Droit de la famille : Bien des voix risquent de ne pas se faire entendre

Droit de la famille : Bien des voix risquent de ne pas se faire entendre

Par Alana Cattapan, Vanessa Gruben, Stefanie Carsley et Angela Cameron

Le mois dernier, le gouvernement du Québec a présenté le projet de loi 2, qui vise à réformer en profondeur le droit de la famille dans la province. Ce projet de loi contient plus de 300 articles qui réinventent le droit en matière de filiation, réglementent les arrangements de la gestation pour autrui et cherchent à conférer aux enfants adoptés et ceux nés de dons de sperme et d’ovules le droit de connaître leurs origines génétiques. Il présente également de nouvelles règles – vivement critiquées – limitant le droit des personnes trans et non binaires de modifier leur mention et leurs marqueurs de genre dans leurs pièces d’identité.

Pourtant, en dépit de sa portée et de ses répercussions potentielles, on tente de faire adopter ce projet de loi 2 à un rythme alarmant. Il semble que le ministre de la Justice cherche à le promulguer d’ici la fin de l’année, quelques semaines seulement après son dépôt. Cette approche précipitée ne permet pas aux parties intéressées de l’étudier en profondeur, ni au gouvernement de véritablement prendre en considération la rétroaction ou de chercher à obtenir d’autres commentaires au besoin, et de proposer des modifications de fond.

La consultation publique fait partie intégrante de tout processus législatif qui peut toucher profondément la vie des gens. Elle est essentielle pour veiller à ce que les personnes les plus affectées par une question que la loi vise à régler aient la possibilité de s’exprimer sur la meilleure façon de la traiter. Le processus devrait comporter une mobilisation à plusieurs étapes, soit avant et pendant l’étude du projet de loi, afin de s’assurer que ce dernier répond le mieux possible aux besoins des personnes concernées et de la population en général.

La mobilisation du public de manière significative comporte également un aspect éducatif. Il est important pour les législateurs de préciser leur intention et de formuler le processus à l’aide d’une mesure législative de sorte que les personnes touchées puissent comprendre l’objectif du projet de loi pour proposer des moyens plus efficaces ou utiles d’aborder la question.

Certaines consultations sont en cours au sujet du projet de loi 2. Quelques personnes et quelques groupes comparaissent devant un comité parlementaire d’ici le 2 décembre et les membres du public peuvent remplir un formulaire de consultation en ligne, mais il n’y a eu aucune sensibilisation du public, aucune transparence au sujet des consultations et aucune consultation sérieuse avant la rédaction.

En raison de cet échéancier très serré et de la nature limitée des consultations, seuls les groupes et les personnes en mesure de tout abandonner pour étudier un projet de loi complexe de plus de 100 pages et de rédiger des commentaires en un rien de temps peuvent participer. Ceux qui disposent de moins de temps et de moins de ressources ne pourront pas participer et se faire entendre.

En dépit de ces préoccupations, il existe une raison importante de faire adopter sans retard une version modifiée du projet de loi 2 par l’Assemblée nationale. Ce projet de loi cherche en effet à donner suite à une décision de la Cour supérieure du Québec datant de février dernier et soutenant que plusieurs dispositions du Code civil du Québec portent atteinte à la dignité et aux droits à l’égalité des personnes trans et non binaires du Québec. La Cour a donné à la province jusqu’au 31 décembre 2021 pour modifier les dispositions en question.

D’une part, la réponse initiale du projet de loi 2 à cette ordonnance de la Cour a été vivement critiquée en raison de ses répercussions négatives sur les droits des personnes trans et non binaires. Cela qui met en évidence le fait que le gouvernement n’a pas consulté la communauté LGBTQ+ comme il se doit avant de présenter ce projet de loi qui les concerne. D’autre part, on ignore pourquoi le gouvernement a décidé d’inclure ces modifications proposées à un projet de loi portant principalement sur le droit de la famille.

Le gouvernement pourrait diviser le projet de loi 2 en deux projets de loi: l’un sur le droit de la famille et l’autre sur les droits des personnes trans et non binaires. Cela lui permettrait de réagir rapidement à l’ordonnance de la Cour et de modifier les dispositions proposées actuelles en vue de mieux appuyer les droits de ces personnes, ainsi que de mener de plus longues consultations et de faciliter un débat sur les réformes tant attendues du droit de la famille.

Le droit de la famille doit être réformé pour refléter les changements qui se produisent dans les familles québécoises. Mais ces changements doivent être faits de manière réfléchie et avec des consultations avec les personnes touchées pour qu’ils véritablement répondent aux besoins des familles québécoises.

Alana Cattapan est professeure adjointe de sciences politiques et titulaire de la Chaire de recherche du Canada en politique de la reproduction à l’Université de Waterloo. 

Vanessa Gruben et Angela Cameron sont professeures agrégées et Stefanie Carsley est professeure adjointe à la Faculté de droit de l’Université d’Ottawa. Elles sont toutes membres du Centre de droit, politique et éthique de la santé de l’Université d’Ottawa.

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