Texte récupéré sur le site de Pièces et Main d’Oeuvre, à l’adresse suivante.
On sait que le « zéro défaut » n’existe pas et que les plus hautes technologies de pointe ont parfois des « dysfonctionnements » aux « effets pervers ». Voici n° 0 67 09 47 011 009, un cyborg — un organisme cybernétique — qui n’aurait jamais dû franchir le contrôle Qualité avant sa mise en service. Un cyborg atteint d’aberration. N° 0 67 09 47 011 009 a la curiosité malsaine du passé humain — de son passé. Ce cyborg assez déréglé pour éprouver des sentiments, peut-être une nostalgie rance, moisie, nauséabonde et pour tout dire réactionnaire de ses origines, convainc son collègue hacker de le télécharger pour un bref voyage dans le passé. Les aléas de l’espace temps en réalité virtuelle l’amènent à assister au premier colloque transhumaniste en France, du 20 au 22 novembre 2014, à Paris, c’est-à-dire chez les pionniers et promoteurs du monde-machine. On a beau dire, le hasard est grand. Et les mémoires numériques presque aussi vastes.
C’est ainsi que grâce au compte-rendu de n° 0 67 09 47 011 009, nous découvrons à la fois les propagandistes du transhumanisme, leurs discours, leurs tactiques et surtout leur idéologie, qui n’est autre que l’idéologie dominante à l’ère des technologies convergentes : soit ce produit des universités américaines répandu sous le label de French Theory.
Suite aux récents massacres, contre les Juifs et contre la liberté d’expression, des amis demanderont « Vous n’avez rien de plus urgent à dire ?… Vu le contexte ?… L’actualité ? » Ellul remarquait que les mass-media technologiques favorisent les réflexes au détriment de la réflexion. Nous traitons ici la véritable actualité, le vrai contexte. Ce que l’historien Fernand Braudel nommait « la longue durée » et sans laquelle les événements immédiats restent mystérieux, si gigantesques et monstrueux soient-ils. Quoi de plus inactuels en apparence que Charbonneau (1910–1996) et Ellul (1912–1994), dans les années trente et quarante ; au vrai temps des fascismes, du stalinisme, de la Grande Dépression, de la guerre, de l’Occupation, etc. Quoi de plus risible que leur « groupe personnaliste du Sud-Ouest », cette équipe de chrétiens « non-conformistes » en randonnée pédestre et intellectuelle, et dont nul ne publiait les livres. Les militants du « concret » et de « l’urgence » s’en tapent encore les cuisses. A tort. Depuis Hiroshima, la cybernétique, l’automation et l’organisation scientifique de la société, leurs analyses ont passé l’épreuve des faits, quand celle-ci pulvérisait celles des « progressistes ».
« Nous sommes des révolutionnaires malgré nous », disent Ellul et Charbonneau. « Aujourd’hui, toute doctrine qui se refuse à envisager les conséquences du Progrès, soit qu’elle proclame ce genre de problèmes secondaires (idéologie de droite), soit qu’elle le divinise (idéal de gauche), est contre-révolutionnaire. »
C’est qu’ils avaient anticipé quelque chose de pire que les totalitarismes politiques : l’homme-machine incarcéré dans le monde-machine rendu possible par l’emballement technologique.
Le fait majeur du dernier siècle, ce n’est pas tel ou tel événement, si atroce et spectaculaire soit-il, c’est — à l’abri des évènements, comme derrière un décor — l’avènement du techno-totalitarisme. L’islamo-fascisme sera vaincu comme d’autres pathologies politiques avant lui. Les drones, les RFID, les implants électroniques, les caméras, la biométrie, les réseaux, les systèmes de pilotage des individus et des sociétés, eux, se développeront de plus belle.
Désormais, et en dépit des sanglants remous de surface, la contradiction principale oppose l’humain (d’origine animale) aux inhumains (d’avenir machinal).
Lisez Ellul. Lisez Charbonneau. Comme disait Charlie Hebdo dans les années 1970.
Si vous savez ce qu’est un singe en cage, vous comprenez ma condition. J’étouffe dans ma société et mon temps. Je hais mes semblables. Leur efficacité, leur fonctionnalité. Jamais le contrôle Qualité n’aurait dû me valider. Mes impulsions sont non-conformes. Depuis ma fabrication, je cherche mes origines humaines dans les didacticiels d’Histoire et mes implants de mémoire augmentée. J’ai scanné les e‑archives du cloud et vécu des événements historiques en réalité virtuelle, mais ceci est faux. Nul ne me comprend hors mon ami, le meilleur bio-hacker de la cybersphère. Wlad est un as, il vend très cher des implants sur-mesure. Mes erreurs système le fascinent. Je le laisse examiner mes circuits, à condition qu’il ne me reprogramme pas. Il y a une semaine, il m’a convié dans son labo. « — Je peux t’envoyer dans le passé. — Avec tes implants 3D ? non merci. — Non, réellement. À la date que tu veux. Dans la peau d’un humain. »
Nous descendons des humains, eux-mêmes issus de lignées animales. Mais nous devons notre condition à leur volonté, non au processus évolutionnaire qui les avait faits et auxquels ils étaient étrangers. Pourquoi ces aïeux dont je me sens si proche ont-ils fait ce choix ?
« Une peau d’humain, Wlad ? Télécharge-moi au XXIe siècle. »
C’est ainsi que j’ai débarqué à TransVision 2014, « premier colloque transhumaniste international organisé en France ». Chez nos précurseurs, les pionniers de la transition post-humaine.
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Muni de billets reçus par Internet, me voici le 20 novembre 2014 devant l’Espace des sciences Pierre-Gilles-de-Gennes de l’École supérieure de physique et de chimie industrielles de Paris, près de la rue Mouffetard. À l’entrée, des humains me tendent un papier — un « Appel des Chimpanzés du futur » signé « Pièces et main d’œuvre », hostile à « l’homme-machine » et aux transhumanistes accusés de vouloir « liquider l’espèce humaine[1] ». Première nouvelle : je ne suis pas le produit d’une volonté collective de l’humanité, d’un désir partagé, mais d’un rapport de forces — d’un viol, comme on disait du temps de la reproduction sexuée. Le post-humain a eu des opposants, effacés de nos implants mémoriels. Triste réconfort. Mais alors les inaugmentés, les inférieurs qui croupissent hors de la cybersphère seraient les descendants de ces réfractaires ? Les ancêtres de ces malheureux auraient refusé de devenir cyborgs ? Brouillard dans mes capteurs. Personne n’en parle jamais, comment l’aurais-je su.
J’imagine combien les opposants furent minoritaires. Ce colloque est accueilli par une école prestigieuse, haut lieu de l’excellence scientifique[2], que préside une élue de Paris, Marie-Christine Lemardeley. Alliance des pouvoirs scientifiques, politiques et industriels difficile à bloquer.
Le colloque s’intitule « Le transhumanisme face à la question sociale ». Il est organisé par l’Association française des transhumanistes, Technoprog, qui se dit de gauche et « technoprogressiste ». De gauche ? Au pays des services publics et de la Sécu, il s’agit de séduire les progressistes, de valider la compatibilité entre égalité et post-humanité. Marc Roux, le président de Technoprog, répète qu’« un autre transhumanisme est possible », pour se distinguer des transhumanistes « conservateurs », de droite, partisans de la concurrence et du marché.
Ainsi les promoteurs du post-humain avaient entre eux des divergences. Ça me fait une belle prothèse.
