James Henry Hammond (1807–1864), avocat, homme politique et propriétaire de plantations de Caroline du Sud, gouverneur de Caroline du Sud de 1842 à 1844 et sénateur des États-Unis de 1857 à 1860, « Lettres du gouverneur Hammond sur l’esclavage dans le sud, adressées à l’abolitionniste anglais Thomas Clarkson » (1845) :
« Du point de vue économique — que je n’omettrai pas — l’esclavage présente quelques difficultés. En règle générale, il faut admettre, j’en conviens, que les travailleurs libres coûtent moins cher que les esclaves. C’est une erreur de supposer que notre main‑d’œuvre esclave n’est pas rémunérée. L’esclave lui-même doit être payé, son travail est donc acheté tout en une seule fois, et pour une somme non négligeable. Son prix a d’abord été payé en grande partie à vos compatriotes, et a contribué à l’édification de quelques-unes de ces colossales fortunes anglaises illustrées depuis par des lettres de noblesse, et de splendides édifices d’architecture, peints et cimentés, si vous me passez l’expression, avec le sang d’innocents kidnappés ; cependant, ils ne sont points porteurs de malédictions pires que celles que l’abolition et les fanatismes qui l’ont engendrée ont apportées sur votre pays — certaines d’entre elles accomplies, d’autres à venir. Mais outre le premier coût de l’esclave, il faut le nourrir et le vêtir ; bien le nourrir et bien le vêtir, si ce n’est par humanité, pour qu’il puisse faire un bon travail, conserver la santé et la vie, et élever une famille pour le remplacer. Lorsqu’il est vieux ou malade, il est une dépense évidente, de même que la partie impotente de sa famille. Aucune loi sur les pauvres ne subvient à ses besoins lorsqu’il est incapable de travailler, ou n’élève ses enfants pour notre service lorsque nous en avons besoin. Ce sont là de lourdes charges liées à la main‑d’œuvre esclave. C’est pourquoi, dans tous les pays où la densité de la population nous garantit avec la plus haute certitude que nous pouvons trouver de la main-d’œuvre à volonté, que le travailleur est contraint par la seule nécessité d’accepter de travailler pour une petite somme lui permettant de garder son âme et son corps ensemble, de porter des haillons sur son dos pendant qu’il travaille, et de dépendre, le reste du temps, de l’aumône ou des allocations réservées aux pauvres, dans tous ces pays, il est moins coûteux de payer cette somme que de vêtir, de nourrir, de soigner, d’entretenir pendant l’enfance et de pensionner dans la vieillesse une race d’esclaves. En effet, l’avantage est si grand qu’il compense rapidement la perte de la valeur de l’esclave. Et je n’hésite pas à affirmer que si je pouvais cultiver mes terres dans de telles conditions, je renoncerais sans mot dire à mes esclaves, à condition qu’on puisse en disposer convenablement. Mais la question est de savoir si le travail libre ou esclave est le plus avantageux pour nous dans ce pays à l’heure actuelle, dans la situation où nous sommes. Et la question est immédiatement tranchée par le fait que nous ne pouvons nous prévaloir d’aucun autre travail que celui des esclaves. Nous n’avons ni ne pouvons nous procurer d’autre main-d’œuvre dans quelque mesure que ce soit, ou à des conditions similaires à celles susmentionnées. Nous devons donc nous contenter de cette coûteuse force de travail, sous la réflexion consolante que ce qui est perdu pour nous est gagné pour l’humanité ; et que dans la mesure où notre esclave nous coûte plus que votre homme libre, il est d’autant mieux loti. Vous vous empresserez de dire : émancipez vos esclaves, et alors vous aurez de la main-d’œuvre gratuite à des conditions convenables. Cela pourrait être le cas s’il y avait cinq cents esclaves là où il n’y en a qu’un aujourd’hui, si notre continent, de l’Atlantique au Pacifique, était aussi densément peuplé que votre île. Mais en attendant que tel soit le cas, aucune main-d’œuvre ne saurait être obtenue, en Amérique, aux conditions dont vous bénéficiez. »
D’où cette remarque de Tolstoï (L’Esclavage de notre temps, 1900) :
« L’abolition du servage et l’affranchissement des noirs marquèrent seulement la disparition d’une ancienne forme vieillie et inutile de l’esclavage, et l’avènement immédiat d’une forme nouvelle plus solide, plus générale et plus oppressive. »
Ou ce mot du baron de Bessner, alors administrateur de Cayenne (1768) :
« Des travailleurs libres, mieux entretenus et mieux traités que des esclaves, seraient plus dispos, plus vigoureux. Ils joindraient à la force mécanique l’intelligence et la bonne volonté qui manquent à la plupart des esclaves. »
Ou ce commentaire d’Adam Smith (La Richesse des nations, 1776) :
« L’expérience de toutes les époques et de toutes les nations montre donc, me semble-t-il, que l’ouvrage fait par des hommes libres revient en définitive moins cher que celui exécuté par des esclaves. »
La logique est élémentaire. Derrick Jensen note (dans son excellent livre intitulé The Culture of Make Believe, soit « La société du faux-semblant », paru en 2002) :
« Mais si l’esclavage est si peu rentable (et de récentes études suggèrent que l’esclavage n’était, effectivement, pas si rentable que cela, avec un taux de rendement annuel moyen d’environ 5 % par esclave), pourquoi, alors, posséder des esclaves ? Il s’avère que, du point de vue de la production, la possession d’esclaves est un choix rationnel lorsqu’il se trouve beaucoup de terres et peu de gens pour les travailler. Lorsque la terre se fait plus rare et les individus plus nombreux (on parle de “main-d’œuvre excédentaire »), le producteur a tout intérêt à ne pas posséder d’esclaves et à se décharger ainsi de la responsabilité de leur entretien. Voici la logique. L’accès à la terre permet l’autosuffisance. La terre permet de manger, de se vêtir et de se loger. Si quelqu’un (ou une communauté) a accès à la terre et aux compétences requises (que presque tout le monde possédait durant toute l’histoire de l’existence humaine, jusqu’à récemment), il n’y a aucune raison pour que cette personne (ou les membres de cette communauté) vende son travail à un autre. »
La privatisation (l’accaparement) antidémocratique de la terre, par des organisations ou des particuliers n’ayant jamais eu la moindre légitimité pour ce faire, est une (voire, la) condition essentielle de l’asservissement et de l’exploitation des êtres humains par d’autres. Avec, bien sûr, la capacité d’imposer et de faire respecter cette privatisation, cet accaparement, au moyen de la violence (d’où les forces de l’ordre, les polices). Aujourd’hui comme hier, si nous sommes tous contraints de nous vendre sur le prétendu « marché » du travail, c’est parce que nous n’avons aucun moyen d’avoir accès à la terre. Dans diverses régions du monde, nombre d’esclaves ont d’ailleurs réalisé, lors de l’abolition de l’esclavage, qu’ils n’avaient d’autre choix, ne possédant aucune terre et aucun moyen d’en acquérir, que de vendre leur « force de travail » à leur ancien « maître » (devenu « patron »). Cependant, désormais, propagande institutionnelle aidant (endoctrinement scolaire, médiatique, etc.), les esclaves modernes (« hommes libres ») se croient « libres » pour la seule raison qu’on leur assure qu’ils le sont — cela dit, beaucoup ont conscience de ne pas l’être vraiment.
Nicolas Casaux
Source: Lire l'article complet de Le Partage