Notre héros écologiste national (Cyril Dion) a récemment fait la promotion du dernier livre, paru chez Actes Sud (la maison d’édition pour laquelle il travaille), écrit par Eva Sadoun, la dirigeante du « Medef green et social » pour « entrepreneurs engagés » (le mouvement Impact France (lui-même issu de la fusion entre deux organismes : le Mouves et Tech For Good)). « Personnalité reconnue de l’écosystème French Tech », Eva Sadoun fait aussi partie « des 40 Françaises qui ont marqué 2021 selon Forbes ».
D’après un article de Les Échos : « “Montrer qu’un autre modèle d’entreprise est possible.” C’est la mission que s’est donnée Impact France. Première association patronale dédiée à la transition écologique et sociale, elle se focalise sur deux axes. Le premier, à court terme : réunir les entrepreneurs à impact social et écologique. Le deuxième, à plus long terme : polliniser l’ensemble de l’économie en faisant du lobbying. D’ici cinq ans, le mouvement espère engager 30 % des entreprises françaises, soit environ 30.000 entités dans la transition. En bref, c’est une “alternative green et sociale” au Medef selon les mots d’Eva Sadoun. »
Tous les médias de masse l’adorent, bien évidemment, c’est ainsi qu’elle est promue et invitée partout à prêcher la bonne parole, l’évangile d’un capitalisme éthique et décarboné (elle figure d’ailleurs parmi les personnalités dont le jeune génie de l’écologie Julien Vidal nous encourage à nous inspirer !). Même les plus capitalistes des médias capitalistes mettent en lumière son travail. « Pionnière de la finance responsable, Eva Sadoun a développé depuis quelques années la plate-forme de conseil Lita et l’application Rift, afin de démocratiser l’investissement durable », affirme un autre article de Les Échos la célébrant. L’« application Rift » permet d’analyser « l’impact environnemental des placements financiers ». « C’est un peu comme l’application Yuka qui vous dit si ce paquet de chips est bon pour votre santé », nous explique pédagogiquement Radio Nova.
Favoriser la « liberté d’entreprendre », « subventionner des emplois verts », « remettre le capital à sa juste place », etc., dans ce livre, Eva Sadoun compile les poncifs des tenants de quelque capitalisme vert et éthique. Une utopie pour entrepreneurs et autres homo economicus écoanxieux, une rassurance pour capitalistes écoscrupuleux : un autre capitalisme est possible ! Décarboné et éthique ! Ayez foi !
Sans vergogne, Eva Sadoun récupère même des critiques de la technologie comme le philosophe Gunther Anders dans sa rhétorique décarbonée. À un moment, elle écrit même que les institutions qui pourraient nous sauver
« existent déjà concrètement, au moins au niveau économique. Ce sont toutes les entreprises, associations ou coopératives qui mettent l’impact au cœur de leur modèle économique, lui-même fondé sur la quête d’impact social ou écologique, et qui s’engagent durablement pour le partage du pouvoir et une meilleure répartition des richesses. C’est pour cela que nous luttons tous les jours pour des politiques publiques ambitieuses qui permettent à ces structures d’émerger, grâce notamment à la formalisation d’indicateurs clairs comme l’Impact Score. C’est aussi la raison pour laquelle il faut continuer à lutter pour plus de citoyenneté au cœur de l’économie, que ce soit par des initiatives comme celle de la Convention citoyenne pour le climat ou par tous les efforts réalisés pour favoriser une plus grande transparence dans la finance et dans tous les secteurs de l’économie. Le leadership pour grandir, développer la responsabilité et même la démultiplier doit lui-même se démultiplier. Se penser dans l’union, autour d’une action commune, mais en étant suffisamment inclusif pour créer un phénomène d’identification large. Parce que l’homme providentiel n’existe pas. Si on tente un partage du pouvoir qui diffuse le leadership en chacun d’entre nous, il nous concernera. Et la responsabilité partagée nous permettra de faire émerger un discours de vérité. Et d’accepter le doute, l’erreur, la consultation pour se rapprocher un maximum de cette vérité. Comme l’a justement dit Cécile Duflot, “le temps des récits est fini, l’heure est à l’honnêteté”. Et cette honnêteté ne pourra émerger que si on libère le leadership de l’idée de “connaissance toute-puissante” en acceptant, l’expérimentation, et en réduisant les échelles dans les organisations, en cassant la mégamachine ou en diffusant la responsabilité au sein de celle-ci. »
Casser la mégamachine ? CASSER LA MÉGAMACHINE ?! Comment une telle expression a‑t-elle pu se retrouver dans le texte d’Eva Sadoun, qui souhaite à peu près tout SAUF casser la mégamachine ? C’est très simple. Chez ces gens-là, quand une expression connait un certain succès dans certains milieux, il faut la récupérer, se l’approprier. Ça fait bien ! Il s’agit même d’un des fondamentaux de l’écodémagogie. Tu milites en faveur d’un capitalisme repeint en vert ou décarboné ? Proclame-toi anticapitaliste ! Tu brasseras plus large !
