Un film documentaire sur ce qu’est une femme, réalisé par un homme conservateur, sans aucune intervenante féministe, cela pose une question :
Qu’est-ce qu’une féministe ?
Matt Walsh, créateur ou plutôt réalisateur opportuniste du film documentaire What is a Woman ? (« Qu’est-ce qu’une femme ? »), tout récemment sorti aux États-Unis, n’a pas su mieux répondre à cette question, qui lui a été posée dans le cadre d’un entretien pour le magazine britannique The Critic, que les spécialistes en tous genres interviewés dans son propre film n’ont su répondre à la question éponyme. Walsh prétend que les féministes n’ont pas souhaité collaborer avec lui parce qu’il est trop catholique, trop anti-avortement et trop ouvertement sexiste et misogyne. En dépit de toutes ces qualités indéniables, il se trouve que les féministes médiatiques ont maintes fois tenté de le contacter pour travailler avec lui, de manière à atteindre un plus large public, prêtes à nouer une infamante alliance temporaire avec cet homme qui représente tout ce contre quoi elles se battent. Mais l’heure est grave, des dommages irréversibles sont causés aux enfants, depuis l’endoctrinement idéologique jusqu’aux mutilations, en passant par les bloqueurs de développement hormonaux et la médicalisation à vie. La fabrique de l’enfant transgenre et la destruction des droits des femmes, par le biais de la destruction de notre capacité à nommer la réalité sont des raisons suffisantes, suffisamment graves, pour que nous acceptions des alliances de circonstances, quand bien même avec des ennemis de longue date. Si nous ne pouvons plus définir ce qu’est une femme, alors, nous ne pouvons plus nous battre pour empêcher les fondamentalistes religieux « en son genre » d’interdire l’avortement.
Matt Walsh, qui a amplement utilisé le travail des féministes, ne cite jamais ses sources, et avoue ne pas avoir donné suite aux prises de contact. Il ment tout autant en prétendant avoir tenté de contacter des féministes notoires, qui l’auraient laissé sans réponse. Aucune féministe médiatique n’a jamais été contactée par Walsh. Il confie ne plus vraiment savoir s’il s’agissait de proéminentes féministes, car il ne les connait « pas plus que cela ».
D’ailleurs, pour lui, il n’existe pas sur terre de « créature plus répugnante qu’une amère vieille féministe boomeuse pro-avortement ». Si sa barbe de Men’s Rights Activist (« Activiste pour les droits masculins ») ne vous avait pas déjà mis sur la piste, attendez voir. Les individus qu’il a choisi d’interviewer pour défendre sa perspective à lui ont en commun de défendre les rôles sociosexuels traditionnels, autrement dit de valider le « genre » et les comportements stéréotypiques que notre culture « assigne » aux personnes en fonction de leur sexe (constaté à la naissance). Le but de Matt Walsh n’est pas tant de prodiguer un cours de rattrapage de biologie de niveau CE2 que de marteler que sexe et genre, c’est la même chose, qu’au sexe biologique femelle sont naturellement associés le rose et la cuisine, et au sexe biologique mâle le bleu et l’ouverture des pots de confitures. Matt Walsh est un conservateur comme les autres.
Voici quelques titres de tweets et d’articles que vous pouvez trouver sur son blog ou son Twitter : « Votre mari n’a pas à gagner votre respect » ; « Je veux renverser l’arrêt Roe Vs Wade parce que l’avortement est une atrocité qui tue des millions d’enfants. Mais en plus de cela, le méga bonus, c’est que bannir l’avortement causerait souffrance et misères à la pire populace de la Terre. Et rien que pour cela, je m’en réjouis. » Matt Walsh pense que les femmes journalistes dans le sport veulent féminiser la profession et qu’elles devraient au contraire s’assimiler aux hommes et perpétuer le modèle viriliste. Il pense aussi que l’existence du sport féminin est un problème, une menace pour la place traditionnelle de l’homme. (Mais il a effacé les tweets dans lesquels il affirmait cela, parce qu’ils contredisaient la posture de défenseur du sport féminin qu’il adopte dans What is a woman ?.) « C’est probablement la seule chose bénéfique que Jeff Zucker aura jamais faite » dans sa vie, a‑t-il commenté concernant le fait que Zucker (CNN) ait baissé de 20% le salaire d’une employée ayant osé lui demander une augmentation, pour être payée à hauteur de son travail, comme son collègue masculin.
