Gérald Bronner et la « naturalité » du désastre technologique (par Nicolas Casaux)

Gérald Bronner et la « naturalité » du désastre technologique (par Nicolas Casaux)

Dans son der­nier livre, inti­tu­lé Apo­ca­lypse cog­ni­tive, Gérald Bron­ner, cré­tin diplô­mé et titu­la­ri­sé, socio­logue, membre de l’A­ca­dé­mie natio­nale de méde­cine, de l’A­ca­dé­mie des tech­no­lo­gies et de l’Ins­ti­tut uni­ver­si­taire de France, scien­tiste, défen­seur « des hié­rar­chies sociales », de la civi­li­sa­tion et de l’industrie, com­pile des sta­tis­tiques élo­quentes sur le désastre tech­no­lo­gique en cours :

« La bataille est inégale car la vraie ques­tion est : qu’est-ce qui peut concur­ren­cer les écrans dans ce domaine ? Ceux-ci, toutes les enquêtes de par le monde le disent, sont deve­nus des monstres atten­tion­nels. Ils dévorent notre temps de cer­veau dis­po­nible plus que n’importe quel autre objet pré­sent dans notre uni­vers. En 2010 déjà, l’Insee sou­li­gnait qu’en France, la moi­tié du temps men­tal dis­po­nible (c’est-à-dire, rap­pe­lons-le : le temps qui n’est consa­cré ni aux besoins phy­sio­lo­giques, ni au tra­vail, ni aux tâches domes­tiques, ni au trans­port) était cap­té par les écrans. Le terme « écran » désigne indif­fé­rem­ment la télé­vi­sion, les ordi­na­teurs ou les télé­phones. Si l’on y regarde de plus près, on voit que, dès 2010, les plus jeunes sont en train de migrer de la télé­vi­sion vers Inter­net. Chez les 15–24 ans, la télé­vi­sion est déjà lar­ge­ment dépas­sée par les écrans d’ordinateur et le phé­no­mène s’amplifie aujourd’hui.

Ce sipho­nage de notre atten­tion est en cours chez les plus jeunes. En dix ans, c’est 30 % sup­plé­men­taires de la dis­po­ni­bi­li­té men­tale des 2–4 ans qui ont été absor­bés par les écrans. En d’autres termes, les tout-petits, et notam­ment aux États-Unis, sont cap­ti­vés en moyenne près de 3 heures par jour par ces pièges à atten­tion. Ce temps d’écran jour­na­lier atteint 4 h 40 à douze ans. Les ado­les­cents ne s’arrêtent pas en si bon che­min et vont atteindre pour leurs dix-huit ans 6 h 40 de consom­ma­tion jour­na­lière moyenne de temps d’écran ! Pour bien mon­trer la puis­sance de cette cap­ta­tion, Michel Des­mur­get (2019, p. 197) rap­pelle que chez ceux qui s’approchent de l’âge adulte, ce temps cor­res­pond sur une année à 100 jours com­plets, soit 2,5 années sco­laires, ou encore “la tota­li­té du temps consa­cré de la sixième à la ter­mi­nale, pour un élève de filière scien­ti­fique, à l’enseignement du fran­çais, des mathé­ma­tiques et des sciences de la vie et de la terre”.

Expri­mée de cette façon, la diges­tion de notre dis­po­ni­bi­li­té men­tale par les écrans est assez élo­quente car, en la matière, c’est la logique des vases com­mu­ni­cants qui s’impose : ce qui est pris ici n’est pas inves­ti là. On pour­rait se dire qu’il se passe des choses pas­sion­nantes sur ces écrans et que ces jeunes esprits en for­ma­tion peuvent y trou­ver du maté­riel intel­lec­tuel aus­si satis­fai­sant que dans un livre ou dans un cours. Non, car ce temps est répar­ti comme suit : 43 % pour la télé­vi­sion, 22 % pour les jeux vidéo, 24 % pour les médias sociaux et 11 % pour par­cou­rir Inter­net. La lec­ture pâtit par­ti­cu­liè­re­ment de cette concur­rence pour siphon­ner notre atten­tion puisque les don­nées montrent qu’en France, le temps qui lui est consa­cré (y com­pris celle des jour­naux sur Inter­net) a dimi­nué d’un tiers depuis 1986.

