Julien Wosnitza (« diplômé en finance et ancien banquier en alternance », « entrepreneur écologique », auteur d’un assez mauvais livre intitulé Pourquoi tout va s’effondrer ?, mélange d’effondrologie et de promotion d’un altercapitalisme technologique durable, militant écologiste, etc.) n’aime pas qu’on s’en prenne à ses amis, à ses collègues. Ma dernière note sur Dion ne lui a donc, évidemment, pas plu. Le motif qu’il a alors trouvé pour me dénigrer, c’est qu’il n’est pas sympa de critiquer les gens « qui tentent de se bouger comme ils peuvent avec les contraintes actuelles ». Comprenez : Dion fait quelque chose. Faire quelque chose, c’est déjà ça. C’est déjà bien. Critiquer ceux qui font quelque chose, c’est nul. À ce titre, il ne faut pas non plus critiquer Macron, Biden ou Xi Jinping. Ils font ce qu’ils « peuvent » dans le cadre des « contraintes actuelles ». Lumineuse logique (qui permet, confortablement, de passer sous silence les mensonges, les contradictions, l’opportunisme, les exactions, etc., de n’importe qui, d’occulter n’importe quoi).
Mais passons, l’absurdité de sa remarque est suffisamment évidente. Non, l’amusant, c’est que Julien Wosnitza, effondrologue fan des Jeux Olympiques, qui avait voulu démarcher Coca-Cola afin d’obtenir des sous pour dépolluer les océans, qui prédisait l’effondrement imminent de la civilisation au début de la crise du covid, qui espérait que Macron lui confierait le ministère de l’écologie, a été racheté par l’empire du macroniste Jean-Marc Borrello, et chaleureusement félicité pour ça.
Explication. Wosnitza était endetté, s’était fait arnaquer en tentant de faire réparer le voilier qui sert de base à son projet, à son association, Wings of the Ocean [Les ailes de l’océan], laquelle vise à promouvoir la dépollution, à « sensibiliser » les gens « sur les conséquences des déchets », promouvoir le « zéro déchet », a pour marraine Marion Cotillard (entre autres), et compte parmi ses membres d’honneurs un certain Maxime de Rostolan. Bref, un beau projet d’écologie citoyenniste (nettoyer la merde du capitalisme tout en promouvant son (impossible) verdissement, et faire passer tout ça pour une sorte de solution).
Fort heureusement, Wosnitza fait partie du petit cercle d’écologistes qui occupent — auxquels on fournit — une partie de la scène médiatique consacrée au sujet en France. Or, dans cette coterie figure aussi ledit Maxime de Rostolan (alias le « révolutionnaire du légume », ainsi que l’a surnommé Le Point), qui connait du monde en haut lieu, traîne où il faut, a su se faire bien voir d’une partie des riches et des puissants, possède les contacts adéquats dans la Macronie, et l’a alors mis en relation avec le « groupe SOS » de Jean-Marc Borrello.
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Petit aparté. De Rostolan est un des meilleurs représentants de ce cénacle d’écologistes plus ou moins proches du pouvoir, amis des entreprises et des gouvernants, promouvant un impossible et indésirable verdissement de la société industrielle capitaliste. Il siège par exemple comme conseiller au « comité de transition alimentaire du groupe Carrefour ». Il était à l’initiative du festival L’An Zéro, qui devait être sponsorisé par toutes sortes de multinationales et d’entreprises (quelques mots-clés figurant sur la plaquette de promotion du festival : « villes résilientes et circulaires, matériaux innovants et architecture bas carbone, rénovation et efficacité énergétiques, […] voiture et bus électrique, hybrides, au gaz naturel, à hydrogène, […] énergies renouvelables, […] développer le bien-être au travail, […] éco-conception, écologie industrielle et territoriale, […] Numérique : le digital au service des Transitions, start-up à impact positif, […] alignement cœur-corps-esprit de chaque être humain pour un basculement collectif favorable, […] des temps de silence et de méditation, propices à la reconnexion avec soi-même, […] des conférences sur la spiritualité… »). Etc[1]. Aux côtés de Pablo Servigne, Gaël Giraud, Valérie Cabanes et d’autres, il a récemment rendu visite à son altesse papale. De farouches révolutionnaires.