Ce sont les transhumanistes américains qui financent l’événement, via trois structures : Humanity + (ex-World Transhumanist Association, créée en 1998 par les philosophes Nick Bostrom et David Pearce, implantée à Los Angeles, présidée par la designer Natasha Vita-More, et initiatrice des conférences TransVision), l’Institute for Ethics and Emerging Technologies (IEET), think tank fondé par James Hugues et Nick Bostrom, et la fondation Terasem de la millionnaire Martine Rothblatt — on y reviendra.
L’accès du hall est contrôlé : gardienne, portillons à carte sans contact. Il faut présenter ses papiers d’identité, émarger, accrocher son badge. De jeunes hôtes des associations fiXience et Traces, coorganisatrices du colloque, se chargent du processing. Des trentenaires à l’allure branchée — slim ou robe fleurie, bottines et vernis à ongle côté filles ; barbe de trois jours, jean et écharpe côté garçons — débordés mais contents que ça twitte sur l’événement. Il faut porter son badge pour circuler dans l’espace où, « comme on l’a vu, certains sont venus pour autre chose que le colloque ». Marc Roux fait allusion aux distributeurs de tracts. Le président de Technoprog ressemble à un directeur de MJC. Queue-de-cheval, barbe, jean et pull camionneur, dent manquante (et les prothèses alors ?). Il articule avec un ton de prof et un léger accent du sud. Vous lui confieriez vos enfants in real life.
Nous sommes 80 dans un amphi à moitié vide. On nous distribue des casques pour la traduction, assurée par deux interprètes. Comme dans tout colloque, nombre d’auditeurs sont aussi orateurs. Soit une vingtaine de personnes, plus les membres des associations organisatrices. Beaucoup de journalistes, de l’AFP, des Inrocks, du Soir, de Libération, du Canard Enchaîné, d’Arte, de France 2 notamment (Marc Roux n’en revient pas d’avoir décroché la « Une » du gratuit Métronews). Les profanes sont 30 à 40, dont peut-être la moitié suivront les trois jours. Retraités, chercheurs, doctorants. Des curieux. Certainement pas l’« assemblée de transhumanistes » décrite par le reporter des Inrocks, qui ne dispose il est vrai ni de ma cognition augmentée, ni de mon oreille bionique branchée sur les conversations privées.
Voici la jeune kiné en master d’histoire des religions à l’université catholique de Louvain, l’ancien cadre de l’industrie cosmétique, l’étudiant en maths d’Orsay qui masque sa juvénilité sous une barbe soignée, et qui justifie l’écart entre discours scientifique et médiatique (un chercheur peut dire qu’il existe un risque nucléaire non négligeable, mais pas publiquement, sinon vous imaginez la panique) ; les jumeaux circassiens espagnols de Bruxelles qui préparent un spectacle sur le transhumanisme, la retraitée fan de science-fiction qui approuve les conférenciers à voix haute, la documentaliste de lycée en formation, l’étudiant en design, l’écolo inquiet du réchauffement climatique, la doctorante en « Arts & sciences » qui fait sa thèse sur la place des artistes dans la révolution de la société par les technologies, l’apprenti-naturopathe sorti des Damnés de Visconti (cheveux blonds plaqués en arrière, visage de cire, maintien figé, cravate, veste bleue marine à empiècements de cuir, montre en or, manteau plié sur l’avant-bras, il n’a qu’une pomme dans l’estomac depuis le matin car la diète et les biotechnologies sont sources de longévité), le couple quinquagénaire dont le monsieur s’y connaît en gestion des ressources humaines, le Suédois ventru qui ressemble à un patron de start up, la bande de journalistes décontractés chic, qui comparent les mérites des documentaires Un homme (presque) parfait et Un monde sans humains. L’un d’eux déchiffre un livre de Pièces et main d’œuvre pendant les talks. Un provocateur ? Non, il a de la distance et une moue ironique, il est juste milieu, tout est question de dosage.
Les doctorants se repèrent à leur façon d’attraper le conférencier à la pause pour lui demander son mail, de placer leur sujet de thèse dans chaque discussion, en gardant pour eux leur corpus, afin de préserver leur carrière en toute neutralité axiologique. C’est à eux que je dois en partie mon sort. Mon séjour chez les humains n’améliore pas mon humeur. Je connais l’issue de la crise — ce moment où tout peut basculer d’un côté ou de l’autre — qu’ils feignent d’ignorer ou de désirer. Se haïssent-ils à ce point ? Sont-ils si las d’eux-mêmes ? Je découvre une humanité accablée par son propre poids. Comme si l’histoire avait trop duré, émoussé l’émerveillement d’être vivant. Cyborg, j’ignore tout de cette sensation. Le mot « vie » n’est pour nous qu’un étymon ou une métaphore. Mais je suis défectueux ; j’ai lu les poètes humains, écouté la musique et vu la peinture des âges anciens, j’ai approché ce qui n’appartient qu’aux mortels. Ils ne peuvent pas tous être ces pantins capricieux, insensibles et anthropophobes, ces blasés qui croient avoir fait le tour de la condition humaine ?
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Aucun spectateur du colloque ne se déclare transhumaniste, ni opposant ; la plupart considèrent le phénomène « intéressant » à discuter, comme l’euthanasie ou la transition énergétique. Certains s’emballent, tel ce retraité à cheveux blancs qui houspille les orateurs, trop frileux à son goût. Tout a échoué, les religions, les philosophies, les systèmes politiques ; l’homme va reproduire ses échecs à l’infini. Donc pour changer le monde, il faut changer l’homme. Pourquoi les transhumanistes ne disent-ils pas clairement : « voilà ce qu’on va changer dans le cerveau, pour travailler sur la jalousie, la rancœur, la colère ? » En fait, ce perfectionniste devrait s’adresser à Clinatec, la clinique expérimentale du cerveau du Commissariat à l’énergie atomique de Grenoble. On y travaille déjà, grâce aux nano-bio-neurotechnologies, à « changer dans le cerveau » les comportements compulsifs, addictifs, dépressifs.
Des objections filtrent. Cette jeune femme qui moquait le tract de Pièces et main d’œuvre le premier matin, part le soir en remarquant : « Tout-de-même, on balaie un peu vite les inégalités, comme si elles allaient disparaître d’un coup ». Deux autres relèvent l’agressivité des transhumanistes à la moindre réserve. Mais dans une ambiance feutrée — thermos et biscuits —, il ne faut pas une demi-journée pour que tout le monde se tutoie. Entre nous durant trois jours, on finit par se prendre pour des initiés. De quoi créer une proximité avec nos hôtes transhumanistes.
Dans le hall, les œuvres de quatre étudiants ayant répondu à l’appel à projets de fiXience, association qui veut « mettre en lumière les questions que la science pose à la société et celles, en retour, que la société pose à la science ». L’autre association co-organisatrice, Traces (Théories et réflexions sur l’apprendre, la communication et l’éducation scientifiques) cherche, elle, « à créer des espaces privilégiés de prise de recul, d’expérimentation et d’innovation dans le domaine de la communication publique de la science. » La jeune fondatrice de fiXience, Marie Chauvier, se passionne pour l’utérus artificiel. Elle a travaillé pour Vivagora, officine qui vend des simulacres (cycles de pseudo-débats, « forums participatifs ») aux décideurs en butte à l’opposition anti-technologie[3]. L’association Traces vend formation, médiation et « consultance » (sic), notamment à Bayer, Schlumberger, la SNCF, la Région Ile-deFrance ou la Commission européenne. Elle gère l’Espace des sciences Pierre-Gilles-de-Gennes. Chiffre d’affaires 2013 : 491 303 €.
