Le 12 juin 2022, sur les plateaux de télévision, invitée à exprimer son point de vue sur le premier tour des élections législatives, Rachida Dati fut, comme à l’accoutumée, cinglante, hargneuse, d’une extrême autorité, en particulier face à Clémentine Autain, qui n’est pourtant pas née de la dernière pluie. Elle remit d’ailleurs le couvert lors du second tour…
Rachida Dati est l’un des personnages politiques français les plus fascinants qui soit. C’est une personne toujours limite, toujours aux limites. Elle se considère – à juste titre selon moi – comme une « fille de France » car elle est un remarquable exemple, non pas d’« intégration » puisqu’elle est née en France où elle a toujours vécu, mais de réussite sociale. Née dans une famille pauvre (elle a 10 frères et sœurs) de Saône-et-Loire, elle est parvenue à 42 ans au sommet de l’État, première femme d’origine immigrée à occuper un poste de ministre régalien.
Ses parents, M’Barek Dati et Fatima-Zohra, étaient arrivés en France deux ans avant sa naissance. Rachida passe son enfance à Chalon-sur-Saône dans le quartier calme et verdoyant des Prés-Saint-Jean. Bien que membre d’une famille musulmane, elle est scolarisée dans un collège privé catholique tenu par des religieuses du Saint-Sacrement. Après avoir frôlé l’exclusion (déjà les limites), elle obtient un baccalauréat D en 1983.
Pour soulager financièrement ses parents pendant ses études, elle occupe de nombreux emplois, souvent pénibles : veilleuse de nuit, femme de ménage, vendeuse, aide-soignante sans la qualification (toujours les limites). Elle échoue deux fois en première année de médecine et se réoriente en sciences économiques à l’université de Dijon. Elle y est une des responsables de la MNEF. Puis elle s’inscrit en 1988 à l’université Panthéon-Assas, où elle obtient une licence et une maîtrise de sciences économiques.
En 1992, financée par l’entreprise Matra (Lagardère), elle suit les cours pour obtenir une maîtrise en administration des affaires. Elle ne parvient pas à son objectif. Elle réussit néanmoins à se rapprocher de Jacques Attali à la Banque européenne pour la reconstruction et le développement. En 1996, elle obtient une maîtrise en droit public en bénéficiant de la validation des acquis professionnels. Cette validation, apparue en 1985, permet d’accéder directement à une formation universitaire sans avoir le diplôme requis, en faisant valider une expérience professionnelle, même développée hors de tout système de formation.
Après Attali, elle se rapproche de Simone Veil et d’Albin Chalandon et entre à l’École nationale de la magistrature où elle est admise sur dossier. Elle sort de l’École 116ème sur 154 en 1999. Problème de “ limite ” : en 2007, Le Canard enchaîné indique qu’elle aurait produit un faux curriculum vitae pour intégrer l’ENM, arguant qu’elle était titulaire d’un MBA européen du groupe HEC-ISA, cultivant une certaine forme d’ambiguïté ayant pu induire des examinateurs en erreur. Libération reprit l’information en ces termes : « un CV qui indique, pour l’année 1993, « M.B.A. du groupe H.E.C. » avec la mention « ancienne élève de l’Institut supérieur des affaires ». En réalité, comme L’Express l’a révélé, la Garde Sceaux n’a jamais obtenu le diplôme. Rachida Dati l’a d’ailleurs confirmé, tout en soulignant qu’elle n’avait jamais prétendu l’avoir…Le Canard écrit que « le document (…) a provoqué un véritable branle-bas de combat (…) au ministère de la Justice », provoquant le coup de fil du porte-parole du ministère. Il a expliqué au journal que « la formule “ancien élève de l’Institut supérieur des affaires” signifiait clairement qu’elle n’avait pas obtenu le diplôme final ». Le Canard Enchaîné se demande alors pourquoi mentionner « M.B.A du groupe H.E.C. », soulignant « l’ambiguïté » cultivée par la ministre. » Le directeur d’HEC déclara que Rachida Dati n’avait pas obtenu son diplôme, alors qu’elle avait validé tous les modules parce qu’elle n’avait pas assisté au séminaire de clôture de l’année.
En 1987, Dati effectue un stage en tant que chargée d’études auprès de la direction comptabilité-finance du groupe Elf-Aquitaine qu’Albin Chalandon (époux de la princesse Salomé Murat puis de Catherine Nay, soit dit en passant) avait présidé jusqu’en 1983.
En 1994, Dati devient contrôleuse de gestion et secrétaire générale du bureau d’études sur le développement urbain à la Lyonnaise des eaux, puis, de 1995 à 1997, conseillère technique à la direction juridique du ministère de l’Éducation nationale.