Au passage, on notera que les membres de ce cénacle promeuvent des théories qui se contredisent les unes les autres, et sont parfois intrinsèquement contradictoires. Servigne prédit un effondrement à venir, garanti, pour environ 2030, mais parfois affirme que cet effondrement n’est pas sûr, que nous pourrions l’éviter et parvenir à constituer une civilisation industrielle écologique (et démocratique, enfin, parfois, ce point n’est pas toujours présent dans leurs discussions). De Rostolan, lui, promeut le verdissement du capitalisme industriel. Dion aussi (tout en se disant anticapitaliste). Wosnitza défend à la fois l’idée d’un effondrement inéluctable de la civilisation et la possibilité de son verdissement. En somme, un beau tissu de confusions et de contradictions — du grand n’importe quoi.
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Mais revenons-en à Wosnitza et son fameux trois mâts. Ainsi qu’il l’explique lui-même dans une publication : « Le groupe SOS gère une petite centaine d’associations dans environ 600 établissements à travers la France. Ils gèrent des hôpitaux, des Ephad, des chantiers de réinsertion professionnelle, une brasserie Bio, les Brigades Nature, des programmes d’aide alimentaire, etc… Bref, un groupe associatif dans l’humain, le social et la transition écologique. Mais surtout avec une vraie puissance financière puisque le groupe réalise un chiffre d’affaires de 1,2 milliards d’euros et emploie plus de 21.500 salariés ! »
Dis comme ça, pour peu qu’on ne soit pas trop au fait de ce qu’est le capitalisme, on adhèrerait presque.
Le groupe SOS de Borrello s’est donc proposé de racheter l’association de Wosnitza et son voilier. Et Wosnitza a joyeusement accepté ! S’en est publiquement vanté, etc.
Un groupe qui pèse plus d’un milliard d’euros, cela devrait mettre la puce à l’oreille.
En réalité, Jean-Marc Borrello, ex-gérant du Palace, une célèbre boite de nuit parisienne, « ancien chef de cabinet sous Fabius, condamné en 1999 à six mois de prison avec sursis pour “avoir facilité l’usage illicite de stupéfiants en laissant se dérouler et prospérer dans les établissements dont ils avaient la responsabilité […] un trafic de stupéfiants constitué par une revente et une consommation visibles et notoires d’ecstasy” », « pilier de la macronie » (Libération), délégué général adjoint de la République en marche (LREM), ex-professeur d’Emmanuel Macron à Sciences Po, « accusé de harcèlement et d’agressions sexuelles dans son entreprise » (Libération), impliqué dans une sinistre affaire de pédophilie, a tout de l’escroc et du mafieux. Et son « groupe SOS » ne semble pas valoir beaucoup mieux.
Dans un récent article intitulé « SOS ! L’esprit du capitalisme infiltre l’associatif », l’Union syndicale Solidaires dénonce « l’irruption d’une gestion managériale néolibérale dans des secteurs d’activité qui en étaient, jusqu’à récemment, relativement, préservés ». Dans un récent livre intitulé Souffrance en milieu engagé, la journaliste Pascale-Dominique Russo dénonce les conditions de travail chez Emmaüs, France Terre d’asile, la Macif ou encore… au sein du groupe SOS. Dans leur livre Le Président des ultra-riches, Michel Pinçon et Monique Pinçon-Charlot souligne comment l’important « patrimoine immobilier » du groupe SOS « provient d’abondantes subventions et exemptions fiscales des associations » qui l’intègrent. « Les associations retenues pour intégrer le groupe doivent en effet apporter leur patrimoine immobilier dans la corbeille de mariage. Le patrimoine de SOS se diversifie avec des hôpitaux et des biens de luxe comme le Pavillon Élysée, un lieu de réception très huppé au bas des Champs-Élysées. La richesse de cette entreprise dite sociale et solidaire provient également de la réduction du coût du travail avec le recours au statut d’autoentrepreneur ou une gestion déshumanisée de la main‑d’œuvre avec pour seuls contacts les courriels et une plateforme numérique. »