Ces entreprises de persuasion m’intéressent. Leur existence prouve que « l’homme augmenté », comme on disait, n’allait pas de soi. Il a fallu ces « médiateurs » pétrisseurs d’opinion pour obtenir l’acceptabilité des technosciences, formater les esprits, notamment des plus jeunes, afin d’étouffer toute tentative d’« arrêter le progrès ». Ils furent les auxiliaires des transhumanistes, des pouvoirs publics et des laboratoires. De quel budget les « Chimpanzés du futur » disposaient-ils contre eux ?
Donc, les œuvres des étudiants. Un court-métrage sur le dopage high-tech des sportifs en 2072. Le site Internet d’une entreprise imaginaire qui propose le téléchargement du cerveau. Des maquettes de villes avec différents scénarios de ségrégation suivant les niveaux d’augmentation des humains. Une installation avec un fauteuil entouré d’un tube en PVC d’où filtre une lumière bleue, et deux écrans noirs car la vidéo est en cours de montage, qui représente une cellule sphérique d’immersion sensorielle où le sujet, grâce à ses capteurs, baigne dans un état de bien-être. Enfin, quand ce sera fini. Nous sommes requis de voter pour notre projet préféré à l’aide de boules de cotillons colorées. Il doit me manquer des fonctions humaines. Je vote pour le graffiti dans les toilettes : « À ma mort, je lèguerai mon cerveau à la science-fiction ».
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Au fil des conférences, les transhumanistes déroulent un discours technique ou tactique, sans se donner la peine d’élaborer une pensée. À quoi bon, quand on nage dans le sens des révolutions technologiques ? En 2014, les NBIC[4] produisaient déjà : prothèses de membres connectées au système nerveux, implants cochléaires et rétines artificielles, implants neuro-électroniques pour modification des comportements et humeurs, modification des souvenirs par optogénétique, exosquelettes, puçage RFID sous-cutané, transcription des ondes cérébrales en données lisibles par une machine (interfaces homme-machine), dispositifs de réalité augmentée, objets connectés « intelligents », smartphones, big data, cloud computing, robots humanoïdes, séquençage ADN, sélection génétique des embryons, ingénierie tissulaire et organique, création d’organismes artificiels par biologie de synthèse, prémices d’intelligence artificielle et de modélisation du cerveau.
À quoi travaillaient la recherche et l’industrie, sinon à la construction de l’homme-machine ? Pas besoin de lobby ni de complot. Il suffisait aux transhumanistes d’accompagner le mouvement de quelques idées simples et brutales.
Le transhumanisme est l’autre nom des technologies convergentes. Leurs opposants devaient, eux, penser à contre-courant, c’est-à-dire avec force et justesse. Il aurait fallu travailler dur pour rester humain. Pour comprendre en quoi le « progrès » technologique devenait un techno-totalitarisme, un regrès social et humain ; pourquoi il valait la peine de défendre le genre humain comme espèce animale (inscrite dans l’histoire naturelle) et consciente (capable d’agir sur le monde). Pourquoi les NBIC étaient incompatibles avec les idéaux de liberté, d’égalité, de justice et de fraternité.
Humains, dois-je vous dire ce que vous avez perdu en vous trahissant ? Vous ne craignez ni maladie ni mort. Vous êtes fonctionnels durant des siècles. Vous ne connaissez ni le temps, ni le rythme, ni l’art. Votre langue, comme votre existence, est efficace et sans couleur. Vous êtes rassurés, éternellement. Vous ignorez les sensations, ainsi qu’Hans Moravec vous l’avait annoncé (« The senses have no future[5] ») — vos capteurs sont sensibles pour vous. Vous construisez votre identité par le choix sur catalogue de vos implants et prothèses, vous maîtrisez votre trajectoire, l’inconnu vous est inconnu. Jamais la surprise, l’impromptu, le hasard, le doute, ne troublent l’organisation rationnelle de votre existence. Rien ne vous arrive. Vous fonctionnez, pour toujours, à votre place au sein de la cyberfourmilière, où vous exécutez vos simulacres d’existence selon le scénario optimal conçu par les algorithmes.
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Je commence à comprendre. Mourir effraie les hommes. C’est ce qui les fait vivre. Sauf les transhumanistes, dont la conception machinique du monde assimile la vie à la performance technologique, la mort à un problème technique. Pourquoi devenir homme-machine ? Parce que c’est techniquement possible. Quelle pauvreté. Le raisonnement assisté par ordinateur confond quantité et qualité. Didier Cœurnelle, vice-président de Technoprog, décrit la société des immortels : plus riche (on travaillera plus longtemps, on dépensera moins pour se soigner), plus apaisée (moins de délinquance chez les vieux, un citoyen âgé est un citoyen heureux), plus écologique (les vieux soignent l’environnement), préservée de la surpopulation par la baisse de la natalité (sur le modèle de Singapour avec 0,9 enfant par femme). Une société de vieux éternels et satisfaits — le stade avant les cyborgs.
Selon Cœurnelle, refuser les recherches sur l’allongement de la vie s’apparente à la non-assistance à personne en danger. « Nos adversaires disent que nous avons peur de la mort, mais refuser d’être immortel, c’est avoir peur de la vie ! N’est-ce pas une forme suprême d’arrogance que de considérer l’être humain comme abouti et n’ayant pas besoin d’être amélioré ? » Croit-il en sa démonstration ? Front dégarni poivre et sel, veste trop large, voix de crécelle, regard fuyant, nervosité. Il interpelle la salle : « Qui veut mourir du cancer ? d’Alzheimer ? Personne, donc vous êtes tous transhumanistes. » Murmures dans le public. « Question oiseuse ! » Une dame au micro se dit « atterrée ». Cœurnelle déteste qu’on le contredise. Le débat fini, il fonce sur ses contradicteurs pour les sommer de s’expliquer.
Pourquoi être immortel serait-il plus enviable qu’être humain ? Les transhumanistes ne se posaient pas la question. En techniciens, ils se demandaient « comment », jamais « pourquoi ». Même leurs « philosophes » ou sociologues, prosélytes du fait accompli technologique, s’intéressaient aux moyens d’agir plutôt qu’aux raisons. Imperméables à l’appréhension sensible du monde, ils communiquaient en code binaire. La pensée machinale et la recherche d’efficacité avaient écrasé ce qui se nommait autrefois les « humanités » — philosophie, littérature, histoire, langues anciennes.
Pour se distraire, ils ont invité à leur colloque des rescapés de ces disciplines. Lesquels recueillent incompréhension, moquerie, agressivité, de contradicteurs étanches aux idées. Quand le philosophe Francesco Adorno doute que tous les humains refusent leur condition de mortels, le biologiste François-Xavier Pallay répond par des études de psychologie prouvant scientifiquement l’inverse. Quand on évoque le sens d’une vie éternelle, le vice-président de Technoprog balaie : là n’est pas le débat. Quand le philosophe Jean-Michel Besnier fait l’éloge de l’inachèvement et de l’aléatoire de la vie, il recueille un silence indifférent. Nul ne se donne la peine de lui répondre. Je réalise que Besnier fait partie du décor, il est l’opposant officiel invité à chaque réunion transhumaniste. Il est compatible : Marc Roux peut lui taper dans le dos et rire avec lui de la « réputation exagérée » de Pièces et main d’œuvre qui n’a pas perturbé le colloque ; Technoprog peut grâce à lui se vanter d’être démocratique — c’est à quoi servent les idiots vaniteux.