L’outil le plus per­ti­nent pour appro­cher ce trans­fert d’attention est sans doute le smart­phone. D’abord, parce qu’en dix ans, le nombre de ces appa­reils ven­dus dans le monde a décu­plé pour atteindre près de 1 600 mil­lions d’unités ache­tées chaque année. Ensuite, parce que le temps moyen que nous y consa­crons est en constante évo­lu­tion. Les humains passent désor­mais 3,7 heures par jour sur leur télé­phone. Les Fran­çais, plus pon­dé­rés dans leur uti­li­sa­tion (2,3 heures), ont néan­moins vu leur consom­ma­tion pro­gres­ser de 27 % en deux ans (2018–2019). Enfin, parce que la taille de ces télé­phones nous per­met de les empor­ter et de les consul­ter sans arrêt. Au moindre temps mort : temps de trans­port, salle d’attente, marche dans la rue, nous jetons un coup d’œil sur nos por­tables. Tan­dis que nos amis nous parlent, lorsque nous sommes en réunion ou plus géné­ra­le­ment durant notre temps de tra­vail, ces outils s’invitent sans cesse à la table de notre temps de cer­veau dis­po­nible. C’est pour­quoi, aujourd’hui, cer­tains cal­culent l’occupation de notre temps de cer­veau en consta­tant que cette inter­pé­né­tra­tion entre nos acti­vi­tés usuelles et la consul­ta­tion inces­sante des mondes numé­riques abou­tit à des jour­nées de 30 heures et plus. Ain­si Pati­no (2019, p. 86), en obser­vant de cette façon maxi­ma­liste le nombre de fois où nous tour­nons nos yeux et notre esprit vers les écrans, consi­dère qu’ils finissent par absor­ber, aux États-Unis tout du moins, la moi­tié de la tota­li­té de nos vies !

[…]

Ceux qu’on appelle les “smom­bies” (contrac­tion de “smart­phone” et “zom­bies”) mettent par­fois les autres en dan­ger autant qu’eux-mêmes. Une étude médi­cale a d’ailleurs été publiée sur les acci­dents qu’ils subissent, qui montre un très net accrois­se­ment du nombre de bles­sés par défaut d’attention. En 2015, aux États-Unis, 50 % des pié­tons recon­nais­saient consul­ter leur télé­phone en mar­chant sur le trot­toir ou en tra­ver­sant une route, ils sont à pré­sent 65 % ! Comme tou­jours lorsqu’il s’agit d’interroger l’usage des nou­velles tech­no­lo­gies, les jeunes arrivent lar­ge­ment en tête de pelo­ton puisqu’ils sont 91 % à confes­ser cette dan­ge­reuse manie. C’est pour cette rai­son qu’ici ou là, on cherche à pré­ve­nir ces nou­veaux dan­gers. À Tel Aviv, par exemple, cer­tains car­re­fours sont équi­pés d’avertissement lumi­neux qui se situent au sol pour que les “smom­bies” puissent les aper­ce­voir. On fait de même à Séoul mais en y ajou­tant un cap­teur radar et une camé­ra ther­mique qui fait cli­gno­ter des feux sur la chaus­sée à l’approche d’un véhi­cule. Comble de l’interpénétration des mondes, une appli­ca­tion pour smart­phone offre éga­le­ment de vous aver­tir des risques qui peuvent sur­ve­nir sur votre che­min lorsque vous par­cou­rez une ville la tête incli­née vers le sol. Ce pro­blème est plus inquié­tant encore lorsqu’il s’agit des auto­mo­bi­listes puisque désor­mais la consul­ta­tion du smart­phone est impli­quée dans une col­li­sion mor­telle sur dix et qu’elle mul­ti­plie par 23 les risques d’accident.

[…]

Par contraste, que l’on y songe un ins­tant : nous avons pro­duit plus d’informations sur la Terre entière au début des années 2000, c’est-à-dire au début de la déré­gu­la­tion mas­sive du mar­ché de l’information, que depuis l’invention de l’imprimerie par Guten­berg. Et en ce début de XXIe siècle, le phé­no­mène s’est encore ver­ti­gi­neu­se­ment accé­lé­ré. Depuis 2013, la masse d’informations dis­po­nibles double tous les deux ans. C’est pro­pre­ment inima­gi­nable, puisque nous avons vu com­bien notre cer­veau a du mal à conce­voir les pro­gres­sions géo­mé­triques. Chaque seconde, 29 000 giga-octets (Go) d’informations sont publiées dans le monde, soit plus de 900 000 000 000 Go par an. En 2017, 253 000 tex­tos par seconde étaient envoyés alors que, dans le même temps, 60 000 recherches sur Google étaient effec­tuées tan­dis que chaque minute, 527 760 pho­tos étaient par­ta­gées sur Snap­Chat et 456 000 mes­sages twee­tés. Autre pro­por­tion frap­pante : 90 % des infor­ma­tions dis­po­nibles dans le monde ont été rédi­gées dans les deux der­nières années.

