D’apparence presque anodine tant les incidents se multiplient sur les vieux réacteurs du Tricastin depuis plusieurs années, la défaillance survenue le 1er septembre 2019 sur le moteur d’une des deux pompes de refroidissement (voie A circuit RRA) du réacteur n°1 de la centrale nucléaire est de nature à accroitre de façon significative le risque d’un accident majeur (catastrophe atomique). Telle est l’analyse rendue public fin mars 2021 par l’Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire (IRSN).
A l’arrêt pour préparer sa visite de prolongation de fonctionnement au-delà de 40 années, un banal essai technique a révélé un défaut électrique sur le système qui permet d’évacuer la puissance que continue à produire le réacteur même une fois qu’il a cessé de fonctionner. En cas d’accident c’est sensé éviter une explosion.La survie de l’exploitant nucléariste vs la vie de la population et des territoiresL’expertise conduite par le bras technique de l’Autorité de sûreté nucléaire (ASN) sous l’autorité de Frédérique Pichereau, adjoint du directeur de l’expertise de sûreté à l’IRSN, a quantifiée l’effet de l’incident sur la probabilité d’un risque de fusion du cœur du réacteur et donc d’un accident grave.  » Nous considérons que c’est un événement dit précurseur, c’est-à-dire significatif en termes de sûreté » surtout « qu’on recense en moyenne entre cinq et dix événements de ce genre par an » sur les centrales nucléaires françaises.centrale-atomique_salle-commande.jpgSelon l’IRSN, cette défaillance électrique du moteur découle du vieillissement prématuré d’une liaison électrique interne d’un câble souple entre le stator et la boîte de connexion du moteur. Les câbles (qui en plus n’ont pas été montés de façon optimale ) présentent une dégradation de l’isolant externe des parties courbées. S’en est suivit un amorçage entre une phase et la masse située à proximité (court-circuit « explosif »).
Les câbles électriques sont en plus partiellement noyés dans le béton et donc invisibles. Ils ne peuvent être contrôlés que de manière électrique. Or les derniers examens, réalisés quelques mois plus tôt en juillet 2019, n’avaient pas fait apparaître de défaut particulier.

Le hic est que cette visite des 40 ans du réacteur du Tricastin devait servir de validation à la prolongation jusqu’à 50 ans voir 60 ans du fonctionnement de l’ensemble des 32 vieux réacteurs nucléaires de 900Mw du parc nucléaire tricolore. Bien au-delà donc de la durée de vie de 40 ans prévue lors de leur conception.

« Or les autres moteurs des pompes RRA des réacteurs (du palier CPY ) possèdent les mêmes liaisons internes par câble souple. Aussi, l’écart de montage constaté pour le moteur défaillant de la centrale nucléaire du Tricastin est potentiellement générique à l’ensemble de ces moteurs » précise l’IRSN. Les effets du vieillissement général des installations se ressentent aussi un peu partout.

Comme l’enjeu pour la branche nucléaire d’EDF est une question de survie financière et de survie tout court, l’électricien avait présenté, comme c’est bizarre, une conclusion opposée à celle de l’IRSN : le problème survenu au Tricastin n’était pas susceptible d’accroître le risque d’accident grave puisqu’à l’époque… le combustible (produits de fission atomique) ne se trouvait plus dans le cœur du réacteur. L’incident n’avait donc eu aucune conséquence. Bien sûr, et lorsque les combustibles nucléaires seront chargés, on verra tranquillou si ça pète ou pas ? Bandits !

Pour l’IRSN il n’y a pas que les composants majeurs qui posent soucis
Stand IRSN à la Fête de la science à Chartres et à Caen en 2013« Le cas de Tricastin est un très bon exemple du fait qu’il n’y a pas que les composants majeurs comme les cuves et les enceintes qui vieillissent et dont l’importance est cruciale pour la sûreté« , souligne le responsable de l’IRSN. « Les défaillances peuvent aussi venir des câbles électriques, de certaines pompes ou des moteurs. Même si ces éléments sont remplaçables, il faut repérer les défaillances suffisamment tôt et être donc très attentifs aux méthodes de détection. »

Déjà l’an dernier, en juillet 2020, l’IRSN avait recommandé à EDF d’améliorer sérieusement ses méthodes de détection des problèmes électriques (1) et d’arrêter de bricoler (2). Rien à foutre, on est chez nous on fait ce qu’on veux (3). En février, l’ASN avait donné trois mois à EDF pour lui présenter un calendrier de résorption de ce problème. Le nucléariste ne s’est toujours pas exécuté. Les demandes seraient « en cours d’instruction ». Toujours gagner du temps et imposer le fait accompli, telle est la devise de l’exploitant.

