par Strategika 51.
La Guerre d’Afghanistan est loin d’être terminée. La débandade ayant caractérisé le retrait des forces US est le prélude à une nouvelle phase de ce conflit. Le plus long de l’histoire militaire des États-Unis d’Amérique.
Le 17 août 2021, les avoirs du Gouvernement afghan ont été gelés par Washington. Des informations convergentes font état également du vol de l’ensemble des réserves d’or de ce pays pauvre et enclavé. Ces dernières étaient estimées à 21,87 tonnes.
La majorité des réserves en devises et l’or appartenant à l’Afghanistan étaient détenus par la banque de Réserve fédérale de New York.
Les Taliban d’Afghanistan ont réussi à reprendre le pouvoir dans un pays où l’ensemble des réserves en devises étrangères et tout l’or a été volé. En parallèle, l’ancien régime de l’ex-président Ashraf Ghani, a vidé l’ensemble des banques du pays. Des sources locales indiquent qu’une immense quantité de cash a disparu de l’ensemble des banques et des établissements financiers du pays et bien qu’une bonne partie de cette masse monétaire ait quitté le pays, probablement échangée en dollars US, une énorme quantité de cash et d’opium s’est retrouvée entre les mains des adversaires des Taliban dans le nord du pays. Ces derniers n’agissent pas seuls et bénéficient d’un soutien des forces spéciales US comme dans le nord et le Sud-est de la Syrie.
Point très important, Washington avait affirmé que le Pentagone avait planifié la poursuite des opérations militaires US en Afghanistan après le retrait qui devait se terminer le 1er septembre 2021. Cette annonce indique que la nature du conflit allait connaître une nouvelle mutation. La Guerre d’Afghanistan, désastreuse pour l’Empire, pourrait se transformer en une guerre hybride utilisant massivement la guerre économique et financière, la création et le soutien de nouveaux mouvements insurrectionnels antigouvernementaux, les drones d’attaque, le sabotage et les révoltes colorées en province.
L’Afghanistan est un pays enclavé sans aucun accès à la mer. La mise en place d’une logistique pour une guerre hybride incluant une insurrection qui se dessine sous la forme d’une nouvelle Alliance du Nord dirigée (temporairement) par l’ancien vice-président Amrullah Salah et représentée par la nouvelle icône qu’est le fils du défunt Commandant Massoud, aura besoin d’un territoire limitrophe ou contigu au théâtre des opérations. Le refus du Pakistan d’être une base arrière des opérations de la nouvelle guerre hybride US en Afghanistan ainsi que le blocage du Tadjikistan par Moscou ont contraint les généraux de Washington à utiliser une nouvelle stratégie. L’aéroport international de Kaboul doit non seulement rester sous contrôle US mais servira de principale base des opérations de la nouvelle guerre hybride. Cela explique les renforts militaires dépêchés à Kaboul sous couvert de rapatriement de réfugiés afghans ayant collaboré avec l’occupation ou favorables à l’ancien régime. Un plan prévoit le déploiement de 40 000 soldats ou mercenaires près de Kaboul et au sein de la nouvelle Alliance du Nord. Du déjà vu? Qu’importe. La propagande des médias brouillera les pistes.
Le seul problème auquel fait face ce nouveau plan est la posture du tandem Chine-Pakistan, la position russe et les options iraniennes face à la nouvelle mutation de ce conflit interminable. La nouvelle insurrection anti-Taliban montre déjà tous les signes d’une milice pro-US : haine du Pakistan et alliance avec l’Inde; hostilité à la Chine et rapprochement avec les séparatistes Ouïghours; proximité avec les idéologues néoconservateurs US et des figures de malheur tels que le dénommé Bernard Henry Lévy, etc. Les manifestations ayant émaillé la célébration de la fête d’indépendance de l’Afghanistan le 19 août (de l’Empire britannique en 1919) ne sont nullement fortuites et traduisent un début de récupération basé sur le ressentiment de certaines communautés privées de ressources par l’arrivée au pouvoir des Taliban mais également par l’émergence d’une nouvelle génération influencée par certains aspects de la sous-culture mondialiste et une certaine acculturation induite par la corruption et l’argent facile (problème commun à de nombreux autres pays).
