Camille Desmoulins. Ce dernier aussi subissait les moqueries de ses camarades : Desmoulins était bègue ! Est-ce une coïncidence ? Certainement pas…

Robespierre savait qu’il ne régnerait pas par le sang, il le fera donc par l’esprit. Naturellement, la cohésion entre humilité et orgueil est fragile lorsqu’on est un enfant fragile psychologiquement et isolé socialement. Maximilien réussissait à passer outre cette difficulté subjective. Mais le collège représente plutôt un moule qu’une véritable liberté de pensée. Robespierre fut choisi par son collège, en 1775, pour parler devant le roi Louis XVI qui venait de monter sur le trône. Le grade de reconnaissance fut le plus élevé pour cet élève qui avait réussi à surpasser tout le monde. Après ce discours, il déclare : « Si ma mère voyait ! ». Danton aussi a été marqué par le sacre de Louis XVI. En effet, lorsque Louis XVI a été couronné roi à la cathédrale de Reims, le 11 juin 1775 Danton est présent. Il avait fugué de son collège, traversé les champs à pied pour être là.

Les années 80 annonçaient la révolution comme la nuée annonce l’orage. Diderot est encore en vie, il vivait rue de Richelieu et il préparait une nouvelle version de L’Encyclopédie. Le ministre Maurepas est décédé en 1781 à l’âge de 80 ans et Turgot va mourir lui aussi. Bref, l’ancienne génération laissait la place libre. En 1781, Louis était dans la septième année de son règne. Le dirigeant des finances était alors Necker, un banquier suisse. Il assumait la direction financière du royaume à force d’emprunts et de crédits. La France avait emprunté plus de 530 millions entre 1776 et 1781 : somme énorme à l’époque !

Une grande partie de cette somme colossale avait été utilisée pour financer la guerre d’indépendance des États-Unis.

L’Angleterre, de son côté, avait été battue à Yorktown en octobre 1781. Necker voulait être transparent auprès de l’opinion publique. Il voulait présenter les dépenses publiques du royaume. C’est ainsi qu’un « compte rendu au Roy » parut en février 1781. L’opinion publique fut flattée, mais la noblesse grogna à cette initiative de Necker. Mais dans son compte rendu, Necker annonçait un excédent des recettes s’élevant à 10 millions. En réalité, le déficit est de plus de 80 millions, alors que la dette s’élevait à plus de 114 millions ! Dans ce compte rendu, il y avait sur la première page : « imprimer sur ordre de Sa Majesté ». Pourtant, Louis XVI était plutôt occupé à se distraire entre deux bals ou à la chasse.

Il prit du temps pour signer l’ordonnance « des autres quartiers » du 22 mai 1781. Cette dernière obligeait à détenir quatre quartiers de noblesse pour entrer dans l’armée avec le grade d’officier. Pendant ce temps, Robespierre termine ses études en 1778 à l’âge de 20 ans. Il détient une licence en droit et obtient son examen de droit français. Il reçoit aussi une gratification de 96 livres puisqu’il a été le meilleur. Maximilien est devenu un dragon de vertu et il est prêt à cracher les flammes de la vengeance. Un chant de « L’Enfer » de Dante semblait alors convenir à ce Robespierre sorti du collège :

Il faut désormais que tu t’adresses,
Dit le maître, car, installé dans les plumes
On n’atteint pas la gloire, ni sous la couette ;
Debout, donc : triomphe de l’oppression
Avec le cœur qui vainc toutes les batailles.

Robespierre retrouve sa sœur Charlotte et son frère Augustin lors de son retour à Arras en 1781. Dans sa tête, les choses étaient claires : il deviendra le défenseur des veuves et des orphelins. Mais, pour lui cela ne suffisait pas : il voulait être l’oppresseur des oppresseurs. Là encore, il voulait exceller. Danton épouse Gabrielle Charpentier le 14 juin 1787. C’est le 12 juin 1787, un peu avant le mariage, que Louis XVI signait la transmission de la charge. Danton devient ainsi un officier de la Couronne. De la chance, ce Danton en a eu jusque-là. Danton contracte des dettes dans les plaisirs, alors que Robespierre dépense d’une manière très rationnelle ses petits honoraires d’avocat. Danton embauche alors plusieurs avocats qui travaillent à sa place. Parmi eux, un certain Billaud-Varenne. Ce dernier se vengera de son patron, un peu plus tard naturellement. Gabrielle Danton lui donne des enfants en 1789, 1790 et 1792. Danton n’est pas l’homme des lumières philosophiques, mais l’homme des lumières des nuits parisiennes évidemment. Robespierre n’a jamais été marié et il n’aura jamais d’enfants. Il ne veut acquérir aucun bien. L’homme vertueux était sa seule fin.

Il conservait un rythme de vie monotone, spartiate. Sa sœur Charlotte racontait les journées de son frère Robespierre : « Il se levait à six ou sept heures du matin, et travaillait jusqu’à huit heures. Son perruquier est alors venu le coiffer. Il prenait ensuite un léger repas, qui consistait en laitage, et se remettait au travail jusqu’à dix heures, où il s’habillait et se rendait au palais. Le soir, après avoir plaidé, il s’accordait une heure de promenade, presque toujours solitaire. Puis, rentré chez lui, il ne prenait que rarement part à la conversation entre Charlotte et Augustin, et si celle-ci avait le malheur de porter sur des choses insignifiantes, il se retirait dans un coin de l’appartement, s’enfonçait dans un fauteuil, et se livrait à ses réflexions comme s’il avait été seul ».

La puissance de ses réflexions avait été affirmée dans un autre exemple de sa sœur Charlotte : « Nous avions une fois passé la soirée ensemble chez un de nos amis, se souvient Charlotte, et nous revenions à notre demeure à une heure assez avancée, lorsque tout à coup, mon frère, ne se rappelant plus qu’il m’accompagnait, double le pas, me laisse en arrière, arrive seul à la maison, et se renferme dans son cabinet. J’arrive quelques minutes après lui ».

3-1789-1790

Rousseau était une des boussoles pour nos révolutionnaires. Dans Le Contrat social, il écrivait alors : « L’État, embrasé par les guerres civiles, renaît pour ainsi dire de ses cendres et reprend la vigueur de la jeunesse en sortant des bras de la mort ». Le recours à la violence avait été légitimé lorsqu’il n’y avait plus d’autres solutions. Danton et Robespierre partageaient naturellement une haine féroce de l’aristocratie. Elle était la cristallisation agissante des inégalités sociales. Dans cette France de 1789, le droit de naissance prime sur le talent.

D’ailleurs, le député Robespierre lancera à la tribune de la Convention nationale, lorsqu’il fallait voter pour ou contre la mort de Louis XVI : « Je suis inflexible pour les oppresseurs, parce que je suis compatissant pour les opprimés ». Du très grand Robespierre. En effet, lors d’une révolution, le chagrin est une source motrice. Le 5 mai 1789 s’ouvrent alors les états généraux. Les 1200 députés des trois ordres ont siégé dans la salle de l’hôtel des Menus Plaisirs à Versailles. Les contradictions étaient alors des plus aiguisées. Louis XVI ne voulait pas céder à la pression. Il fait fermer les portes de la salle des audiences le 20 mai 1789. La pluie tombe fortement sur cette France ésotérique. Le vent balaie les rues de Paris et de la province. Les députés se posent alors la question : doit-on désobéir au représentant de Dieu sur cette terre ?

L’idée de la nation France était alors dans toutes les têtes de ces députés de 1789. Si le peuple devenait le souverain de la France, ces messieurs, en qualité de représentants, devaient désobéir. Des membres du clergé, de la noblesse, décidèrent de rejoindre le tiers état. Robespierre appartenait au tiers état lui aussi. Les députés décidèrent alors de se rassembler dans la salle du jeu de paume. Ils jurèrent de ne pas se quitter avant d’avoir offert à la France une constitution. Ce fut un véritable sentiment de liberté individuelle, de joie lorsqu’ils prêtèrent serment. Là fut le véritable sens du serment du jeu de paume. De plus, ils étaient persuadés qu’un petit groupe d’hommes convaincus pouvaient changer le monde. La France une et indivisible ou la mort ! Ils étaient le point de ralliement des luttes passées contre l’injustice féodale, l’injustice politique, l’injustice sociale, économique…

Robespierre qui avait été outragé, humilié, ignoré, martyrisé, était au centre de ce mouvement incroyablement puissant surpassant les époques. Le peuple français se tenait aux abords de la salle pour observer, écouter, appuyer ce moment historique : nous étions le 20 juin 1789. Robespierre voulait alors briser toutes les formes de complot contre la révolution en marche. Il deviendra le porte-parole du peuple. Robespierre a été marqué au fer rouge par le patriotisme. Il deviendra le défenseur des opprimés et des affamés. Il a été élu par les couches modestes d’Arras, mais il sera l’élu de tous les cœurs opprimés. Robespierre avait d’ores et déjà compris que la révolution se porterait toujours plus à gauche ; qu’elle deviendrait de plus en plus radicale. La révolution était d’abord une guerre sociale pour le grand Robespierre. Camille Desmoulins disait de Robespierre : « c’était le commentaire vivant de la Déclaration des droits ». Il deviendra « l’incorruptible » parce qu’il croyait dans ces valeurs qui étaient par elles-mêmes naturelles et sacrées donc incorruptibles dans leur essence.

Charlotte disait de son frère : « Sa vie privée n’est qu’un reflet de sa vie publique. Il est dans son intérieur comme il est sur les bancs de la Constituante et de la Convention ; c’est une scène qui n’a ni rideau ni coulisses, et où les acteurs s’habillent et se déshabillent en présence des spectateurs ». Là était toute la différence chez Robespierre. Et Mirabeau de déclarer sur l’incorruptible : « il ira loin, il croit tout ce qu’il dit ». La fermeté des principes chez Robespierre avait impressionné le comte de Mirabeau. Dans la forme, Robespierre était un orateur médiocre. Mais, dans le fond, chaque mot était une torpille envoyée sur l’ennemi. Danton détenait les deux : puissant dans la forme et dans le fond. Il combine la puissance du verbe et la puissance des idées. Lorsqu’il prenait la parole, dans le quartier de l’Odéon et du Théatre-Français, c’est tout Paris qui répétait ses attaques contre la monarchie absolue.

Il aimait fréquenter le café de Foy dans lequel on discutait des projets de la révolution avec à leur tête Mirabeau et Philippe d’Orléans le cousin du roi. C’est dans le quartier des Cordeliers que Danton était le plus écouté. Il se situait sur la rive gauche de la Seine et c’est ici que prendra naissance du tribun Danton. Il sera baptisé « le roi de la République des Cordeliers ». « Danton était une concentration de vie, de chair, d’os, de force, d’aveuglement et de vertiges qui n’a pas regardé à la dépense », disait Alexandre Dumas. À la table du tribun Danton, on retrouvait Chénier, le peintre David, Talma, Marat et Joseph-Ignace Guillotin, évidemment. Au menu, des huîtres d’Ostende, dindon, carpe du Rhin, cailles, brochet, faisan et plusieurs vins naturellement.

Lorsque le dîner était terminé, Danton suivait Marat pour faire la tournée des sociétés politiques de la ville. Ils s’arrêtaient alors au Cercle social dans lequel Malouet, Condorcet, La Fayette affirmaient la nécessité de l’affranchissement des Noirs. Ensuite, les deux hommes entraient au club des Droits de l’homme et du citoyen (futurs Cordeliers) dans lequel se réunissait le peuple miséreux. Le mois de juin était électrisant. L’agitation populaire de Versailles avait gagné Paris. Les soldats des gardes français étaient alors constitués de 3000 membres : ils fraternisent avec les Parisiens en colère. Les Parisiens s’intègrent alors dans les débats, discussions des clubs parisiens. Le roi confiait alors la sécurité de la capitale à des régiments provenant de l’étranger. C’est Camille Desmoulins qui va enflammer Paris. Nous sommes le 12 juillet 1789.

Camille Desmoulins est monté sur une table au Palais-Royal. Il était doté d’une épée dans une main et d’une arme dans l’autre main et il déclarait au peuple : « L’infâme police est ici. Eh bien ! Qu’elle me regarde, qu’elle m’observe bien ; oui ! C’est moi, qui appelle mes frères à la liberté. Du moins ils ne me prendront pas en vie, et je saurai mourir glorieusement ; il ne peut plus m’arriver qu’un malheur, c’est celui de voir la France devenir esclave ». Cette phrase de Desmoulins, dans la continuité d’Élysée Loustalot, déclenche les enfers du peuple parisien contre la royauté. Danton suivait. Robespierre aussi. Les débuts de Robespierre à l’Assemblée nationale constituante furent difficiles. Il aura du mal à imposer ses idées. Il avait toutes les peines à monter à la tribune pour s’exprimer. Exemple lors de la séance du 28 août 1789. Il monte à la tribune, mais les députés l’en font redescendre. Il remonte à la tribune une nouvelle fois, il parle, mais l’assemblée rejette toutes ses propositions. Il est négligé par la presse. Le seul qui défendit Robespierre, à ce moment-là, fut Mirabeau. Cette séance se déroulait pourtant deux jours après que l’article 11 des Droits de l’homme fut validé par l’assemblée : « la libre communication des pensées et des opinions est un des droits les plus précieux de l’Homme : tout citoyen peut donc parler, écrire, imprimer librement ». Le 25 janvier 1790, son discours concernant le suffrage censitaire n’était quasiment pas repris dans le journal des débats parlementaires.

