Depuis déjà quelques années, Vincent Verzat se filme et se met en scène lui-même au nom de l’écologie. Seulement, celui qu’on qualifie de « youtubeur écolo » ou de « youtubeur radical et non-violent » n’a eu de cesse, jusqu’ici, de promouvoir dans ses vidéos — publiées sur sa chaine intitulée « Partager c’est sympa » — des idées assez contradictoires. Vincent Verzat n’est pas très regardant, du moment qu’il y a matière à faire du buzz, il est partant (dans une certaine mesure, bien évidemment, il n’irait pas vendre ses talents de vidéastes à l’extrême droite). Plaidoyers en faveur des énergies vertes, des emplois verts, de la migration pendulaire vélocipédique, du bio à la cantine, mais aussi de l’écroulement de la civilisation ou du capitalisme, participation à la campagne d’Éric Piolle, le maire écocapitaliste de Grenoble (ex-aspirant président de la République), défense du gentil capitalisme des petits patrons face au méchant capitalisme d’Amazon, promotion de l’Affaire du siècle aux côtés de « McFly et Carlito » et Cyril Dion et Marion Cotillard, etc., bref, un peu tout et un peu n’importe quoi.
Certes, dans le tas, il y a donc eu des choses intéressantes. Mais dans l’ensemble, c’est la confusion. Pire, après une remise en question existentielle l’été dernier, Vincent Verzat est revenu sur YouTube avec des vidéos sur ses randonnées (le GR 20 en Corse, par exemple), ses balades en forêt, sa nouvelle passion de photographe animalier qui lui a été inspirée par des professionnels du pistage des « créatures fabuleuses » comme Baptiste Morizot, et certainement par un autre Vincent (Munier). Il s’agit, pour Vincent Verzat, semble-t-il, de s’attaquer à la « crise de la sensibilité », et même à la « la crise de la sensibilité au vivant en particulier », selon les mots de Morizot, que Verzat se plait désormais à citer. Et ce, quelques mois, à peine, après nous avoir vendu la merveilleuse promesse d’« un avenir désirable à l’horizon 2030 » en nous présentant « une suite de mesures, aussi synthétique que possible, qui permettrait de respecter, en France, une trajectoire compatible avec les 1,5°C », établie d’après les calculs d’un ingénieur du cabinet d’étude B&L évolution, dans l’optique d’assurer l’avenir de la civilisation industrielle. Autrement dit, en quelques mois, il est passé de la promotion d’idées essentiellement technocratiques, d’une planification écolocratique ou, plus précisément, carbocratique, à la promotion du sentiment de la nature auprès des civilisés.
Le naturaliste canadien John Livingston (1923–2006) estimait « qu’aucun argument “rationnel” ne pourrait jamais favoriser la préservation de la vie sauvage, tout comme il ne peut y avoir d’explication logique à une expérience qualitative. Il me semble maintenant que l’argumentation elle-même — dans le sens du dialogue basé sur le rationnel — est non seulement inappropriée en ce qui concerne notre sujet, mais qu’elle peut aussi le détruire. Il n’y a pas de “logique” dans le sentiment, dans l’expérience, dans les états d’être. Pourtant, ces phénomènes semblent être des conditions préalables à la préservation de la vie sauvage. »
Livingston remarquait :
« Aujourd’hui, nous vivons pour la plupart en ville. Cela signifie que nous vivons dans un caisson d’isolation, complètement coupés de tout type d’information ou d’expérience sensorielle qui ne soit pas produit par l’être humain. Tout ce que l’on voit, tout ce que l’on entend, tout ce que l’on sent, tout ce que l’on touche, est produit par l’humain. Toutes les informations sensorielles que l’on reçoit sont fabriquées et bien souvent véhiculées par l’intermédiaire de machines. Que nous le tolérions, que nous le supportions, indique sans doute que nos capacités sensorielles sont terriblement atrophiées — comme elles le sont souvent chez les créatures domestiquées. Si bien que nous ne nous rendons pas compte de ce qui nous manque. L’animal sauvage reçoit des informations pour tous ses sens, d’une quantité innombrable de sources différentes, à chaque instant de sa vie. Nous n’en recevons que d’une seule source — nous-mêmes. Cela s’apparente à un confinement solitaire dans une chambre d’écho. Les individus qui sont placés en isolement cellulaire font des choses étranges. L’expérience commune des victimes de privations sensorielles est l’hallucination. Je pense que le patrimoine culturel que l’on reçoit, nos croyances et idéologies anthropocentrées, peuvent être considérées comme des hallucinations institutionnalisées. »
