Pourquoi nous, non-vaccinés et « complotistes », sommes pris pour des fous par nos amis, notre famille, et beaucoup d’autres

Pourquoi nous, non-vaccinés et « complotistes », sommes pris pour des fous par nos amis, notre famille, et beaucoup d’autres

Si vous avez refusé la vaccination et adopté une position contestataire dans la crise COVID, il est probable que nombre de vos amis, votre famille, vos collègues se font du souci pour vous, pensent que vous êtes tombé dans la délusion et tentent, par des moyens maladroits mais sincères, de vous repêcher, de vous ramener dans le monde réel. Ou bien ils ignorent tout simplement vos propos, pensent qu’il inutile, voire dangereux, de leur donner du crédit, et parfois coupent tout lien avec vous. Dans cet article, je tente d’expliquer les causes de cette opprobre, discrédit, ou déni, et partage quelques réflexions sur comment faire face à cette situation et en sortir, afin d’éviter cette division sociale qui réussit à pénétrer jusqu’à l’intérieur des familles.

Source de l’illustration : http://dessinsmisslilou.over-blog.com/search/COVID/

Si vous avez refusé la vaccination et adopté une position contestataire dans la crise COVID, affirmant que (1) des traitements efficaces existent (traitements précoces ambulatoires ou TAP), (2) les autorités empêchent les médecins de les prescrire, (3) ce refus des TAP augmente la létalité de l’épidémie, (4) les vaccins causent de nombreux décès et effets secondaires graves, (5) l’acquisition de l’immunité naturelle devrait être préférée à la vaccination au moins pour les personnes jeunes et en bonne santé, (6) il est insensé de forcer des gens qui ont déjà acquis l’immunité naturelle à se faire vacciner, (7) les chiffres sur la mortalité COVID ont été amplifiés tandis que ceux sur les accidents et décès vaccinaux sont minimisés, (8) le confinement généralisé et le port du masque à l’extérieur ou par les enfants sont inutiles ou causent plus de coûts que de bénéfices, et (9) l’ignorance de ces faits ne peut s’expliquer que par la malversation, c’est à dire, au mieux, par la corruption de notre système de santé par les intérêt financiers de l’industrie pharmaceutique, au pire, par un complot mondial orchestré par une élite malveillante et agissant de manière occulte pour augmenter et pérenniser son pouvoir ; si, donc, vous êtes d’accord avec toutes ou certaines des affirmations ci-dessus, alors il y a de fortes chances que vos amis, votre famille, vos collègues, et l’opinion publique en général, pensent que vous êtes devenus fou, que vous vous êtes égaré, êtes dans une phase difficile de votre vie, habité par la frustration et le ressentiment, êtes tombé dans un « trou de lapin », comme Alice au pays des merveilles, et avez été séduit par des gourous, par un monde sous-terrain de contestataires dans lequel vous pourriez trouver une place que la société ne vous a jamais accordée. Bref, vos proches pensent sans doute que vous êtes tombé dans la délusion, se font du souci pour vous, et tentent, par des moyens maladroits mais sincères, de vous repêcher, de vous ramener dans le monde réel. Ils discréditent les gens qui vous ont inspiré et les réseaux sociaux dans lesquels vous avez navigués, invoquent l’objectivité d’une science que vous seriez en train de nier, et vous envoient articles de journaux et déclarations médiatisées d’une société « respectable  ». Ou bien ils ignorent tout simplement vos propos, pensant qu’il inutile, voire dangereux, de leur donner du crédit, et donc de vous répondre, allant parfois jusqu’à couper tout lien avec vous. Dans cet article, je tente d’expliquer les causes de cette opprobre, discrédit, ou déni, et partage quelques réflexions sur comment faire face à cette situation et en sortir, afin d’éviter une division sociale qui réussit à pénétrer jusqu’à l’intérieur des familles.