Dans un article publié fin 2018 sur le site des technofurieux d’Usbek & Rica, un des collaborateurs réguliers du magazine, Vincent Edin, revenait sur un papier publié dans le journal Le Monde à propos du groupe SOS :
« Et puis, il y a l’éléphant dans la pièce comme disent les anglo-saxons : le groupe SOS. Cette figure de proue de l’ESS ne donne pas le la en matière de vertu pour employer une litote. L’enquête parue cette semaine dans Le Monde est accablante. Trésor de guerre de 500 millions d’euros servant principalement à acheter des cadres méritants (Guy Sebbah, Nicolas Froissard et quelques autres) avec des appartements parisiens à la moitié du prix du marché… Absence de contrôle démocratique, pression d’un management insultant, harcelant, tentative d’intimidation et de censure des partenaires, étranglement des prestataires par des directeurs des achats chargés de faire du cost killing ; toutes ces méthodes de malfrats, dignes des moins éthiques des groupes du CAC 40, sont celles du groupe SOS. Sans compter les élans libidineux mal contrôlés du fondateur, Jean-Marc Borello, le “Tapie du social” aurait-il en plus de cela quelques ressemblances avec DSK ? Au concours de vertu, l’ESS n’est pas assuré du podium, loin s’en faut. »
On pourrait continuer (voir l’article publié en 2018 sur le site d’Alternatives Économiques, intitulé « Groupe SOS : les médias commencent à regarder derrière la belle vitrine » et le texte de Clément Gérome publié en 2015 dans la revue Mouvements, intitulé « Les entrepreneurs sociaux à l’assaut du monde associatif », dans lequel il conclut : « N’y a‑t-il pas ici une contradiction insoluble qui laisse à penser que les entrepreneurs sociaux sont les “idiots utiles” des grandes entreprises capitalistes soucieuses de redorer leur image ? »). Les méthodes et la nature du groupe commencent à être connues et exposées.
Comme on pouvait s’y attendre — il faut être particulièrement naïf pour penser qu’un gigantesque groupe pesant plus d’un milliard d’euros et investissant dans tout peut être une merveilleuse entreprise, un modèle de vertu sociale et d’écologie ; il faut être particulièrement ignorant de ce qu’est le capitalisme pour penser qu’une entreprise ou un groupe, associatif ou non, pourrait constituer un idéal de probité sociale et écologique —, c’est consternant. Le capitalisme reste évidemment le capitalisme.
Alors, moi aussi je voudrais le féliciter. Bravo Julien ! Tu brasses des sous, tu montes des projets, tu stimules un secteur du capitalisme industriel, celui de la dépollution — il y a de l’argent à y faire, des choses à y « développer », assurément, c’est un secteur qui ne peut qu’avoir le vent en poupe ! Tu fricotes avec des gens géniaux. Tes amis et toi, vous êtes l’avant-garde du nouveau monde écologique et humain à venir, du « capitalisme d’intérêt général » que promeut ton patron, le macroniste Jean-Marc Borrello (et ça fait rêver). Si vous ne vous bougiez pas, si vous ne faisiez pas tout ce que vous faites, comme vous pouvez, en tout cas, « avec les contraintes actuelles », on se demande bien comment la planète ferait pour s’en sortir.
Heureusement, vous êtes là. Alléluia.
(Je suis effectivement une sorte de parasite, mon cher Julien, ou, plutôt, un empêcheur de tourner en rond, dans la mesure où je m’efforce d’exposer les mensonges des gens en ton genre, d’exposer la démagogie, la bêtise, la malhonnêteté de tes copains écolos, et la tienne, la nuisance que vous représentez, en réalité, pour le mouvement écologiste, le vrai, celui qui est né avec des gens comme Bernard Charbonneau et Jacques Ellul en France, et que vous déshonorez continuellement).
Nicolas Casaux
- Au sujet de Rostolan, voir aussi : https://josephinekalache.wordpress.com/2018/01/03/maxime-de-rostolan-lentrepreneur-vert/ et https://lundi.am/Permaculture-et-Microferme-maraichere-une-alternative-agricole-entre-mythe-et ↑
Source: Lire l'article complet de Le Partage