Pourtant, il était très important pour Robespierre qui affirmait, déjà à l’époque, la nécessité du suffrage universel. Son texte fut décrié par l’assemblée, mais il circula dans les rangs des patriotes. Deux mois après, son discours s’exprimant pour le suffrage universel réapparaissait dans le club des Cordeliers, entre autres. Son discours fut publié et affiché dans les clubs populaires de Paris : sa première grande victoire. Il était alors présenté comme un « citoyen vertueux ». Pour l’Assemblée nationale constituante, la révolution avait besoin de stabilité, alors que Danton représentait justement l’instabilité. Le problème, c’est que le club des Cordeliers était derrière Danton prêt à en découdre à un geste de sa part. Danton savait qu’il fallait faire parler de lui, que cela fut en bien ou en mal : il faut être en mouvement simplement. Le 22 janvier 1790 lorsque des forces armées frappèrent à la porte du club pour s’emparer du dirigeant du journal  L’Ami du peuple , c’est-à-dire Jean-Paul Marat. Une journée qui a été oubliée, mais qui fut pourtant très importante dans l’histoire ! Danton ne tremblera pas. Au contraire. Ce jour, sur les coups de 9 h du matin environ, plusieurs officiers avaient été mandatés par le tribunal du Châtelet pour arrêter Marat. Le commissaire Fontaine, qui était alors conseiller du roi, sortit un écrit royal ordonnant son arrêt pour propos incendiaires.

Danton et certains dirigeants du club des Cordeliers avaient décidé que personne ne toucherait à leur camarade Marat. L’armée royale fut repoussée par plusieurs militants du club des Cordeliers avec à leur tête Danton. Ce dernier refusa de signer le mandat en affirmant qu’il n’était pas légal. L’armée fut alors priée de quitter les lieux immédiatement. La situation s’envenima. L’armée royale appela des renforts, une troupe de cavalerie et une troupe d’infanterie. Ce 22 janvier 1790, le quartier des Cordeliers fut cerné par des soldats dotés de baïonnettes. Danton ne plia pas. Au contraire, il entra en éruption comme à son habitude. Plusieurs Parisiens arrivèrent pour soutenir Danton et le Llub derrière lui.

Danton se lève devant tout le monde, quitte à être arrêté pour rébellion et il dit : « À quoi servent toutes ces troupes ? Nous n’aurions qu’à faire sonner le tocsin et battre la générale, nous aurions bientôt tout le faubourg Saint-Antoine et plus de 20 000 hommes devant lesquels ces troupes blanchissaient ». Danton ne voulait pas obtempérer. Il était prêt à un nouveau 14 juillet. Un des camarades de Danton demande à son chef s’il ne va pas trop loin. Danton répondit : « Je suis libre de dire ce que je pense ». C’est alors que Danton sortit son épée et il se mit à hurler : « où est-il ce foutre de commandant du bataillon d’Henri IV ? ». Finalement, l’armée se retire. Marat prend alors la fuite en Angleterre. Danton fait alors l’objet d’un mandat d’arrestation lui aussi. En mars 1790, on lui mit les chaînes aux poignets. Mais, le club des Cordeliers fait bloc derrière son chef. Un 14 juillet était encore possible : Danton fut relâché. Ce fut un acte héroïque, un peu comme celui de Mirabeau, le 23 juin 1789 lorsqu’il disait : « le tiers ne sortira de la salle que par la force des baïonnettes, puisqu’il y est entré par la volonté du peuple ». Dans cette nation française naissante, les hommes les plus téméraires étaient ceux dont la raison entrait en résonance avec les actes. Robespierre se montrait un peu moins. Ici, c’est Danton qui dépassait la mêlée et c’est lui qui était dans les cœurs des Parisiens. Robespierre était un lecteur attentif de L’Ami du peuple et il était ami avec Marat. Marat et Danton ne s’entendaient pas. Danton disait de Marat : « Je crois que les souterrains dans lesquels il a été enfermé ont ulcéré son âme, il a perdu la raison, je n’aime point l’individu Marat ». Au contraire, Robespierre glorifiait Marat. D’ailleurs, lorsque le cadavre de Marat fut présenté aux Cordeliers après son assassinat, c’est Robespierre qui en fit l’éloge. Il voulait alors reprendre le flambeau du grand Marat et ne le donner à personne d’autre. Robespierre était la froideur, alors que Danton était la fureur : cette différence de tempérament distinguait principalement les deux hommes. Danton était à l’aise dans ce climat électrisant, populaire. Robespierre resta isolé, mais son ardeur à continuer le combat était bien plus grande chez lui. Danton fut porté à la présidence du club des Cordeliers le 12 septembre 1789. Il fut réélu le 9 novembre, avec 113 voix exprimées en sa faveur sur 116 votants. Danton entraînait la révolution derrière lui à chaque journée insurrectionnelle. Il était la tête d’affiche des journées des 5 et 6 octobre 1789 lorsque les femmes iront chercher le roi à Versailles pour le ramener à Paris et pour le forcer à valider la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen. Danton pratiquait la surenchère politique à la limite de la démagogie. Thibaudeau, un futur conventionnel (qui mourra sous le Second Empire), se souvenait du personnage Danton : « Chez Danton, c’était l’élan subit de l’âme, la fougue, tout l’abandon de la nature ; l’effet en était prodigieux. Il présidait avec la décision, la prestesse et l’autorité d’un homme qui sentait sa puissance ; il poussait l’assemblée du district vers son but. On y adopte un manifeste ».

Et Danton qui appela les Français à prendre les armes le 3 octobre 1789 ! Danton sonna le tocsin aux Cordeliers et c’est ainsi que les femmes, détruites par le froid, la faim, ramenèrent à Paris le boulanger, la boulangère et le petit mitron. Mais Danton s’essouffla plus vite. Robespierre était plus en retrait, mais il était capable de parcourir une plus grande distance. Rien n’était plus incorruptible que son idéal d’une République des cœurs, vertueuse chez Robespierre. Ce dernier possédait une double caractéristique faisant de lui une machine de combat. En effet, il était un génie politique s’adaptant aux conjonctures, en même temps il avait une foi indestructible en la souveraineté de la révolution, la souveraineté du peuple exploité, opprimé. Il disait en reprenant Rousseau : « cessez de calomnier le peuple en le représentant sans cesse indigne de jouir de ses droits, méchant, barbare, corrompu ! C’est vous qui êtes injuste et corrompu, c’est le peuple qui est bon, patient, généreux ».

4-1790-1791

Les privilèges ont été abolis, la Déclaration des droits a été proclamée, Louis XVI fut enfermé dans le château des Tuileries et le transfert de souveraineté du roi à la nation française fut proclamé. La constitution française était en cours de rédaction. La France pouvait-elle enfin être sereine ? Pas vraiment. Puis, ce fut la fête de la Fédération du 14 juillet 1790. Le Champ-de-Mars était inondé par la pluie et une foule était là pour prêter serment à la constitution française et à la nation. Apparemment, rien n’était annoncé le 10 août 1792. Robespierre était présent ce 14 juillet 1790. Il avait la mâchoire contractée. Il ne sourit pas. Robespierre et Danton se seraient rencontrés pour la première fois le 20 juin 1790. Une société politique, qui était alors présidée par un certain Romme, organisait une fête pour célébrer le serment du Jeu de paume. Lors de la soirée, Danton se lève pour porter un toast. Son verre à la main, il célèbre le patriotisme. Robespierre porte lui aussi un toast, mais aux écrivains : « Aux écrivains courageux qui avaient couru tant de dangers et qui en couraient encore en se livrant à la défense de la patrie ».

Mais c’est Camille Desmoulins qui fut le plus applaudi. Dans cette France de 1790 les hommes les plus à gauche s’appellent Robespierre, Danton, Desmoulins, Marat, Mirabeau, Barnave, Duport. Le journal de Desmoulins Révolution de France et de Brabant était jugé aussi dangereux que les articles de Marat. Pour l’heure, Camille Desmoulins échappe aux poursuites. Paradoxe de l’histoire, puisque Danton et Robespierre se retrouvent au mariage de Camille Desmoulins avec Lucile Duplessis, le 29 décembre 1790 dans l’église Saint-Sulpice. Pétion, Brissot, Sillery, Mercier et Robespierre étaient les témoins de cette union. Ce fut lors de l’anniversaire du jeu de paume qu’on aura des informations non négligeables concernant ces grands personnages. En effet, Danton détient une avance sur Robespierre concernant les codes des grandes villes : le club des Cordeliers était intégré dans la franc-maçonnerie. Il appartenait à la loge des Neuf Sœurs.

Quels personnages appartiennent à cette loge de franc-maçon ? Bailly, Condorcet, Brissot, Pétion, Collot d’Herbois, Desmoulins, La Rochefoucauld, Sieyès, Dupont de Nemours, Lacépède, Garat, Pastoret, Cerutti, Rabaud furent des franc-maçons. Le Grand maître de la loge des Neuf Sœurs fut Philippe d’Orléans. Rien ne peut affirmer l’appartenance de Robespierre, Danton, Saint-Just et Marat à cette loge. C’est possible qu’ils ne fussent pas membres tous les quatre. Ils étaient installés sur la Rive gauche de la Seine, ayant leurs habitudes au café Procope. Quoi ? Danton n’était pas un franc-maçon ? Il y avait quelques indices quand même. Le 20 juin 1790, lors de la cérémonie célébrant le fameux serment du jeu de paume, Danton portait un toast au citoyen américain Benjamin Franklin. Benjamin Franklin était un des grands dirigeants de la loge des Neuf Sœurs à Paris. Danton le savait-il ? Si oui, Danton avait un rang non négligeable chez les francs-maçons. La question qui se posa pour tous à ce moment-là fut : comment servir la révolution ? Faut-il la servir ou mourir ? Robespierre fera les deux. Il servira la révolution sans cesse et il va mourir pour elle sans regret. Il ne cachera jamais sa fascination pour le modèle de Sparte. Il avait déclaré le 7 mai 1794 : « Sparte brille comme un éclair dans les ténèbres immenses ». C’est ici une différence avec Danton. Ce dernier était moins sensible à cette vision magnifique du monde. Il n’y avait pas la même exigence de discipline chez Danton.

La France était alors un sac de plusieurs clubs qui surgissaient ici et là. On en comptait plus de 300 à la fin de 1790. Le chiffre monta à plus de 800 à la mi-1791. Les droits d’adhésions s’élevaient à plus de 24 livres à Paris. Le club des Jacobins s’était installé rue Saint-Honoré, dans un couvent de dominicains. Il s’appela d’abord la Société des amis de la Constitution. Au début, il y avait environ 200 députés. Parmi eux, les futurs Montagnards, Girondins et Feuillants. C’est une démocratie dans la démocratie et y débattaient Robespierre, Lameth, Duport, Mirabeau, La Fayette, Barnave, entre autres. Robespierre faisait déjà parler de lui. Robespierre est élu président du club des Jacobins le 31 mars 1790. Le soir du 6 décembre 1790, Robespierre enverra sa première torpille politique.

Le club était bondé, il faisait froid. Furent présents les députés, les journalistes, des membres non élus et des curieux. Mirabeau était le président de la séance. Robespierre s’installe à la tribune. Robespierre lit son discours en faveur du droit d’intégrer la garde nationale pour tous, qu’on soit citoyens actifs ou passifs. Il affirme aussi la nécessité que les citoyens puissent être armés. Il est interrompu par les applaudissements à plusieurs reprises. Robespierre, alors porté par la foule, s’enflamme. Il accuse les ennemis de la révolution et donc du peuple révolutionnaire de France. Il affirme, je cite : « Cruels et ingénieux sophistes, c’est en vain que vous prétendez diriger par les petits manèges du charlatanisme et des intrigues de cour une révolution dont vous n’êtes pas dignes ; vous serez entraînés comme faibles insectes dans son cours irrésistible ; vos succès seront passagers comme le mensonge et votre honte immortelle comme la vérité ». Les choses sont claires : la révolution n’a pas de limites. Mirabeau riposte, car il se sent visé considérant que l’orateur va trop loin. Il interrompt Robespierre et il lui demande d’arrêter ses accusations envers des membres de la Constituante. Mirabeau affirmait que le député debout à la tribune devait respecter un devoir de réserve envers ses collègues.

