Photo : Panneau d’un essai en plein champ du maïs cireux génétiquement modifié de Corteva à Johnston, Indiana, États-Unis, 2017
Au moins cinq pays – l’Argentine, le Brésil, le Canada, le Chili et les États-Unis – autorisent la dissémination d’une variété de maïs génétiquement modifiée (OGM) obtenue par une technique d’édition génomique appelée CRISPR, sans les évaluations des risques et les réglementations exigées pour les variétés OGM.* D’autres pays pourraient bientôt suivre.
Ce maïs OGM est produit par l’américain Corteva, le deuxième plus grand semencieret la quatrième entreprise de pesticides dans le monde. Corteva décrit la variété comme un « maïs cireux » qui, comme les variétés de maïs cireux conventionnelles, produit un amidon riche en amylopectine et pauvre en amylose. En l’occurrence, Corteva a utilisé le génie génétique pour éliminer les gènes responsables de la production d’amylose de ses variétés de maïs hybrides non cireuses. Une descriptiondétaillée du maïs cireux OGM de Corteva a été publiée cette semaine par le Réseau canadien d’action sur les biotechnologies (RCAB).
Bien que Corteva utilise des transgènes et un bombardement de particules pour développer son maïs cireux OGM, elle affirme que cette variété ne devrait pas être réglementée comme un OGM puisque le matériel transgénique n’est, selon l’entreprise, plus présent dans les semences vendues. Jusqu’à présent, les autorités compétentes en Argentine, au Brésil, au Canada, au Chili et aux États-Unis ont autorisé la commercialisation de la variété sur cette base, sans la soumettre aux évaluations de sécurité exigées pour les autres variétés OGM. D’autre part, comme le note le RCAB, « Corteva ne semble pas avoir demandé d’autorisation dans l’Union européenne, où un arrêt de 2018 de la Cour de justice de l’Union européenne exige que les variétés modifiées par édition du génome soient soumises aux mêmes réglementations strictes que tous les organismes génétiquement modifiés (OGM). »
Corteva, qui est née de la fusion des divisions agricoles de Dow et DuPont, a ouvertement déclaré qu’elle utilisait du maïs cireux génétiquement modifié pour ouvrir la voie à l’introduction d’autres variétés OGM produites avec des techniques d’édition génomique (également appelée « édition de gènes »). La description donnée par le RCAB met en avant plusieurs documents et citations de dirigeants de l’entreprise qui montrent que celle-ci a délibérément choisi une variété qu’elle pourrait mettre sur le marché sans trop attirer l’attention ni risquer de voir sa responsabilité engagée.
« Si nous travaillons sur le maïs cireux, c’est pour avoir ce débat, parce que [nous avions besoin] présenter quelque chose qui offrait une longue expérience d’utilisation sûre en tant que trait génétique [qui] a des utilisations industrielles importantes à la fois dans l’alimentation […], et dans [d’autres] applications industrielles, ainsi que pour l’éthanol », a déclaré Robert Meeley, chercheur principal à Corteva, aux délégués de la Conférence de l’OCDE sur l’édition génomique en 2018. « Nous devions faire quelque chose rapidement et avoir ce débat maintenant, afin de le mettre sur le marché. »
Aux États-Unis, où Corteva a l’intention de démarrer la culture commerciale, le maïs cireux est une culture peu importante, pratiquée presque exclusivement pour l’amidon alimentaire et certains produits industriels dans le cadre de contrats de préservation de l’identité avec les acheteurs. Pour l’entreprise, par conséquent, le risque est donc minime que l’introduction de son maïs cireux génétiquement modifié suscite une réaction négative de la part du public ou entraîne des actions en justice pour cause de contamination. Une introduction réussie aux États-Unis ouvrira la voie à la culture commerciale et aux importations dans d’autres pays où les réglementations sur les variétés OGM et les nouvelles variétés modifiées par édition du génome sont encore en pleine évolution. Parmi ces pays figure le Mexique voisin où l’on ne sait pas très bien si le décret ambigu du gouvernement sur le glyphosate et le maïs OGM imposera des restrictions sur les variétés de maïs modifiées par édition génomique. Corteva vend actuellement des semences hybrides conventionnelles de maïs cireux au Mexique par l’intermédiaire de sa filiale Pioneer Hi-Bred.
