La défaite étasunienne en Afghanistan – Quelle différence avec l’expérience soviétique ?

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par As’ad AbuKhalil.

La décision du président Joe Biden de retirer « toutes les troupes américaines » d’Afghanistan (pas vraiment toutes, mais vous savez comment les empires plient leurs tentes d’occupation) a été une décision majeure dans l’histoire contemporaine de l’empire américain depuis la fin de la guerre froide. La guerre américaine a duré plus longtemps que l’intervention militaire soviétique en Afghanistan et pourtant, les médias occidentaux n’ont jamais considéré l’implication américaine pour ce qu’elle était : une tentative de remodeler le Moyen-Orient – et au-delà – selon les desseins des États-Unis. De nombreux faits concernant le contexte de l’intervention américaine sont rarement repris dans les récits des médias américains.

Il existe une grande différence entre l’expérience américaine et soviétique en Afghanistan. L’Union soviétique n’a jamais créé de groupe d’exilés pour l’imposer à la population afghane et la dominer. Comme prête-nom seulement bien sûr, puisque c’est l’armée américaine et la bureaucratie des Affaires étrangères qui dirigeaient réellement le pays. Tout comme en Irak, les États-Unis ont utilisés des marionnettes, ayant une très faible légitimité populaire dans la plupart des cas, pour gouverner en leur nom.

Ahmad Chalabi fut l’un des principaux favoris de l’administration Bush, et l’homme dont les États-Unis espéraient qu’il conduirait l’Irak dans l’orbite américaine et même vers la paix avec Israël. Mais lors des dernières élections irakiennes avant sa mort, il a dû s’aligner sur le clerc chiite Muqtada As-Sadr afin de s’assurer un siège au parlement irakien. L’homme qui était la clé des services de renseignement et de l’armée américains (et qui a reçu des millions de l’argent des contribuables pour mener des opérations secrètes au nom des États-Unis) s’est retrouvé allié de l’Iran et de ses alliés dans la région.

Les Soviétiques, en revanche, se sont appuyés sur des Afghans populaires locaux qui étaient profondément enracinés dans leur pays et qui avaient déjà formé des partis politiques progressistes populaires. Ces photographies en noir et blanc, qui montrent à quel point l’Afghanistan était laïc, ne sont qu’un témoignage de l’impact d’un régime laïc et gauchiste sur ce pays.

Des femmes à l’université en Afghanistan dans les années 1970. Les États-Unis, qui versent des larmes de crocodile sur le statut des femmes en Afghanistan, ont soutenu les mêmes djihadistes qui, dans les années 1980, ont mis fin à cette situation. (Amnesty International UK)

Autant l’invasion soviétique de l’Afghanistan a bénéficié d’une couverture médiatique américaine à l’époque (rappelez-vous le correspondant de CBS, Dan Rather, enfilant la garde-robe hollywoodienne afghane et faisant la promotion des moudjahidines fanatiques ?), autant les gouvernements occidentaux et ceux du Golfe se sont plaints et ont exprimé leur indignation face aux soi-disant excès de l’armée soviétique. Pourtant l’entreprise d’occupation américaine en Afghanistan s’est avérée bien plus brutale et dévastatrice – mais les médias n’ont guère prêté attention aux violations des droits de l’homme commises par les États-Unis dans ce pays. Le nombre de civils tués en Afghanistan par les États-Unis, ou par leurs alliés, dépasse souvent le nombre de civils tués par an par les talibans.

Préparer le peuple à l’invasion

Pour chaque invasion, les États-Unis préparent un ensemble de points de discussion de propagande, et ces points sont consciencieusement repris dans les médias occidentaux comme étant des faits. Ces points de discussion peuvent être modifiés en fonction de la situation. Les États-Unis ont d’abord envahi l’Irak, soi-disant pour débarrasser le pays des armes de destruction massive (ADM), mais lorsqu’aucune ADM n’a été trouvée, les États-Unis se sont fixé un autre objectif : établir la démocratie au Moyen-Orient. Et alors que les États-Unis ont combattu toutes les tentatives de démocratisation de l’Irak et ont essayé de remplacer les élections libres par des « caucus », ils ont ensuite eu pour objectif de stabiliser le pays (le pays n’est toujours pas stabilisé).