En tant que militant pour la perpétuation de la domination masculine à l’ancienne, Matt Walsh encourage par ailleurs les hommes à « ne pas marier les femmes qui ne veulent pas prendre votre nom de famille. C’est un mur de séparation qu’elle veut installer entre vous. Et ce ne sera pas le seul. »
Pour son film, afin d’illustrer la manière dont les peuples indigènes — les sociétés dites traditionnelles — perçoivent le genre et le sexe, Matt Walsh s’est rendu chez les Massaïs du Kenya. Il aurait pu piocher parmi les quelques sociétés autochtones encore relativement égalitaires qui existent. Mais non. Il a choisi les Massaïs, un peuple rendu particulièrement patriarcal par l’expansion de la civilisation industrielle, l’invasion du capitalisme qui, le chassant de ses terres, a entraîné un bouleversement et une réorganisation majeures de son système social. Ce qui a eu pour conséquence de faire perdre aux femmes leurs droits de propriété et leur autonomie, une longue dévaluation de leur statut, et une dégradation de leurs conditions de vie jusqu’à aujourd’hui[1]. Les filles subissent d’épouvantables mutilations génitales visant à leur retirer tout plaisir érotique ainsi que les terribles infibulations[2]. Et les rites de célébrations du passage à l’âge adulte des garçons consistent en une cérémonie de reniement, de rejet et de manifestation de mépris explicite envers la mère, afin de couper les liens mères-fils et de préparer le garçon à l’inversion du rapport qu’il aura avec les femmes, subordonnées. Le tout de manière incroyablement violente (voir le film documentaire Masai Women réalisé en 1974 par Llewellyn-Davis). La masculinité, chez les Massaïs, se construit donc sur le rejet et le mépris de la mère et des femmes. Ce choix de Matt Walsh n’est sans doute pas un hasard.
Car pour Matt Walsh, la place de la femme est dans la cuisine, et la vie quotidienne d’une femme mariée consiste à préparer des sandwiches à son mari, après que celui-ci l’ait évidemment assistée dans l’ouverture du pot de beurre de cacahuètes. Matt Walsh est visiblement un homme très préoccupé par sa masculinité, qui cherche à se rassurer en endossant le rôle sociosexuel traditionnel de l’homme. Qu’est-ce qu’un homme ? Selon lui, probablement quiconque sait ouvrir un pot de confiture.
Si son film parvient à peu près à rétablir certaines vérités concernant les réalités matérielles, biologiques, il échoue cependant à interroger la notion de genre. Nous savons maintenant pourquoi Matt Walsh ne veut surtout pas remettre en question les construits socioculturels que sont la masculinité et la féminité dans notre société. Au contraire, comme nous l’avons mentionné, il défend les rôles traditionnellement sexistes que notre culture assigne aux filles et aux garçons, parce que les unes ont un vagin, et les autres un zizi. Aussi, le film échoue largement à expliquer l’origine de la condition médicale appelée « dysphorie de genre », qui touche les enfants, mais qui, hors du langage idéologique, est une dysmorphophobie induite par le sexisme et la misogynie et qui cause énormément de souffrances[3]. Le film échoue également à expliquer les transitions des hommes adultes, occultant totalement le sujet de l’autogynéphilie — et de la consommation de pornographie qui la renforce très fortement.
Malgré tous ces défauts, son film est intéressant dans la mesure où il donne la parole à des tenants de l’idéologie du genre, où il expose leurs non-sens, leurs contradictions, leur malhonnêteté. Matt Walsh reste impassible et ne donne aucune indication de jugement ou de réprobation, les langues se délient et se prennent dans leurs propres plis. Le rôle paternaliste d’impassibilité que joue Matt Wash, qui s’autocaricature à merveille, est parfait pour inspirer confiance chez ces personnes qui, tout comme lui, s’identifient aux stéréotypes sociosexuels qui donnent un sens à leur existence et à l’ensemble de leur vie.
Mais en fin de compte, l’idéologie des conservateurs à la Matt Walsh est un miroir parfait de l’idéologie des tenants du transgenrisme. Tandis que, pour les premiers, si vous êtes une femme, alors vous devez aimer faire la cuisine, la vaisselle, le ménage, mettre de jolies robes romantiques, la couleur rose, les enfants, etc. ; pour les seconds, si vous aimez faire la cuisine, la vaisselle, le ménage, mettre de jolies robes romantiques, la couleur rose, les enfants, etc., alors vous devez être une femme. D’un côté le sexe détermine le genre, de l’autre le genre détermine le sexe. Et c’est de l’association rigide d’un genre au sexe qu’est issue l’association rigide d’un sexe au genre.
Ainsi que le formule Victoria Smith dans un article intitulé « Mecspliquer ce qu’est une femme » publié sur le site du magazine britannique The Critic le 10 juin 2022 :
« Le problème, selon moi, c’est que Walsh ne reconnaît jamais le rôle que ses propres croyances – rigides et oppressives – jouent dans la création et la perpétuation de cette situation.
Il va trouver de nombreuse personnes convaincues que le seul moyen d’éviter d’imposer des normes sociales délétères aux individus sur la base de leur corps sexué, consiste à prétendre que nous ne savons pas définir ces corps ou que nous ne pouvons pas leur attribuer la moindre signification sociale. Pourtant, il ne laisse entendre à aucun moment que l’on ne devrait pas imposer ces normes, ou que ses propres fantasmes de rose/bleu (fille/garçon), vis-à-vis de l’enfance et de l’adolescence, conduisent celles et ceux qui ne s’y conforment pas à se sentir “inadaptés”.