Tout d’abord, il faut se rendre compte que cette situation est tout à fait normale, prévisible et inévitable, du fait de l’immense effort de propagande déployé pour réfuter les 9 points cités ci-dessus, de la peur et l’anxiété instaurés par les médias et les spots publicitaires gouvernementaux, et de risques bien réels, qui ont conduit à la perte de proches dans de nombreuses familles. Il ne faut donc faire aucun reproche à ceux qui nous critiquent voire nous condamnent. Ils sont sincères, veulent notre bien, et leur virulence à notre encontre est proportionnelle à leur inquiétude vis-à-vis de notre santé, la leur et celle de leurs proches. Cela bien sûr ne s’applique pas aux gens qui orchestrent cette crise et cherchent à nous discréditer pour défendre leur agenda. Mais ceux-ci sont très peu nombreux, même parmi ceux qui prennent la parole publiquement contre nous. Pour les autres, c’est-à-dire tous ceux qui suivent le discours officiel en pensant qu’il se justifie du point de vue sanitaire, leur réaction à notre encontre est tout à fait prévisible et normale. Mais au-delà d’une explication par la peur et la propagande, thèmes abondamment discutés dans les réseaux sociaux, je tenterai de montrer que leur hostilité vis-à-vis des non vaccinés et des « complotistes » peut être expliquée par la théorie sociologique.[1] Une lecture de Pierre Bourdieu, notamment, peut nous aider à mieux comprendre ce qui se passe. Lire Bourdieu est quelque peu ardu et je tenterai donc d’expliquer quelques-uns de ses principes de base, en me basant notamment sur son livre « Anthropologie économique », qui est une transcription d’un de ses cours au Collège de France et est plus facile d’accès que le reste de ses écrits.

Selon Bourdieu, les humains ne sont généralement pas des êtres rationnels. Mais ce sont des êtres raisonnables. Cela signifie que les décisions que nous prenons dans notre vie, et les vues que nous adoptons, ne sont pas le résultat d’un calcul conscient. Nous sommes des « Homo sapiens », pas des « Homo calculus ». La pensée humaine ne saurait se réduire au calcul. Cela parait une évidence, car si face à chaque décision que nous prenons dans notre vie, nous devions mesurer tout ce qui est mesurable et faire un calcul savant débouchant sur la décision optimale, la vie serait tout simplement ingérable. Nous devons donc prendre des raccourcis et faire également appel à notre intuition. Mais malgré ces évidences, des économistes ont réussi à nous faire croire que la société est constituée d’individus qui prennent des décisions rationnelles sur un marché en calculant leur intérêt chaque fois qu’une opportunité d’échange existe. Afin de démonter ce modèle de l’économie orthodoxe, Bourdieu prend comme point de départ les sociétés traditionnelles, dans lesquelles les échanges marchands ont moins d’importance, et où l’on préfère échanger des cadeaux, c’est à dire faire des dons qui appellent un contre-don. Certes, celui qui donne est intéressé et attend quelque chose en échange, et on pourrait donc objecter qu’il y a là aussi calcul. Mais en fait, pour que cela fonctionne, le don doit réellement être un acte de générosité. L’intéressement existe mais est nié en même temps. Sinon, la personne qui reçoit le don ne voudra pas rendre par le contre-don, car pourquoi être généreux avec quelqu’un qui n’agit que de manière intéressée ?

Dans l’échange par le don et le contre-don, il y a donc formation d’empathie, par la négation de l’intéressement, qui existe mais qui n’est pas mis en avant ou est même explicitement nié dans les rituels ou cérémonies associés à ces échanges. Il y a expression de sentiments entre ceux qui échangent et cela interfère avec leurs calculs, quand ceux-ci existent. Il y a création de lien social et d’une forme de capital dont nous négligeons l’importance dans nos sociétés marchandes, bien qu’il y tienne toujours une place extrêmement importante. Il s’agit du « capital symbolique », qui est grosso-modo le prestige de la personne impliquée dans l’échange. C’est parce que le lien social doit produire du capital symbolique que les termes de l’échange ne peuvent pas être définis au préalable, ne peuvent prendre la forme d’un contrat marchand. Un tel contrat réduirait le lien social à sa plus simple expression. Il en enlèverait les sentiments, l’enchantement, le sacré, la beauté, et donc l’humanité. Il rendrait l’échange impersonnel et régi seulement par un système de normes externes : la loi sous-jacente au contrat. L’honneur de l’un et de l’autre, qui s’expriment dans la générosité associée à l’acte de donner, ne pourraient plus être impliqués dans l’échange, et ainsi il n’y aurait plus formation de capital symbolique, hormis celui acquis par les gains monétaires. Même les violations du contrat finiraient par être considérées en termes monétaires, du fait des amendes à payer, plutôt que comme des atteintes à l’honneur et au prestige.