En effet, le Club était devenu l’aile gauche de l’Assemblée nationale constituante depuis bien longtemps. Seul face à Mirabeau, Robespierre ne pouvait pas faire grand-chose. Mais le club des Jacobins commençait d’ores et déjà à percevoir dans le personnage de Robespierre la matérialisation de ses idées. Des centaines de membres du Club réfutèrent Mirabeau. La colère s’empare de la masse et l’on entend même plus la clochette du président de séance Mirabeau. Ce dernier monte alors sur le fauteuil, car un vieux lion ne se laisse jamais faire. Mirabeau hurle : « Que tous mes confrères m’entourent ! ». Robespierre devait certainement se dire qu’il était allé trop loin. Mais, les Jacobins vinrent se ranger derrière celui qu’ils reconnaissaient comme leur dirigeant : Robespierre ! On fut obligé de laisser celui-ci terminer son discours. Mirabeau capitula face au Spartiate. Il mourut le 2 avril 1791.

5- Varennes

Nous sommes dans la nuit du 20 au 21 juin 1791. La berline, qui était tirée par six chevaux, emportait le roi, la reine, leurs enfants, mesdames Tourzel et Élisabeth en direction de la frontière. Cette nuit-là, entre 23 h et 7 h du matin, un dirigeant de la Commune, s’appelant Jean-Baptiste Sauce, accueillit à son domicile la famille royale. Pourquoi ? Jean-Baptiste Sauce était épicier. Il avait préparé un bon repas pour la famille royale. La famille royale avait été arrêtée par le citoyen Drouet qui avait reconnu le roi grâce à un louis d’or ! C’est ainsi que, plus tard, Napoléon dit à Drouet : « Monsieur Drouet, vous avez renversé le monde ! » La foule se précipita devant la fenêtre de Drouet pour apercevoir la famille royale. La famille royale, à table, restait alors déguisée, pendant que tout le village se précipitait à la fenêtre pour les recevoir ! La famille royale avait-elle conscience de la gravité de la situation ? Pas certain…

Le duc de Choiseul fut appelé avec un régiment pour escorter le Roi à Paris. C’est alors que Marie-Antoinette lança un des mots les plus malheureux de l’histoire de France. Au moment de monter dans la berline, elle demanda alors au duc de Choiseul : « Croyez-vous Monsieur de Fersen sauvé ? » Bref ! Elle pensait à son amant ! Le duc fut consterné ! La berline revint donc à Paris, par l’avenue des Champs-Élysées, après trois jours de voyage. Le peuple l’attendait. Le peuple s’était positionné partout : sur les toits, dans les arbres. Pas un bruit. Le silence pesant reflétait le mépris du peuple envers son roi : un silence mortel. L’Assemblée se réunit d’urgence. Il y avait une décision à prendre concernant l’avenir de « La famille cochon ramenée dans l’étable » comme l’affirmait une caricature de l’époque.

Et Barnave prononçant ces mots : « la révolution est terminée ». Le 21 juin, Paris était en crise. Le club des Jacobins ouvrit une séance exceptionnelle pour midi. Le premier à monter sur la tribune fut Robespierre. Il visait les traîtres qui avaient essayé de couvrir le roi en disant qu’il avait été enlevé. Il terminait son discours en s’offrant comme martyr à la révolution, il disait : « Jamais ils ne viendront à bout de leurs desseins tant qu’il restera parmi eux un seul homme juste et courageux qui déjoue continuellement leurs projets et qui, méprisant la vie, ne redoute ni le fer ni le poison, et serait trop heureux si sa mort pouvait être utile à la liberté de la patrie ». Une déclaration superbe, géniale et qu’il réalisera effectivement le 9 Thermidor. Robespierre ne se voyait pas vivant. Pas une fois. La victoire de la révolution, pour lui, trouverait la puissance de sa mort.

Un ouragan d’applaudissement parcourut les gradins qui furent électrisés. Robespierre s’affirme, son existence ne trouvera de limites que dans la mort pour défendre son idéal et c’est ainsi qu’il balaiera les obstacles comme on balaie les feuilles mortes en automne. L’Incorruptible s’affirme comme le bras armé des anges célestes de la grande Révolution française. La tempête sociale ne s’arrêta pas là, puisque Danton sortait de ses gonds lui aussi. Lui aussi offrirait sa vie à la révolution ! Lui aussi proposait d’être le martyr, en plus d’être le dieu vengeur brandissant le glaive de la liberté. Son épée sur le côté, Danton déclamait : « Si les traîtres se présentent ici, je prends l’engagement formel avec vous de porter ma tête sur un échafaud, ou de prouver que la leur doit tomber au pied de la nation, qu’ils ont trahie. » Pour Danton aussi la guerre a été déclarée : le Roi est perdu.

Les évènements s’accélèrent entre le 20 et le 24 juin 1791. Danton attaque sans cesse le roi et les forces conservatrices. La Fayette, qui défendait le roi (affirmant qu’il avait été enlevé), avait été visé comme traître. Danton accélère ses accusations contre La Fayette. Danton affirme au club des Cordeliers : « le Roi a abdiqué de fait en désertant son poste ; profitons de notre droit et de l’occasion. Jurons que la France est une République. » Mais le club des Jacobins n’était pas d’accord : c’était prématuré pour lui. Le 23 juin 1791 fut une journée importante. Les débats faisaient rage au club des Jacobins. L’ordre du jour : doit-on appuyer la motion des Cordeliers ? Danton ne lâcha rien : « L’individu déclaré roi des Français, après avoir juré de maintenir la constitution, s’est enfui, et j’entends dire qu’il n’est pas déchu de sa couronne. Mais cet individu déclaré roi des Français a signé un écrit par lequel il déclare qu’il va chercher les moyens de détruire la constitution. L’Assemblée nationale doit déployer toute la force publique pour pourvoir à sa sûreté. Il faut ensuite qu’elle lui présente son écrit ; s’il l’avoue, certes, c’est qu’il est criminel, à moins qu’on ne le répute imbécile ; ce serait un spectacle horrible à présenter à l’univers si, ayant la faculté de trouver ou un roi criminel ou un roi imbécile, nous ne choisissions pas ce dernier parti. L’individu royal ne peut plus être roi dès qu’il est imbécile. » La torpille a été lancée. Son impact fut terrible pour les forces conservatrices, La Fayette inclus.

Puis, le 23 juin 1791 lors de la Fête-Dieu, les Français chantaient le « Ah, ça ira ! Ça ira ! » appelant à pendre les aristocrates. Le chant résonnait dans les rues de France comme le tonnerre et amorçant ainsi le 10 août 1792. Après Varenne la configuration politique se fit plus limpide naturellement. Il y avait ceux qui soutenaient la thèse saugrenue de l’enlèvement du roi ; ceux qui optaient pour que le roi puisse plaider devant la nation naissante ; ceux qui voulaient un procès public ; ceux qui voulaient son remplacement et ceux qui exigeaient la République. C’est aussi dans ce contexte qu’il y aura une scission dans le club des Jacobins. Ils ne voulaient pas aller plus loin que la monarchie constitutionnelle et ils vont créer le club des Feuillants : Barnave, Duport, Lameth. C’est bientôt le deuxième anniversaire de la prise de la Bastille. L’Assemblée avait décrété l’inviolabilité du roi. Les Jacobins prennent enfin position : ils réclament la déchéance du roi. C’est Brissot qui aura l’idée de rédiger une pétition allant dans ce sens. Danton et Robespierre sont d’accord. Ils organisent donc une manifestation républicaine pour le 17 juillet 1791 au Champ-de-Mars.

Cet événement ne passa pas auprès des forces conservatrices royalistes. C’est ici que nous verrons apparaître le drapeau rouge de la loi martiale. La garde nationale, l’infanterie, la cavalerie fut envoyée au Champ-de-Mars pour rétablir l’ordre. Les manifestants répondirent en jetant des pierres sur les soldats. Ne dit-on pas « que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre ? » Les soldats, au service d’un roi, tenant lui-même son pouvoir prétendument de Dieu, n’étaient-ils pas des pêcheurs ? Ils reçurent donc les premières pierres ! Danton fuyait de Paris pour échapper aux sbires du roi. Robespierre quitte ses fonctions de député à la Constituante, mais sans se présenter aux élections législatives de septembre 1791. C’est lui-même qui a fait voter la non-éligibilité des députés de 1789 dans l’Assemblée législative de 1791. L’Assemblée législative se réunit pour la première fois le 1er octobre 1791. Coup de génie. En effet, Robespierre avait compris la nécessité de redevenir un citoyen pour renforcer son pouvoir en s’appuyant sur le Club des Jacobins. Le 20 avril 1792, la France entre en guerre. Pire, Louis XVI a écrit une lettre au roi de Prusse le 3 décembre 1791 : « Malgré l’acceptation que j’ai faite de la nouvelle Constitution, les factieux montrent ouvertement le projet de détruire entièrement les restes de la monarchie ». Ces « factieux » sont le groupe de Danton, Robespierre, les Brissotins et Pétion.

Au début de l’année 1792, Robespierre et Danton se sont rapprochés du club des Jacobins. Ils sont alors d’accord sur un point : il faut briser les ennemis de l’intérieur avant de triompher de ceux de l’extérieur. La veille de l’insurrection du 10 août, Couthon écrit : « Nous sommes arrivés au dénouement du drame constitutionnel. La révolution va prendre un cours plus rapide, si elle ne s’abîme pas dans le despotisme militaire et dictatorial. Dans la situation où nous sommes, il est impossible aux amis de la liberté de prévoir et de diriger les événements. La destinée de la France semble l’abandonner à l’intrigue et au hasard. Ce qui peut nous rassurer, c’est la force de l’esprit public à Paris et dans nombre de départements, c’est la justice de notre cause ». Danton et Robespierre étaient complémentaires à cette époque comme le prouve ce soir du 10 mai 1792.

Ce soir-là Robespierre est la cible de fortes attaques. C’est Danton qui prend sa défense en louant chez Robespierre « le despotisme de la raison », mais aussi « une vertu consacrée par toute la révolution ». C’est aussi Danton qui prend la tête du mouvement du 10 août 1792. Un peu avant cette date, les armées se positionnent aux frontières pour défendre la patrie ; les sans-culottes, forces motrices de la Révolution française, organisent les bataillons des Marseillais ; le célèbre chant « Ça ira, ça ira » se fait entendre dans toute la France ; la commune insurrectionnelle se forme et c’est ainsi que sont formées 48 sections de Paris. La nuit est tombée. La lune parle à tous les hommes. Les esprits s’enflamment. Les baïonnettes marseillaises, bretonnes, auvergnates, parisiennes s’organisent. Nous sommes dans la nuit du 9 au 10 août 1792 et les pions de Danton vont se lancer sur le château des Tuileries. Toutes les cloches de Paris sonnent le tocsin. Le signal d’alarme annonce le combat. Le matin du 10 août 1792, le château est cerné.

Lucile Desmoulin est présente lors de cette journée du 9 au 10 août 1792. Elle est chez son ami Danton. Elle observe son mari Camille et son ami Danton avant qu’ils ne déclenchent les enfers. Elle dit : « Après le dîner, nous fûmes tous chez M. Danton. La mère pleurait, elle était on ne peut plus triste, son petit avait l’air hébété ; Danton était résolu. Moi, je riais comme une folle. Ils craignaient que l’affaire n’eût pas lieu. Quoique je n’en fusse pas du tout sûre, je leur disais, comme si je le savais bien, qu’elle aurait lieu. Mais, peut-on rire ainsi ! me disait Mme Danton. Hélas ! lui dis-je, cela me présage que je verserai bien des larmes ce soir ». Les épouses sortent alors dans la rue prendre un peu d’air. Elles entendent les cris « vive la nation ! » provenant des sans-culottes. Et Lucile reprend : « En vain madame Robert demandait des nouvelles de son mari, personne ne lui en donnait. Elle crut qu’il marchait avec le faubourg. S’il périt, me dit-elle, je ne lui survivrai point. Mais ce Danton, lui, est le point de ralliement ! si mon mari périt, je suis femme à le poignarder. Camille revient à une heure ; il s’endormit sur son épaule. Madame Danton était à côté de moi, qui semblait se préparer à apprendre la mort de son mari ». Camille et Lucile viennent d’avoir un enfant : le petit Horace.

