Poutine danse avec le dollar

Poutine danse avec le dollar

Poutine danse avec le dollar

• Le président russe donne une interview où il dit tout le mal qu’il pense du comportement américanistes vis-à-vis du dollar. • C’est moins pour s’en plaindre que pour avertir la direction US qui, bien entendu, ne tient aucun compte ni même n’écoute ce genre de propos, assuré qu’elle est de sa justesse de comportement et de la jalousie et de l’incompréhension russes. • Cela dit, Poutine dit ceci : Les USA « scient la branche sur laquelle ils sont assis en sapant la domination du dollar en tant que monnaie de réserve mondiale » à cause d’une politique du court-terme.

Les Russes estiment que les USA suivent une folle politique en matière de dollar, qu’ils sont en train de porter des coups terribles au dollar. C’est Poutine qui dit cela dans une interview à CNBC, en marge d’un séminaire annuel, “La Semaine Russe de l’Énergie”. Poutine met en cause la politique US de sanctions, qui conduit et contraint c’est selon, les pays “sanctionnés” à recherche une autre devise d’échange que le dollar.

Là-dessus, Poutine constate que les USA, en imprimant du dollar comme on imprime des tracts électoraux, gonflent leur dette nationale déjà stratosphérique et activent une inflation chez eux à un rythme sans guère de précédent historique ; c’est ce qu’un humoriste multilingue et créateur de néologismes a désigné comme une politique “histo-risques & périls”.

On laisse Poutine parler :

« “Il me semble que les États-Unis font une très grosse erreur en utilisant le dollar comme instrument de sanctions… en empêchant le paiement en dollars des produits sanctionnés”, a déclaré Poutine à Hadley Gamble de CNBC mercredi, après un panel au séminaire de “La Semaine Russe de l’Énergie”.

» Les pays confrontés aux sanctions américaines, comme la Russie, “n’ont pas d'autre choix, nous sommes simplement obligés de passer à des règlements dans d'autres monnaies”, a-t-il ajouté. Gamble avait posé une question sur la possibilité d'utiliser des crypto-monnaies comme le bitcoin pour vendre du pétrole et du gaz, idée que Poutine accueille favorablement en principe mais précisant qu’il est “encore trop tôt” en raison de la volatilité des crypto-monnaies.

» La Russie continue à utiliser le dollar dans le commerce de l'énergie, – pour l’instant – et n’envisage pas de se débarrasser complètement du dollar américain, observe Poutine. Mais “si la politique des autorités américaines se poursuit… alors nous n’aurons rien à faire [d’autre qu’abandonner le dollar]. Les États-Unis vont eux-mêmes saper la confiance dans le dollar.”

» Même les alliés des États-Unis réduisent leurs avoirs en dollars et leur dépendance à l’égard de la monnaie américaine dans leurs échanges commerciaux, a souligné le dirigeant russe. Non seulement parce que le dollar a été transformé en une arme à cause des sanctions, mais aussi parce que Washington dévalue la monnaie chez lui, en imprimant de l'argent et en augmentant la dette nationale.

» “Pour la première fois, probablement dans leur histoire, l’inflation aux États-Unis augmente à un rythme que l’on n’a plus connu depuis depuis aussi longtemps”, a déclaré Poutine à CNBC.

» “Tout le monde se pose maintenant la question : et après ? Que vont faire les autorités économiques américaines de cette dette colossale ? Que vont-elles faire, effectuer des manipulations avec le dollar, faire baisser sa valeur ?”