Qu’est-ce que cela nous apprend concernant nos relations avec les personnes qui nous prennent pour des fous ? En fait, le modèle de Bourdieu s’applique à tous les actes de notre vie quotidienne, dans toutes nos relations sociales. Car les échanges non marchands ont bien entendu continué d’exister et de régir les liens sociaux dans les sociétés marchandes. Par exemple, ils dominent toujours dans la sphère familiale. Certes, il peut arriver qu’un enfant négocie un paiement pour effectuer une tâche ménagère, comme laver la voiture ou tondre le gazon, mais en général, on fait les choses pour faire plaisir et par devoir ; pour reconnaître l’autre, pour être bien vu de l’autre et recevoir son amour, et ainsi consolider le lien social et effectif. On ne calcule pas. On agit de manière instinctive et raisonnable, c’est à dire de la manière qui permettra d’optimiser une harmonie sociale fondée sur le respect et l’amour d’autrui, comme dans un système d’échanges fondé sur les dons et contre-dons. Et, point important pour notre débat, ces principes s’appliquent également aux échanges d’idées. Car chaque fois que nous adoptons une idée, nous créons un lien social avec les individus qui nous communiquent ou nous inspirent cette idée. Approuver l’idée d’untel équivaut à lui faire un cadeau car cela augmente son prestige ou capital symbolique. Et on se valorise nous même aux yeux de cette personne, ce qui peut la conduire à accepter une idée venant de notre part, comme si elle acceptait un contre-don. A l’inverse, lorsque l’on contredit les idées d’une personne, sans arriver à la convaincre, on risque de réduire notre capital symbolique aux yeux de cette personne et d’ébranler un lien social, et ce d’autant plus que les croyances profondes de la personne sont remises en cause.

Ainsi, qu’il s’agisse du monde des biens matériels, des services, ou des idées, nous naviguons dans ce que Bourdieu appelle un champ social, un espace dans lequel les échanges ne sont pas régis seulement par des calculs conscients et des contrats marchands. En dehors du cadre restreint des contrats marchands, ce qui est donné en échange est décidé après que l’on ait reçu, pas avant la transaction. Et l’échange n’est jamais clôt. Le contre-don attend un contre-contre-don et ainsi de suite, ce qui permet la structuration de la société et de ses divers champs. Il existe un grand nombre de champs parallèles et sous-champs emboîtés les uns dans les autres, dans lesquels nous évoluons en faisant et recevant des dons. Nous choisissons les champs dans lesquels nous sommes à l’aise mais sommes plus ou moins prédestinés à naviguer dans tel ou tel champ, selon notre naissance et l’environnement social que nous trouvons sur notre trajectoire de vie. Et quand nous devenons « complotistes », il est clair que nous pénétrons un nouveau champ social, et que cela risque de nous séparer irrémédiablement de nos proches, s’ils ne suivent pas le même chemin.

Dans le champ social que nous avons choisi, nous acquérons un certain nombre de dispositions qui nous permettent de progresser et qui constituent ce que Bourdieu appelle l’habitus. L’habitus est une sorte de sens du jeu qui nous permet de suivre les règles de notre champ. C’est lui qui nous permet de prendre des raccourcis et donc de ne pas faire des calculs compliqués, de ne pas dépendre de notre seule raison pour prendre des décisions. Il est lié à notre histoire, notre culture, nos croyances, et notre idéologie, qui sont des éléments partagés entre groupes de personnes ayant des habitus différents mais appartenant à la même société. Il nous permet de construire le capital symbolique nécessaire à notre succès, car ce capital, qui dépend de notre instruction, nos croyances, nos aptitudes particulières, la confiance que nous inspirons, notre autorité dans certains domaines, nos connaissances, notre générosité et empathie envers les autres, déterminera aussi notre succès économique. Progressivement, ce capital symbolique se consolidera, nous permettant de vivre en harmonie avec le groupe au sein duquel nous pouvons assurer notre succès.

Pour prendre un exemple relatif à la crise COVID et que j’ai traité dans un précédent article, si l’on fait des recherches sur les traitements COVID dans un champ social où se trouvent également les laboratoires pharmaceutiques, on augmente son capital symbolique lorsque l’on fait la promotion de solutions qui rapportent de l’argent à ces laboratoires, même si ces solutions ne marchent pas (cas du Remdesivir développé par la firme GILEAD). Mais si on conduit cette recherche dans un champ social qui nous met au contact des malades et où l’avis de ceux-ci et de leur proches a un poids, rien ne pourra accroitre plus fortement le capital symbolique que de mettre en œuvre des solutions qui guérissent ces patients (cas de l’azithromycine utilisée à l’IHU de Marseille). Et qu’importe si ces solutions ne rapportent rien aux laboratoires, qui seront fâchés mais ne pourront pas changer votre conclusion puisqu’ils sont “hors-champ”, et tenteront donc de détruire l’espace social auquel vous appartenez (en témoignent les attaques répétées contre le Professeur Didier Raoult, Directeur de l’IHU).