Le 10 août 1792 fut une journée sanglante. Mais, Gabrielle Danton et Lucile Desmoulins reverront leurs maris. C’est Danton qui prendra le plus de risques lors de cette journée. C’est après cette journée qu’il deviendra ministre de la Justice. Il a été élu par 222 voix pour sur 284 voix exprimées. Danton intégrera dans le gouvernement ses amis Fabre d’Églantine et Camille Desmoulins. Il propose à Robespierre de rentrer dans son ministère. Robespierre refuse. Camille Desmoulins dira à son père : « Mon ami Danton est devenu ministre de la Justice par la grâce du canon : cette journée sanglante devait finir, pour nous deux surtout, par être élevés ou hissés ensemble ».

6- 1792/1793

On avait le sentiment que le 10 août 1792 avait accéléré le temps. La Gironde s’empare du gouvernement. Des personnages nouveaux s’imposent. Chaumette et Hébert, deux hommes puissants de la Commune de Paris. La monarchie capétienne s’effondre comme un château de cartes. Louis XVI devient Louis Capet. La convention nationale est alors élue pendant que les flammes dévorent toujours le château des Tuileries. La Convention nationale a été formée pour offrir à la France une constitution. Celle-ci sera soumise au vote des Français devant l’accepter par référendum : la première de notre histoire ! La France entre aussi dans l’ère du suffrage universel ! Jean Jaurès dira : « le programme des révolutionnaires démocrates, auquel appartiennent Robespierre et Danton se trouve concrétisé pour de bon : à tous les citoyens, un fusil, à tous les citoyens de droit de vote ». Mais, la France est en guerre sur tous les fronts. L’Espagne, L’Angleterre ont déclaré la guerre à la France. La Vendée, Le Midi se soulèvent aussi. Danton est alors un homme très populaire doté d’une personnalité colossale. La République vient de naître, elle est attaquée. Son premier chantier sera donc de gagner la guerre.

Danton commence à jouer ici la carte de l’apaisement. Il commence à changer son discours. D’ailleurs, une fois ministre, il déclare : « Dans tous les temps, et surtout dans les édits particuliers, là où commence l’action de la justice, là doivent cesser les vengeances populaires. Je prends devant l’Assemblée nationale l’engagement de protéger les hommes qui sont dans son enceinte ; je marcherai à leur tête, et je répondrai d’eux ». Danton courbe l’échine ou est-ce une stratégie ? La première réponse semble juste. La situation de la France est dramatique à la fin du mois d’août 1792. L’armée autrichienne envahit la France en passant par la Belgique. Des officiers de l’armée française désertent et passent du côté de l’ennemi. La France conserve encore Dumouriez, Kellerman, Luckner, mais ils ont été condamnés. La journée du 10 août 1792. la Prusse a envahi Longwy : elle est aux portes de Verdun.

La France est une citadelle assiégée. La chute de Longwy est un tremblement de terre. Si l’ennemi s’enfonce plus loin, c’est la fin de la nation française. Pour le gouvernement, il n’est pas possible de voir revenir la monarchie absolue. Il faut trouver une solution, autrement c’en est terminé de la révolution. La patrie est en danger ! La Gironde hésite, elle ne prend aucune décision. C’est encore Danton qui prendra les décisions. Danton décide la saisie des fusils, de la poudre, du bétail, des chevaux, car tout appartient à la patrie lorsqu’elle est en danger. Les visites domiciliaires se mettent en place pour arrêter les traîtres. C’est l’approvisionnement forcé des forces armées. Le 29 août 1792, au soir, les visites domiciliaires se sont accélérées, les rues sont cernées et à chaque maison on entend frapper des coups à la porte accompagnés du cri « au nom de la loi » ! C’est ainsi que la dictature de Danton est imposée en septembre 1792.

La Prusse est aux abords de Verdun ; Brunswick sème le carnage partout où ses armées passent ; le peuple de France voyait alors des complots partout. Les sans-culottes se précipitèrent donc dans les prisons pour y égorger Suisses, prêtres réfractaires, vieillards et toutes les personnes pouvant être une force au service d’un retour de la monarchie absolue. C’est une véritable boucherie organisée qui ne fut rien de plus que le « ça » libère des hommes. Dans ce sens, nous sommes tous des sans-culottes lors de « ces massacres de septembre ». Bref ! Danton ne condamne pas ces massacres et il garde le silence. Il n’en parlera jamais, alors que ces massacres ont duré pendant 5 jours. Que fait Robespierre pendant ce temps ? Il ne dit rien. Il s’isole. On ne le voit plus. Il n’était pas là lors de la journée du 10 août 1792. Que se passe-t-il ? Le 5 septembre, pendant que les massacres de septembre opèrent, le peuple vote. Les assemblées primaires sont tenues par Robespierre qui donne la ligne. Le premier élu sera Robespierre et le deuxième Danton. Robespierre devance Danton, car il sera élu en septembre 1792 par 338 voix en sa faveur sur 525 exprimées. Marat aussi sera élu, mais il va mourir par la volonté d’une Normande. Les urnes se sont d’ores et déjà exprimées plusieurs fois en faveur de Robespierre.

En réalité, c’est Robespierre qui avait une avance sur Danton. Ce dernier était occupé à mener la guerre à l’étranger. Pendant ce temps, Robespierre gagnait le cœur des hommes à l’intérieur du pays. Si Danton perdait la guerre, les deux auraient été vaincus, mais s’il gagnait la guerre, Robespierre l’emporterait quand même. Robespierre est concentré sur les ennemis de l’intérieur. Il pense à la guillotine, pas aux canons ! Un espoir apparaît le 20 septembre 1792 avec la victoire de Valmy contre l’armée autrichienne. Le lendemain, 21 septembre 1792, la convention nationale proclame la République en la personne de Danton et de Collot d’Herbois. C’est l’An 1 de la République française. Les activités vont alors s’accroître dans la Convention nationale. Les députés Montagnards siègent sur les bancs les plus élevés de la salle du manège qui est alors le siège de la convention nationale. Les plus radicaux sont aussi ceux issus du club des Jacobins. Ils sont partisans des actions les plus violentes, les plus sociales donc de la révolution. Ils peuvent offrir leurs vies à la révolution. Les dirigeants des Montagnards sont Robespierre, Danton, Marat. Pour l’instant, ils sont minoritaires. La majorité est la plaine ou le Marais qui est indécise et très opportuniste. Sans oublier la Gironde, évidemment, qui est assez populaire en France. La convention nationale comptait 749 membres.

La Gironde envoie les premières salves vers Robespierre. Le député Lasource est à la manœuvre. Il dit que le véritable danger pour la patrie est « le despotisme de Paris ». Elle est, d’après lui, aux mains d’intrigants. Il ne cite aucun nom, mais on sait que Robespierre est le guide du bas peuple de Paris : il est visé. La Gironde sait qu’il lui faut détacher les dirigeants Montagnards de leur base sociale. Ils dénoncent les événements de la Bastille, mais aussi les massacres de septembre. Le député Lanjuinais attise les contradictions en proposant que l’Assemblée soit protégée par une force de 24 000 hommes, afin que les députés ne délibèrent pas sous la menace. En effet, les gradins sont toujours pleins du public, notamment les sans-culottes (avec leurs piques) pour acclamer leurs guides. Robespierre est un des plus applaudis à chacune de ses prises de paroles. En agissant ainsi, la Gironde s’isole. Robespierre et Danton établissent un front commun contre eux. Danton réplique le 25 septembre. Mais il se montre conciliant avec la Gironde, ce qui lui permet d’attaquer Marat. Danton propose la peine de mort pour ceux qui souhaitent la dictature (sans nommer Marat) et il propose de reconnaître la République une et indivisible. Puis, c’est au tour de Robespierre de prendre la parole. Il retrace sa carrière politique, son engagement. Il se présente comme l’homme de la révolution. Ensuite, il justifie le militantisme parisien (coup de génie, car les sans-culottes sont dans la salle) et dénonce les contre-révolutionnaires.

Mais Robespierre a improvisé ce jour-là : il est défaillant dans cet exercice. Le député girondin Louvet récidive quelques semaines après la première salve. Il dénonce les discours victimaires, sacrificiels, égocentriques. Robespierre rétorque en dénonçant « l’aristocratie des riches » aux yeux desquels eux, les vrais défenseurs du peuple, ne seraient que de la « canaille ». Il frappe fort. Il est acclamé par le public. Ce n’est pas terminé, puisque le 29 octobre Louvet accusera Robespierre de fomenter une dictature. Louvet dit : « On vit un homme vouloir toujours parler, parler sans cesse, exclusivement parler ; surtout pour être entendu de quelques centaines de spectateurs, dont on voulait obtenir les applaudissements à quel prix que ce fut ; cet homme qu’on n’entendait parler que de son mérite, des perfections, des vertus sans nombre dont il était pourvu, et qui, après avoir vanté la puissance, la souveraineté du peuple, ne manquait jamais d’ajouter qu’il était le peuple lui-même, ruse aussi grossière que coupable, ruse dont se sont servis les usurpateurs, depuis César jusqu’à Cromwell ». L’attaque est violente. Il est acclamé. Son discours est imprimé. C’est un succès. Robespierre doit se défendre, autrement il sera terrassé.

Louvet a commis trois erreurs :

Il accuse en bloc la commune de Paris et le club des Jacobins qui furent les principales forces motrices du 10 août 1792.

Il accuse aussi Marat, ce qui amoindrit son attaque contre Robespierre.

Mais, surtout, il demande que son accusation soit examinée plus tard ! Il offre ainsi le temps à Robespierre de préparer sa défense écrite. Le député Louvet a perdu.

Préparer ses écrits, sa défense, sa rhétorique est un domaine dans lequel Robespierre excelle depuis le collège Louis-le-Grand. Le jour arrive enfin. La totalité des soutiens de Robespierre s’est donné rendez-vous. Il y a dans la salle beaucoup de femmes admiratrices de Robespierre. Robespierre monte à la tribune. Il chausse ses lunettes. Il étale sur le pupitre son discours. Il démontre que l’attaque de Louvet renforce la position qu’il avait toujours défendue depuis le déclenchement de la révolution. En effet, Robespierre est persécuté et il n’y a que le peuple qui puisse comprendre son représentant vertueux prêt à offrir sa vie pour la révolution du peuple. Robespierre justifie les violences qui ont été, selon lui « quelques désordres apparents ou réels, inséparables d’une grande secousse ». Robespierre démontre que les massacres de septembre sont un événement indissociable du 10 août 1792 : deux mouvements légitimes du peuple en colère. Il affirme que la révolution exige l’illégalité.

Il pose la question : la prise de la Bastille était-elle légale ?

Il justifie les moyens révolutionnaires. Il justifie la position de Marat, il fait l’éloge de Danton. Il déclare son amour pour l’égalité, alors que l’intérêt personnel prime chez ses adversaires. Il affirme l’exigence de la vertu et de l’éducation citoyenne aux mœurs républicaines. Il dit : « Pleurez cent mille patriotes immolés par la tyrannie ; pleurez nos citoyens expirants sous leurs toits embrasés, et les fils des citoyens massacrés au berceau, ou dans les bras de leurs mères. N’avez-vous pas aussi des frères, des enfants, des épouses à venger ? La famille des législateurs français, c’est la patrie ; c’est le genre humain tout entier, moins les tyrans et leurs complices. Pleurez donc, pleurez l’humanité abattue sous leur joug odieux. Mais consolez-vous, si imposant silence à toutes les viles passions, vous voulez assurer le bonheur de votre pays, et préparer celui du monde. Consolez-vous si vous voulez rappeler sur la terre l’égalité et la justice exilées, et tarir, par des lois justes, la source des crimes et des malheurs de vos semblables. La sensibilité qui gémit presque exclusivement pour les ennemis de la liberté m’est suspecte. Cessez d’agiter sous mes yeux la robe sanglante, ou je croirai que vous voulez remettre Rome dans les fers ». Fin de citation. Robespierre pulvérise Louvet et les Girondins lors de ce discours.

De certaines contradictions naissent des personnages importants dans l’histoire. C’est ici qu’un autre personnage va émerger. C’est un jeune député de l’Aisne, il a seulement 25 ans et il est derrière Robespierre : il s’appelle Saint-Just. Ce dernier affirme que les Girondins préparent un bain de sang pour le peuple. Saint-Just dit : « « La cause de tous nos malheurs est dans notre situation politique ; quand les gouvernements sont dissous, ils se remplissent de fripons, comme les cadavres de vers rongeurs ; il faut développer le système d’oppression par lequel le peuple surveille ses représentants, et que tous les bons citoyens de Paris et d’ailleurs se concentrent à dénoncer les traîtres ; afin que tout l’empire exerce sa vigilance, et que toutes les trames soient facilement découvertes ». Les Montagnards détiennent un nouveau champion.