Elle est nommée juge au tribunal de grande instance de Péronne en 1999. Elle semble avoir reçu un blâme – encore des limites – du procureur de Péronne pour avoir manqué de respect aux fonctionnaires du greffe. Par ailleurs, se rendant souvent à Paris, elle est convoquée par le premier président de la cour d’appel d’Amiens qui lui reproche d’organiser son temps de manière très personnelle. Est-ce pour cela qu’en 2007 la ministre Dati décidera de la suppression du tribunal de Péronne ? Elle se rapproche de Marceau Long, vice-président du Conseil d’État, plus haut fonctionnaire de France, et se porte candidate à cette institution. Qui trop embrasse mal étreint, elle est malheureusement refusée.
De 2004 à 2005, Dati est directrice générale adjointe aux conseil général des Hauts-de-Seine, chargée des marchés publics. Elle sous-traite ses dossiers à un cabinet d’avocats et se fait, taper sur les doigts par son supérieur. Le Point indique en 2008 : « Des âmes charitables affirment qu’à l’heure de la curée, Rachida Dati, qui connaît les histoires de la famille et du département des Hauts-de-Seine pour s’être occupée, pendant quelques temps en 2005, du secteur sensible des marchés publics, saura, le cas échéant, se rappeler aux bons soins de son protecteur. »
En 2009, elle fonde une société de conseil, La Bourdonnais consultant, qu’elle dissout en 2010 pour accéder, à titre dérogatoire (les limites) à la profession d’avocat. Magistrate, elle est mise en disponibilité le 11 mars 2019 à la cessation de son mandat de maire.
Deux mots sur sa vie privée. En novembre 1992, elle se marie avec un homme « avec lequel elle n’avait rien à partager », selon ses dires, pour se libérer des pressions récurrentes de sa famille, très traditionnaliste en la matière. Après un mois, elle demande l’annulation de ce mariage, qui est prononcée en 1995. En 2009, elle donne naissance à une fille à laquelle elle donne le prénom de sa mère, Zorah. Le nom du père n’est pas rendu public. Cinq jours après avoir accouché, elle reprend ses fonctions au ministère. La réforme du statut des juges d’instruction ne saurait attendre. En 2012, elle assigne l’homme d’affaires Dominique Desseigne en justice, lui réclamant une pension alimentaire de 6 000 euros pour la petite Zorah. Desseigne refuse, affirmant que Dati, à l’époque, avait (les limites) huit amants (parmi eux « un animateur télé, un ministre, un PDG, un Premier ministre espagnol, l’un des frères de Nicolas Sarkozy, un procureur général qatarien et l’héritier d’un empire de luxe »). En 2014, le tribunal de grande instance de Versailles juge que Desseigne est le père de l’enfant. Zorah reçoit 2 500 euros de pension. « Zorah a les yeux de son père », avait dit Dati. Desseigne a les yeux bleus…
Selon Le Parisien, Rachida Dati aurait souhaité se présenter aux élections européennes de 1994 sur la liste de Michel Rocard. Elle y renonça sagement avant le vote des militants socialistes. La même année, François Bayrou, ministre de l’Éducation nationale, la nomme chargée de mission pour la question du voile à l’école. Elle devient auditrice de justice en 1997 et est nommée dans la juridiction d’Amiens en 1999.
En 2002, elle est conseillère de Nicolas Sarkozy. Elle travaille sur le projet de loi sur la prévention de la délinquance. Elle est ensuite nommée conseillère technique au cabinet de Nicolas Sarkozy, alors ministre des Finances. En 2005, elle est directrice générale adjointe des services du conseil général des Hauts-de-Seine après seulement un mois en tant qu’administratrice. Elle adhère à l’UMP en décembre 2006. Le 14 janvier 2007, elle est nommée porte-parole de Nicolas Sarkozy pour la campagne pour l’élection présidentielle. Elle fréquente alors les très élitistes Institut Montaigne, Le Siècle, le Club XXIe siècle 58 qu’elle a co-fondé mais qu’elle a dû quitter car elle en faisait un groupe de pression sarkozyste (encore les limites !) et l’Association Bleu Blanc Rouge dont le but est de « rapprocher la banlieue du monde du travail ».
Après l’élection de Nicolas Sarkozy, elle est nommée ministre de la Justice. Six semaines après sa nomination comme chef de cabinet, Michel Dobkine, un des magistrats les plus expérimentés du pays, démissionne, officiellement pour des rasions personnelles. Il est suivi par trois autres membres importants du cabinet. Ces démissions font suite à la publication d’un projet de loi instaurant des peines minimales pour les récidivistes et réformant l’excuse de minorité. La loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs (comme l’un de ses frères condamné à trois reprises pour divers délits graves) et des mineurs est adoptée par le parlement en janvier 2007. Cette loi modifie l’ordonnance de 1945 relative à l’enfance délinquante.