Ces exemples montrent que la cohérence des idées à l’intérieur du champ dans lequel nous choisissons d’évoluer n’a malheureusement pas pour corollaire la véracité de ces idées, même selon des critères déterminés par le champ. C’est-à-dire que tout n’est pas vrai à l’intérieur du champ, même du point de vue des gens qui y évoluent et en adoptent l’habitus. En plus de ne pas soigner les malades, le remdesivir aurait pu ne pas rapporter d’argent, et en plus de ne pas servir les intérêts de l’industrie pharmaceutique, l’azithromycine aurait pu ne pas guérir les malades du COVID. Et au-delà d’erreurs ponctuelles, il peut arriver qu’un décalage systémique se produise entre le comportement dicté par l’habitus, que l’on doit adopter pour évoluer dans le champ, et le comportement requis pour survivre (le comportement dit « rationnels », c’est-à-dire produisant les effets attendus). Quand cela se produit, un ajustement est nécessaire, ou le groupe social concerné s’effondrera. Ce décalage est ce que Bourdieu appelle l’effet Don Quichotte. Car si l’on est le dernier chevalier dans un monde sans chevalier, il faudra bien imaginer un adversaire qui n’existe pas, afin de continuer d’exister avec l’habitus de chevalier que l’on s’est constituée et de défendre le capital symbolique ou prestige qui lui est associé. Pour éviter de telles errances Don-Quichottiennes, il faudra avoir le courage de regarder à l’extérieur du champ et de s’éloigner des règles du jeu qui le régissent, afin de découvrir que les moulins à vent ne sont pas des chevaliers (contrairement à ce que croyait Don Quichotte) et qu’il ne sert donc plus à rien d’avoir un habitus de chevalier. A noter que ce mécanisme, que Bourdieu conceptualise à l’échelle du champ, peut également être envisagé à l’échelle de la société entière, auquel cas le décalage s’exprime au niveau de la culture, l’idéologie ou les croyances, plutôt que l’habitus de tel ou tel groupe. Cela pourrait expliquer l’effondrement de civilisations, qui pourraient donc se produire lorsque les ajustements cognitifs ne vont pas assez vite face aux changements de contexte en cours.

Le lecteur a peut-être deviné où je veux en venir. Dans notre société, nous sommes arrivés à ce point d’inflexion où l’habitus qui nous anime ne fonctionne plus. Et ce n’est pas seulement l’habitus d’un groupe social spécifique qui est en jeu. C’est une croyance commune fortement liée à notre identité et que l’on retrouve dans tous nos habitus ou presque. Il faut donc sortir du champ et construire un nouvel habitus, voire une nouvelle identité, ce qui est un exercice extrêmement douloureux, qui contrarie notre nature humaine puisque briser notre « sens du jeu » nuit a notre avancement dans la société, lorsqu’elle celle-ci n’est pas atteinte de dysfonctionnements. Il est donc normal que la plupart des individus ne puissent pas franchir le pas. Seuls ceux appartenant à des groupes dont l’habitus s’est déjà éloigné en partie des croyances communément partagées, qui n’ont pas exactement le même « ADN » social, le feront. C’est le cas par exemple des gens qui ont cessé de regarder la télévision depuis longtemps, ou qui ne lisent plus les grands journaux quotidiens.

Quel est donc cet aspect de notre habitus, cette croyance qu’il faut changer ? Une croyance importante, qui nous est commune à tous bien qu’elle soit en train de s’éroder, est l’idée que nos institutions sont là pour notre bien. Elle détermine notre confiance envers nos médias, dont l’histoire nous a montré qu’ils ont souvent œuvré pour nous informer, révéler des scandales, ou faire valoir nos droits. Et elle détermine notre confiance envers nos gouvernants, que nous critiquons car cette critique fait aussi partie des règles du jeu, mais qui selon nous agissent néanmoins pour notre bien, leur impact n’étant limité que par leurs manques de compétences, leurs erreurs idéologiques, ou quelques influences extérieures certes inquiétantes mais insuffisantes pour provoquer une corruption systémique.

Une autre croyance, liée à la première, est qu’il n’existe pas de pouvoir significatif au-dessus des états. Ceux-ci seraient les détenteurs ultimes du pouvoir, les acteurs des grandes décisions internationales. En contrôlant les armées et la police, ils auraient le monopole de l’usage légitime de la violence. Ainsi ils nous protègeraient, dès lors que leurs dirigeants seraient élus démocratiquement. Voilà les croyances fondamentales que nous, non-vaccinés et « complotistes », sommes en train de remettre en cause, tandis que « les autres » n’arrivent pas à franchir ce pas car cela serait très douloureux et détruirait le fondement sur lequel ils ont construit leur identité sociale et leur bien-être.