Louis Capet est détenu au Temple pendant ce temps. C’est un prisonnier encombrant. Un événement va aggraver sa situation. Le 20 novembre a été découvert, dans l’armoire de fer, des preuves évidentes de la trahison de Louis Capet. Cette fois-ci, il n’échappera pas au procès. Danton quitte Paris pour la Belgique pour gérer la guerre qui fait toujours rage. Depuis 1792, Danton est spécialisé dans la politique extérieure. Robespierre et Saint-Just préparent le procès de Louis Capet. Pour eux, « Louis doit mourir parce qu’il faut que la patrie vive ». Danton est de retour à Paris le 14 janvier 1793. Il doit se prononcer concernant la mort ou pas de Louis Capet. Il votera pour sa mort. Le 21 janvier 1793, Louis Capet est guillotiné Place de la Révolution (l’actuelle Place de la Concorde).

C’est toute l’Europe qui est alors coalisée contre la France. L’Espagne et le Portugal sont entrés dans la danse en déclarant la guerre à la France eux aussi. La France révolutionnaire attaque à son tour l’Angleterre et la Hollande : la guerre est partout. Il n’y a plus le choix, la France doit décréter la levée en masse de 300 000 hommes fin février. Malheureusement, cette décision engendre pour conséquence de faire soulever la Vendée, mais aussi les chouans contre la République (qui demande le sang de ses enfants). La France est une citadelle attaquée de partout !

Que faire ?

C’est Danton qui apportera la réponse. Le 10 mars 1793, Danton décrète un tribunal exceptionnel. Danton résume son plan d’action : « Ce soir, organisation du pouvoir exécutif ; demain, mouvement militaire ; que, demain, vos commissaires soient partis ; que la France entière se lève, court aux armes, marche à l’ennemi ; que la Hollande soit envahie ; que la Belgique soit libre ; que le commerce d’Angleterre soit ruiné ; que les amis de la liberté triomphent de cette contrée ; que nos armes, partout victorieuses apportent aux peuples la délivrance et le bonheur ; que le monde soit vengé ». La France se lève, elle est enthousiaste, elle se lève pour la bataille. Un mois plus tard, le 6 avril 1793, le comité de salut public est créé.

Robespierre et Danton sont toujours complices en 1793. Robespierre veut terrasser la Gironde et Brissot. Le général Dumouriez a trahi la France et est passé du côté de l’ennemi. Robespierre prépare donc la réaction. Il affirme qu’il existe un complot royaliste dans lequel serait mêlé Philippe d’Orléans, les Brissotins. Nous sommes le 10 avril 1793 et l’accusation est rejetée par l’Assemblée. Robespierre ne lâche rien. Il n’est pas uniquement un des ténors de l’Assemblée nationale, il est aussi le président du club des Jacobins. Le 26 mai 1793, Robespierre appelle à l’insurrection au club de la rue Saint-Honoré. C’est ainsi qu’il déclenche les journées insurrectionnelles des 31 mai et 2 juin qui vont terrasser la Gironde. 29 membres des Girondins et deux ministres sont arrêtés. Mais, les Girondins détiennent un ancrage social dans les provinces. Ces dernières se soulèvent à l’été de 1793 à l’appel des Girondins. Les Girondins organisent le peuple à Marseille, Toulon, Bordeaux, Lyon, Caen, sans parler de la Vendée.

Pourtant, la Révolution française avance. L’année 1793 sera celle de l’adoption de la Constitution française par le référendum du 4 août 1793. C’est aussi l’adoption de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1793. Les deux textes ont été rédigés, en partie, par Robespierre. De son côté, Danton a intégré le comité de salut public depuis le 7 avril 1793. On y retrouve aussi Barère. Un ancien Girondin que la journée du 2 juin 1793 a envoyé vers la Montagne. Ce sont les deux dirigeants du comité. Il semblerait que le plus radical ne fut pas Danton, Barère, Saint-Just, Robespierre, mais Billaud-Varenne. Pour l’instant, on ne l’entend pas beaucoup. Mais un évènement va accélérer la Révolution française : l’assassinat de Marat.

On sait que Robespierre et Marat sont très proches. On sait aussi que Robespierre prit la défense de Jean-Paul Marat plusieurs fois. Il est certain que la terreur fut un processus de répression nécessaire. Une nécessité de l’histoire qui trouvait pour principale cause l’histoire en mouvement, c’est-à-dire la contradiction entre le passé et l’avenir ou entre le nouveau et l’ancien. Mais Robespierre avait beaucoup d’affection pour Marat. Le petit enfant du collège Louis-Le-Grand, qui était seul, avait trouvé un ami dans le personnage de Marat. Il est donc certain que la terreur portait en son sein une partie des affects de Robespierre : une part de vengeance. Bref, après cet événement, la modération est impossible. Dorénavant, la compromission est égale à la collaboration : elle devient criminelle. Le tribunal révolutionnaire et les commissions militaires forment les rangs. Le cycle de la terreur commence. La guillotine est prête : il ne fallait pas toucher au grand Marat. Danton prend ses distances à ce moment-là. Il décide de sortir du comité de salut public le 10 juillet 1793. C’est l’entrée dans le comité de Couthon et du grand Saint-Just.

7- La Terreur

C’est une falsification de l’histoire d’associer la période de la Terreur au personnage de Robespierre uniquement. Robespierre ne fut pas le seul à faire l’histoire. Il représentait une force sociale progressiste qui devait s’extirper des griffes des forces conservatrices. Robespierre fut un homme très aimé par le peuple. Il fut le chef de file de la sans-culotterie notamment. D’ailleurs, les 4 et 5 septembre sont des journées importantes en ce sens. Lors de ces journées, les sans-culottes parisiens, menés par Hébert envahissent la Convention nationale. C’est eux qui exigent de l’Assemblée le déclenchement de la Terreur. La loi des suspects qui sera votée le 17 septembre 1793 sera la conséquence logique de la demande de répression provenant du peuple. C’est à ce moment-là que Danton préfère quitter Paris. Il commence à se ranger. Il aurait voulu que la révolution s’achève ici.

Robespierre, lui, restera le bras armé de la masse en mouvement. Il sait que la mort sera sa porte de sortie. Ici aussi fut la supériorité de l’Incorruptible. Le 2 septembre, la ville de Toulon est tombée dans les mains des Anglais. La ville de Lyon est assignée. La crise des subsistances s’aggrave. La guerre civile ne ralentit pas. Bref, le Nouveau Monde est en marche. Certains attaquent les ennemis de l’intérieur qui sont les royalistes, ces complotistes. C’est à cause d’eux. Ce n’est pas faux, mais exagéré : c’est Hébert, Chaumette, Pache essayant de reprendre le flambeau de Marat. Ils affirment que la guillotine est la seule solution. Robespierre, d’une main de maître, prend la tête du mouvement. Robespierre enchaîne les discours en s’appuyant sur Hébert. L’incorruptible propose la loi du 22 prairial an 2 qui supprime les droits à la défense. Ses discours à la tribune sont de plus en plus violents. Il s’attaque aux riches, aux modérés, aux juges, aux tièdes, aux indulgents, aux égoïstes.

Les 4 et 5 septembre 1793, la crise des subsistances va déclencher une nouvelle fois des émeutes. Le peuple envahit la convention nationale pour exiger des lois concrètes. Les chefs de file de la Commune prennent la parole à la tribune pour exiger du pain et la tête des Girondins. C’est le peuple qui le demande et pas Robespierre, contrairement à ce que voudraient nous faire penser les historiens qui réécrivent l’histoire à leur manière. Bref. Le peuple obtient un renforcement du tribunal révolutionnaire, l’accusation des principaux dirigeants Girondins, le maximum des prix pour la nourriture et l’arrestation des suspects. Le 10 octobre 1793, Saint-Just décrète le gouvernement révolutionnaire. Robespierre avait préparé le terrain pour son poulain. Il y a une cohérence entre les deux hommes. Saint-Just affirme : « Un peuple n’a qu’un ennemi dangereux, c’est son gouvernement ; le vôtre vous a fait constamment la guerre avec impunité ». Du grand Saint-Just ! Robespierre organise le comité de salut public le matin, la convention qu’il domine l’après-midi et le club des Jacobins qu’il préside le soir : il travaille 18 heures par jour. Ses discours sont écrits pendant les nuits, Robespierre ne dort que très peu.
Que fait Danton pendant ce temps ? Rien… Ou presque…

Il va à la pêche, il joue avec ses fils (Antoine et François), il dîne avec ses amis. Le soir, il se couche auprès de la belle Louise Sébastienne qui est âgée de 17 ans et qu’il vient d’épouser. Elle lui fait oublier Gabrielle. Danton est amoureux, il possède plusieurs maisons avec trois Juments noires, deux poulains, quatre vaches, un veau de lait, une truie et ses petits. Danton vit des jours heureux, il vit un bonheur qu’on aimerait sans fin. Robespierre ne connaît pas ce bonheur. L’être vertueux n’a pas besoin de ces conditions d’existence matérielle qui risqueraient d’avoir des répercussions négatives sur sa subjectivité. De plus, Robespierre n’a pas eu de chance dans la vie : il peut donc aller plus loin que Danton. La capitale est tenue par les hébertistes. Ils ciblent les riches, les prêtres. Ce courant des « exagérés » est soutenu par l’Incorruptible. Mais un élément va briser cette alliance : la foi. Robespierre a déclaré la guerre contre l’athéisme. Il prononce un discours le 21 novembre 1793, au club des Jacobins, appelant à une croisade contre l’athéisme. C’est Hébert qui est visé.

Hébert se défend. Il prend la parole à la tribune en ciblant Robespierre. Ce dernier lui répond en fixant son discours sur le terrain de la politique religieuse en disant : « L’idée d’un grand Être, qui veille sur l’innocence opprimée, et qui punit le crime triomphant, est toute populaire ; si Dieu n’existait pas, il faudrait l’inventer ; je le répète, nous n’avons plus d’autre fanatisme à craindre que celui des hommes immoraux, soudoyés par les cours étrangères pour réveiller le fanatisme et pour donner à notre révolution le vernis de l’immortalité, qui est le caractère de nos lâches et féroces ennemis ». Robespierre est acclamé par le peuple présent dans la salle : Hébert est donc déjà mort. Mais, dans le même temps, Danton revient. Il prononce un discours à la convention nationale le 22 novembre 1793. Il y affirme son positionnement politique. N’y a-t-il plus assez de poissons dans le lac ? Bref… Danton affirme lors de ce discours : « je demande l’économie du sang des hommes ». Il demande l’arrêt de la terreur. Danton ne cible pas directement les hébertistes, mais il dit : « Au milieu de la ferveur vengeresse, le peuple ne s’écarte jamais de la justice, il la veut. Proclamez là en son nom ». Danton a définitivement basculé du côté des « indulgents ». Ce qui est inacceptable lors des périodes insurrectionnelles. Robespierre doit choisir entre Hébert et Danton ?

Son verdict est tombé le 3 décembre 1793 au club des Jacobins. Ce soir-là, la contradiction entre les hébertistes et Danton est forte. Ce dernier est en mauvaise posture. Mais Robespierre le défend une nouvelle fois, il dit : « Je demande qu’on veuille préciser les griefs portés contre lui. Personne n’élève la voix ? Eh bien ! Je vais le faire. Danton ! Tu es accusé d’avoir émigré ; on a dit que tu étais passé en Suisse ; que ta maladie était feinte pour cacher au peuple la fuite ; on dit que ton ambition était d’être régent sous Louis XVII ; qu’à une époque déterminée, tout a été préparé pour le proclamer ; que tu étais le chef de la conspiration ; que ni Pitt, ni Cobourg, ni l’Angleterre, ni l’Autriche, ni la Prusse n’étaient nos véritables ennemis, mais que c’était toi seul ; que la Montagne était composée de tes complices ; qu’il ne fallait pas s’occuper des agents envoyés par les puissances étrangères ; que les conspirations étaient des fables qu’il fallait mépriser ; en un mot, qu’il fallait l’égorger. La convention sait que j’étais divisé d’opinion avec Danton ; que, dans le temps des trahisons de Dumouriez, mes soupçons avaient devancé les siens. Je lui reprochai alors de n’être plus irritée contre ce monstre. Je lui reprochais de n’avoir pas poursuivi Brissot et ses complices avec assez de rapidité, et je jure que ce sont là les seuls reproches que je lui ai faits. Danton ! ne sais-tu pas que plus un homme a de courage et de patriotisme, plus les ennemis de la chose publique s’attachent à sa perte ? Ne sais-tu pas, et ne savez-vous pas tous, citoyens, que cette méthode est infaillible ? Et qui sont les calomniateurs ? Des hommes qui paraissent exempts de vices, et qui n’ont jamais montré aucune vertu. Eh ! Si le défenseur de la liberté n’était pas calomnié, ce serait une preuve que nous n’aurions plus ni prêtres ni nobles à combattre ».