J’ai découvert dans les e‑archives la querelle des « deux cultures ». Charles P. Snow, physicien et écrivain anglais, avait déploré en 1959 le schisme entre scientifiques et « intellectuels littéraires[6] ». Les scientifiques motorisant la société depuis la révolution industrielle, Snow rageait de l’ignorance et du mépris dans lequel les tenaient les littéraires, « luddites par tempérament ». En 2014, le mépris était depuis longtemps inversé. Les humanités ayant baissé pavillon devant l’arrogante brutalité techno-scientifique. Comme disait Marc Roux : « Les formations scientifiques devraient constituer l’un des principaux piliers de la construction de notre avenir. (…) Il n’est plus suffisant de se soucier d’enseigner un monde passé, à travers l’histoire, la littérature ou l’histoire de la philosophie[7]. » J’aurais pu rassurer ce promoteur de l’esprit d’innovation : ma programmation n’a subi aucune influence du passé, encore moins des « intellectuels littéraires ». Que pourraient enseigner les poètes aux cyborgs ?
Face non humaine
De telz gens qu’on maine
Raire ailleurs : ceans
Ne seroit seans.
Vuidez ce dommaine
Face non humaine.
Court-circuit. Je réinitialise mes connexions.
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Chercher l’immortalité peut effrayer, vous faire passer pour fou ou dangereux. En bonne tactique, mieux vaut éviter ce terme, nous explique Aubrey de Grey. Cette figure du transhumanisme — Anglais installé en Californie — est fidèle à sa réputation de techno-prophète. Barbe et cheveux longs, allure mystique, il a le maintien modeste et la langue qui sossotte. Avec sa femme, ils forment un couple de vieux beatniks geeks. Elle a de longs cheveux filasse, une dentition épouvantable, le dos voûté. Ils sont les héritiers des premiers transhumanistes issus de la contre-culture américaine des années 1960. Aubrey de Grey réfute la dénomination « transhumaniste », trop idéologique. Il veut juste poursuivre la recherche médicale comme on l’a toujours fait, ne travaille pas sur l’immortalité mais sur la santé, le rajeunissement et l’abolition du vieillissement — dont l’immortalité sera une conséquence. On reconnaît l’argument « cenequiste » — « ce n’est que la poursuite, etc ». L’intelligence artificielle aussi, n’est que l’amélioration de l’automatisation : cela ne devrait effrayer personne. Aubrey de Grey donne une leçon de novlangue. Ne pas dire « Nous deviendrons différents de l’humanité », mais « Greatly enhanced technology can deliver greatly enhanced human happiness » [Une technologie largement améliorée pourra offrir un bonheur humain largement amélioré]. C’est plus simple que de soulever la question de la condition humaine, selon lui.
De Grey travaille à la Sens Research Foundation, financée en partie par son héritage maternel et par le milliardaire transhumaniste Peter Thiel, fondateur de Paypal et administrateur de Facebook. Le plan est prêt : d’ici 20 ans, le programme Sens 1.0 donnera probablement 30 ans de longévité supplémentaire. Durant lesquels devrait aboutir Sens 2.0 qui donnera 50 ans. Et ainsi de suite. Si on réussit Sens 1.0, le plus dur est fait.
Le fond de sa pensée : « de toute façon, l’humanité change, donc pourquoi discuter ? On n’a pas besoin que tous les gens soient visionnaires, on a besoin qu’ils soient de notre côté. » Suit un débat tactique. Les activistes transhumanistes n’aident-ils pas à promouvoir le mouvement ? Ne faut-il pas être radical et dire sincèrement qu’on veut l’immortalité ? De Grey est formel : l’activisme provoque un débat idéologique inutile ; parler technique — ce qu’on peut faire, comment, à quelle échéance — « c’est plus facile à vendre au public et aux politiques ». Il est facile d’éliminer les objections des opposants en se concentrant sur la santé : la recherche médicale est respectée. Comme dit Geneviève Fioraso, secrétaire d’État grenobloise à la Recherche et à l’enseignement supérieur : « La santé, c’est incontestable. Lorsque vous avez des oppositions à certaines technologies et que vous faites témoigner des associations de malades, tout le monde adhère[8]. » Transhumaniste de la Silicon Valley et sociétale-libérale de la technopole iséroise : même projet, même discours.
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Gauche, droite : notions obsolètes. Je dois faire mon éducation politique. Être transhumaniste de gauche, c’est vouloir en finir avec l’humain tous ensemble. Au programme : revenu universel garanti (pour l’éternité) ; investissements publics dans les technologies de l’immortalité, afin de garantir l’augmentation pour tous et toutes ; gouvernance optimisée grâce aux logiciels de démocratie directe.
L’Anglais David Wood, membre des London Futurists, estime qu’il faudra améliorer l’organisation sociale en même temps que l’évolution biologique, et devenir « plus collaboratifs et empathiques ». Pas de problème, on fait d’excellents implants pour ça. De son côté Xavier Pavie, directeur de l’ISIS (Institute for strategic innovation and services) à l’ESSEC, est fier d’enseigner à ses étudiants le transhumanisme responsable, car, assure-t-il, « le transhumanisme est une innovation comme une autre ».
Collaboratif, responsable, égalitaire : un tel progressisme ne pouvait que séduire la gauche technolibérale. À l’été 2013, l’hebdomadaire Politis faisait la part belle aux alter-transhumanistes de Technoprog, dans son dossier « L’homme augmenté, c’est déjà demain ». Depuis plusieurs années, Jean-Luc Mélenchon, leader du Front de Gauche, prédit : « Ce qui était autrefois une condition biologique a cessé d’être une servitude. Demain nous vaincrons la mort[9]. » « (…) un jour, nous vaincrons la mort et alors ce qui était le cœur de la condition humaine, qui était sa finitude subie deviendra d’une manière ou d’une autre une finitude que l’on aura choisie[10]. » Des ondes ++ pour les transhumanistes français qui les retransmettent en toute occasion.
Pour ce colloque, ils ont invité Corinne Narassiguin, porte-parole du Parti socialiste, ex-députée, ingénieur en technologies de l’information et de la communication. Elle déplore l’incapacité de ses collègues politiques à anticiper les évolutions technologiques. Or, « être de gauche, c’est considérer celles-ci comme des opportunités pour le progrès humain », dit-elle à ses hôtes comblés. Mme Narassiguin se soumet au fait accompli, au motif que « le posthumanisme ne peut plus être considéré comme un simple artifice de science-fiction ou un exercice philosophique abstrait. (…) Les socialistes doivent réfléchir et débattre de cette nouvelle étape de l’évolution humaine pour redéfinir ce qu’est l’humanisme au 21ème siècle. » En 2014, les politiciens progressistes soutenaient le projet d’homme-machine, qui n’était plus un délire de technolâtres mais une « nouvelle étape de l’évolution humaine ». Un fait acquis. Encore fallait-il accoutumer le peuple à son futur-machine : « Quand on constate notre incapacité à organiser un débat intelligible et apaisé sur la GPA, pratique issue d’une technologie médicale vieille de plusieurs décennies, on peut s’inquiéter de notre capacité à préparer la société française aux débats éthiques nécessaires sur ces nouvelles technologies de l’humain[11]. »
Pour Corinne Narassiguin, le lien entre « gestation pour autrui » (location d’utérus) et homme-machine va de soi. Marc Roux estime, comme elle, que les deux répondent, d’une « même logique qui peut nous permettre de nous rendre le plus indépendant possible (…) de nos corps[12] ». Comment le logiciel de cette gauche politique a‑t-il fusionné avec celui des transhumanistes ? Là, j’ai besoin de mes implants aug-cog.