Comme dit au début de cet article, la résistance à cette remise en cause est dans l’ordre des choses. Il est dans la nature humaine de rester ancré dans un système de croyance acquis collectivement et sur la longue durée. C’est pourquoi les changements de paradigme en science, et l’émergence de nouvelles idées politiques, commencent toujours par rencontrer de fortes résistances, même si l’histoire prouve ensuite que ces changements représentent un avancement. Les systèmes de croyances sont au cœur des habitus des individus, au fondement de la culture, l’idéologie, et l’identité de chacun. Ils structurent ce que Michel Foucault a appelé le discours. Si les humains n’agissaient et ne s’organisaient pas autour d’une culture, d’une idéologie commune, de discours, s’ils ne structuraient pas l’espace social en le segmentant en champs ayant chacun leurs règles, et s’ils n’adoptaient pas un habitus en accord avec le champ dans lequel ils évoluent, aucune société ne pourrait se constituer. Chaque individu constituerait sa vision du monde indépendamment de celle des autres et il ne pourrait pas y avoir de règles communes et de cohésion sociale.

Le problème n’est donc pas que cette attitude de rejet, cette critique outrée qui conduit à notre discrédit, existe, car elle a une valeur adaptative. Nos adversaires ont raison dans le sens où si personne n’était comme eux, si tous les êtres humains agissaient comme des électrons libres, il n’y aurait pas de société. Le problème est que cette attitude, au-delà de sa fonction sociale essentielle, peut aussi être « maladaptive », quand elle est poussée à l’excès, quand elle ne laisse pas d’espace à la contestation. C’est pourquoi, dans toute société, il y a néanmoins des électrons libres, des gens qui regardent à l’extérieur de leur culture et de leur champ social, des gens qui sont moins enclins à adopter un habitus, intégrer des normes et croyances communes, et respecter les règles du jeu social. Quand la société fonctionne correctement, ces gens peuvent être source de désordre. Mais quand elle est en crise, ils peuvent être les germes d’un nouvel ordre. Si on ne leur permet pas d’exister, on entre dans un système totalitaire qui, en plus d’être irrespectueux des droits humains, constitue une absurdité épistémologique et une impasse sociologique, puisqu’un savoir total et vrai portant sur la société ne peut jamais être constitué ni servir de référent absolu.

Nous, non vaccinés et « complotistes », sommes donc ces gens qui se comportent comme des électrons libres et remettent en cause des croyances communes à presque toutes les sociétés occidentales. Car qu’est-ce qu’un complotiste, sinon une personne qui ne croit plus aux informations diffusées par les médias et qui remet en question la bienveillance et indépendance des gouvernements dits démocratiques ? Qu’est-ce qu’un non vacciné sinon une personne qui traduit en acte cette absence de confiance envers les décisions gouvernementales et leur validation par les médias, en se documentant par lui-même afin d’informer ses décisions ? Nous avons donc un rôle essentiel à jouer, mais nous devons le jouer dans une logique qui ne soit pas confrontationnelle. Nous devons reconnaître l’utilité sociale de ceux qui nous discréditent. Nous avons besoins d’eux car s’il n’y avait que des électrons libres, la société ne pourrait pas exister. Et nous ne pouvons reconstruire la société tout seuls et à partir de rien. C’est donc une logique de dialogue qui doit être mise en place, entre électrons libres et « atomes » toujours insérés dans le tissus social, si l’on veut changer la société tout en évitant le chaos.

L’instauration de ce dialogue sera extrêmement difficile, car lorsque l’on remet en question les croyances qui constituent le fondement de la société (telle la croyance que médias et gouvernements œuvrent pour notre bien), on rencontre forcément des résistances. Pour les éviter, les croyances ne doivent jamais être attaquées de front. Elles doivent être ébranlées à la marge. Cela peut se produire lorsque des faits entrant en contradiction avec ces croyances se déroulent sous nos yeux. A côté de la connaissance subjective que tout être humain intègre ou produit en tant que sujet, et qu’il exprime dans son habitus, sa culture, les rituels qu’il pratique,[2] à côté, donc, des connaissances que les humains expriment dans leurs actions et au sein d’un collectif, sans les questionner car elles les ont toujours guidés, il y a une autre forme de savoir, que l’on pourrait qualifier d’empirique, lié à nos observations quotidiennes, notre analyse critique, notre logique. C’est cette forme de savoir qu’il faudra mobiliser pour ébranler les croyances périmées, en étant prêt bien entendu à ébranler aussi nos propres croyances, si des faits empiriques révélés dans le dialogue les contredisaient.

