« Pumpkin spice latte » : analyse d’un phénomène culturel

« Pumpkin spice latte » : analyse d’un phénomène culturel

Avant de me lancer dans l’écriture de cette chronique, j’ai allumé une bougie aux arômes de « churros caramélisés ». J’ai lancé ma playlist automne 2021. Ces jours-ci, je suis dans les reprises folksy de chansons populaires des années 2000. Sur le buffet de la cuisine, j’ai disposé quelques bibelots au milieu des courges soigneusement alignées. 

Par la fenêtre, rien n’indique que l’automne s’est installé. J’habite dans la basse-ville de Québec, là où les feuilles ne rougissent pas : les arbres sont inexistants. C’est l’arrivée des lattés à la citrouille dans les cafés du coin qui me rappelle que l’hiver approche. 

Une tradition américaine

Cette boisson phare de la saison a été lancée par la chaine américaine Starbucks en 2003. Cinq-cent-millions de « pumpkins spice lattes » auraient été vendus depuis par la multinationale du café. Cela représente deux-milliards de dollars de vente sur vingt ans. Au Canada comme aux États-Unis, le « pumpkin spice » s’est rapidement imposé comme véritable phénomène culturel. Le magazine Forbes parle même du « pumpkin spice industrial-complex ». Ce mélange d’épices se retrouve désormais partout : dans le café, les chandelles et les cocktails, mais aussi le savon, la bière, le fromage, les saucisses, la litière pour chats, alouette. 

Sur Instagram, on retrouve à ce jour 2,8 millions d’images identifiées avec le mot-clic « pumpkin spice ».

Ce n’est évidemment pas Starbucks qui a inventé cet assortiment de cannelle, clous de girofle, muscade et gingembre. Ces plantes indigènes d’Asie du Sud ont d’abord été commercialisées par la Compagnie des Indes orientales pour être intégrées dans la cuisine américaine dès le début du XVIIsiècle. Elles ont été associées à la citrouille, dont la culture a rapidement été maitrisée par les colons en Amérique. Les Anglais regardaient de haut ce légume qu’ils percevaient comme un aliment de première nécessité. Les Américains ont fini par se l’approprier afin de se distinguer des métropolitains.  

Avec l’industrialisation agroalimentaire, le « pumkin pie spice » est devenu le « pumpkin spice », tout simplement, et a commencé à vivre sa vie indépendamment de tout référent pâtissier. 

Café et polémiques 

Avec la montée d’Instagram, au tournant des années 2010, le « pumpkin spice latte » est devenu le symbole par excellence de l’automne. Sur le réseau social, on retrouve à ce jour 2,8 millions d’images identifiées avec le mot-clic « pumpkin spice ». La boisson a été victime de son succès et, en tant que nouvelle icône culturelle, a été l’objet de railleries.    

Tout d’abord, en 2015, les commentateurs ont réalisé que le fameux café ne contenait aucune citrouille. Ce n’est pas une surprise quand on connait l’historique du « pumpkin (pie) spice ». Néanmoins, les amateurs ont été offensés à tel point que Starbucks a été obligé de modifier sa recette afin d’y inclure la grosse cucurbitacée. 

C’est ensuite la valeur nutritive de la boisson qui a été attaquée. Avec ses 390 calories (l’équivalent d’un petit déjeuner) et ses 50 grammes de sucre (imaginez douze cuillères à thé), elle ne fait certainement pas partie d’une diète santé.  

Mais c’est surtout pour son manque d’authenticité que le « pumpkin spice latte » a été critiqué. Starbucks l’ajoute à son menu à la fin du mois d’aout, bien avant que les citrouilles soient prêtes à être cueillies. On déplore que la boisson soit déconnectée du réel.  

Son omniprésence sur les médias sociaux a aussi participé à faire baisser sa valeur symbolique. Le PSL, comme on le surnomme, est devenu un marqueur du « basic », un terme en vogue pour désigner la culture de masse. S’afficher avec un latté à la citrouille à la main, c’est exposer son manque de gout et de raffinement.    

La trace des saisons

À tout cela, je répondrais : et alors ? 

Ce n’est pas pour ses qualités gastronomiques que nous nous précipitons chaque année sur ces boissons saisonnières. Nous les achetons car elles nous font vivre des émotions. Elles nous réconfortent, nous donnent l’impression de vivre un moment spécial. 

Aujourd’hui, nous pouvons manger de la tarte à la citrouille à n’importe quel moment de l’année. La mondialisation nous permet de vivre hors du temps agricole. Nous ne patientons plus pendant des mois pour nous procurer des fraises, tomates, pommes et autres produits frais.  

Par ailleurs, le passage des saisons a rarement un effet sur notre travail. Qu’il pleuve ou qu’il neige, que l’on fête l’Action de grâce ou que Noël approche, nos journées sont souvent les mêmes. Dans le registre de l’industrie, l’uniformité est de mise.    

Dans ce cadre, l’achat d’un latté à la citrouille peut s’apparenter à une tradition à part entière. 

Les tartes de grand-mère

Je dois admettre que je n’ai jamais mangé de tarte à la citrouille de toute ma vie. Ma famille a vécu à Limoilou et s’est toujours contentée de produits au rabais. Du fromage Petit Québec, de la laitue iceberg et du pain blanc tranché, vendu en paquet de deux. Les jours de fête, on commandait du poulet rôti ou des mets « chinois canadiens ». 

Ça ne m’empêche pas de succomber avec plaisir à la frénésie saisonnière du « pumpkin spice » même si, dans mon histoire, ça ne renvoie à rien.

On dit que les milléniaux constituent une génération particulièrement nostalgique. Ces années-ci, les entreprises font leurs choux gras en nous criblant de campagnes marketing axées sur le passé. Le vintage n’a jamais été aussi tendance. 

Je me demande souvent de quoi nous sommes si nostalgiques. La vie simple et sucrée dont nous rêvons parfois n’a jamais vraiment existé. 

Cette création de notre esprit serait-elle la trace d’un paradis perdu ? 


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À propos de l'auteur Le Verbe

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