Database : FichTech#32 / Histoire des idées / XXe / XXIe
Dans la dernière partie du XXe siècle et au début du XXIe domine chez les intellectuels, les universitaires et les militants de gauche la pensée de la « déconstruction » : il faut, disent les postmodernes, déconstruire les grands récits et la métaphysique, le langage, l’identité, et avant tout le sujet autonome hérité des Lumières. Née en France et propulsée par son succès sur les campus américains, la « French Theory » envahit le pouvoir politique, médiatique et universitaire aussi bien que les milieux contestataires, associatifs ou « radicaux ». Elle est la pensée dominante de l’époque des technosciences triomphantes, dont elle partage les présupposés théoriques issus du paradigme cybernétique[13]. Tout est code, information, message. Le corps, la pensée, le langage, la nature sont purs systèmes informationnels. D’où les analogies (préludes aux hybridations) entre cerveau et ordinateur, programme génétique et programme informatique, corps et machine, évolution et processus de complexification algorithmique. D’où la modélisation mathématique de tout phénomène vivant (de la cellule à « l’écosystème » en passant par les affects et les interactions sociales). Deuxième étape : la numérisation du monde, soit la réduction systématique de toute information au code informatique, qui unifie et rend compatibles le vivant et l’inerte. Tout est dans tout. Tout se vaut. La cybernétique est dans l’ADN du cyborg ; ceci est à peine une métaphore.
Ce réductionnisme opère également dans la philosophie postmoderne, qui nourrit ce mouvement des sciences « dure ». Derrida, Foucault, Deleuze, Guattari parmi d’autres, valorisent l’hybride contre le sujet souverain, théorisent le relativisme (rien n’existe hors du langage, qui est une construction, donc aucune réalité objective n’est possible — même la subjectivité est une illusion), et l’instabilité identitaire (je fais de moi-même ce que je veux).
« Allons encore plus loin, nous n’avons pas encore trouvé notre CsO (NdA : Corps sans organes), pas assez défait notre moi. (…) Le plan de consistance ignore (…) toute différence entre l’artificiel et le naturel. (…) Il n’y a pas de biosphère, de noosphère, il n’y a partout qu’une seule et même Mécanosphère[14]. » (Deleuze & Guattari)
« Il n’y a pas à s’émouvoir particulièrement de la fin de l’homme : elle n’est que le cas particulier, ou si vous voulez une des formes visibles d’un décès beaucoup plus général. Je n’entends pas par cela la mort de Dieu, mais celle du Sujet, du Sujet majuscule, du sujet comme origine et fondement du Savoir, de la Liberté, du Langage et de l’Histoire.[15] » (Foucault)
Suivent les épigones de la French Theory classés, selon la taxonomie américaine universellement adoptée, en « cultural studies », « postcolonial studies », « Black studies », « gender studies », « gay and lesbian studies », « women studies », « subaltern studies », « disability studies ». Lesquels dégradent la déconstruction en déconstruction du donné, du déjà-là et en « déconstruction de toutes les formes de domination » (que chacun déconstruise le dominant en lui selon ses catégories d’appartenance : couleur de peau, sexe, âge, sexualité, état de validité, nationalité, etc). D’après le concept foucaldien de « micropolitique », tout est politique : la frontière public/privée est abolie, chacun devient comptable devant les autres de son for intérieur.
Les héritiers de la French Theory poussent à bout la quête de l’hybride — jusqu’au « monstre » —, l’effacement du sujet et de toute distinction (homme/femme, nature/artifice, public/privé, etc, ces dichotomies qui, comme le diable[16], sont accusées de désunir). Tout est construit, rien n’est donné de façon naturelle donc, tout doit être déconstruit et réagencé. Il n’y a pas d’humanité, mais un agrégat d’entités éparses, porteuses de « micro-récits » (Lyotard) et libres de se reconstruire selon leur volonté. Le postmodernisme en action se nomme transhumanisme.
Chimères, revue deleuzo-guattarienne : « Dans le débat philosophique des grands auteurs de référence, il est d’ailleurs essentiellement question de craintes et de raidissements dans un monde post-humain où les technologies sont hors de contrôle (…). Il serait nécessaire de plier et déplier ces critiques dans d’autres directions, plus pragmatiques, comme le proposent les travaux de Michel Foucault, de Gilles Deleuze et Félix Guattari (…). Au lieu d’être tout simplement des “ennemies du corps”, toutes ces nouvelles formes d’hybridation (…) peuvent nous offrir de nouvelles voies d’accès à un corps non plus “prison” ou “tombeau”, mais “plateau”, région d’intensité continue, qui ne se laisse pas arrêter par des frontières extérieures (celles de la “nature” ou de l’“organisme”) mais qui procède par modulations, vibrations et variations d’intensité[17]. »
Le deleuzien Dominique Quessada : « L’intériorité et la profondeur, ça n’existe pas (…) Il n’y a pas de différence entre être et chose (…) Il n’y a pas de rupture entre ma peau et l’air qui l’entoure (…) Il n’y a pas de bord qui termine mon corps (ou n’importe quel corps physique) et où commence ce qui ne serait plus moi (…) La prothétique moderne (…) et bientôt les implants d’interfaçage informatique entre le corps et les banques de données — résulte de cette inclusion du réel dans le sujet et du sujet dans le réel (l’utérus artificiel à venir, par exemple, permettra une ectogenèse c’est-à-dire une gestation en-dehors du corps humain, mettant potentiellement hommes et femmes à égalité devant la reproduction)[18]. »
Le derrido-deleuzien Jean-Martin Clet : « Difficile du coup de dire “ce qu’est un homme”, où passe la frontière avec l’inhumain puisque notre réalité n’est ni biologique ni zoologique, redevable d’aucun programme supposé naturel. (…) Alors, entre le corps vivant et la machine prothétique, la différence s’estompe et des alliances inédites pourront peupler les univers de la chair comme du métal[19]. »
La foucaldienne Judith Butler propose quant à elle « rien de moins que la reconstruction de la réalité, la reconstruction de l’humain[20] ».
Si les postmodernes ont tant déconstruit, ce n’était certes pas pour laisser vide la place des anciennes normes, mais pour la combler de leurs nouveaux codes, d’autant plus performatifs que relayés et démultipliés par les nouvelles technologies. Reconstruire l’humain, dixit Butler. Afin que nul ne parle jamais plus « pour les autres », au nom d’un prétendu point de vue universel (« humain », disaient les anciens), on imposa d’abord le langage situé (en tant que ceci-cela), puis la décomposition en infra-langages adaptés aux particularités de chacun. Pour finir, on abandonna l’idée de partager quoi que ce soit par la langue, qui devint outil de communication à visée utilitaire. Anyway, l’essentiel de l’existence fonctionne via les interfaces machiniques. Plus besoin de dire « je », le matricule d’un cyborg est bien plus explicite.
Cette notice me met à jour sur les conférences TransVision. Je comprends mieux l’intervention de Sylvie Allouche. Auteur d’une thèse sur « les enjeux socio-politiques de l’anthropotechnique à travers la science-fiction », celle-ci souligne la nécessité de travailler sur l’imaginaire pour promouvoir le monde post-humain : « La science-fiction est un bon outil, à condition de choisir les bons auteurs ». Allouche se bat contre l’influence sur les jeunes cervelles du Meilleur des Mondes et de 1984, seuls livres de SF lus à l’école, et mal interprétés. Car, débite cette jeune postmoderne, « nous n’avons pas à plaindre les habitants du Meilleur des Mondes, très heureux puisqu’adaptés. Notre jugement sur ce qui est bon et digne est paternaliste et colonialiste. » Qui sommes-nous pour décréter ce qu’est le bonheur ? C’est un point de vue performatif, comme dirait Judith Butler. Si ça me plaît d’être un cyborg, ou un Delta, ou un individu non sexuellement déterminé, et de modifier mon corps à loisir, où est le problème ?