Ailleurs, Eva Sadoun, recouvrant ses esprits après cet accès de luddisme, nous explique :
« Il est donc crucial d’intégrer le plus possible les citoyens au sein de la vie économique et de développer des outils permettant de le faire. Il faut par exemple souligner le rôle joué par de nouveaux outils digitaux, qui utilisent la technologie pour lutter contre l’opacité de l’économie et permettent aux citoyens de faire des choix en conscience. On peut penser aux applications qui, à l’instar de Yuka dans l’alimentaire, apportent de la transparence aux consommateurs sur les produits qu’ils achètent et leurs impacts sur la santé et l’environnement. N’oublions pas qu’en 2019, face au succès de Yuka, Intermarché a décidé de faire évoluer les recettes de 900 produits. »
Encore ailleurs, elle fait l’éloge de la compétition :
« On se rend ainsi compte que la question de la compétitivité est, aujourd’hui, ambivalente. Dans les schémas économiques actuels, fondés essentiellement sur des indicateurs quantitatifs financiers, elle est un frein à la transition, car elle oriente les États, entreprises et investisseurs vers le court terme et la rentabilité. Mais dans un monde où les indicateurs se transforment, où l’économie met au cœur les aspects écologiques et sociaux, le concept de compétitivité peut se mettre au service de la transition et renverser le problème sur lui-même : la transition peut être une opportunité et non plus une contrainte. Le but est de reclasser l’Europe par la transition écologique et sociale, car un déclin inéluctable s’annonce pour les pays qui ne décarboneront pas leurs économies et qui ne prendront pas à bras-le-corps la question sociale. »
Bref, un nouveau livre de merde en plus, comme il en paraît des dizaines chaque semaine. Du baratin idiot et mensonger. Un énième plaidoyer en faveur d’un autre capitalisme, sympa et biodurable. L’écologie selon Cyril Dion (et Sa Sainteté, on remarque aussi, ici, comment les lumières basse consommation de la gauche, du progressisme, se côtoient toutes).
Nicolas Casaux
Ci-après, la conclusion de ce pitoyable livre de Sadoun :
« Au terme de cette réflexion décousue, j’étais arrivée aux étagères où étaient rangés les livres d’auteurs contemporains ; écrits par des femmes et par des hommes ; car il y a désormais presque autant de livres écrits par des femmes que par des hommes. Ou alors, si ce n’est pas encore tout à fait vrai, si le sexe masculin reste le plus prolixe, il n’est certainement plus vrai de dire que les femmes n’écrivent que des romans. Il y a des livres sur toutes sortes de sujets que les femmes n’auraient pas pu aborder lors de la génération précédente. Il y a des poèmes, des pièces et des œuvres critiques ; des livres d’histoire et des biographies, des livres de voyage ainsi que des ouvrages d’érudition et de recherche ; il y a même quelques études philosophiques et des livres de sciences et d’économie.
J’aimerais arriver dans quelques années devant cette grande bibliothèque. Elle aurait la forme d’une assemblée générale, d’une organisation économique mondiale, d’un média de société, d’une institution politique, d’une grande entreprise, d’un tissu de PME locales. Nous y serions toutes et tous, tentant de recomposer cette maison commune, de se partager des espaces, sur la base de connaissances solides et ne laissant personne à l’entrée. Et, oui, il sera important de toutes et tous nous y voir. Le principe de responsabilité pour autrui aura remplacé le principe de compétition. L’autorité scientifique y sera naturelle car la démocratie opérera et l’impact de nos actions individuelles et collectives sera justement mesuré.
J’ai tenté tout au long de cet essai de rendre visibles les verrous qui empêchent aujourd’hui cette grande bibliothèque, comme une allégorie du milieu économique, de naître et de polliniser. J’ai tenté de lever le voile sur les idéologies qui font de l’économie actuelle un frein et non une opportunité de réinventer un système. Mais aussi de proposer des pistes de solutions concrètes, activables, pour répondre aux grands défis écologiques et sociaux de notre temps à tous les niveaux. Et puis comprendre, réapprendre, c’est déjà agir. J’ai l’intime conviction que l’immobilisme de cet écosystème prend racine dans son opacité.
Vous aurez compris (j’espère) que je ne défends aucune paroisse, ne m’inscris dans aucune pensée aux concepts figés. J’essaie de regarder le monde tel qu’il est, et, aujourd’hui, je le trouve invivable pour ceux qui l’habitent. Résoudre cette équation (on ne se refait pas), c’est accepter qu’elle n’en est pas une. Qu’elle pourra prendre des formes différentes mais que certaines choses valent mieux que d’autres. La santé, le bien-être et la dignité des personnes qui composent une société valent mieux que des flux transactionnels impartageables. Ne valent pas mieux au sens moral. Valent mieux au sens de la puissance. La puissance de notre civilisation passera par notre capacité à sortir de ce schéma de domination pour construire sur la base de nouveaux fondamentaux, ensemble, une économie, à nous. »
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