En Afghanistan, les États-Unis ont envahi le pays pour punir les talibans des attentats du 11 septembre, bien qu’il n’y ait toujours aucune preuve que les dirigeants talibans étaient au courant des plans d’Oussama ben Laden. Lorsque les États-Unis ont demandé au gouvernement taliban de livrer Ben Laden au lendemain du 11 septembre, ce dernier (qui n’avait la reconnaissance diplomatique que de trois pays – l’Arabie saoudite, le Pakistan et les Émirats arabes unis – tous des alliés régionaux clés des États-Unis) a sérieusement envisagé de le livrer et a demandé aux États-Unis de fournir des preuves de la culpabilité de Ben Laden.

Mais les États-Unis ont refusé de négocier parce qu’ils avaient l’intention d’envahir le pays pour donner une leçon et « botter certaines fesses ». Les États-Unis voulaient une guerre de vengeance et 93 % des Américains soutenaient cette guerre à l’époque (l’invasion de l’Irak n’était pas aussi massivement populaire, mais une majorité écrasante d’Américains la soutenait quand même). Le président George W. Bush a profité de l’occasion pour affirmer que les États-Unis voulaient surmonter le syndrome du Vietnam, même si son père avait déclaré en 1991 que ce syndrome avait été éliminé une fois pour toutes. Tout cela n’était de toute façon qu’un mythe puisque les États-Unis n’ont jamais cessé d’intervenir militairement dans les affaires des pays et de les envahir, depuis le Vietnam, mais le Parti républicain a créé ce mythe pour rationaliser ses appels à davantage de guerres et d’invasions.


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GIs de la Delta Force déguisés en civils afghans, alors qu’ils recherchaient Ben Laden en novembre 2001. (Wikimedia Commons)

Au moment de l’intervention soviétique, l’Afghanistan était divisé entre des forces réactionnaires, obscurantistes et axées sur la religion, et des gauchistes qui voulaient un programme social progressiste fondé sur le féminisme, la laïcité et la justice sociale. Les États-Unis se sont bien sûr rangés du côté des zélotes réactionnaires et religieux, qu’ils se sont empressés d’organiser, de financer et d’armer, dans le sillage de l’entrée des militaires soviétiques dans le pays.

Ben Laden est le produit direct de l’implication des États-Unis en Afghanistan, car les États-Unis ont été la sage-femme qui a permis la naissance d’une force internationaliste de fanatiques religieux, de fous et de zélotes. Les Soviétiques ont dû faire face à un ensemble de forces régionales et internationales que les États-Unis ont organisées pour saper les efforts de Moscou en Afghanistan et ceux d’un régime afghan progressiste. Avec l’aide notamment de l’Arabie saoudite, du Pakistan et des djihadistes régionaux, les États-Unis ont, dans les années 1980, infligé à l’ensemble de la région une guerre internationalisée dont celle-ci ne s’est pas remise, pas même aujourd’hui.

Les Soviétiques ont géré leur guerre en Afghanistan de manière assez différente. Ils n’ont pas organisé une force internationale pour soutenir le régime de leurs alliés. En outre, les communistes mondiaux ont lamentablement échoué à voir la signification historique du conflit afghan : ils ne réalisaient pas que la défaite du projet progressiste en Afghanistan aurait de graves répercussions sur le progrès dans toute la région – voire dans le monde entier.

Ils ne voyaient pas l’importance de vaincre le projet réactionnaire là-bas ; s’ils s’étaient organisés – comme ils l’avaient fait pendant la guerre civile espagnole – ils auraient peut-être pu préserver l’ordre progressiste à Kaboul. Ce fut une occasion manquée pour le progrès dans le monde entier. Il s’est avéré que l’U.R.S.S. ne défendait pas seulement un régime progressiste en Afghanistan, mais qu’elle défendait le progressisme dans les pays musulmans du monde entier.


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Soldat soviétique en Afghanistan. (Mikhail Evstafiev via Wikimedia Commons)

En revanche, les États-Unis et les puissances occidentales en général encourageaient les forces réactionnaires dans le monde islamique. Et ces forces étaient en phase avec le régime réactionnaire d’Arabie Saoudite, qui a sauté sur l’occasion de collaborer, une fois de plus, avec les États-Unis pour combattre les progressistes arabes et musulmans.

Les États-Unis n’ont pas fait face en Afghanistan à l’éventail internationaliste de forces auquel l’U.R.S.S. avait été confrontée. Washington a formé une coalition internationale de divers gouvernements du monde entier – qui, curieusement, ont considéré l’occupation américaine de l’Afghanistan et une campagne brutale de pacification que les États-Unis avaient perfectionnée au Vietnam – comme une réponse juste ou une vengeance pour le 11 septembre.

