Églises orthodoxes : « Les lignes de fractures risquent de s’approfondir »

Églises orthodoxes : « Les lignes de fractures risquent de s’approfondir »

L’offensive russe en Ukraine accentue la crise que traverse le christianisme orthodoxe depuis 2018, année où une Église orthodoxe ukrainienne autonome a vu le jour. Pour mieux comprendre ces bouleversements, Le Verbe s’est entretenu avec deux spécialistes.

« Les traces et les conséquences de ce conflit risquent d’être durables et profondes. D’une part en Ukraine même, d’autre part dans l’ensemble du monde orthodoxe », avertit d’entrée de jeu Christophe Levalois, auteur de plusieurs livres, parmi lesquels Le christianisme orthodoxe face aux défis de la société occidentale (Cerf, 2018).

Depuis l’invasion russe de l’Ukraine débutée le 24 février dernier, le patriarche orthodoxe de Moscou a justifié à quelques reprises « l’opération militaire spéciale » du Kremlin dans ses homélies, tout en disant espérer la paix et un dénouement rapide. Cyrille de Moscou s’est insurgé contre la « décadence morale » de l’Occident que combattrait en quelque sorte la Russie à travers cette offensive. Un appui qui est loin de plaire à tous les fidèles orthodoxes sous l’égide de Moscou en Ukraine, pays où, depuis 2018, une Église ukrainienne autonome regroupe toutefois une minorité de chrétiens orthodoxes.

« Il est difficile d’estimer à l’heure actuelle comment les fidèles en Russie voient ce conflit. Toutefois, pour les membres de l’Église orthodoxe russe en dehors de la Russie, les condamnations ou les protestations sont notables », observe Christophe Levalois en entrevue.

Des divisions qui remontent à 2018 

En effet, en 2018, le Patriarcat de Constantinople a appuyé la création d’une Église orthodoxe indépendante en Ukraine, dont les deux Églises fondatrices étaient non canoniques, c’est-à-dire qu’elles n’étaient pas reconnues par l’ensemble de l’orthodoxie. L’Église orthodoxe russe n’a pas reconnu cette nouvelle Église et a rompu, à ce moment, la communion avec Constantinople. 

Pour Christophe Levalois, cet épisode est à l’origine de la grande crise que traverse aujourd’hui le monde orthodoxe. Et avec la guerre en Ukraine, « les lignes de fracture risquent fort de s’approfondir entre ces deux pôles », résume-t-il auprès du Verbe. Dès le début de l’offensive russe, le patriarche œcuménique Bartholomée de Constantinople a fermement condamné cette invasion et s’est entretenu avec le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, pour l’assurer de son soutien. 

Professeur de civilisation russe à l’Université de Lorraine, Antoine Nivière estime que les prochaines semaines seront décisives pour le monde orthodoxe : « les choses risquent de s’envenimer, car les Églises en Ukraine devront choisir leur camp et y resteront longtemps associées ». Dans un contexte où des Églises orthodoxes rattachées à Moscou ont été touchées par des bombardements de l’armée russe, il est déjà pour le moins difficile pour ses représentants de justifier leur appartenance au monde russe. 

Dissidence au sein de l’Église orthodoxe russe 

« Cyrille fait porter toute la responsabilité du conflit aux puissances occidentales. C’est une interprétation que rejettent des évêques de l’Église orthodoxe russe en Ukraine, qui parlent carrément d’une guerre déclenchée par la Russie contre l’Ukraine. […] Au départ, Moscou entendait compter sur le soutien des fidèles orthodoxes russes en Ukraine, mais ce n’est pas ce qui s’est passé », observe Antoine Nivière.

Pour l’historien Antoine Nivière, le fait que le conflit implique en grande majorité des chrétiens orthodoxes n’empêche en rien le pape François de tenter de jouer un rôle de médiateur.

Certains clercs de l’Église orthodoxe russe en Ukraine ont cessé de commémorer le patriarche de Moscou pendant les offices. L’Église orthodoxe russe pourrait perdre près d’un tiers de ses paroisses en Ukraine, anticipe Christophe Levalois, rédacteur en chef du site Orthodoxie.com

Parmi les fidèles orthodoxes en Ukraine, la confiance envers Moscou parait brisée, mais la foi, elle, « semble se renforcer », selon les observations de Christophe Levalois.

Tant du côté de l’orthodoxie russe que de celui de l’orthodoxie ukrainienne, les paroisses sont nombreuses à s’activer pour recueillir des dons destinés à soutenir les victimes de la guerre et les réfugiés qui affluent dans les pays voisins. En Europe occidentale, des fidèles orthodoxes concentrent leurs prières et se mobilisent pour soutenir leurs coreligionnaires pris sous les feux croisés. 

Pour l’historien Antoine Nivière, le fait que le conflit implique en grande majorité des chrétiens orthodoxes n’empêche en rien le pape François de tenter de jouer un rôle de médiateur. Bien au contraire. Il rappelle que le chef de l’Église catholique a rencontré le patriarche de Moscou à Cuba en 2016, et qu’il avait ainsi déjà entamé « un projet de rapprochement ». Il s’agissait en effet d’un premier grand pas vers la réconciliation depuis le grand schisme de 1054. 

On apprenait d’ailleurs que le pape François a échangé aujourd’hui avec le patriarche de Moscou par visioconférence.

« L’Église catholique très bien placée pour être une médiatrice »

« Le pape François affiche un certain scepticisme face aux États-Unis. Il n’a d’ailleurs pas parlé de “guerre”. Il a une position modérée qui rappelle un peu celle de Pie XII durant la Seconde Guerre mondiale. François n’a pas clairement condamné l’invasion russe. Il donne donc l’impression de vouloir se poser en intermédiaire », observe Antoine Nivière.

Pour Christophe Levalois, « l’Église catholique est très bien placée pour être une médiatrice » dans le conflit, surtout qu’elle est très active en Ukraine. « La diplomatie vaticane entretient de très bonnes relations avec les différents acteurs, qu’ils soient politiques ou religieux. Les présidents ukrainien et russe ont tous les deux été reçus au Vatican », souligne-t-il.

En attendant une résolution à laquelle pourra peut-être contribuer le pape François, la rivalité entre Constantinople et Moscou pourrait s’étendre à d’autres continents, à commencer par l’Afrique. En décembre 2021, deux diocèses orthodoxes russes ont été créés sur le territoire canonique du Patriarcat d’Alexandrie en Afrique, deux ans après que ce dernier reconnut l’autonomie de l’Église orthodoxe ukrainienne. 

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