Notre mode d’action pour résister, c’est donc de faire circuler des faits, de les faire passer sous les yeux de ceux qui n’ont pas encore basculé, qui sont toujours ancrés dans le champ social où ils ont toujours évolué, Nous devons augmenter la masse critique des faits empiriques entrant en contradiction avec leurs croyances et leurs réflexes de pensée liés à leur habitus, tout en étant prêt à considérer les faits qu’ils partageraient avec nous, bien entendu. Cela doit se faire sans confrontation. Un message informatif sans commentaire est plus effectif que le même message accompagné d’un commentaire personnalisé, car cette personnalisation ne manquerait pas de s’adresser à l’identité profonde de la personne, ce qui ne pourrait qu’enclencher un mécanisme de défense et donc le rejet. Je le sais parce que justement je me suis trompé et suis tombé dans le piège de cette confrontation avec mes proches. Il est difficile d’y résister, car il est naturel et instinctif, dans toute interaction humaine ou sociale, d’utiliser nos mots et nos idées avec un enrobage de subjectivité, de personnalisation. Nous n’envoyons pas seulement une idée dans la nature. Lorsque nous débattons avec un individu, nous savons qui il est et nous adressons à lui spécifiquement ; nous personnalisons l’échange, et ce d’autant plus que nous sommes proche de cette personne. Ainsi nous provoquons des réactions émotionnelles et de défense identitaire qui peuvent rendre impossible un débat basé sur les faits. Dans le cas qui nous intéresse, cette attitude doit absolument être évitée, car nous avons affaire à un échange d’idées entre deux personnes qui ne se situent pas dans le même cadre, à la confrontation de deux systèmes de croyances différents et profondément enracinés dans les individus impliqués dans l’échange. Il faut donc minimiser l’expression de croyances, ou tout au moins éviter de heurter les croyances de l’autre, et s’en tenir aux faits bruts, en laissant l’autre se les approprier à sa manière, ce qui lui permettra de faire évoluer ses croyances.

Parce que, en effet, les croyances sont destinées à disparaître et être remplacées par d’autres. Les habitus se constituent dans le temps historique, donc ils succèdent forcément à d’autres et d’autres leur succéderont. La culture, l’idéologie, les habitudes sociales, les normes, les systèmes de connaissance, sont des facteurs d’inertie face au changement, ce qui crée les situations Don-Quichottiesques déjà évoquées, mais ils changent néanmoins et le monde social change avec eux. Il faut donc faire confiance au temps. Il faut maximiser un phénomène de dérive cognitive, en jetant « dans la nature », c’est à dire à la vue de tous, du matériau empirique. Si ce matériau est juste, si les faits exposés sont vrais, alors ils s’imposeront, idée exprimée dans des adages tels « les faits sont têtus » ou « chassez le naturel et il revient au galop » ; à condition toutefois que nous soyons assez nombreux à les faire circuler. Et tout cela doit se faire en douceur, en évitant les frictions inutiles, personnalisées, entre système de croyances.

Certains ont plus à perdre que d’autres dans ce basculement de croyances et résisteront donc plus, même face à une accumulation infinie de faits empiriques, parce qu’ils ont une plus grande quantité de capital symbolique attachée à leur habitus et ne veulent pas perdre ce capital. En fait, c’est souvent le capital symbolique accumulé, plutôt que le caractère ou les capacités d’analyse des uns ou des autres, qui fait la différence entre ceux qui basculent et ceux qui résistent. Pour un individu déclassé, ou qui a peu accompli en termes d’accumulation de capital symbolique, c’est à dire n’a pas atteint une position élevée dans la société, n’a pas fait carrière, il n’y a rien à perdre à ne plus jouer selon les règles du jeu du champ. C’est pourquoi on trouve plus de gens ayant ce profil parmi les « complotistes », et c’est pourquoi on nous accuse d’être des gens biaisés par nos frustrations[3]. Une personne à la retraite aura également moins à perdre que les autres si elle bascule, et il n’est donc pas surprenant que l’on trouve beaucoup de médecins et scientifiques retraités, ou en fin de carrière, parmi ceux qui remettent en cause les politiques sanitaires, voire adoptent des positions complotistes. Pour les autres, il y a souvent trop à perdre, surtout quand la dissidence se paye par des sanctions venant de son ordre professionnel ou par une mise au ban par son employeur. Ces personnes auront donc tendance à ignorer ou contester les faits empiriques, et à invoquer leur capital symbolique, c’est-à-dire à utiliser l’argument d’autorité pour se justifier. Elles affirmeront que les institutions auxquelles elles se réfèrent pour valider leur position sont socialement reconnues, ce qui bien entendu n’aura pas d’effet sur nous puisque ces personnes ne feront là qu’exprimer leur croyance, alors que le point de départ de notre positionnement est le constat empirique que ces institutions mentent ou transmettent un message en désaccord avec la science.