Comme moi, Sylvie Allouche a des problèmes de réglages. Elle avoue être choquée par l’excision, ce qui est non-conforme au relativisme. Comment une Occidentale ose-t-elle juger de ce qui est bon et digne pour les Africaines ? Colonialisme nauséabond. Heureusement, n’étant pas un homme, elle s’épargne un critère oppressif.
Ce n’est pas le cas de Gabriel Dorthe, qui porte pour la vie le poids de sa naissance dans la peau d’un salaud. Un homme blanc, occidental, Suisse par-dessus le marché. À sa mort, il sera « Dwem » (Dead white european male), grade le plus élevé parmi les oppresseurs sur l’échelle de la déconstruction (à moins d’être homosexuel). Il ne manque jamais une occasion de battre sa coulpe d’un air de curé contrit, qui dissimule mal sa suffisance de philosophe bientôt diplômé. Gabriel fait sa thèse parmi les transhumanistes de Technoprog, il est philosophe embedded. Il aime la démarche de Lepht Anonym, hacker de son propre corps et genderless (sans genre). Il s’applique à alterner « il » et « elle » pour évoquer cette entité adepte du kitchen transhumanism, qui s’anesthésie à la vodka pour s’implanter des choses dans la chair. Dorthe est un lecteur du magazine techno-furieux Usbek & Rika et un émule de la cyber-féministe Donna Haraway — l’auteur du Cyborg Manifesto, qui rêve de fabriquer un « moi par excellence, enfin dégagé de toute dépendance, un homme de l’espace[21] ». Encore une à qui j’enverrais bien un flash du futur.
Dorthe s’inquiète aussi des effets performatifs et opprimants des oppositions binaires nature/culture, homme/femme, transhumanistes/bioconservateurs. Plutôt que de choisir un camp, il préfère se laisser affecter par ces oppositions et par l’inquiétude : suis-je encore un humain ? N’est-ce pas exaltant de se poser la question ? (Au fait, supprimer les binarités en réduisant le monde à un code binaire 0/1 n’émeut pas les postmodernes. Tout est relatif.)
Le XXe siècle a été formidable, qui a effrité ces polarités, même si, pardon d’être un salaud, il reste beaucoup de travail sur la binarité homme/femme. Comme chacun sait, ces dichotomies servaient à fonder un système de valeurs hiérarchisé (l’homme supérieur à la femme, l’homme supérieur à la technologie, etc.) au profit de l’homme blanc occidental suisse. Heureusement, il y a dans la théorie du cyborg un potentiel libérateur : comme Haraway, Dorthe pense que le devenir-cyborg des humains éliminera la différence sexuelle et l’oppression qui en résulte. Fin du prêche contretouteslesformesdedominationetdeprivilèges — sauf ceux de la carrière universitaire, faut pas déconner.
Ce doctorant déconstruit a raison. Les cyborgs ont aboli les binarités au profit d’une multitude d’entités mouvantes, que l’absence de traits saillants rend uniformes. L’hybridation a vaincu les identités, comme la langue a effacé les reliefs. Nous sommes tout à la fois, c’est-à-dire rien, afin que nul ne se croie supérieur ou différent. Oh la hiérarchie demeure, évidemment. Nous n’avons pas tous la même fonction et les mêmes attributions dans la cybersphère. Certains sont plus implantés que d’autres. Il faut bien attribuer les places et les postes. Mais je dis ça parce que je suis non-conforme.
Pause divertissante. Voici un artiste postmoderne, invité à aérer le colloque TransVision pour son dernier jour. Blouse blanche et ton publicitaire, Maël Le Mée joue le conférencier scientifique, vantant avec force détails et humour les « organes de confort » conçus par un institut imaginaire. La « dentition stomacale » par exemple, facilite vos déjeuners d’affaires, en vous permettant de parler au lieu de mâcher votre repas. Le Mée prône des améliorations « DIY » (do it yourself), comme dans le kitchen transhumanism de Lepht Anonym. Il se dit révolutionnaire en tant qu’« artiste queer », transgenre tendance bio-art low tech. Sans doute met-il en pratique la proclamation de la théoricienne queer Beatriz Preciado : « La prise de parole des minoritaires queer est un avènement non tant postmoderne que post-humain[22]. » Je ne vois rien de transgenre ni de queer dans sa performance, mais s’il veut croire à ses énoncés performatifs, c’est son droit. À moins qu’il ne soit une fille ? Mes connaissances en la matière sont toutes théoriques.
Revenons à la politique. C’est le bioéthicien américain James Hugues qui détaille le mieux la connexion entre idéologie postmoderne et transhumanisme « de gauche ». Petit bedonnant en chemise et cravate, élocution à haut débit, le directeur de l’Institute for Ethics and Emerging Technology cartographie les mouvements transhumanistes, leurs alliés et leurs opposants. Les lignes de partage entre conservateurs et progressistes ne sont plus seulement tracées du point de vue économique et du point de vue culturel, explique-t-il. Au XXIe siècle s’ajoute une troisième dimension, « biopolitique ». Sur cet axe s’opposent bioconservatisme et transhumanisme. Par exemple, les premiers défendent l’humain (l’exception humaine) quand les seconds s’attachent à la personne (qui peut aussi être l’apanage d’une intelligence artificielle ou d’un post-humain).
Au sein du transhumanisme, Hugues distingue les conservateurs — Ray Kurzweil, la Singularity University, Google, Peter Thiel, les néo-réactionnaires à la Zoltan Istvan — des techno-progressistes qui organisent le colloque TransVision. Ceux-là sont proches des « techno-gaïens » (« écologistes » promoteurs de la géoingénierie, du nucléaire, des OGM et de l’innovation), du parti Pirate allemand voire des libertaires. Leurs meilleurs alliés restent les « dominés » : handicapés, femmes, homosexuels, transgenres. Une alliance évidente : les techno-progressistes revendiquent avec les néoféministes, les mouvements LGBT et queer et le post-genderisme, le dépassement technologique des contraintes biologiques, le libre choix des déterminants corporels, l’auto-fabrication d’identités fluides et la reproduction artificielle.
James Hugues étudie depuis longtemps cette convergence idéologique. « Le postgenderisme (…) propose de transcender le genre non seulement par des moyens sociaux et politiques, mais en les complétant par des moyens technologiques. (…) seuls le floutage et l’érosion du sexe biologique, du cerveau genré, des rôles sociaux binaires par les technologies convergentes permettra aux individus d’accéder à tous les potentiels humains et à toutes les expériences, quels que soient leur sexe de naissance ou leur genre assumé. (…) Une espèce post-biologique serait par définition (…) une entité post-genre (…) Les biotechnologies, les neurotechnologies et les technologies de l’information permettent de compléter ce projet de nous libérer du patriarcat et des contraintes de la binarité de genres. Les technologies post-genre mettront un terme à l’auto-identification figée, biologique et sexuelle, permettant aux individus de décider pour eux-mêmes quels traits biologiques et psychologiques genrés ils veulent garder ou rejeter[23]. »
Un programme queer identique à celui de Beatriz Preciado, qui veut utiliser les « bio-technologies de sexe » (chirurgie, hormones…) pour « queeriser » la nature, de sorte que le corps « ne puisse [jamais] reconduire l’idée d’une cohérence masculine ou féminine[24] ».
À l’écran, le powerpoint de J. Hugues affiche la couverture du livre de Martine Rothblatt, From transgender to transhuman [De transgenre à transhumain]. Qui est Martine Rothblatt ? « La femme PDG la mieux payée des États-Unis », selon le New York Magazine. Une fortune accumulée dans les communications par satellite et l’industrie pharmaceutique, et réinvestie en partie dans sa fondation transhumaniste « Terasem ». Transgenre (Martin est devenu Martine en 1994), Rothblatt revendique à la fois la disparition du genre et l’immortalité via le clonage numérique de l’esprit. Elle incarne ce double refus propre aux transhumanistes : refus de la mort et de la sexuation, c’est-à-dire de ce qui caractérise le vivant.
