- Par Jean Romain
Brassens incarnait une génération d’auteurs disparue, dont chaque grande chanson était comme un petit roman mis en musique. A se repasser en boucle dans le désert musical du XXIe siècle.
Qui dira la misère de la chanson française actuelle? Branchez-vous une heure sur une radio et vous comprendrez la douleur de tous ceux qui aiment la bonne, la vraie, la grande chanson française. Il faut patienter longtemps pour entendre une de ces chansons tant le petit cercle de ceux qui chantent de manière sensée est cerné par les chansonnettes d’une stupidité alarmante.
Il faut reconnaître que la chanson de la génération des années soixante et septante n’était pas meilleure, peut-être même était-elle pire, mais, chose curieuse, à côté des basses sources, il y avait de grandes eaux. Où sont passés les Brel, les Brassens, les Ferré, les Barbara, les Reggiani, les Montand, les Mouloudji, quelques autres encore, ce petit groupe qui avait porté la chanson française vers les sommets parce qu’il n’entendait pas chanter pour tout le monde mais seulement pour ceux qui aiment la littérature, pour ceux qui valorisent une dimension d’intériorité et n’entendent pas partout et en tout temps s’«éclater»? Le texte était central; il surprend dans la stupidité antilittéraire de notre temps.
Prenez n’importe quelle grande chanson d’un de ces auteurs, elle est organisée comme un petit roman mis en musique, une histoire s’y développe avec un début, une chute: Ces gens-là, Le Grand Pan, La mort, Nantes, Les loups, Les feuilles mortes.
Brassens avait créé son petit univers. Après des années de galère, il avait su capter un public en accord avec sa voix, ses rythmes, ses mots. Modeste et retenu dans sa vie, il célébrait dans ses chansons le monde des poètes, cru parfois, tendre souvent, toujours intelligent. Ses mélodies sont variées, il faut les écouter attentivement. Au service des paroles, elles flirtent avec des univers subtils.
Georges Brassens est enterré au cimetière de Sète. Je suis allé sur cette tombe dans sa ville natale pour y «faire d’affectueuses révérences». Il a accompagné tant d’amateurs de poésie, tant d’amoureux de la langue française, d’individualistes mi-anarchistes mi-provocateurs! Il fut un poète un brin blasphémateur aussi (mais là où n’y a pas de croyance, il n’y a pas de blasphème) qu’il serait injuste de ne pas le saluer. Je ne suis pas un inconditionnel du monde dans lequel nous vivons, mais j’étais heureux d’habiter un monde où Georges Brassens était vivant. Il l’est encore à travers son œuvre.
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