Un peu plus tard, l’incorruptible continue : « Je me trompe peut-être sur Danton ; mais, vu sa famille, il ne mérite que des éloges. Sous les rapports politiques, je l’ai observé : une différence d’opinions entre lui et moi me le faisait épier avec soin, quelquefois avec colère ; et, s’il n’a pas toujours été de mon avis, conclurai-je qu’il trahissait sa patrie ? Non ; je la lui ai toujours vue servir avec zèle. Danton veut qu’on le juge. Il a raison, qu’on me juge aussi. Qu’ils se présentent, ces hommes qui sont plus patriotes que nous ! Je gage que ce sont des nobles, des privilégiés ! Vous y trouverez un marquis, et vous aurez la juste mesure du patriotisme de ces emphatiques accusateurs. Quand j’ai vu percer les traits de calomnies dirigés contre les patriotes, quand j’ai vu qu’on accusait Danton et qu’on l’accusait d’avoir émigré, je me suis rappelé que les journaux aristocrates, ou faussement patriotes avaient depuis longtemps fait cette nouvelle. Il est évident que Danton a été calomnié ; mais je déclare que je vois là un des fils les plus importants de la trame ourdie contre tous les patriotes. Je déclare aux aristocrates que bientôt nous les connaîtrons tous, et peut-être manquait-il ce dernier renseignement à nos découvertes. Nous l’avons. Au surplus, je demande que chacun dise franchement ce qu’il pense sur Danton. C’est ici que l’on doit dire surtout la vérité ; elle ne peut que lui être honorable ; mais, dans tous les cas, la société doit la connaître tout entière ». Fin de citation. Robespierre monte en puissance. Il est comme le lion qui défend la brebis. Sa puissance montante est plus impressionnante lorsque la brebis s’appelle Danton. En réalité, l’incorruptible surpasse les évènements, les personnes, la sémantique : il est le prince de la Révolution française. C’est bien lui le chef, plus de doute. D’ailleurs, Garat, un ancien ministre ami de Danton, disait dans ses mémoires : « c’est Robespierre qui décide ; s’il demande du sang, le sang sera versé ». Robespierre n’a pas oublié les exagérés. Leurs têtes tombent le 24 mars 1794.

7- La fracture

Nous arrivons aux abords de la séquence Thermidor. Robespierre veut renforcer les rouages de la terreur, alors que Danton veut les arrêter. Robespierre a compris la nécessité d’excès de la terreur. Danton ne veut pas comprendre que dans les périodes insurrectionnelles, elle est inévitable. Robespierre l’a compris. Les termes « d’indulgents » et « terroristes » sont alors synonymes. Ce sont des mots qui ont été condamnés par les ténors de la révolution comme Saint-Just, Couthon, Barère, Collot, Billaud et Robespierre évidemment. Les discours de Robespierre se durcissent à partir de l’automne 1793. Il fait l’apologie de la violence révolutionnaire. Le lien dialectique entre lui et la masse, la Commune, devient une force motrice de l’histoire. Le 25 septembre 1793, Robespierre affirme à la convention qu’il va écraser « les serpents du Marais ». Robespierre continue en disant : « Ma haine contre les traîtres égale mon amour pour la patrie ; et qui oserait douter de cet amour ? »

Robespierre peut compter sur l’Archange de la révolution, c’est-à-dire Saint-Just. Ce dernier affirme à la séance du 16 octobre 1793 : « l’épouvante est à l’ordre du jour ; il n’y a pas de juste milieu entre le juste et l’injuste ». Mais alors que devient Camille Desmoulins ? Il est devenu célèbre avec son Vieux Cordelier ». Il a aussi écrit un pamphlet « Lettre au général Dillon » dans lequel il dénonce les dérives de la révolution. Pour lui, la terreur est devenue déraisonnable, elle serait une ignominie.
Desmoulins est devenu un indulgent. Philippeaux, qui est dantoniste et donc indulgent, ne peut plus se taire devant les violences de la Vendée. Il dénonce auprès des comités les massacres des hébertistes Rossignol et Ronsin. Mais, les comités connaissent la situation puisqu’ils sont informés par Carrier. Robespierre le sait.

Camille Desmoulins et Danton espèrent que Robespierre cédera aux sirènes de la clémence. Ils savent que s’ils attaquent Robespierre ils sont perdus. Le vieux Cordelier paraissant le 5 décembre 1793, ils flattent donc l’incorruptible tout en attaquant les exagérés. Dans le même temps, les nouvelles du front sont plutôt bonnes. L’armée française reprend le dessus. Mieux, elle gagne du terrain grâce à l’intelligence d’un jeune officier artilleur corse. Grâce à lui, Toulon a été repris aux Anglais ; Carrier affirme : « tout nous réussit au gré de nos désirs, l’armée républicaine portant de toute part le fer et la flamme ». Au niveau intérieur, les prisons sont pleines. Les familles des prisonniers commencent à se plaindre auprès des comités et de la convention nationale. La terreur a déclenché une série d’émotions, d’affects qui seront certainement l’amorce de sa chute. La ville de Lyon, qu’on appellera Ville-Affranchie a envoyé à la convention des délégués pour demander la grâce pour certaines personnes. Une partie du peuple pleure ses prisonniers. Des pétitions demandant « la clémence nationale » sont envoyées à la convention. Le 20 décembre 1793, des cris de désespoir sont entendus demandant la pitié de la convention. Les Lyonnais disent : « Qui se fait ultrarévolutionnaire est aussi dangereux que le contre-révolutionnaire ; qu’au règne de la terreur succède celui de l’amour ». Ces phrases sont alors soutenues par Danton et Desmoulins qui deviennent des intermédiaires entre les Lyonnais et la convention nationale.

Que fait Robespierre ? Il est cohérent, vertueux et la révolution est toute sa vie : il condamne la démarche. Il va balayer d’un revers de la main les demandes de clémence. D’ailleurs, les condamnations s’accélèrent. En Germinal, elles sont passées de 67 à 155 exécutions. Elles vont atteindre 354 en Floréal, 509 en Prairial avec un pic de 796 en Messidor : la révolution est magnifique. Dans le même temps, les indulgents perdent du terrain devant le peuple en mouvement. C’est Camille Desmoulins qui se lancera dans l’affirmation d’une proposition aussi courageuse que dangereuse. Dans le numéro 4 du Vieux Cordelier, daté du 20 décembre 1793, il enverra sa torpille sociale : « Ouvrez les prisons à ces deux cent mille citoyens que vous appelez suspects, car dans la Déclaration des droits il n’y a point de maison de suspicion, il n’y a que des maisons d’arrêt. Et ne croyez pas que cette mesure serait funeste à la république, ce serait la mesure la plus révolutionnaire que vous eussiez jamais prise. Vous voulez exterminer tous vos ennemis par la guillotine ! Mais y eut-il jamais plus grande folie ? Pouvez-vous en faire périr un seul à l’échafaud sans vous faire dix ennemis de sa famille ou de ses amis ? »

La lecture de ce texte fut difficile pour Robespierre. En effet, Camille et lui ont été au même collège, ils étaient amis. Camille vient de lui enfoncer sa plume dans le cœur. Mais l’idéal de révolution prime et primera toujours sur les émotions, les affects personnels. Ce n’est pas terminé, puisque Camille Desmoulins continue en disant : « Ô ! Mon cher Robespierre ! O mon vieux camarade de collège ! toi dont la postérité reliera les discours éloquents ! souviens-toi de ces leçons de l’histoire et de la philosophie : que l’amour est plus fort, plus durable que la crainte ». Robespierre doit choisir entre ses émotions personnelles et la révolution. Mais l’engagement de Robespierre est absolu ! En effet, le grand Robespierre grandit dans l’obscurité des murs dévorant son cœur isolé. Le grand Robespierre n’a pas de père, pas de mère, pas d’épouse, pas d’enfants, peu d’argent, pas de biens, pas de luxe et il n’a pas eu beaucoup de chances dans la vie. Le malheur, la solitude pousse toujours un homme à l’application extrême de son idéal ! Son choix est le plus cohérent : les ennemis de la révolution doivent être guillotinés. Dans le clan des indulgents que sont les Danton, Desmoulins, Philippeaux possédant famille et une riche vie privée qui interfère dans leurs choix politiques ? Naturellement. Les idées ne sont-elles pas les produits de nos conditions matérielles ?

Les événements s’accélèrent encore le 5 janvier 1794. Le grand Robespierre envoie sa torpille sur Philippeaux. L’incorruptible s’appuie sur le pamphlet de Philippeaux. L’incorruptible est appuyé par les exagérés. Mais il n’accusera pas Desmoulins pour l’instant. Pour l’instant, il lui envoie des piques en le qualifiant « d’enfant étourdi » ou « d’enfant égaré ». Mais Camille Desmoulins ne veut pas se taire. Il continue ses attaques contre Robespierre. Il se défend devant ceux qui veulent brûler son journal. Le problème, c’est que Desmoulins a énervé l’Incorruptible. Maintenant, ce dernier traite Desmoulins de perfide, d’aristocrate. Robespierre accuse : « une fraction scélérate qui a emprunté sa plume pour distiller ses poisons avec plus d’audace et de sûreté ». Les dantonistes sont visés aussi. Danton prendra la défense de Desmoulins en affirmant : « En jugeant Desmoulins, prenez garde de porter un coup, funeste à la liberté de la presse ».

D’un coup, entre la fin janvier et le début février, Robespierre tombe malade. Silence total. On ne le voit plus. On l’entend plus. Il est cloîtré chez les Duplay où il vit. Robespierre serait-il plongé dans une tension psychologique et physique extrême trouvant pour cause ses rapports avec Danton et Desmoulins ? Il est enfermé, il prépare un des discours les plus forts de sa carrière de révolutionnaire. Mais l’incorruptible qui est un homme nouveau, un homme vertueux, ne peut pas être brisé. Il remonte à la tribune le 5 février 1794 et affirme : « Si le ressort du gouvernement populaire dans la paix est la vertu, le ressort du gouvernement populaire en révolution est à la fois la vertu et la terreur : la vertu, sans laquelle la terreur est funeste ; la terreur, sans laquelle la vertu est impuissante. La terreur n’est pas autre chose que la justice prompte, sévère, inflexible ; elle est donc une émanation de la vertu ; elle est moins un principe particulier, qu’une conséquence du principe général de la démocratie, appliqué aux plus pressants besoins de la patrie ». La combinaison couple/terreur est affirmée.

Il termine par une critique en direction de Danton et Desmoulins : « Il est à remarquer que la destinée des hommes qui ne cherchent que le bien public est d’être les victimes de ceux qui se cherchent eux-mêmes ». Robespierre était remonté à la tribune encore faible. Il disparaîtra encore pendant plus d’un mois après ce discours. Il reparaît au club des Jacobins le 13 mars. Danton repart dans sa campagne pour pêcher, profiter de sa famille. C’est bizarre. Effectivement, Robespierre est malade, il est enfermé ; Couthon aussi est malade et Saint-Just est en mission dans le Nord. Danton peut prendre le dessus, mais il préfère pêcher. Levasseur, un Montagnard, aurait entendu Danton prononcer ces paroles : « Il faudrait donc encore du sang ? Il y en a assez comme ça ; j’en ai répandu quand je l’ai cru utile ; aujourd’hui j’aime mieux être guillotiné que guillotineur ». Dans l’ombre, un Montagnard ne dit rien, mais il attend son heure de gloire comme un serpent caché dans la roche : Billaud-Varenne. C’est lui qui fera la confidence des discussions lors d’un dîner. La rupture s’aggrave lors d’un dîner organisé par Danton, dans une maison située dans la rue Saintonge dans le sud-est de Paris.

Danton ouvre le dîner en disant qu’il ne comprend plus Robespierre. Il attaque l’aile gauche en attaquant Billaud. Il attaque ensuite Saint-Just en disant : « il est fort étonnant qu’un garçon de son âge professe des principes aussi sanguinaires ». Danton veut percer l’abcès, il parle franc. Concernant l’accusation de corruption qui a été faite contre lui, il dit : « Je dois te le dire, j’ai souvent gémi de ton extrême crédulité, et de la facilité avec laquelle, d’après les bavardages de quelques imbéciles, ou les insinuations perfides de quelques intrigants, tu parais croire au crime, en te voyant presque continuellement fatigué et troubler la convention, par le récit de prétendues conspirations qui ne sont que le fruit de ton imagination trop facile à alarmer, ou le résultat des combinaisons les plus atroces. Crois-moi, Robespierre, secoue l’intrigue, réunis-toi avec les patriotes, marchons tous de bonne foi, sur la même ligne ; oublions nos ressentiments, pour ne voir que la patrie, ses besoins et ses dangers ; imitons nos frères d’armes, qui combattent aux frontières ; serrons-nous ». Robespierre répond par une question : « Mais avec tes principes et ta morale, on ne trouverait donc jamais de coupables à punir ? » Danton rétorque : « En serais-tu fâché ? » Il y a beaucoup de cynisme dans les deux questions naturellement. D’après Billaud-Varenne, c’est le lendemain de ce dîner que Robespierre demandera la tête de Danton. C’est bizarre, puisque Danton appelait Robespierre et Billaud-Varenne des Cains frères.