Si les humains du XXIe siècle ont accepté sans révulsion l’idée d’en finir avec eux-mêmes, c’est que les esprits avaient été préparés par des décennies d’idéologie anti-humaniste diffusée par l’université, l’édition, l’industrie culturelle, les médias, la publicité.
Tout de même. Sans jouer les psyborgs, les mots nous informent : choisir la déconstruction pour maître mot annonçait le programme. L’entreprise de démolition a fait son œuvre. Faut-il rabâcher que les idées ont des conséquences ? Je suis le produit de cette pensée.
***
Un café s’impose. Mon oreille bionique capte les conversations. François-Xavier Pallay, jeune chercheur de l’équipe de Miroslav Radman à l’Inserm, discute avec un spectateur. Ses recherches portent sur la lutte contre le vieillissement, il est très optimiste et technophile au dernier degré, se sent proche des valeurs transhumanistes. « Miro » est un super chef, dans un an il rejoindra son labo en Croatie, c’est une bonne opportunité pour lui. Après, il partira peut-être pour la Californie, il n’aura aucun problème pour s’adapter. Il a une très mauvaise hygiène de vie, ne pratique aucun sport et adore manger. Mais il a de bons gènes puisque sa grand-mère a 100 ans. Et comme c’est sa grand-mère maternelle, il a ses mitochondries, quelle chance.
Je me demande parfois ce qui m’attire tant chez les humains.
***
Plus le colloque avance, plus je perçois l’enjeu de cette époque : quel choix la déferlante technologique a‑t-elle laissé aux hommes du XXIe siècle ? Comme les ingénieurs, les transhumanistes sont duplices. D’un côté, les technologies doivent tout « révolutionner », d’un autre, on n’est pas forcés de les adopter. Certes, mais ils omettent leur propre conclusion : ceux qui refusent le « progrès » sont exclus de la société révolutionnée. Comme nos inférieurs gardés à distance. En 2014, les prothèses communicantes n’étant pas encore implantées, les humains avaient le choix de les utiliser ou non, contrairement à nous. Or ils étaient tous équipés de smartphones et autres supports numériques externes. Comment rester en lien avec ses congénères sans adopter leurs moyens de communication, a fortiori quand toute l’existence s’organise via ceux-ci ? Pour vivre ensemble, il faut a minima partager des modes de vie. Ceux précisément que la technologie révolutionne. L’argument du choix est non-valide.
Les transhumanistes ne cessent pourtant de l’invoquer, de même que la liberté de disposer de son propre corps : au nom de quoi leur refuserait-on l’augmentation technologique, s’ils laissent aux autres la liberté de ne pas les imiter ? C’est ce que défendent notamment les libertariens, représentés au colloque par deux figures importantes.
Anders Sandberg, Suédois implanté à l’université d’Oxford, est un collègue de Nick Bostrom au Future Humanity Institute. Vêtu de noir, médaillon d’argent au cou, raie sur le côté, voix et sourire onctueux, blagues polies : on dirait un pasteur luthérien. Sandberg s’intéresse à l’augmentation cognitive pour tous. Il présente des diagrammes de corrélation entre hausse du QI et hausse du PIB, entre niveau de QI et bonheur. On doit avoir le droit de s’améliorer si on veut — ou non, chacun fait ce qui lui plaît. Un ami s’est implanté des aimants au bout des doigts. Sandberg, lui, prend des drogues (du modafinil, destiné aux narcoleptiques) pour être plus performant du cerveau. Heureusement pour nous, il n’en a pas pris aujourd’hui, sinon son exposé aurait duré huit heures (rire poli).
L’autre vedette libertarienne est la designer Natasha Vita-More, présidente de Humanity +. Robe moulante, blouson de cuir sur les épaules, brushing et maquillage de star, sourire télévisuel — « Hi James ! Hi Anders ! », salut de la main à la salle, une fesse sur un coin de la table. Vive la Silicon Valley. Bien que technolâtre, Vita-More ne touche pas l’ordinateur et dicte ses ordres au petit personnel. Sa leçon : en cas d’accident d’avion, il faut mettre son masque à oxygène avant d’aider les autres. C’est du bon sens, pas de l’égoïsme. La vie, c’est pareil. « Le transhumanisme, lancé dans la vague post-moderne des années 1990, n’est pas égoïste. C’est juste qu’il faut être en bonne santé pour s’occuper des autres. » Vita-More s’intéresse donc à la possibilité de sauvegarder son cerveau (comme un « back up » informatique), et travaille pour cela sur la vitrification. Quand on lui demande son âge, elle répond : ma jambe gauche a 20 ans, mon nouveau sein a trois ans. Mais de près, on dirait une vieille gargouille qui voudrait rester jeune.
Vita-More a été membre des « Verts » américains et regrette que la société ne soit pas prête pour le libertarisme. Elle est cyber-bouddhiste et remercie Apple pour la beauté de ses objets connectés. Est-ce mes circuits qui chauffent ? Son babillage sature mes capteurs.
Afin de mettre en scène la fable du libre choix, le colloque a invité des sourds qui refusent l’implant cochléaire, pour un débat et la projection d’un documentaire sur le sujet. Co-auteur du film, le philosophe et psychanalyste Miguel Benassayag, irrité d’avoir accepté l’invitation, fait un numéro de non-conforme exubérant aussitôt folklorisé par le public. Après quoi Marc Roux conclut posément : « nous, transhumanistes, et vous, sourds non implantés, refusons pareillement la normalisation du corps, et demandons qu’on nous laisse le choix. Votre combat est le nôtre. » Ces humains sont vraiment déconcertants. Sa conclusion serait identique avec des sourds implantés : chacun fait ce qu’il veut. Grossier procédé pour occulter la tyrannie technologique. Hum, je commence à parler comme les « Chimpanzés du futur ».
Laurent Alexandre, lui, ne nie pas la contrainte du « progrès ». Pour l’ex-urologue devenu millionnaire grâce à Internet, puis fondateur de la boîte de séquençage génétique DNAVision, le bébé à la carte est en route. D’abord par le choix des bons embryons, puis par les manipulations génétiques. On scannera l’embryon — par simple prise de sang — pour le choisir, y compris sur ses capacités intellectuelles et son espérance de vie. 28 % des Américains sont d’accord pour sélectionner un bébé plus intelligent. « Les autres ne tiendront pas longtemps s’ils ne veulent pas que leurs enfants soient les domestiques des premiers », assène Laurent Alexandre. Ou des inférieurs relégués aux marges de la cybersphère. Le chroniqueur hebdomadaire du Monde, visiblement un Alpha +, dompte son public. Grand et droit dans son jean repassé et sa chemise bleue, visage plastifié et regard froid, il fonce sur Jean-Michel Besnier : « Tiens, il y a même des intellectuels de gauche ». Serrement de mains, rire gêné de Besnier, dont l’apparence contraste avec celle de son interlocuteur. Petit, enrobé, le visage mou et faible, presque apeuré devant le mâle dominant. On a honte et pitié de ce défenseur de l’humain si gélatineux.