» Les États-Unis sont en train de “scier la branche sur laquelle ils sont assis”, a déclaré Poutine, “en sapant la domination du dollar en tant que monnaie de réserve mondiale pour obtenir des avantages politiques à court terme dans leur pays, mais en nuisant à leurs intérêts économiques stratégiques” à long terme. »

Cela fait si longtemps que l’on parle du dollar… Pour la séquence actuelle et en remontant à l’immédiat après-crise, après cette crise des subprimes de l’automne 2008, on doit se rappeler que les rumeurs allaient bon train (en mars 2009) concernant des croisades de liquidation du dollars. Alors, le Brésilien Lula poussait au feu, recevant Gordon Brown dans l’avant-première d’un G20 incandescent, et disant qu’il maudissait la crise, les banquiers “blancs aux yeux bleus” et le dollar :

« C'est une crise qui a été causée par des gens, des blancs aux yeux bleus. Et avant la crise, ils avaient l'air de tout savoir sur l'économie. Une fois de plus, une grande partie des pauvres dans le monde qui n'avaient pas encore [obtenu] leur part du développement fourni par la globalisation, ont été les premiers à en souffrir. Comme je ne connais pas de banquiers noirs, sans doute devrais-je croire que cette partie de l'humanité, qui est la principale victime de la crise mondiale, devrait payer pour la crise ? Je ne peux pas accepter cela. »

C’était une époque où l’on pouvait encore juger avec ironie cette référence à la “race” comme une transgression : « D’abord, grandes seront la surprise et l’indignation des salons et talk-shows, parisiens et germanopratins, devant la suggestion à peine déguisée qu’il existe bien des “races”… » On dira donc, songeant au wokenisme, que les temps ont bien changé. Par contre, le dollar, lui, est toujours là, témoignant moins de la puissance des États-Unis que de l’impuissance des autres à se regrouper et à obtenir, de gré ou de force, des aménagements à la situation. Le fait est plutôt que la situation crisique pressante da l’immédiat après-2008 a morphé en une longue croisière au cours de laquelle toutes les crises se sont aggravées sans qu’aucune ne soit résolue. Washington D.C. n’entendra certainement rien des remarques de Poutine, tout occupé à attiser et à radicaliser sa crise intérieure, tout en poursuivant sa production de billets verts.

Le sort du dollar est une mesure exacte, non pas de la résilience de la puissance des USA mais bien plutôt de la paralysie des relations internationales (économiques, juridiques, etc.) mises en coupe réglée par ces mêmes USA, et les emprisonnant eux-mêmes et comme le reste dans la poursuite de positions que les uns et les autres ne peuvent plus tenir. L’inertie des USA, aussi bien que l’impuissance à une entente commune et à une “désalliance” des USA, ont concouru au maintien de cette situation. Pendant cette période, la substance même de la puissance des USA s’est considérablement érodée, pour parvenir aux catastrophes de la politique intérieure (fracture du pays, wokenisme) et de la politique extérieure, et ainsi la puissance du dollar devient-elle un simulacre enrobant un fantôme occupé à se déchirer lui-même.

La situation actuelle (celle des USA et, par conséquent, des autres), où le dollar tient bien entendu la première place, est parfaitement caractérisée par ce commentaire d’Alastair Crooke, concernant une situation générale composée évidemment de nombre de crises irrésolues et insolubles s’empilant les unes sur les autres. Crooke emprunte à l’analyste Paul McCulley le concept de “stabilité du déséquilibre”… Selon notre point de vue, ce concept fonctionne selon une dynamique de “stabilité dans le déséquilibre” jusqu’à ce que le déséquilibre l’emporte par l’une ou l’autre crise échappant à cette “stabilité” ;  entraînant alors le tout dans une sorte d’étrange phénomène de ce “déséquilibre stable” perdant sa stabilité et redevenant lui-même, pur déséquilibre. Le phénomène agit alors avec une force décuplée qui s’est constituée dans cette contrainte de stabilité et, libérée, se détendant brutalement, comme un ressort. Dans cet ensemble, le dollar tient une place particulière dans la mesure où il est soumis, du fait même des USA, à deux tensions (l’extérieur avec les sanctions et l’intérieur surtout, avec la dette et l’inflation).

Crooke écrit :

« En fin de compte, il n’y a rien de plus qu’un seul fil conducteur commun à tous ces foyers d'instabilité : il s’agit de la tentative d'imposer une gestion technique idéalisée à une réalité complexe et critique, plutôt que de rechercher de véritables solutions aux problèmes, – et du recours à la psychologie du contrôle comportemental pour dissimuler la pourriture sous-jacente et forcer à la conformité.