8- Jusqu’à ce que la mort nous sépare

Peu avant leur mort, Danton et Robespierre visiteront les lieux mythiques de la Révolution. Comme dans la fin d’un magnifique film. Ils veulent s’imprégner des lieux dans lesquels les grands évènements de la révolution se sont déroulés. Le palais du Luxembourg où les Girondins ont profité d’un banquet avant d’aller à l’échafaud ; la prison de la conciergerie, les appartements de la reine ; le palais de justice qui fut transformé en tribunal révolutionnaire ; L’Hôtel de Ville qui fut le siège de la Commune préparant l’insurrection du 10 août 1792. La rue Saint-Honoré où passaient les charrettes de la mort ; ou encore la place de la révolution où les âmes prennent fin.

Quel a été le comportement de Danton et Robespierre face à la mort ?

La mort cherche Danton. Le 13 mars 1794, Robespierre prononce un discours au club des Jacobins. Il affirme : « Plût à Dieu que mes forces physiques fussent égales à mes forces morales ; je pourrais aujourd’hui confondre les traîtres, et appeler sur toutes les têtes coupables la vengeance nationale ; mais ce que je ne puis faire d’une manière satisfaisante, les autres patriotes le feront à ma place ». Robespierre et Saint-Just veulent accélérer la purge. Elle est nécessaire. Saint-Just effectue un rapport en faisant valider deux décrets. L’archange affirme dans l’article 2 : « Sont déclarés traîtres à la patrie, et seront punis comme tels ceux qui seront convaincus d’avoir de quelque manière que ce soit, favorisé, dans la république, le plan de corruption des citoyens, de subversion des pouvoirs et de l’esprit public ». Un peu plus loin, l’archange avertit : « Ceux qui font les révolutions à moitié n’ont fait que se creuser un tombeau ».

Ce 13 mars 1794, Saint-Just s’affirme comme le bras armé de Robespierre. Saint-Just a 26 ans ce 13 mars. Il est le franco-spartiate de la Révolution française. Robespierre veut étendre la purge pour qu’elle puisse frapper les « modérés ». Il prévient en disant : « les criminels sont ceux ayant un penchant dangereux à la confiance, et peut-être un penchant au plaisir, plus dangereux encore ». Danton n’est-il pas visé ? C’est probable.
Danton, le député de la Convention nationale, prend la parole une dernière fois le 19 mars 1794. Il dit : « Si jamais, quand nous serons vainqueurs, et déjà la victoire nous est assurée, si jamais des passions particulières pouvaient prévaloir sur l’amour de la patrie, si elles tentaient de creuser un nouvel abîme pour la liberté, je voudrais m’y précipiter tout le premier, mais loin de tout ressentiment ! » Ensuite, Danton disparaît.

Nous sommes le 30 mars 1794. C’est la soirée, dans les bureaux du comité de salut public (l’ancien château des Tuileries). Le vent souffle, les corneilles font entendre leurs cris, l’atmosphère de Paris est sombre, tendue. Ce soir, Robespierre décide de signer l’arrestation de Danton. La décision de Robespierre est discutée. Certains ne sont pas d’accord. Carnot dit : « Vous accusez Danton de trahison, et vous n’avez pas une preuve contre lui. Nul n’est à l’abri de soupçon calomnieux, et je n’entends alléguer ici que des soupçons. Songez-y bien, une tête comme celle de Danton en entraîne beaucoup d’autres ». Robert Lindet déclare aussi : « Je suis ici pour nourrir des citoyens, non pour tuer les patriotes ». Lavicomterie condamne l’arrestation lui aussi. Billaud-Varenne a sorti sa plus belle écriture pour l’occasion : ils seront dix-sept à signer l’ordre d’arrestation de Danton du 30 mars 1794.

Le 31 mars 1794, en fin de matinée, Danton est arrêté. Ce n’est pas terminé, car on n’enterre pas un lion aussi facilement. Il doit passer devant le tribunal révolutionnaire. Le comité se présente devant l’assemblée. Saint-Just s’occupera du rapport. Le rapport ne vise pas directement Danton. Ce rapport a été confié à Saint-Just par la convention. Le rapport vise Fabre d’Églantine et ses compères (dont Danton) qui avaient été accusés devant le tribunal. Danton est présenté comme un accusé parmi d’autres. Ce n’est donc pas directement Danton qui est accusé, mais un groupe d’individus. Bien joué. Le rapport de Robespierre vise d’abord Desmoulins faisant partie de la « faction des indulgents ». C’est une vaste conspiration royaliste qui doit être stoppée. Robespierre insiste sur les vices de Danton. Ce dernier est accusé aussi pour sa soif de l’or, des plaisirs, dans un univers royaliste corrompu. Ce que l’homme vertueux Robespierre déteste.

Robespierre accuse Danton et Fabre d’escroquerie lorsqu’ils étaient au ministère en 1792. Robespierre dit : « Comment un homme, à qui toute idée de morale était étrangère, pouvait-il être le défenseur de la liberté ? Il professait pour le vice une tolérance qui devait lui donner autant de partisans qu’il y a d’hommes corrompus dans le monde. C’était sans doute le secret de sa politique qu’il révéla lui-même par un mot remarquable : « ce qui rend notre cause faible, disait-il à un vrai patriote, dont il feignait de partager les sentiments, c’est que la sévérité de nos principes effarouche beaucoup de monde ». Dans son rapport, Saint-Just dit de Danton : « Avare, égoïste, apologiste des vices, rhéteurs, et non pas amis de la liberté, la république est incompatible avec eux ; ils ont le soin des jouissances qui s’acquièrent aux dépens de l’égalité ». Saint-Just conclut en s’adressant aux députés : « Vous déroberez les feux du ciel pour animer la république tiède encore ; peu importe que le temps ait conduit des vanités diverses à l’échafaud, au cimetière, au néant, pourvu que la liberté reste ». Bref, du grand Saint-Just, admirable.

Barras, qui était alors présent, disait du grand Saint-Just : « C’est avec son ton sentencieux, flegmatique, qu’il débite ce thème incroyable, son manuscrit d’une main immobile, de l’autre faisant un seul geste, levant son bras droit et le laissant retomber d’un air inexorable et sans appel, comme le couperet même de la guillotine ». Le décret d’accusation est adopté à l’unanimité. Pas de débat.

9- Du procès à la guillotine

Le procès de Danton s’ouvre le 2 avril 1794. Ce jour, les accusés sont présentés au tribunal révolutionnaire. La salle a été baptisée salle de la liberté ; nous y voyons le buste de Marat le martyr et de Brutus le parricide. Le président du tribunal fut Martial Hermann et l’accusateur public fut Fouquier-Tinville. Il y a sept jurés. Le jugement doit être bouclé au bout de trois jours. Mais, trois jours, c’est long face à Danton ! Le procès est évidemment public comme toute la révolution d’ailleurs. La foule est évidemment un allié important pour Danton. Dès le début du procès, Danton s’illustre. Lorsqu’on lui demande son identité et son domicile, il dit : « Ma demeure bientôt dans le néant, ensuite dans le panthéon de l’histoire. M’importe peu ! »

Le procès se déroule. Danton dénonce la dictature dont le peuple est la victime. Il accuse Saint-Just et Robespierre. Danton, comme jamais auparavant, fait vibrer les murs de la salle du son de la voix : « Ma voix qui tant de fois s’est fait entendre pour la cause du peuple, pour appuyer et défendre ses intérêts, n’aura pas de peine à repousser la calomnie. Les lâches qui me calomnient oseraient-ils m’attaquer en face ? Qu’ils se montrent et bientôt je les couvrirai eux-mêmes de l’ignominie, de l’opprobre qui les caractérisent ! Ma tête est là ; elle répond à tout ! La vie m’est à charge, il me tarde d’en être délivré ! »

Le président Herman le rappelle à l’ordre, à la décence. Danton monte le ton encore plus et hurle : « L’audace nationale dont j’ai tant de fois donné l’exemple, dont j’ai tant de fois servi la chose publique, ce genre d’audace est permis. Il est même nécessaire en révolution, et c’est de cette audace que je m’honore. Lorsque je me vois si grièvement, si injustement inculpé, suis-je le maître de commander à mon sentiment d’indignation qui me soulève contre mes détracteurs ? Est-ce d’un révolutionnaire comme moi, aussi fortement prononcé, qu’il faut attendre une défense froide ? Les hommes de ma trempe sont impayables. C’est sur leur front qu’est imprimé, en caractères ineffaçables, le sceau de la liberté, le génie républicain. Et toi Saint-Just, tu répondras à la postérité de la diffamation lancée contre le meilleur ami du peuple, contre son plus ardent défenseur ! En parcourant cette liste d’horreur, je sens toute mon existence frémir ». Le président s’énerve, il insiste. Mais Danton insiste, il continue et hurle avec le poing levé : « J’ai toute la plénitude de ma tête, lorsque je provoque mes accusateurs, lorsque je demande à me mesurer à eux. Que l’on me les produise, et je les replonge dans le néant dont ils n’auraient jamais dû sortir ! »

Danton est acclamé par le peuple présent. Le peuple acclame la fougue, l’énergie du tribun. Danton sait se faire aimer du peuple. Danton tourne le dos aux jurés et remercie le peuple. Les jurés sont dépassés. Le tribunal est inquiet. Danton a fait exploser le tribunal après seulement deux jours de procès. Mais, d’un coup, un miracle se produit pour le tribunal révolutionnaire. La voix de Danton grésille. Elle se fait plus basse d’un seul coup. En réalité, Danton est fatigué. Il a vieilli. Il est sublime, mais d’une manière éphémère. Danton est devenu tiède, il ne peut pas terminer.

Nous arrivons à la troisième journée du procès. Saint-Just se présente à la tribune de la Convention. Il est environ 15 h. Il dénonce « la révolte des accusés » qui est une insulte à la justice révolutionnaire. Saint-Just dit : « La révolte des criminels est avérée et le tribunal attend que la convention se prononce sur ces outrages qui attestent l’existence de la conspiration ; les malheureux ! ils avouent leurs crimes, en résistant aux lois. Est-ce par privilège que les accusés se montrent insolents ? »

Robespierre intervient pour affirmer les modalités d’application du décret. Aucun retard ne sera autorisé. Le matin du quatrième jour, les accusés, dont Danton, sont évacués de force. Ils sont condamnés. Camille Desmoulins apprendra dans le même temps que sa femme Lucile a été arrêtée pour « complot royaliste ». Camille Desmoulins pousse alors des hurlements de douleur, de terreur. Desmoulins s’accroche aux gradins des accusés pour ne pas disparaître. Lors de son procès, Camille Desmoulins avait dit : « J’ai ouvert la révolution, et ma mort va la fermer ».

La vertu se substituant aux plaisirs de ces hommes aurait-elle permis d’éviter ses hurlements de douleur, de terreur ? C’est très possible. Un proverbe affirme « on est ce qu’on fait, ce qu’on choisit ». Malheureusement, Desmoulins et Danton avaient choisi les plaisirs des biens matériels, ne pouvant pas être acceptés lors de la révolution. Saint-Just avait raison lorsqu’il disait que dans la révolution il n’y a pas de juste milieu : on est juste ou injuste. Danton et Camille Desmoulins sont décrétés ennemis du peuple. Pourquoi Robespierre est-il toujours acclamé malgré ce qu’il vient de se produire avec Danton et Desmoulins ?

Robespierre reste un homme très aimé par le peuple. Il est le guide de la sans-culotterie (présent dans les gradins), de la Commune, des provinces, des paysans, des ouvriers. Ce lien dialectique entre lui et la masse se consolide par la vie privée de Robespierre. Il n’y a pas de différence entre le privé et le public pour cet homme. Il donne son âme, chaque parcelle de ce qu’il est pour la révolution. Personne ne peut condamner Robespierre, parce qu’il est un modèle dans ses mœurs d’une austérité tellement aiguisée que sa vertu privée ne peut pas être contestée. Le peuple le sait, il l’admire. De plus, Robespierre n’a jamais caché son enfance difficile. Le peuple le sait, il l’admire. Robespierre donne sa vie pour la révolution, il se moque des plaisirs, des biens matériels, de la fortune, de l’argent, des femmes. Le peuple le sait, il l’admire. Robespierre tranche des têtes par la volonté du peuple. Le peuple le sait, il l’admire.

Il y avait deux visions du monde :

Pour les robespierristes, la république doit être conditionnée par la perfection, par la vertu.

Pour les dantonistes, elle doit être la moins mauvaise par rapport à la nature humaine, étant donné ce qu’elle est.