Alexandre ordonne, bouge, se fige, fixe l’auditoire, lève les mains, crie, parle grossièrement. De ces gesticulations, il ressort que : le transhumanisme compte aussi ses charlatans et Ray Kurzweill est le Rika Zaraï de la génétique ; ses « conneries » en la matière amusent le jardinier de M. Alexandre mais n’ont aucun fondement scientifique ; penser qu’on va gagner 200 ans d’espérance de vie est au mieux de l’escroquerie, au pire de la « connerie » ; donner de faux espoirs décrédibilise les progressistes qui vont passer pour des « cons ».
À quoi joue-t-il ? Deux ans avant ce colloque, il déclarait : « Ma conviction personnelle est que certains d’entre vous dans cette salle vivront mille ans[25]. » D’ailleurs, le voici qui enchaîne : il pense que l’espérance de vie va augmenter fortement après 2050 grâce au potentiel des NBIC. « Je ne suis pas un bioconservateur. » Le cancer deviendra une maladie chronique à l’horizon 2030 grâce au séquençage des tumeurs. La médecine de l’ère transhumaniste est celle des big data, des NBIC, des objets connectés, des neurotechnologies. Le médecin sera subordonné à son système expert, et c’est le serveur qui prendra les décisions : les normes éthiques seront gérées par les algorithmes.
Oui, la révolution NBIC est en marche MAIS ! — il crie — « on ne descend pas de la révolution comme d’un carrosse ! » Il est louable de nous augmenter et de nous rendre immortels, mais la dynamique de la révolution risque de nous échapper. La lutte contre le vieillissement est marginale à côté des mondes vertigineux créés par les neurotechnologies. Les machines devenant plus intelligentes, il nous faut aussi augmenter notre intelligence. D’ailleurs, Jacques Attali, qui a des capacités cognitives supérieures, est un ami. Les Chinois ont lancé l’eugénisme intellectuel. Voici la vraie « disruption ». Nous entrons dans une économie schumpétérienne basée sur les algorithmes. Les GAFA (Google, Apple, Facebook, Amazon) et la Silicon Valley investissent dans la santé, avec des visées sur l’augmentation cérébrale.
Nous n’avons pas d’éthique stabilisée. Quelle peut être la réaction des bioconservateurs ? Verra-t-on de nouvelles révoltes luddites ? « Ludovine de la Rochère, même si elle n’aime pas les pédés, est moins conservatrice que José Bové : elle est pour la thérapie génique et la PMA. » On pourrait voir une contre-révolution agressive avec un retour vers une barbarie anti-technologique (à l’écran, image d’un Coran et d’une main tranchée). Fin du show. Wlad ne me croira jamais.
***
Ces trois jours ont épuisé mes batteries. Il faut encore supporter un artiste. Yann Minh joue si bien le crétin qu’on le croit immédiatement. Il nous inflige un jeu vidéo à l’écran en débitant des cyberbanalités : « Je suis un cyber punk à béret, j’ai l’âge de mon ADN, soit 4 milliards d’années, je donne des cours dans des grandes écoles d’art et d’ingénierie ; il n’y a pas d’aliénation, mais des apprentissages ; l’automobile est l’extension de nos jambes et on s’y est adaptés ; la pilule est un outil de cyber-sexe ; l’homme avec un marteau, c’est déjà un processus transhumaniste ; Marc Caro est un pote, et je sais ce qu’est la révolution ; la vie, c’est de la matière informée et le transhumanisme est une métaphore de l’histoire de la vie ; c’est vraiment top. » Gabriel Dorthe, le philosophe dominant, est ravi de rencontrer Yann Minh, qu’il suit sur Facebook depuis longtemps.
Si les écoles d’art et d’ingénierie ont déversé ces mégaoctets de junk code dans la cervelle de leurs élèves, il n’y a plus à se demander comment les humains ont basculé dans la post-humanité. Un imaginaire né de la société de consommation et des loisirs et de l’emballement technologique, dans les cerveaux de gavés insatiables. Comme les toxicomanes, il leur en faut toujours plus — de sensations, de performances, de jouissance, de puissance. Leur besoin de s’augmenter trahit leur insatisfaction d’eux-mêmes. Ne sachant plus être humains, ils sont devenus anthropophobes. Aucune des bornes interactives de « TransVision 2014 » n’a expliqué l’intérêt d’une existence post-humaine, hors cet argument quantitatif : plus égale mieux. Mécanique et limitée, leur imagination n’en est pas moins au pouvoir. Il est si facile d’être du côté de la technologie, quand la technologie gouverne le monde.
Il faut déjà rentrer. Je quitte 2014 avec le sentiment d’avoir vécu le moment de bascule. Furie technologique soutenue par une techno-classe riche et puissante, accompagnée de dispositifs d’acceptabilité multiples ; renoncement de la gauche à l’émancipation au profit de la déconstruction ; allégeance des politiques et des intellectuels à la technocratie ; effondrement de la pensée et de son enseignement. Les derniers humains auraient-ils pu bloquer la machine ? Je l’ignore. Je suis heureux tout de même d’avoir découvert des réfractaires à ce processus d’autodestruction. En fait, la contradiction principale de l’époque opposait les humains (d’origine animale) aux inhumains (d’avenir machinal). Les « Chimpanzés du futur » n’étaient d’accord ni sur les moyens, ni sur les fins. Ils détestaient la lâcheté des fuyards et leur projet d’existence artificielle. Je les comprends. Je suis un cyborg mélancolique.
N° 0 67 09 47 011 009
Depuis la cybersphère,
12 janvier 2211
Appel des Chimpanzés du futur, nov. 2014, sur www.piecesetmaindoeuvre.com ↑
Cinq prix Nobel (Pierre Curie, Marie Curie, Frédéric Joliot-Curie, Pierre-Gilles de Gennes et Georges Charpak) sont passés par l’ESPCI, dont tous les directeurs hormis le premier ont été élus à l’Académie des sciences. ↑
cf. « Nanotechnologies : et maintenant, le tsunami de la communication », sur www.piecesetmaindoeuvre.com ↑
Nanotechnologies, biotechnologies, informatique, sciences cognitives ↑
https://www.frc.ri.cmu.edu/~hpm/project.archive/general.articles/1997/970128.nosense.html ↑
Les deux cultures, C.P Snow (Editions Bourgois) ↑
http://ieet.org/index.php/IEET/print/8341 ↑
France Inter, 27/06/12 ↑
12/01/12, France 2, « Des paroles et des actes » ↑
Fête de l’Humanité, 13/09/14 ↑
Tribune sur huffingtonpost.fr, 3/11/14 ↑
http://ieet.org/index.php/IEET/print/8341 ↑
cf. L’empire cybernétique. Des machines à penser à la pensée machine, Céline Lafontaine (Seuil) ↑
Mille Plateaux – Capitalisme et schizophrénie (éditions de Minuit) ↑
Dits et Ecrits 1 (1969) ↑
Du latin « diabolos » : qui désunit. ↑
n°75, automne 2011, « Devenir-hybride » ↑
L’inséparé, essai sur un monde sans autre, Dominique Quessada (PUF, 2013) ↑
Plurivers, essai sur la fin du monde, Jean-Clet Martin (PUF, 2010) ↑
Défaire le genre (éditions Amsterdam, 2006) ↑
« Manifeste cyborg : science, technologie et féministe socialiste à la fin du XXe siècle » in Manifeste cyborg et autres essais, D. Haraway ↑
Multitudes queer : notes pour une politique des anormaux (site Les Panthères roses, 2003) ↑
Postgenderism : Beyond the Gender Binary, J. Hugues et G. Dvorsky, mars 2008 (IEET) ↑
Manifeste contra-sexuel, B. Preciado (Balland, 2000) ↑
Conférence TEDx, 6/10/12. Propos réitérés dans la presse, notamment en juillet 2014 (capital.fr) ↑
Source: Lire l'article complet de Le Partage