Livingston pensait que la défense de la vie sauvage découlait de l’attachement émotionnel pour — et de l’expérience que l’individu avait de — la nature sauvage. Il considérait la sauvegarde de la nature comme un sentiment personnel — une « expérience individuelle égoïste » — impossible à communiquer aux autres de manière rationnelle. Cette expérience lui apparaissait comme une sorte de « réalisation de soi », lors de laquelle l’individu s’attache consciemment au monde naturel, s’y identifie et agit dans sa perspective. Il l’exprimait ainsi :
« La nature, en tant que “soi élargi” peut servir à combler le fossé entre le soi et l’autre, entre l’humain et le non-humain. Si, par exemple, je suis capable de voir et d’identifier le coyote ou la buse à queue rousse comme une extension de moi-même, peut-être agirai-je différemment en fonction de cette perception. »
Cette position philosophique, caractéristique de l’écologie dite « profonde » (deep ecology), rejoint celle de divers courants de pensée, dont certains sont très anciens, comme l’anarchisme taoïste chinois. Elle contient certainement une part de vérité.
Cela dit, nous croulons déjà sous les documentaires animaliers, les reportages « nature ». À quoi bon en rajouter ?! Du buzz relativement facile, voilà, pour l’essentiel, tout ce que produit Vincent Verzat. Une mise en scène narcissique de soi, des clics. Pire encore, ce qu’il fait pourrait avoir pour effet d’encourager le secteur florissant de la photographie animalière, la vente de matériel photographique, l’augmentation de la fréquentation touristique des derniers espaces naturels, etc.
En outre, la perspective de Livingston, quand bien même elle recèle des vérités importantes, est aussi fort discutable. L’être humain est une créature très influençable par le simple dialogue. Se contenter de dire que chacun devrait se voir prescrire des « bains de nature » ne nous aiderait pas beaucoup à résoudre les nombreux problèmes auxquels nous faisons face. L’expérience de la nature peut très bien ne jamais mener à des réalisations essentielles, comme, disons, le fait que la technologie n’est jamais neutre, qu’il en existe de différentes sortes, que les hautes technologies impliquent une organisation sociale de type autoritaire, que les hautes technologies dites vertes ne le sont jamais, de même que les énergies dites vertes ou propres, que toutes les industries qui composent la civilisation industrielle sont autant de nuisances écologiques et sociales, que la propriété privée (telle qu’elle est définie dans la civilisation) est une vaste escroquerie doublée d’une absurdité, que l’expression « État démocratique » est un oxymore, etc. Il est tout à fait possible de posséder une certaine expérience de la nature, une certaine sensibilité au vivant et malgré tout de demeurer une triple buse (en témoignent Nicolas Hulot, Baptiste Morizot, etc.).
Aussi, Livingston semblait être de ces écologistes qui se soucient peu, ou en tout cas bien moins, du social. Le misérable sort des êtres humains dans la civilisation paraissait moins lui importer que la préservation de la faune sauvage. En cela, il ressemble à plusieurs de nos plus célèbres écologistes, qui ne se soucient guère — même lorsque, de temps à autre, ils prétendent autrement — du harcèlement, de l’exploitation, des différentes formes de violences sociales que subissent les pauvres, les sans-pouvoir, les femmes et les enfants dans la civilisation ; de ces écologistes dont les revendications, en définitive, ne menacent quasiment pas l’ordre imposé — ce qui explique qu’elles soient autorisées dans les médias de masse, subventionnables, etc. Baptiste Morizot, pour reprendre son exemple, confiait il y a quelques mois à Vanity Fair qu’il nous « faut créer une culture qui s’ancre dans l’idée de la joie de l’existence du monde vivant qui nous entoure. Sans cela, on ne sait pas pourquoi l’on se bat. » Seulement, s’il est très juste de rappeler l’importance de la « sensibilité au vivant » ou d’entretenir un bon « rapport à la nature », de rappeler que la nature est primordiale et que nous devrions vouloir la défendre, il existe bien d’autres raisons de vouloir en finir avec la civilisation (industrielle), relevant plutôt de la sensibilité à l’humain, du rapport de l’humain à l’humain, de notre rapport à notre propre nature humaine — laquelle se trouve rudement malmenée dans les conditions socio-écologiques que lui fait la civilisation. Le techno-monde civilisé est haïssable de part en part (mais Morizot ne le voit pas de cet œil).