» Nous nous trouvons donc aujourd’hui dans un état critique de ce que Paul McCulley appelle une “stabilité du déséquilibre”, où tous les acteurs s'efforcent de maximiser leurs résultats personnels et de réduire leur exposition aux risques déchaînant l’instabilité.  Mais plus le jeu se prolonge, dit Paul McCulley, plus il risque de se terminer par un violent déferlement, car les risques de l'instabilité ont plus de temps pour se renforcer dans leurs effets et l’état de stabilité du déséquilibre devient de plus en plus critique.

» Quel risque se déchaînera en se transmutant en instabilité en premier ? Encore une fois, il s’agit d’imprévisibilité : tout risque rencontrant son point de fusion peut,  par une dynamique de type dominos, provoquer [comme dans un incendie de forêt] un enchaînement catastrophique précipitant et transmutant les risques voisins dans la même instabilité. »

Il nous semble que la Russie considère ce phénomène comme de plus en plus plausible à partir de la question (de la crise) du dollar, et qu’elle appréhende surtout l’évolution de la politique intérieure US. C’est un domaine où elle n’a strictement aucun moyen d’action et aucune influence, non pas à cause du rapport de force mais plus simplement à cause de la condition d’autisme qui les sépare. Pour eux, pour les Russes, les USA constituent un fantastique carrefour de déséquilibre et ils ne parviennent pas à leur faire entendre raison, de leur point de vue, dans une aventure où tout le monde a à perdre, mais les USA plus que tout autre certes.

Par exemple, cette sorte de commentaire (lundi, après un entretien des Russes avec une délégation US à Moscou) a tout à voir avec cette situation de communication entre les deux pays, et particulièrement pour les risques pris par les USA concernant le dollar (même si on a rapidement recouvert d’un baume d’optimisme bon pour les deux parties, la communication des suites de la rencontre) :

« “Les Américains ne nous écoutent pas”…

» Bien que [l’adjointe au secrétaire d’État pour les affaires européennes Victoria] Nuland se soit déclarée “heureuse d'être de retour en Russie pour s'occuper des relations bilatérales”, [le vice-ministre des affaires étrangères russes] Riabkov a déclaré qu’il y avait de fortes chances que l’état des choses ne fasse qu’empirer en conséquence de ces entretiens.

» “Je ne peux pas dire que nous ayons fait de grands progrès. Les questions des visas, des conditions de fonctionnement des missions diplomatiques, de la rotation du personnel diplomatique, de la normalisation générale des activités des missions étrangères russes aux États-Unis et des États-Unis en Russie conservent un potentiel de crise important, et il n'est pas exclu que de nouvelles exacerbations soient possibles dans ces domaines”, a-t-il déclaré.

» “Les positions des parties ne s'accordent pas bien. Les Américains n'écoutent pas notre logique et nos demandes…” »

Washington D.C. n’écoute pas les Russes ? Il y a huit jours, quatre sénateurs du Congrès des États-Unis ont demandé à Biden qu’il prenne des mesures immédiates contre les Russes dans la querelle des ambassades, en expulsant au moins 300 diplomates russes. Les Russes oint à nouveau compté sur leurs doigts et reconnu piteusement : “Nous n’avons pas 300 diplomates à l’ambassade de Russie à Washington”. Par conséquent, il n’y aura pas 300 diplomates expulsés et les Russes pourront dire que les relations avec les USA s’améliorent .

 

Mis en ligne le 14 octobre 2021 à 17H40

Source: Lire l'article complet de Dedefensa.org

À propos de l'auteur Dedefensa.org

« La crisologie de notre temps » • Nous estimons que la situation de la politique générale et des relations internationales, autant que celle des psychologies et des esprits, est devenue entièrement crisique. • La “crise” est aujourd’hui substance et essence même du monde, et c’est elle qui doit constituer l’objet de notre attention constante, de notre analyse et de notre intuition. • Dans l’esprit de la chose, elle doit figurer avec le nom du site, comme devise pour donner tout son sens à ce nom.

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