“Donnez à mon fils un pistolet à air comprimé et ce sera à peu très tout le soutien émotionnel dont il aura besoin”, songe-t-il en arrière-plan d’une fête d’enfants lors de laquelle tous les garçons sont en blue-jeans et toutes les filles en princesses roses. “Ma fille, par contre… J’ai entendu des gens dire qu’il n’y avait pas de différence entre les hommes et les femmes. Ces gens sont des idiots.”
Hmm. J’ai trois enfants, tous biologiquement mâles, qui se sont tous amusés avec des maisons de poupées et des robes usagées. Deux d’entre eux ont de longs cheveux blonds à la Frozen, et je n’ai jamais acheté de pistolet à aucun d’entre eux (et aucun n’en a demandé).
Selon l’idéologie du genre version Walsh, je tends dangereusement vers l’effacement de toute définition cohérente de “mâle” et “femelle” — ou d’homme et femme. Il s’agit de l’image en miroir de toutes les absurdités de l’activisme trans. Walsh et les personnes qu’il interroge pour défendre sa vision associent le déni de la différence sexuelle avec le rejet des stéréotypes de genre. Tandis que les conservateurs de son genre pensent que nous devons nous résoudre à subir les stéréotypes ; les promoteurs de l’idéologie trans pensent que nous devons nous résoudre à subir la chirurgie. Les féministes pensent que nous ne devrions nous résoudre à subir ni l’un ni l’autre.
[…]
À la fin du film, après son odyssée du genre, Matt rentre chez lui pour retrouver sa Pénélope qui l’attend. Elle est, bien sûr, dans la cuisine, à lutter avec un bocal de cornichons.
“Qu’est-ce qu’une femme ?” lui demande-t-il.
“Un être humain adulte de sexe féminin — qui a besoin d’aide pour ouvrir ce pot !” répond-elle. Compris, mesdames ? Il défendra notre droit d’exister en tant que classe sexuelle tant que nous serons toutes d’accord pour admettre qu’elle est la plus faible.
En fin de compte, j’en ai juste marre du machisme. L’année dernière, j’ai parlé à l’une des fondatrices de Woman’s Place UK, qui m’a dit que les droits sexuels seront finalement mieux défendus par celles qui sont là pour “la victoire, pas la gloire”. Les personnes, principalement des femmes, souvent des lesbiennes et des femmes de couleur, qui font ce travail ennuyeux en coulisses, de compilation des données et de contestation des pratiques injustes une par une. Des personnes qui ne cherchent pas à réimposer d’autres croyances, tout aussi oppressives, concernant le sexe et le genre.
Il se peut que What is a Woman ? (Qu’est-ce qu’une femme ?) soit utile, en montrant à certaines personnes encore hésitantes que le problème est réel. Mais il pourra en pousser d’autres dans la direction inverse. Dans tous les cas, les femmes elles-mêmes ne seront pas remerciées pour tout leur travail acharné et tous les risques avérés qu’elles prennent.
Après tout, c’est ça, être une femme. »
C’est ainsi que les femmes se retrouvent prises en étau entre la peste (les conservateurs à la Matt Walsh) et le choléra (les transgenristes) — deux formes de misogynie qui se reflètent, la seconde étant issue de la première. C’est de la côte de Matt Wash et de tous ses comparses idéologiques qu’est sortie cette nouvelle idéologie délétère.
Audrey A. & Nicolas C.
Le documentaire de Matt Walsh, avec sous-titres en français :
Au cas où le lien précédent ne fonctionnerait pas, le voici découpé en deux parties. La première :
Et la seconde :
- Hodgson, Pastoralism, Patriarchy, and Historyhttps://www.cambridge.org/core/journals/journal-of-african-history/article/abs/pastoralism-patriarchy-and-history-changing-gender-relations-among-maasai-in-tanganyika-18901940/C61A2873E1EA7A8E34BCE90D2E961759 ↑
- https://www.who.int/fr/news-room/fact-sheets/detail/female-genital-mutilation ↑
- La dysmorphophobie se manifeste par une préoccupation pour un ou plusieurs défauts de l’apparence physique inexistants et qui entraîne une souffrance importante et va affecter le comportement de manière morbide : l’anorexie est une dysmorphophobie couplée à un trouble de l’alimentation. Les anorexiques se perçoivent toujours trop grosses, même en état de maigreur extrême. À cause du sexisme et de la misogynie de notre société, de l’objectification et de la pornification du corps des femmes, qui se traduit précocement dans la sociabilité par la manière dont les garçons (qui consomment de la pornographie de plus en plus tôt) les traitent au collège et au lycée, les jeunes filles appréhendent les changements de leur corps liés à la puberté, et développent une haine de leur poitrine et des caractères sexuels secondaires liés à la féminisation de leur corps. Nombreuses sont les filles hétérosexuelles qui, par automisogynie, souhaitent ainsi devenir des garçons, dans l’espoir illusoire de se soustraire à la condition féminine en société misogyne. Les mastectomies, le fait de se faire retirer leurs poitrines saines, avec toutes les complications entrainées, font ainsi partie de la vague de mutilations sur mineures jusqu’ici encouragées par l’institution médicale – mais de plus en plus déconseillées. Cf. cette déclaration de l’Académie nationale de médecine. ↑
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