Dans le numéro hors-série de Socialter intitulé « L’écologie ou la mort », paru en décembre 2021 — et dont la rédactrice en chef invitée était Camille Étienne, la célèbre figure de proue du mouvement climat français qui m’accuse de la harceler pour mieux escamoter ma dénonciation de son imposture — dans ce numéro, donc, Philippe Vion-Dury, le fondateur et dirigeant de Socialter, propose une brève présentation de ce qu’il nomme « les 10 familles de l’écologie politique ».
Il serait fastidieux d’énumérer les absurdités glissées dans chacune des descriptions de ces différentes « familles ». Mais son traitement de « l’écologie anti-industrielle » devrait suffire à exposer la nullité de sa typologie. En bref, assimilant l’« écologie anti-industrielle » à la technocritique, ce qui se défend, il fait cependant remonter le tout à Bernard Charbonneau et Jacques Ellul — exit, donc, les anarchistes naturiens, les luddites, etc. Il associe ensuite l’écologie anti-industrielle à quatre autres personnes : Nicholas Georgescu-Roegen, Ivan Illich, Lewis Mumford et Ernst Friedrich Schumacher. En ce qui concerne Illich et Mumford, en tout cas dans une certaine mesure, on peut le comprendre — beaucoup moins, en revanche, pour Georgescu-Roegen et Schumacher.
Mais les deux principaux problèmes de son texte sur l’écologie anti-industrielle sont d’une part qu’il n’associe jamais ce courant aux seuls individus s’en étant réellement réclamés ou s’en réclamant encore, à savoir les membres de l’Encyclopédie des Nuisances, notamment — on peut, à ce sujet, lire le texte de Miguel Amoros intitulé « Qu’est-ce que l’anti-industrialisme et que veut-il ? », ou son texte publié sur Reporterre sous le titre « Nous, les anti-industriels » — ou les Grenoblois de Pièces et Main d’Œuvre, Aurélien Berlan et ses camarades des éditions La Lenteur, etc.
Il s’agit d’un problème — d’une tromperie — majeur. Et d’une étonnante performance. Prétendre présenter un courant de pensée sans jamais mentionner les seules personnes s’étant proclamées ou se réclamant dudit courant, il fallait réussir.
Autre problème majeur, Philippe Vion-Dury affirme que les principaux continuateurs de l’écologie anti-industrielle sont aujourd’hui Philippe Bihouix et ses low-tech et d’autres « décroissants ». Pourtant, l’ingénieur Philippe Bihouix — low-technocrate dont la définition d’une basse technologie est plus que douteuse — ne s’est jamais réclamé de l’anti-industrialisme et ne le fera sans doute jamais, cependant qu’il existe, encore une fois et encore aujourd’hui, des groupes, collectifs, individus, maisons d’édition, qui se revendiquent publiquement du courant anti-industriel ! En guise de présentation de l’écologie anti-industrielle, Vion-Dury nous propose donc une triste farce.
Mais c’est plus général encore. Prétendre que l’écologie serait une vaste famille étendue composée de différentes sous-familles est plus que trompeur, c’est mensonger. Entre l’écologie [sic] d’un Cyril Dion et l’écologie de Jaime Semprun, il n’y a rien de commun. Assimiler l’écologie anti-industrielle ou technocritique à un courant parmi d’autres de la grande tribu des écologistes, c’est se fourvoyer totalement. Il y a plus d’affinités entre Cyril Dion et Marine Le Pen qu’entre nous et Cyril Dion. Cyril Dion et Marine Le Pen fantasment — et font tous deux miroiter — une civilisation techno-industrielle soutenable, ne s’opposent ni à l’État ni au capitalisme (sauf à parler de « capitalisme » pour désigner quelque chose comme « la finance », et encore, Marine Le Pen prétend aussi s’opposer à « la finance », donc, décidément, non). (C’est peut-être pour ça que Camille Étienne se dit prête à discuter avec Marine Le Pen tandis qu’elle rejette tout échange avec nous !)
Outre leur non-opposition à toutes les choses auxquelles nous nous opposons, ce qui caractérise l’imposture écologique des Dion & Co, c’est l’absence d’objectif(s) clair(s) ou cohérent(s). La journaliste Anne-Sophie Novel, « spécialisée dans l’économie collaborative, l’écologie et l’innovation sociale » (contribuant à toutes sortes de médias comme France 2, Public Sénat, Ushuaia TV, Le Monde, etc.), nous en fournit une illustration frappante dans un texte récemment publié sur son blog (hébergé sur le site du Monde), intitulé « “Bourgeoise”, “anticapitaliste” ou “sans ennemi”, y aurait-il une bonne et une mauvaise façon de défendre l’écologie ? »
Bien entendu, elle répond par la négative ! Toutes les manières sont bonnes de défendre quelque chose qu’on ne définit pas !
Nombre d’imbéciles se réclamant de l’écologie s’offusquent à la moindre critique des imbécilités qu’ils défendent en accusant leurs critiques de s’adonner à « des procès en pureté militante ». L’idée, fausse, est toujours la même. Ce sophisme grossier, véritable mensonge éhonté, permet tranquillement de passer sous silence tout le contenu des critiques formulées. En bref : nous ne lirons pas vos critiques, puisque nous voulons tous la même chose, à quoi bon ?! Chacun peut s’y prendre comme il veut ! Ne nous jugez pas !