Malheureusement pour les dantonistes, ce n’est pas le désespoir qui déclenche une révolution, mais l’espoir d’un monde nouveau. Lorsque cela se produit, nous voulons tous que ce monde nouveau soit le plus parfait possible. Robespierre le sait, le peuple l’aime. Il incarne cette perfection, cet homme nouveau. D’ailleurs, le 7 mai 1794, Robespierre résume sa vision de l’homme nouveau : « Le monde a changé ; il doit changer encore ; l’égoïsme est vil, cruel, qui isole l’homme de ses semblables, qui cherche un bien-être exclusif, acheté par la misère d’autrui ». Le peuple le sait, il l’aime…

Pendant ce temps, Desmoulins, qui a été la victime de son choix de vie, écrit une lettre d’adieu à sa Lucille adorée : « malgré mon supplice, je crois qu’il y a un Dieu. Mon sang effacera mes fautes, les faiblesses de l’humanité ; et ce que j’ai eu de bon, mes vertus, mon amour de la liberté, Dieu le récompensera. Je te reverrai un jour, o Lucile ! O Annette ! Sensible comme je l’étais, la mort, qui me délivre de la vue de tant de crimes, est-elle un si grand malheur ? Adieu Loulou ; adieu, ma vie, mon âme, ma divinité sur la terre ! Je sens fuir devant moi le rivage de la vie. Je vois encore Lucile ! Je la vois, ma bien-aimée ! Ma Lucile ! Mes mains liées t’embrassent, et ma tête séparée repose encore sur toi ses yeux mourants ». Elle fut écrite à la prison du Luxembourg le 1er avril 1794 à 5 heures du matin environ.

Le 5 avril 1794 est là. Hérault de Séchelles est le premier à monter sur l’échafaud. Le soir du 5 avril 1794, il y eut une réunion de la Convention. L’ordre du jour devait être la transparence des députés concernant la fortune de certains d’entre eux. S’enrichir, alors que les paysans, les ouvriers, le peuple a faim est un crime. Le peuple le sait, il aime Robespierre et exige de lui qu’il soit ferme et juste.

Robespierre en rajoute une couche concernant les guillotinés de la journée. Il dit : « C’est en allant droit à eux, c’est en les attaquant en face et avec acharnement, c’est en plongeant dans le cœur le poignard de la justice que nous pourrons délivrer la liberté de tous les scélérats qui veulent la détruire ». La république doit se construire sur des bases morales solides. Il reste alors trois grands hommes de la révolution de 1789 : Robespierre, Sieyès, Barrère. Ce lien dialectique entre Robespierre et le peuple le pousse à aller plus loin. Nous voilà aux journées des 20 et 22 prairial, c’est-à-dire de juin 1794. Robespierre fête l’Être suprême et, deux jours après, il réforme le tribunal révolutionnaire. Une heure suffira pour juger un contre-révolutionnaire. Floréal, 354 condamnations à mort ; prairial, 509 ; messidor, 796. Personne n’ose affronter Robespierre qui se présente comme le bras armé du peuple en mouvement. Le « ça » du peuple franco-spartiate se cristallise en la personne de Robespierre. Le décret du 22 prairial autorisait le comité de salut public à envoyer les députés directement au tribunal révolutionnaire, mais sans validation parlementaire. Le Comité de sûreté générale est dirigé par Robespierre.

La guillotine a changé de place deux fois. Le sang commence à empester. Robespierre tombe encore malade. Il s’enferme chez les Duplay. La masse, les députés attendent son retour. Le peuple l’aime, il l’attend. Après des semaines, Robespierre revient à la tribune. Il propose une nouvelle purge. Il faut frapper fort la contre-révolution royaliste une bonne fois pour toutes. Trois jours avant le 9 thermidor, Robespierre affirme devant les Jacobins : « Le moment est venu de frapper les dernières têtes de l’hydre ; les factieux ne doivent plus espérer de grâce ». Robespierre est le bras armé du peuple, il est son « ça » visible en mouvement. Il va vouloir frapper les âmes perdues dans les méandres funestes de la contre-révolution royaliste.

La veille de la chute du grand Robespierre est un de ces jours qui marquera l’histoire. Il prononce un autre discours pour annoncer, encore une fois, une autre purge. Il annonce aussi sa mort prochaine. En effet, l’homme vertueux atteignant les sommets de son idéal ne peut pas vivre dans la luxure : il doit mourir en martyr.

Le grand Marat avait donné le chemin. Robespierre annonce son sacrifice lors de son dernier discours. Robespierre a voulu frapper fort ce 8 thermidor an 26 juillet 1794 : « ici j’ai besoin d’épancher mon cœur ; je suis fait pour combattre le crime ». Il cible les dantonistes : « Est-ce donc la mémoire des conjurés qu’on veut défendre ? Est-ce la mort des conjurés qu’on veut venger ? Si l’on nous accuse d’avoir dénoncé quelques traîtres, qu’on accuse donc la convention qui les a accusés. » Il affirme que le sang coulera encore et qu’il y a encore du monde à présenter au bourreau. Une dissidence commence à se faire entendre à la Convention.

Robespierre fait une erreur. Il menace des députés et il les laisse s’organiser. La peur de finir comme Danton se cristallise dans la Convention. Nous sommes arrivés au 9 thermidor. Ce jour tombait un dimanche. Le premier à monter à la tribune ce jour-là fut Saint-Just. La salle du palais des Tuileries est longue de 40 mètres ; un vaste plafond de 19 mètres. Saint-Just apporte son soutien à Robespierre. Saint-Just continue son discours, mais il n’est pas terminé que Tallien lui coupe la parole pour dénoncer la répression du Comité de salut public. Il demande que « le rideau soit entièrement déchiré ». Tallien est soutenu par Billaud-Varenne. C’est Billaud qui déclenche les hostilités : il vise Robespierre. Il accuse Robespierre d’être un despote et d’être le responsable de la terreur depuis la loi du 22 prairial an II. Tallien critique très vivement le tribunal révolutionnaire qui est présenté comme l’instrument de Robespierre. Ce dernier est présent, prêt à monter à la tribune. Robespierre a compris qu’il est dans un piège. Il s’élance donc pour monter à la tribune. Mais les députés l’empêchent d’y accéder. Le président Collot d’Herbois refuse la parole à Robespierre. Robespierre est qualifié de nouveau Cromwell, de Sylla des temps modernes. Robespierre et Saint-Just tentent de se défendre. Les deux hommes commencent à haranguer les députés. Un doute parcourt l’assemblée.

C’est alors que Tallien, qui sentait que le doute s’installe dans l’assemblée, brandit un poignard au-dessus de sa tête ! Il menace de tuer « le tyran » ici et maintenant si la Convention ne le fait pas ! L’Assemblée décide de voter l’accusation. Robespierre était au-dessus de tout le monde, il surpassait l’assemblée. Il a été piégé là où il ne s’y attendait pas : la violence physique. Ce que ne veulent pas comprendre certains historiens, c’est que Robespierre avait programmé sa mort. Il la cherchait, il la voulait. D’ailleurs, lors de son dernier discours le 8 thermidor, avant d’être enfermé, il a clairement dit : « je demande la mort ». Le véritable guerrier ne peut pas vivre après l’accession au summum de son idéal. Ce n’est pas tout. En effet, Robespierre savait qu’il disposait de la Commune. Elle viendrait à son secours immédiatement. Il n’y avait qu’un mot à dire ! Il ne l’a pas fait ! De plus, il a rédigé des lettres pour appeler à l’insurrection, sans les avoir terminées. Sa mort était donc programmée.

En réalité, il savait qu’il ne pouvait plus aller plus loin. En effet, la République était née, le peuple était composé de « citoyens », la nation française était née : il avait gagné par la force du peuple. Pourquoi continuer ? C’est alors que la légende prend naissance devant la guillotine.

10- La mort du grand Robespierre

La nuit du 9 au 10 thermidor fut longue. Robespierre est arrêté. Il est mis hors la loi par la Convention nationale. Il est envoyé à la prison du Luxembourg. Le concierge ne voulait pas d’un prisonnier comme lui, alors il est conduit à la mairie quai des Orfèvres. Il est libéré et ensuite conduit à l’hôtel de ville de Paris. À ce moment-là, Robespierre pouvait encore appeler à l’insurrection : le peuple attendait ses mots. Les sans-culottes étaient prêts pour leur guide. Barras enfonce à coups de canon les portes du bâtiment d’Étienne Marcel. Les insurgés se dispersent : la bataille est perdue. Lebas se tire une balle dans la tête. Augustin Robespierre se jette par la fenêtre. Henriot se cache dans de la paille avec l’œil crevé. Couthon est jeté dans le grand escalier. Robespierre se tire une balle, car il voulait en finir comme un Romain. Il se manque. Il est 2 h 30 du matin. Son corps en lambeaux est alors transporté dans une mare de sang dans la salle d’audience du comité de salut public. Il est allongé sur une table. Saint-Just et des soldats viennent le voir.

Deux chirurgiens, Vergez et Marrigues, viennent examiner la blessure. Sa mâchoire a explosé, elle tombe. On lui fait un pansement pour la faire tenir. Un témoin raconte : « Le chirurgien lui lave la figure. On le retourne du côté du jour pour le panser facilement. Le chirurgien lui met une clef entre les dents, il cherche avec les doigts dans l’intérieur de la mâchoire ; il trouve deux dents déracinées ; et les prends avec une pince ; il dit que la mâchoire inférieure est cassée. Il enfonce dans la bouche plusieurs tampons de linge pour pomper le sang dont elle est remplie, il passa à plusieurs reprises un lardoir par le trou de balle et le fait sortir par la bouche, il lave encore la figure et met ensuite un morceau de charpie sur la plaie sur quoi il pose un bandeau qui passe autour du menton ; il coiffe la partie supérieure de la tête avec un linge ; lorsqu’on lui passa le bandeau sur le front, un homme dit : voilà que l’on pose le diadème à Sa Majesté. Il était sans souliers, ses bas étaient rabattus jusqu’aux malléoles, sa culotte déboutonnée, et toute sa chemise couverte de sang ».

Il est 6 heures du matin. Les rayons du soleil annoncent l’avenir. Vers 11 h du matin, Robespierre est emmené au tribunal révolutionnaire pour effectuer une reconnaissance d’identité. On change son bandage. Chaque minute est un calvaire. Sa bouche est attachée. Ses mains sont attachées. Il ne voit quasiment plus à cause du sang qui coule partout sur son visage. Cela fait 17 heures qu’il s’est tiré une balle dans la tête en se manquant. La souffrance se voit dans ses yeux ensanglantés. Robespierre est le dernier à monter sur l’échafaud. La convention a voulu faire durer sa souffrance. Le bourreau l’accueille sur l’échafaud. Il doit retirer le double bandage et la compresse qui va gêner lors de l’exécution. Sanson a l’habitude de la souffrance, de la mort. Il faut retirer le bandeau à Robespierre maintenant. Le bourreau arrache le bandeau d’un coup sec et violent. Robespierre pousse un hurlement de douleur qu’on entend dans les lointaines ruelles.

Robespierre connaît la torture physique avant de mourir. Robespierre est mort.
Après sa mort, plusieurs sans-culottes vont se suicider. Ils ne supportent pas la mort de leur guide.

On ne peut pas comprendre un homme comme Robespierre sans comprendre sa vie. L’enfant du collège Louis-le-Grand était fragile physiquement et psychologiquement. Il était martyrisé, seul, sans famille, sans amis. Les livres, l’étude furent sa porte de sortie. Lorsqu’on voit ce parcours de vie, on a deux solutions : se laisser détruire par la vie ou détruire le désespoir. Robespierre n’était pas une personne sans émotions, sans affects. C’est impossible. L’enfant maltraité avait appris à canaliser ses émotions, ses affects pour les orienter vers la construction d’un idéal. La vengeance est souvent une force motrice lorsqu’on a été frappé par la vie. Elle devient donc une puissance qui pousse à développer notre connaissance, notre réflexion, notre militantisme. On veut alors changer le monde, car on a réussi à se changer soi-même. L’homme nouveau, l’homme vertueux est alors une donnée nécessaire.

L’Incorruptible est un des héros de notre histoire. Il est injustement présenté comme un tyran, alors qu’il était le bras armé du peuple qui s’était délivré de ses chaînes féodales. Finalement, ils furent tous des grands hommes, même si nos cœurs penchent toujours vers des personnages en particulier. Est-il normal que Robespierre soit présenté comme un criminel ? Non, ce n’est pas normal ! Il est ce que nous sommes tous ! Il est notre « ça » qui s’extériorise lorsque nous sommes opprimés. Il est nos émotions, nos affects, mais dans une séquence différente de notre histoire. Robespierre est l’enfant opprimé devenu trop grand pour la société.

Vive Robespierre ! Vive la Commune ! Vive les sans-culottes !

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