Dans une telle caco­pho­nie infor­ma­tion­nelle qui nous plonge, bon gré mal gré, dans une situa­tion de cock­tail mon­dial, qu’est-ce qui va rete­nir notre atten­tion ? Quelles sont les pro­po­si­tions qui vont cap­ter notre pré­cieux temps de cer­veau dis­po­nible ? Quels sont les pro­duits cog­ni­tifs qui auront un avan­tage concur­ren­tiel sur ce mar­ché de l’information deve­nu méta­sta­sé ?

[…]

Mais le Mini­tel s’est défi­ni­ti­ve­ment éteint le 30 juin 2012. Le Bever­ly, der­nier ciné­ma por­no­gra­phique de Paris, a tiré le rideau en 2019. Les vidéo­clubs ont pra­ti­que­ment dis­pa­ru un peu par­tout dans le monde. Le film X de Canal+ ne fait plus guère recette. Le Jour­nal du hard, qui réunis­sait à ses beaux jours un mil­lion de télé­spec­ta­teurs, ne par­vient plus à inté­res­ser qu’une cen­taine de mil­liers d’entre eux. Et l’entreprise de Beate Uhse a dépo­sé le bilan en 2017. Ce n’est pas que la demande d’images de sexua­li­té a bais­sé : au contraire, elle a trou­vé un nou­vel outil de flui­di­fi­ca­tion entre la demande et l’offre, l’arme par­faite : Inter­net.

On aurait pu faci­le­ment pré­dire que nombre d’individus allaient uti­li­ser cette nou­velle tech­no­lo­gie pour regar­der des vidéos por­no­gra­phiques, mais pou­vait-on ima­gi­ner l’ampleur de cette demande ? Avec une ving­taine d’années de recul, on peut à pré­sent l’affirmer : ces vidéos sont celles qui sont le plus consom­mées sur Inter­net. On dénombre des dizaines de mil­liers de sites qui dif­fusent mas­si­ve­ment ce type de films. Plus d’un tiers de vidéos regar­dées chaque jour dans le monde sont des pro­duits por­no­gra­phiques. L’industrie en elle-même génère près d’une cen­taine de mil­liards de reve­nu. L’humanité contemple chaque année 136 mil­liards de vidéos por­no­gra­phiques.

À ce titre, le site Porn­hub, lea­der mon­dial du sec­teur, livre des sta­tis­tiques impres­sion­nantes. En 2019, il bat­tait tous les records avec 42 mil­liards de visites dans le monde, soit 115 mil­lions par jour, tan­dis que 6,83 mil­lions de vidéos étaient mises en ligne. Il fau­drait pas­ser 169 années pour les regar­der toutes. Plus impres­sion­nant encore, le nombre d’heures de vidéos regar­dées par minute s’élève à 10 498, soit, chaque année dans le monde, 629 880 années de temps de cer­veau dis­po­nible qui s’évaporent dans la contem­pla­tion por­no­gra­phique.

De telles don­nées per­mettent d’approcher l’ampleur de la cap­ta­tion de notre dis­po­ni­bi­li­té men­tale que repré­sentent cer­taines pro­po­si­tions sur le mar­ché cog­ni­tif. D’ailleurs, cette étrange période de dis­po­ni­bi­li­té men­tale à laquelle nous a contraint le confi­ne­ment lors de la pan­dé­mie de Covid-19 a été carac­té­ri­sée par une aug­men­ta­tion du tra­fic Inter­net vers les sites por­no­gra­phiques. Ain­si le lea­der mon­dial a‑t-il vu une aug­men­ta­tion du tra­fic de 40 % au début du confi­ne­ment, de même que l’on a vu sur les sites spé­cia­li­sés une aug­men­ta­tion de 20 % à 30 % de l’offre de pho­tos et vidéos éro­tiques ama­teur.

[…]

Le déve­lop­pe­ment de la pho­to­gra­phie nous a per­mis de démul­ti­plier notre image. Qu’on y songe : il se pre­nait moins d’un mil­liard de pho­to­gra­phies par an en 1930 alors qu’on en compte aujourd’hui, chaque année, près de 1 000 mil­liards ! L’un des objec­tifs les plus évi­dents de cette com­pul­sion pho­to­gra­phique est de pro­po­ser ces images de nous-mêmes à l’ensemble des membres de notre réseau social en scru­tant le nombre de noti­fi­ca­tions que cette exhi­bi­tion pro­duit. Nous pous­sons par­fois l’impudeur jusqu’à pho­to­gra­phier le conte­nu de nos assiettes pour faire savoir com­bien même nos repas ne sont pas banals. Mais, puisque nous sommes des légions à ali­men­ter ain­si ce nar­cis­sisme, d’où vient qu’il soit una­ni­me­ment condam­né ?