On ne règlera pas les problèmes sociaux indépendamment des problèmes écologiques, ou inversement (mais encore faut-il voir qu’il existe une myriade de problèmes sociaux, humains, et pas juste une « crise écologique »). C’est pourquoi le mouvement écologiste, tel que ses pionniers (de Bernard Charbonneau à Pierre Fournier) l’avaient défini, ne séparait jamais la question sociale de la question écologique. Aussi, « si l’on réduit le mouvement écologique à l’essentiel, il se ramène à ces deux maîtres mots discrédités par leur abus : la nature et la liberté. C’est-à-dire rien moins que les dimensions charnelle et spirituelle de l’univers humain — autrement dit tout entier. […] Si nous passons en revue les critiques et revendications écologiques, on peut en gros les classer en deux catégories sous le signe de la nature et de la liberté. À la première appartiennent la protection de l’environnement, celle des espèces menacées, la lutte contre le remembrement abusif, pour les espaces verts, contre la menace d’une catastrophe nucléaire, etc. À la seconde, la revendication d’autogestion, de la libération des femmes et de la sexualité, l’anti-militarisme, l’anti-étatisme, le régionalisme, la dénonciation de l’aspect policier du nucléaire, etc. » (Charbonneau)
À l’instar du « mouvement climat » dont il fait partie, Vincent Verzat est assez loin de marcher dans les traces des précurseurs de la lutte écologiste. Après un début de carrière dans l’écologisme ONG-iste, c’est-à-dire dans l’écologisme globalement inoffensif, potentiellement subventionnable, réclamant une « dystopie durable », puis une première « remise en question » scénarisée et youtubisée à l’honnêteté douteuse, après laquelle il a simplement ajouté de la confusion dans son discours en promouvant par-ci par-là l’effondrement de la civilisation ou du capitalisme tout en continuant de promouvoir son verdissement, sa résilience, sa durabilité, Vincent Verzat semble aujourd’hui, suite à une seconde remise en question également scénarisée et youtubisée, se lancer dans la photo/vidéo animalière. Au-delà d’une belle jambe de bois (certifié FSC), jusqu’ici, tout ça ne contribue qu’assez peu à la formation d’un mouvement écologiste digne de ce nom.
Nicolas Casaux
Annexe 1 : Dans la joyeuse bande des youtubeurs écolos rigolos, celle du « J‑Terre », de Vincent Verzat (« Partager c’est sympa »), « Professeur Feuillage », etc., on retrouve un certain Nicolas Meyrieux (alias « La Barbe »).
Je sais bien qu’il faut bien manger, ou payer le loyer, mais tout de même. Entre deux vidéos critiquant « le capitalisme », entre deux « la technologie ne nous sauvera pas, la technologie c’est une fuite en avant pour pas se remettre en question », entre deux encouragements à lutter contre la civilisation industrielle et à précipiter son effondrement, le Meyrieux travaille pour Leroy Merlin et TF1 à promouvoir l’innovation technocapitaliste. Du « mobilier design intelligent » aux « prises intelligentes », en passant par « l’énergie verte » (inévitablement), les « immeubles dépolluants », la « réalité virtuelle », les « robots ménagers », les « maisons connectées pour personnes âgées », les « robots de compagnie », j’en passe et des plus connectés, le Meyrieux se retrouve à promouvoir toutes les bêtises de l’industrialisme prétendument vert, tout le fantasme d’une civilisation industrielle écolo, toutes les inepties hyperconnectées que la technocratie élabore.
Franchement consternant. Cette audace consistant à dire une chose et son contraire, soutenir tout et n’importe quoi en fonction du sens du vent, cet écolopportunisme, est une marque de fabrique de ce petit microcosme écolo dans lequel on retrouve Pablo Servigne (qui n’hésite pas à chanter les louanges du « génial youtubeur Nicolas Meyrieux » ; rien d’étonnant, entre écobouffons on tend bien entendu à se congratuler mutuellement), Cyril Dion, etc., etc.
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