La défaite d’aujourd’hui

Les États-Unis ont été vaincus aujourd’hui en Afghanistan, non pas par une superpuissance dotée d’une armée avancée, mais par une armée hétéroclite de fanatiques locaux, les mêmes qui avaient perfectionné et consolidé leur fanatisme sous la tutelle des États-Unis, de l’Arabie saoudite et du Pakistan dans les années 1980, pour combattre les Soviétiques.

Les États-Unis quittent l’Afghanistan vaincus tout en blâmant généralement ceux qui n’ont rien à voir avec la défaite américaine dans le pays. L’héritage des États-Unis est la perturbation de la vie des villages, le nombre croissant de victimes civiles et l’imposition d’un gouvernement composé de voleurs, de détourneurs de fonds, d’usurpateurs, de fonctionnaires de la Banque mondiale et d’une bonne dose de criminels de guerre qui avaient été rassemblés au sein de l’Alliance du Nord et de ses alliés dans leur guerre contre les talibans.

Tout comme les expatriés irakiens (comme Chalabi et Kanaan Makiyya) ont assuré à George W. Bush que les Irakiens de souche accueilleraient les troupes d’occupation américaines à bras ouverts, un groupe choisi d’expatriés afghans a assuré à Bush que les Afghans accueilleraient l’occupation américaine pour toujours. Du coup, les États-Unis n’ont pas compris pourquoi les habitants – où qu’ils soient – résistaient à la domination coloniale américaine.

Les médias occidentaux, en particulier le Washington Post et le New York Times, ont été scandalisés par le fait que l’administration Biden se retire du pays après « seulement » 20 ans d’occupation. Ils se sont interrogés sur le sort des bons Afghans – c’est-à-dire les Afghans qui ont travaillé, traduit, espionné pour le compte de l’armée américaine. Divers titres ont déploré le statut des femmes après le départ des Américains : que feraient les femmes musulmanes sans les troupes américaines ?

Mais l’armée américaine ne pouvait pas maintenir indéfiniment l’occupation et l’espoir d’une pacification stable a échappé aux États-Unis. Alors qu’ils retirent leurs forces d’Afghanistan, il est certain que les États-Unis, qui n’ont jamais compris le pays, le laissent dans un état bien pire que lorsque leur interférence dans les affaires du pays a débuté, il y a 40 ans.


source : Consortium News

traduit par Wayan, relu par Hervé pour le Saker Francophone

via https://lesakerfrancophone.fr

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Source : Lire l'article complet par Réseau International

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À propos de l'auteur Réseau International

Site de réflexion et de ré-information.Aujourd’hui nous assistons, à travers le monde, à une émancipation des masses vis à vis de l’information produite par les médias dits “mainstream”, et surtout vis à vis de la communication officielle, l’une et l’autre se confondant le plus souvent. Bien sûr, c’est Internet qui a permis cette émancipation. Mais pas seulement. S’il n’y avait pas eu un certain 11 Septembre, s’il n’y avait pas eu toutes ces guerres qui ont découlé de cet évènement, les choses auraient pu être bien différentes. Quelques jours après le 11 Septembre 2001, Marc-Edouard Nabe avait écrit un livre intitulé : “Une lueur d’espoir”. J’avais aimé ce titre. Il s’agissait bien d’une lueur, comme l’aube d’un jour nouveau. La lumière, progressivement, inexorablement se répandait sur la terre. Peu à peu, l’humanité sort des ténèbres. Nous n’en sommes encore qu’au début, mais cette dynamique semble irréversible. Le monde ne remerciera jamais assez Monsieur Thierry Meyssan pour avoir été à l’origine de la prise de conscience mondiale de la manipulation de l’information sur cet évènement que fut le 11 Septembre. Bien sûr, si ce n’était lui, quelqu’un d’autre l’aurait fait tôt ou tard. Mais l’Histoire est ainsi faite : la rencontre d’un homme et d’un évènement.Cette aube qui point, c’est la naissance de la vérité, en lutte contre le mensonge. Lumière contre ténèbres. J’ai espoir que la vérité triomphera car il n’existe d’ombre que par absence de lumière. L’échange d’informations à travers les blogs et forums permettra d’y parvenir. C’est la raison d’être de ce blog. Je souhaitais apporter ma modeste contribution à cette grande aventure, à travers mes réflexions, mon vécu et les divers échanges personnels que j’ai eu ici ou là. Il se veut sans prétentions, et n’a comme orientation que la recherche de la vérité, si elle existe.Chercher la vérité c’est, bien sûr, lutter contre le mensonge où qu’il se niche, mais c’est surtout une recherche éperdue de Justice.

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