C’est ainsi qu’Anne-Sophie Novel accuse tous ceux qui osent émettre des critiques — aussi légères soient-elles (à l’image de celle de Mickael Correia du mouvement climat qui dénonce quelque « écologie sans ennemis » tout en ne pointant du doigt que quelques ennemis superficiels) — envers quiconque se réclame de l’écologie commet un péché de « recherche de pureté militante » débouchant sur de « regrettables querelles ».
En effet, « au sein des alliés d’une même cause », pourquoi se critiquer ?!
Nous savons tous, nous explique-t-elle, « que le problème est systémique », qu’il nous faut « changer la donne, collectivement », que l’« action individuelle ne permet pas de résoudre l’essentiel du problème » ! Nos géniaux amis de Carbone 4 le disent ! « Mais qui dit insuffisance ne dit pas inutilité : si chacun œuvre de son côté au point de remplir 25% de l’objectif, un quart du chemin est déjà effectué » ! La seule question est donc « comment changer plus largement le système ? » En effet, nous avons « besoin de convaincre de la nécessité de changer le système pour aller vers plus d’écologie ».
Car en fin de compte, nous sommes toutes et tous « des militants qui agissent pour défendre un mode de vie plus écologique, soustrait des effets néfastes issus des logiques néolibérales », des « citoyens juste désireux de vivre mieux ». Et « s’il est bien normal que l’écologie des petits gestes casse les pieds à force d’éternels petits pas, il est faux de croire l’action individuelle est bien loin de mener nulle part : elle n’est qu’une première étape, bien souvent, pour faire tout le nécessaire. »
Alors : « Gardons le cap, les ami.es ! »
Vous l’aurez peut-être remarqué : le problème n’est presque jamais défini. « Le problème est systémique » ? Mais encore ? « Changer la donne » ? Quelle donne ? La changer comment ? L’« action individuelle ne permet pas de résoudre l’essentiel du problème » ? Quel problème ?
La confusion et la malhonnêteté d’un tel propos (d’une telle langue de bois) devraient être flagrantes. Anne-Sophie Novel évacue totalement nos critiques (elle propose un lien hypertexte vers un de mes articles dans le sien mais ne dit absolument rien de son contenu). Sans rappeler ou mentionner nos aspirations, elle part du principe que nous sommes tous « des alliés d’une même cause ». Sans jamais définir cette « cause ». Ou avec des formules totalement creuses comme « vivre mieux » ou « défendre un mode de vie plus écologique », si bien que la cause d’Anne-Sophie Novel s’avère aussi celle d’Éric Zemmour ou de Marine Le Pen. Tout le monde propose de « vivre mieux », personne ne propose de « vivre moins bien ».
Pour être plus précis, il y a bien un moment, dans son texte, où Anne-Sophie Novel mentionne indirectement son objectif, son aspiration à elle, c’est-à-dire celui de l’écologie telle qu’elle la conçoit : lorsqu’elle écrit que « si chacun œuvre de son côté au point de remplir 25% de l’objectif, un quart du chemin est déjà effectué ». Ramener les émissions de carbone de la France à ce que réclame « l’Accord de Paris », faire respecter l’accord de Paris, voilà donc l’objectif d’Anne-Sophie Novel !
Incidemment, cet objectif est aussi celui de Macron ou de Marine Le Pen, laquelle déplorait, en 2017, la sortie des USA de l’accord de Paris. Mais il n’est pas le nôtre. Si Anne-Sophie Novel avait un minimum d’intégrité ou d’honnêteté intellectuelle, elle l’admettrait. Confusion donc, et malhonnêteté. Caractéristiques communes des technologistes.
Schématiquement, tandis que les anti-industriels (ou naturiens, luddites, primitivistes, technocritiques, etc.) aspirent au démantèlement complet de la civilisation industrielle, à la désindustrialisation, la détechnologisation du monde, à l’abolition de l’État et du capitalisme, les technologistes comme Anne-Sophie Novel, Cyril Dion, Gaël Giraud, Isabelle Delannoy, etc., aspirent simplement à faire respecter l’Accord de Paris, à ramener les émissions de gaz à effet de serre de la civilisation à un niveau jugé acceptable en vue de lui permettre de se perpétuer le plus longtemps possible (autrement dit, ayant réduit l’écologie à une question de quantité de carbone atmosphérique, ils encouragent la continuation de la destruction du monde et de l’exploitation des humains par les grands systèmes de domination impersonnelle).
Nicolas Casaux
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Celles et ceux qui ne nous connaissent pas bien, qui ne saisissent pas bien ce qui nous différencie d’eux peuvent consulter un texte que j’ai récemment publié sur Le Partage, intitulé « Leur écologie et la nôtre » (en écho au texte du même nom publié par André Gorz en 1974) :
Leur écologie et la nôtre : technologistes contre naturiens (par Nicolas Casaux)
Source: Lire l'article complet de Le Partage