En conclusion, les critiques parfois violentes que nous rencontrons, y compris de la part de nos proches, sont dans l’ordre des choses, car il est normal pour tout être humain de ne pas agir et penser rationnellement, c’est à dire de ne pas s’en tenir seulement à l’analyse objective des faits pour prendre des décisions et développer des convictions. Une vie guidée seulement par l’empirisme et l’objectivité serait vide de sens, ingérable, et ne serait pas le moyen le plus sûr de gravir des échelons ou maintenir sa position dans la société. Nul ne dispose de la capacité de calcul lui permettant de vivre guidé seulement par la raison et certaines choses, comme la sensibilité artistique ou l’amour, ne se calculent pas. Et rares sont ceux qui disposent de suffisamment de courage pour sacrifier leur position sociale au nom de la recherche objective de la vérité. Tous les êtres humains s’en remettent donc au collectif auquel ils appartiennent pour les guider, ce qui les force à accepter les règles du jeu du champs social créé par ce collectif. Nos proches, comme tous nos détracteurs, ne font rien d’autres que de se faire guider par les règles du jeu de leur collectif, ce qui est une attitude parfaitement légitime, et même adaptive, raisonnable, en temps normal. Ces règles incluent le respect des institutions que sont les gouvernements, dont l’histoire a montré qu’ils nous ont permis d’atteindre un confort de vie et une liberté politique probablement inégalés dans l’histoire humaine, et les médias, qui nous ont permis de nous instruire et d’exprimer des revendications. Et si nous avons été plus réceptifs face aux faits justifiant de sortir de ce collectif (les neuf points cités en introduction), c’est peut-être parce que nous n’y avions pas une position favorable de toute façon.

Nous, non vaccinés et « complotistes », remettons donc en question le système de croyance qui est à la base du contrat social passé avec nos gouvernants et nos médias. Nous devons garder en vue que cette sortie, tout comme la résistance à cette sortie, sont des mécanismes sociaux tout à fait normaux, et que nous ne sommes pas différents de nos détracteurs. Nous pouvons aussi nous tromper, et nous allons aussi créer un nouveau champ social et un nouvel habitus qui, s’il s’auto-caricature, nous sortira autant du réel que nos détracteurs. Cela pourrait arriver si nous devenions dogmatiques et incapable d’interpréter des faits sociaux autrement que par l’existence d’un complot, et si nous adoptions les théories complotistes les plus folles, celles qui ne sont pas étayées par des faits observés, comme le téléchargement d’esprits extra-terrestres dans notre âme par le graphène, ou la télécommande de nos émotions par la 5G, pour ne citer que quelques théories farfelues rencontrées dans les réseaux sociaux. Un nouveau système de croyance, c’est aussi une nouvelle mythologie. Toute mythologie a un ancrage partiel dans la réalité, mais cela ne signifie pas qu’elle soit vraie. L’intelligence extra-terrestre est une possibilité mais elle n’a jamais été observée et n’a jamais laissé de traces tangibles. La création d’interfaces entre neurones humains et systèmes électroniques, en utilisant des hydrogels et des molécules comme le graphène, est un sujet de recherche bien réel mais encore dans ses balbutiements, malgré les grands moyens investis dans la recherche pour le transhumanisme. Ainsi nous ne devons pas perdre de vue que des règles du jeu orientant nos pensées se développent aussi dans le champ social que nous sommes en train de créer, et que si nous n’y prenons garde, nous pourrions nous éloigner du réel aussi vite que nous nous en sommes approchés lorsque nous avons quitté le champ dans lequel nous évoluions précédemment. Ayant les mêmes structures cognitives que ceux qui nous discréditent, nous sommes disposés aux mêmes errements.