Il est vrai que cette pas­sion pho­to­gra­phique peut avoir des consé­quences inat­ten­dues et regret­tables. Cer­tains pay­sages natu­rels, par exemple, sont défi­gu­rés par des légions d’instagrameurs avides de prendre et de dif­fu­ser la pho­to excep­tion­nelle. Le parc cana­dien de Joffre Lakes n’est plus le même depuis que, ces der­nières années, sa fré­quen­ta­tion s’est accrue de plus de 250 % ! La rai­son en est qu’il abrite trois magni­fiques lacs d’eau tur­quoise qui, sur­mon­tés par un gla­cier, offrent un décor magni­fique ne deman­dant qu’à être immor­ta­li­sé. Cerise sur le gâteau, un tronc d’arbre large et solide échoué depuis une rive per­met de s’aventurer au-des­sus d’un des lacs. Ce tronc a même été renom­mé Ins­ta­log. La rai­son ? Sur ce tronc pou­vant sou­te­nir le poids de plu­sieurs indi­vi­dus, on peut se faire prendre en pho­to en don­nant l’impression qu’on est abso­lu­ment seul face à la nature sau­vage. Un pro­duit par­fait pour récol­ter des cœurs sur le réseau Ins­ta­gram dévo­lu au par­tage de pho­to­gra­phies. Faire cette pho­to est même deve­nu un pas­sage obli­gé de la visite du parc. Si cha­cune de ces pho­tos était déca­drée, le sen­ti­ment qu’elle ins­pi­re­rait serait bien dif­fé­rent : on ver­rait que devant le tronc s’allonge une file d’attente com­po­sées d’individus impa­tients et agres­sifs, atten­dant de faire la même pho­to pour pou­voir par­ta­ger ce moment unique sur les réseaux sociaux.

Le des­tin d’un grand nombre de lieux de la pla­nète a été modi­fié parce que le pay­sage qu’ils offrent est deve­nu viral sur les réseaux sociaux. C’est encore le cas de Troll­tun­ga en Nor­vège, spec­ta­cu­laire pic rocheux qui avance dans le vide à 700 mètres de hau­teur. En 2010, quelques cen­taines de per­sonnes seule­ment bra­vaient la dif­fi­cile ran­don­née qui per­met­tait d’accéder à ce graal. En 2016, il crou­lait sous les 90 000 visi­teurs vou­lant à tout prix prendre la pho­to emblé­ma­tique.

Le pro­prié­taire d’une ferme de la pro­vince de Mani­to­ba, au Cana­da, se sou­vien­dra lui aus­si long­temps de ces mil­liers de per­sonnes qui, en un week-end, ont débar­qué dans ses champs de tour­ne­sol pour ten­ter de prendre la même pho­to­gra­phie qu’elles avaient admi­rée quelques jours avant sur Ins­ta­gram. Il en va de même pour la petite ville cali­for­nienne de Lake Elsi­nore qui, à la Saint-Patrick, a vu l’un de ses champs de pavot pié­ti­né par les 100 000 per­sonnes avides de repro­duire les pho­tos qu’avait prises une influen­ceuse. Ce type de situa­tion conduit par­fois à des déci­sions radi­cales. Dans l’État de Washing­ton, aux États-Unis, on a pré­fé­ré détruire le Vance Creek Bridge, un magni­fique pont aban­don­né tra­ver­sant la forêt, plu­tôt que de subir le van­da­lisme plus ou moins volon­taire de la légion des indi­vi­dus vou­lant faire la pho­to unique et cepen­dant iden­tique à toutes les autres. »