En 2009, Dati met impulse une réforme de la carte judiciaire qui supprime et transfère un grand nombre de tribunaux de petite ou moyenne taille vers des tribunaux plus importants. Elle rencontre l’hostilité de la très grande majorité des personnels de justice. Cette réforme est saluée par le Cour des Comptes qui aime bien les économies.
Dans son souhait de renforcer la lutte contre la récidive des mineurs, Rachida Dati fixe à treize ans le nouvel âge de la responsabilité pénale. Elle entre par ailleurs en conflit avec les magistrats lorsqu’elle mute contre son gré, à la Cour de cassation, le procureur général d’Agen Bernard Blais à huit mois de sa retraite. En novembre 2008, 500 magistrats dénoncent, dans une pétition, les « pressions personnalisées et inadmissibles » exercées par la garde des Sceaux. Ils déplorent son manque de présence comme quand elle n’assiste pas à la rentrée solennelle des avocats du barreau de Paris pour au dîner de 2008 offert aux ministres de la Justice des pays francophones.
Rachida Dati est élue au conseil municipal de Paris en 2008, puis comme maire du 7ème arrondissement. En 2012, elle annonce vouloir se présenter contre François Fillon aux élections législatives, puis renonce. Elle fonde le collectif « Á droite … toutes ! » afin de renforcer la présence des femmes à l’Assemblée nationale. Avant les élections municipales de 2014, elle affirme sa volonté d’être tête de liste à Paris mais s’efface car, selon elle, « le système et les médias ont déjà choisi Nathalie Kosciusko-Morizet ». Elle est réélue maire d’arrondissement mais est suspendue en 2015 du groupe Les Républicains à la suite d’arriérés non réglés de cotisations au parti pour une somme de 6 500 euros (les limites…).
En vue de la présidentielle de 2017, elle soutient Nicolas Sarkozy, puis François Fillon. Lors du deuxième tour, elle déclare qu’elle votera Emmanuel Macron contre Marine Le Pen. Elle soutient ensuite Laurent Wauquier lors du congrès des Républicains de 2017.
Auparavant, en 2013, elle avait été critiquée suite à sa mission lors des élections en Azerbaïdjan qu’elle avait jugées « libres et équitables ». En 2017, on la vit voter contre l’ouverture d’une enquête parlementaire sur la corruption qu’aurait exercée le gouvernement azerbaïdjanais pour acheter des soutiens à l’étranger, notamment au Conseil de l’Europe.
En 2013, Rachida Dati est, aux dires des Échos, consultante pour GDF Suez. Selon divers médias, elle aurait proposé en 2012 plusieurs amendements favorables aux fournisseurs d’énergie. On la verra signer dans Les Échos un article demandant l’arrêt des subventions des énergies renouvelables et se prononcer pour une réouverture du débat sur les gaz de schiste. Lorsque la journaliste Élise Lucet, dans un numéro de “ Cash Investigation ”, l’interroge sur de possibles conflits d’intérêt, elle refuse de répondre et la traite de « pauvre fille ».
Elle intervient sur des problèmes de radicalisation dans les prisons, sur la gestion de la crise migratoire, sur l’établissement de contrôles aux frontières extérieures de l’UE. En 2018, elle se présente en vain à la fonction de représentante du Parlement pour la désignation du futur parquet européen. Elle réagit très vivement à un vote massif contre elle, critiquant l’hostilité des députés « à la création du parquet européen » et des postures purement politiciennes de députés de gauche et verts. Elle fait même allusion à des réflexes de « mépris social ».
En 2019, elle annonce qu’elle est candidate à sa réélection pour les Européennes, mais elle renonce pour se concentrer sur sa candidature aux municipales de 2020 à Paris. La droite est très divisée. Le candidat LAREM, Benjamin Griveaux doit se retirer après la publication de vidéos salaces. Dati est battue par Hidalgo en ne recueillant que 34% des voix.
En tant que maire du 7ème arrondissement, Rachida Dati lance un projet de “ Club des ambassadeurs ” afin de réunir les diplomates étrangers résidant dans son arrondissement. Pour financer ce projet, elle aurait, demandé 400 000 euros à l’ambassadeur du Qatar en France, qui aurait refusé.
Revenons aux limites. Entre 2009 et 2013, alors qu’elle est députée européenne, elle est rémunérée 300 000 euros par an comme avocate de la filiale hollandaise de Renault-Nissan. Les dirigeants de Renault ayant succédé à ceux qui avaient choyé Rachida ont déclaré que « la réalité des travaux de consultant n’a jamais été démontrée ». En juillet 2021, Rachida est mise en examen pour « corruption passive et recel d’abus de pouvoir ».
Jusqu’ici, la fille de M’Barek et de Fatima-Zohra s’est globalement sortie de tout. Mais avec cette mise en examen elle a peut-être franchi les limites…
Source: Lire l'article complet de Le Grand Soir