L’issue de tout cela ne peut donc être que le dialogue, le débat, l’échange, le don et contre don de savoir pour la constitution d’une société nouvelle à travers l’évolution douce de nos habitus. Si nous ne réussissons pas cela, les clivages augmenteront et avec eux les risques de chaos, conflit et violence sociale. Une telle situation est sans doute voulue par ceux qui orchestrent la crise et les transformations que nous sommes en train de vivre. Je me suis longtemps demandé pourquoi ils n’avaient pas mis au point une stratégie moins visible ; pourquoi les incohérences des politiques sanitaires mentionnées dans l’introduction ressemblent plus à des éléphants se promenant dans un salon qu’à des actions discrètes menées en coulisse. Ma réponse est qu’ils veulent des complotistes, car cela permettra de créer une division sociale empêchant le peuple de s’unifier contre ses nouveaux adversaires. Le complotisme, c’est l’épouvantail qui fait fuir ceux qui pourraient être tentés de sortir de leur champ social. C’est une étiquette qui nous assimile au gens qui croient que la terre est plate ou nient que l’homme est allé sur la lune, et qui légitimise aux yeux de beaucoup le fait de nous clouer au pilori. En adoptant une thèse complotiste, nous jetons le discrédit sur nous-même. Nous sommes associés à diverses formes de négationnisme, même si, ironiquement, le négationnisme est du côté de nos détracteurs, puisqu’ils nient la valeur du repositionnement de médicament, les succès obtenus par ceux qui utilisent les traitements précoces, les effets secondaires graves des vaccins, et la valeur de l’immunité naturelle. En étant complotiste, soit parce qu’on affirme qu’il y a complot (que l’agenda des politiques COVID n’est pas notre santé), soit parce que c’est ainsi que l’on est désigné, nous réduisons notre capital symbolique à zéro du point de vue de la grande majorité des gens. Là se trouve la cause de nos difficultés quand nous tentons d’instaurer un dialogue avec ceux qui continuent de faire confiance aux médias et gouvernements.

Chacun doit choisir sa stratégie face à cette situation. Certains ont pris le parti de faire tout leur possible pour éviter le qualificatif de complotiste. Ainsi ils gardent leurs distances face à tout ce qui va au-delà d’une interprétation de la crise par l’influence des lobbies, l’erreur humaine ou l’incompétence. D’autres, dont je fais partie, se réclament du complotisme, en affirmant qu’il y a un agenda conscient et caché, dans les politiques mises en œuvre face à la COVID, qui n’est pas sanitaire. Pour ma part, j’insiste sur la nécessité de distinguer un complotisme réaliste, qui refuse toute théorie non étayée par les faits, et un complotisme délirant ou paranoïaque, hystérie victimaire très bien décrite par Cynthia Fleury dans son ouvrage « Ci-gît l’amer  ». Le complotisme réaliste consiste tout simplement à mener son enquête face à un crime bien visible qui se déroule sous nos yeux, du refus de soigner les patients COVID au refus de reconnaitre les effets secondaires graves des vaccins. Il considère qu’un complot n’est au fond qu’un crime organisé, sujet d’étude tout à fait légitime, et que toutes les hypothèses permettant d’expliquer le crime sont légitimes, à condition de ne pas oublier qu’elles doivent être démontrées avant de justifier une condamnation. Je ne sais pas quel positionnement a plus de chance de mettre fin à cette crise mais j’espère que ces écrits aideront chacun à se positionner dans ce débat, pour une lutte plus efficace, et pour reformer un lien constructif avec nos proches lorsque nous discutons ces sujets graves.


[1] Il aurait également été possible d’aborder le sujet a partir de la psychologie sociale, en utilisant des notions comme le conformisme ou la dissonance cognitive, ou à partir de l’anthropologie cognitive, et notamment des travaux de Maurice Bloch et sa distinction entre connaissance banale («  mundane  »), liée à l’observation empirique des faits quotidiens, et connaissance exprimée dans les rituels, qui a un ancrage culturel plus profond et entretien des liens avec le sacré et le monde magique.

[2] Je parle ici des rituels au sens large. Les félicitations faites à une personne de notoriété, félicitations qui conduiront à prendre plus au sérieux ses mots que ceux de quelqu’un d’autre, sont des rituels.

[3] A l’autre extrême, certains ont pu accumuler un tel capital qu’ils n’ont pas besoin d’en acquérir plus et garderons un ancrage social satisfaisant quoi qu’il arrive. Ils peuvent donc aussi se jeter à l’eau et basculer vers des croyances nouvelles et non partagées.

Source : Agoravox

Source: Lire l'article complet de Profession Gendarme

À propos de l'auteur Profession Gendarme

L'Association Professionnelle Gendarmerie (APG) a pour objet l’expression, l’information et la défense des droits et intérêts matériels et moraux des personnels militaires de la gendarmerie et de toutes les Forces de l'ordre.Éditeur : Ronald Guillaumont

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Recommended For You