A Cruas aussi

A la centrale nucléaire de Cruas, dans la nuit du 1er au 2 décembre 2009, les deux voies de refroidissement des systèmes de sûreté des réacteurs nucléaires ont connu aussi des défaillances simultanées. Le nucléariste utilise l’eau du Rhône pour refroidir ses réacteurs atomiques. A 19 h 10, la voie A du circuit d’eau (circuit SEC) servant au refroidissement des systèmes importants pour la sûreté (IPS) du réacteur n°4 ne fonctionne plus. Les opérateurs de EDF cherchent à basculer le circuit d’eau SEC sur la voie B, qui double par précaution la voie A. Ils découvrent qu’elle est également indisponible. C’est la première fois dans l’histoire de l’exploitation des centrales françaises que les deux voies de refroidissement des systèmes IPS d’un réacteur se révèlent défaillantes en même temps. La vieillesse commence à se faire sentir.

Il est minuit passé quand les bips et téléphones d’une vingtaine d’agents de l’IRSN se mettent à sonner. Chacun d’eux sait ce que cela signifie : il leur faut rejoindre le centre technique de crise (CTC) de l’Institut, à Fontenay-aux-Roses. Là, ils apprennent que la centrale nucléaire de Cruas a déclenché son plan d’urgence interne (PUI). Un incident s’est produit. Et ce n’est pas un exercice.

Six ans plus tôt, le 2 décembre 2003, une telle indisponibilité des circuits de refroidissement s’était produite. Mais pas sur les deux voies de refroidissement en même temps.

L’inquiétude des pays européens face à l’entêtement d’une France pro-nucléaire

Lundi 26 avril, un rapport du Groupe international d’évaluation des risques nucléaires (International Nuclear Risk Assessment Group), a publié un rapport qui confire la menace française nucléaire sur l’ensemble de l’Europe. Cet organisme n’est pas des moindres puisqu’il compte parmi ses membres l’ancien président de l’autorité de sûreté américaine Gregory Jaczko et l’ex-directeur général de la sûreté nucléaire allemande Wolfgang Renneberg. Le rapport affirme que les prolongations de durée de vie et l’exploitation des vieilles centrales accroissent le risque nucléaire en Europe. « Les processus de vieillissement tels que la corrosion, l’usure ou la fragilisation réduisent la qualité des composants, des systèmes et des structures et provoquent des défaillances ».

Le rapport officiel de l’IRSN : https://www.irsn.fr/fr/expertise/avis/2021/documents/mars/avis-irsn-2021-00042.pdf

Notes :

(1)  » L’IRSN a considéré que  le  caractère  prédictif  des  mesures  effectuées  par  EDF  sur  les  liaisons électriques internes par câble souple n’est pas garanti et qu’EDF devait améliorer le contrôle des moteurs des pompes RRA. Ce point fait l’objet de la recommandation n° 1 de l’avis« 
(2) « L’IRSN a estimé que la qualification de ces moteurs, avec des liaisons internes par câble souple coudé,n’a  pas  été  démontrée par EDF » (entendre par « qualification » l’effectivité du bon fonctionnement et de la sécurité)
(3) « Cette étude d’EDF n’évalue cependant pas l’accroissement du risque de fusion du cœur induit par l’événement relatif au vieillissement des moteurs des pompes RRA sur le réacteur rn°1 de Tricastin, mais sur un réacteur hypothétique du palier CPY… d’une durée de fonctionnement de deux ans. « 

sources :

https://www.lemonde.fr/planete/article/2021/04/27/dans-la-centrale-nucleaire-de-tricastin-un-probleme-electrique-a-accru-le-risque-d-accident-grave_6078206_3244.html

 https://www.irsn.fr/FR/connaissances/Installations_nucleaires/Les-accidents-nucleaires/cruas-2009/Pages/1-gestion-incident-cruas.aspx /