Une gifle au carré, voire au cube. Voilà ce qu’a reçu Washington en Afghanistan. Certes, ce n’est pas le premier empire à voir ses rêves se fracasser au royaume de l’insolence : Britanniques victoriens, Russes tsaristes ou soviétiques en savent quelque chose. Même le grand Gengis Khan y a connu des misères et a dû s’y reprendre à deux fois…
L’écroulement des fabuleuses chimères américaines, visant à faire du pays une plateforme pour se lancer à l’assaut de l’Asie centrale et diviser l’Eurasie pour toujours, ne fait que s’ajouter à une liste déjà (très) longue. Mais ce sont les conditions dans lesquelles prend place cette déroute qui interpellent.
Dans le dernier billet, nous nous interrogions :
Désormais, la question n’est plus de savoir si les Taliban vont gagner, mais quand. Sur ce point, les avis divergent. Beaucoup voient se répéter dans les prochains mois un scénario « à la vietnamienne », qui verrait le gouvernement tomber dès que le dernier GI sera monté dans le dernier hélicoptère. Souvenons-nous cependant qu’après le départ de l’Armée rouge en 1989, et alors qu’on lui prédisait exactement le même sort, le régime communiste afghan a quand même tenu jusqu’en 1992 avant de chuter.
C’est précisément là qu’on mesure le fiasco US. L’agonisante URSS avait tout de même réussi à former, en quelques années et sans beaucoup de moyens, une armée professionnelle qui a résisté trois ans aux moujahiddines supportés par des puissances étrangères.
Ici, vingt ans de nation-building et des centaines de milliards de dollars n’ont abouti qu’à un lamentable effondrement en quelques jours face à une guérilla ne comptant que sur elle-même. Un terrible coup pour les « valeurs » américaines.
Les taliban investissent les luxueux palaces des seigneurs de la guerre sponsorisés par Washington et s’y amusent, pendant que ceux-ci fuient avec armes et bagages vers les pays voisins (ici, Dostum qui attend que l’Ouzbékistan ouvre sa frontière) :
Plus à l’ouest, l’armée afghane, piteusement entraînée par l’OTAN, se réfugie avec son matériel made in US en… Iran ! Tout un symbole.
Autre clou dans le cercueil, les taliban contrôlent aujourd’hui plus de territoire qu’en 2001, avant l’intervention américaine (n’oublions pas qu’alors, le quart nord-est du pays était tenu par l’Alliance du nord du commandant Massoud et que les « étudiants » en théologie n’avaient pas réussi à imposer leur férule sur d’autres parties du pays).
En ce moment même, alors que les taliban entrent dans la capitale, les scènes de sauve-qui-peut à l’aéroport de Kaboul font furieusement penser à un certain Vietnam et la comparaison ne s’arrête évidemment pas là…
Fait extrêmement révélateur : tandis que les ambassades occidentales évacuent en catastrophe leur personnel, Moscou laisse ses diplomates sur place. Qu’il est loin le temps où le Russe était persona non grata en Afghanistan voire une cible à abattre immédiatement.
Depuis des années, nous l’avons expliqué, le Kremlin savait que les taliban allaient finir par l’emporter et il a intelligemment ouvert des canaux de communication avec le mouvement, insistant particulièrement sur l’ennemi commun : Daech. Une diplomatie des petits pas qui porte aujourd’hui ses fruits et permet aux Russes de rester à Kaboul à l’heure où beaucoup d’autres se sauvent.
Les Chinois aussi entrent dans la danse. Une délégation talibane a été officiellement reçue dans l’empire du Milieu fin juillet : assurances de ne soutenir aucun groupe séparatiste (au Xinjiang) contre reconnaissance internationale voire aide économique.
Car, comme nous l’avons là aussi expliqué à plusieurs reprises, les taliban nouvelle formule sont assez différents de leurs prédécesseurs :
À tel point que les Hazaras, peuple chiite persécuté par la première version des talibans dans les années 1990, viennent maintenant leur demander protection face à l’Etat Islamique. Les talibans 2.0, « responsabilisés » en quelque sorte, ont accepté la requête, souhaitant désormais sans doute apparaître comme les gardiens de la sécurité afghane et de l’intérêt national.
Depuis, ils ont assuré tous les Etats voisins qu’il n’y aurait aucune interférence dans leurs affaires intérieures (alors que certains commandants de 1996 parlaient même de « prendre Samarcande » !), ont ouvert des canaux de communication, proposent une coopération économique…
Et si Moscou, par principe de précaution, augmente ses livraisons d’armes à son allié tadjik et à l’Ouzbékistan, il n’est effectivement pas impossible que les turbulents enturbannés tiennent leurs engagements voire embarquent carrément pour l’intégration eurasiatique, sous des modalités qui restent d’ailleurs à définir. Tout dépendra du poids des différentes factions au sein du mouvement taleb, plus fort, plus indépendant mais aussi plus hétérogène qu’à l’époque du motocycliste Omar…
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Chers amis,
votre serviteur est donc de retour et c’est un véritable plaisir de vous retrouver. Désolé pour ces presque deux mois de silence mais, comme vous le savez, la priorité était donnée au livre. Merci pour votre incommensurable patience et bien à vous tous, chers lecteurs !
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