On peut déjà parier que le principal effort sera de faire perdurer l’instabilité et la violence tout en empêchant, par tous les moyens possibles, tout investissement chinois ou extension de la zone d’influence chinoise. En même temps, les éléments pro-empire tenteront de relancer les troubles aux Xinjiang et amener la Chine à intervenir militairement en Afghanistan où ses ressources s’épuiseront dans une plus ou moins longue guerre d’usure que Washington et ses alliés seront pressés de soutenir et d’alimenter. Un point chaud à l’ouest de la Chine complètera la stratégie d’encerclement de ce pays et permettra d’intensifier la pression sur les autres points de friction (Taïwan, Hong-Kong, la Péninsule coréenne, le Tibet, le contentieux sino-indien) alors que la Chine s’empêtre dans la nasse afghane. Un scénario que Beijing a étudié en menu détail.
C’est paradoxalement les postures stratégiques de Moscou et de Téhéran qui posent un problème réel de prospective concernant la Guerre d’Afghanistan. Les deux pays ont des positions ambivalentes-le premier en raison de l’histoire récente et le second-une République islamique, par clivage confessionnel. La perception de ces deux acteurs du nouveau pouvoir à Kaboul est donc influencée par des éléments extérieurs à la rivalité ou l’antagonisme avec l’Empire. Cette donne est extrêmement intéressante dans la mesure où elle va déterminer le succès ou la poursuite de l’échec de l’Empire en Asie centrale et dans le sous-continent indien.
En résumé, Washington va continuer sa lutte contre les Taliban par d’autres moyens et considérera cette lutte dans le cadre d’une confrontation par proxy avec la Chine car il s’agit avant tout d’empêcher une éventuelle mainmise économique chinoise sur l’Afghanistan qui facilitera la résurgence de l’antique Route de la Soie et stimulera les routes de prospérité chinoises à travers l’Asie centrale et l’Eurasie. Il est de plus en plus certain que la Chine ne restera pas les bras croisés et ne se contentera nullement d’observer comme par le passé ce qui se passe à son extrême et étroite frontière occidentale et déploiera sa propre stratégie de riposte.
Si la Russie appuie les efforts chinois et s’abstiennent de déstabiliser Kaboul tout en compliquant la stratégie US, la partie est irrémédiablement perdue pour Washington même si Téhéran joue sur les deux tableaux (la Realpolitik contraint l’Iran à soutenir le nouveau pouvoir à Kaboul pour affaiblir l’action US et entraver la stratégie de Washington dans la région). Notre pronostic est que Moscou adoptera une stratégie disruptive même s’il existe une réelle divergence de perception stratégique entre Chinois et Russes. L’immense influence russe en Asie centrale est à la fois un immense atout et un élément de faiblesse que Washington ne manquera pas de chercher dans les deux sens.
L’Iran aura deux perceptions et se méfiera d’un Afghanistan entre les mains de Taliban dont les accointances avec certaines monarchies du Golfe comme le Qatar pourraient cacher une manipulation stratégique à double tranchant. À moins que les Taliban arrivent à un entendement avec les Hazaras ou les intègrent dans le gouvernement, ce doute persistera.
Les jours qui viennent sont fort incertains. Il est probable que les Taliban ne resteront pas longtemps à Kaboul et reprendront la guérilla dans les zones rurales. Un éventuel soutien de la Chine pourrait prolonger la présence des Taliban au pouvoir mais tout dépendra de la perméabilité des Taliban aux influences du Golfe. Il est hautement probable que Washington continuera à déployer les stratégies les plus erronées possibles dans la gestion d’un Grand Jeu 2.0 duquel il ne sortira pas indemne en termes d’images et de ressources.
source : https://strategika51.org
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Source : Lire l'article complet par Réseau International
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