Ayant lis­té toutes ces hor­reurs, Gérald Bron­ner fait amende hono­rable : il « ne sou­haite en aucun cas don­ner un tour mora­li­sa­teur » à son pro­pos. « Rien ne [lui] paraît condam­nable en soi dans l’expression de ces com­pul­sions, et les réprou­ver serait tout sim­ple­ment nier cer­tains des grands traits qui font notre espèce ». En effet, selon ce grand pen­seur, socio­logue, roman­cier, aca­dé­mi­cien, et j’en oublie, invi­té à élu­cu­brer par­tout (France Inter, Arte, France Culture, Le Monde, Libé­ra­tion, Public Sénat, Marianne, Le Temps, Europe 1, Les Échos, pour ne citer que quelques entre­prises ayant récem­ment col­por­té ses bêtises), tous les traits carac­té­ris­tiques de l’être humain civi­li­sé de ce début du troi­sième mil­lé­naire seraient révé­la­teurs de la nature pro­fonde de l’être humain en géné­ral. Si Bron­ner exa­mine la condi­tion de l’être humain civi­li­sé et sou­mis au capi­ta­lisme, c’est « parce qu’elle dévoile notre nature » d’être humain tout court. Élé­men­taire mon cher Wat­son ! Selon notre émi­nent expert aca­dé­mi­cien roman­cier, les « traces que nous lais­sons dans le monde numé­rique […] dressent un cer­tain por­trait de notre espèce ». À rebours de ceux qui consi­dèrent que le mar­ché s’impose et impose une forme d’existence à l’être humain, que la condi­tion humaine est alté­rée par le mar­ché, Bron­ner consi­dère que l’homme est « révé­lé par le mar­ché », qui ne fait que mettre au jour sa nature pro­fonde, pro­fon­dé­ment médiocre. En effet, d’après Gérald, « les big data sont des outils de dévoi­le­ment très puis­sants de notre médio­cri­té com­mune », l’être humain est « révé­lé par les don­nées mas­sives qui émergent du mar­ché cog­ni­tif », les­quelles font res­sor­tir les « traits fon­da­men­taux de notre espèce », « la médio­cri­té de nos choix », « notre médio­cri­té col­lec­tive ».

Tout au long de son livre, en s’appuyant sur des études menées par et sûr des membres de la civi­li­sa­tion tech­no­ca­pi­ta­liste, Bron­ner par­vient à accom­plir ce tour de force consis­tant à nous dévoi­ler la (médiocre) nature humaine en lisant dans les entrailles de l’homo eco­no­mi­cus.

Et au contraire de ceux — anar­chistes, décrois­sants et autres hip­pies — qui voient dans le désastre du capi­ta­lisme une cala­mi­té infli­gée à l’être humain et qui sou­haitent l’en affran­chir, aspi­rant naï­ve­ment (par incul­ture, igno­rance des tra­vaux de Gérald Bron­ner) à l’ « abo­li­tion des hié­rar­chies sociales », il s’agit, selon notre romancier-chevalier-de-la-légion‑d’honneur, « d’accepter cette part de notre huma­ni­té », ces « hié­rar­chies sociales », ces pro­pen­sions à consom­mer, à deve­nir accros aux der­nières tech­no­lo­gies déve­lop­pées par les tech­ni­ciens et ven­dues par les entre­prises, qui dévoilent seule­ment notre « natu­ra­li­té » humaine. D’ailleurs, se lamen­tant du déli­te­ment d’un cer­tain ordre social dans lequel les gens comme lui dis­po­saient de davan­tage de pou­voir, Bron­ner déplore l’affaiblissement du « rôle des gate kee­pers tra­di­tion­nels (jour­na­listes, experts aca­dé­miques… toute per­sonne consi­dé­rée comme légi­time socia­le­ment à par­ti­ci­per au débat public) ». Car, bien enten­du, « toute per­sonne » n’est pas « légi­time socia­le­ment à par­ti­ci­per au débat public », seuls le sont les experts comme Bron­ner.

Vous l’aurez com­pris, un livre médiocre, dévoi­lant la nature médiocre d’un pen­seur médiocre, dont les vues, par le plus grand des hasards, cor­res­pondent par­fai­te­ment à celles de la civi­li­sa­tion et des ins­ti­tu­tions qui le sala­rient, lui décernent des prix et des médailles, lui pro­diguent argent et noto­rié­té.

Nico­las Casaux


Pour aller plus loin, vous pou­vez éga­le­ment lire cet article com­pi­lant quelques textes contre  notre cher légion­naire socio­logue :

Fabrice Fli­po, Démo­cra­tie des cré­dules ou arro­gance des clercs ?, 2014

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À propos de l'auteur Le Partage

« Plus on partage, plus on possède. Voilà le miracle. »En quelques années, à peine, notre collec­tif a traduit et publié des centaines de textes trai­tant des prin­ci­pales problé­ma­tiques de notre temps — et donc d’éco­lo­gie, de poli­tique au sens large, d’eth­no­lo­gie, ou encore d’an­thro­po­lo­gie.contact@­par­tage-le.com

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