Une autre raison majeure pour laquelle Corteva a choisi de commencer son déploiement de cultures modifiées par édition génomique avec du « maïs cireux » est qu’il s’agit d’un maïs et que le maïs est de loin la culture la plus lucrative pour les ventes de semences dans le monde. Même le marché des semences de maïs cireux est important et en croissance, en particulier en Chine et dans d’autres régions d’Asie de l’Est et du Sud-Est, où ce maïs, également connu sous le nom de maïs collant, est une culture vivrière majeure et le principal type de maïs que les gens consomment directement. L’année dernière, des chercheurs chinois ont utilisé une technique similaire pour développer leurs propres hybrides de maïs cireux CRISPR.
Les agriculteurs chinois ont mis au point le maïs cireux il y a des centaines d’années et aujourd’hui, il existe des milliers de variétés de semences paysannes de maïs cireux cultivées à travers l’Asie. Mais les sociétés semencières comme Corteva ne sont pas intéressées par ces variétés paysannes à pollinisation libre. Leur seul intérêt est de vendre des semences de maïs hybrides qui ne peuvent pas être conservées par les agriculteurs. Le problème pour les entreprises semencières, cependant, est que le maïs cireux n’est pas facile à sélectionner sous forme d’hybride. Le processus est compliqué, long et a tendance à entraîner une diminution de rendement (« yield drag ») par rapport à leurs homologues non cireux.
La seule innovation de Corteva avec son maïs GM cireux est qu’il a utilisé l’édition génomique pour éviter une diminution de rendement et réduire d’un an le temps qu’il aurait fallu pour obtenir les mêmes résultats grâce à la sélection hybride conventionnelle. Cela ne change guère la donne pour les agriculteurs. Mais c’est énorme pour les entreprises semencières, en particulier celles qui contrôlent les droits de brevet sur la technologie. Cela signifie qu’ils peuvent produire de nouvelles variétés hybrides de maïs et d’autres cultures plus rapidement et à moindre coût que leurs concurrents, surtout s’ils peuvent éviter les réglementations et les exigences de ségrégation qui existent pour la première vague de variétés OGM. De cette manière, Corteva et d’autres grandes sociétés investissant massivement dans l’édition génomique misent sur un autre cycle de consolidation, similaire à ce qui s’est passé avec la première vague de variétés OGM, qui leur donnera un contrôle encore plus important sur les marchés mondiaux des semences.
Mais le maïs cireux a peu de chances de convaincre un public sceptique des avantages de l’édition génomique. Pour cela, Corteva dispose d’un autre tour de passe-passe en matière de relations publiques. Au cours des cinq dernières années, il a établi un partenariat avec le Centre international d’amélioration du maïs et du blé (CIMMYT) au Mexique pour développer des variétés de maïs hybrides pour l’Afrique grâce à l’édition génomique. Le programme est financé par la Fondation Bill & Melinda Gates, et il existe un chassé-croisé de collaborateurs entre les trois institutions qui les unit étroitement.1 Corteva et le CIMMYT affirment que l’édition génomique peut réduire de moitié le temps nécessaire à la sélection d’hybrides et ils prévoient de commercialiser un premier lot d’hybrides génétiquement modifiés résistants à la nécrose létale du maïs au Kenya d’ici 2025. Le Kenya élabore actuellement une législation visant à réglementer les variétés modifiées par édition génomique « en utilisant comme modèle des procédures utilisées en Argentine ».
Pour une technologie que les géants des semences veulent faire passer pour non-OGM, il est difficile de voir une différence par rapport à la vieille stratégie qu’ils ont utilisée pour les OGM.
La description du RCAB sur le maïs cireux OGM de Corteva est disponible ici et le rapport de juillet 2020 du RCAB sur les risques et les conséquences imprévues des variétés modifiées par édition génomique est à consulter ici. Pour plus d’informations sur les risques particuliers pour l’Afrique, voir African Centre for Biodiversity, « Genome editing — The next GM techno fix doomed to fail ».
* Note : Cette phrase a été corrigée par rapport à l’original afin de préciser que le maïs cireux OGM de Corteva, bien que techniquement libre d’être commercialisé, n’a pas encore satisfait à tous les aspects de la procédure réglementaire aux États-Unis, où Corteva a l’intention de le lancer. La Food and Drug Administration des États-Unis dispose d’une procédure de consultation volontaire préalable à la mise en marché que Corteva peut utiliser avant de mettre son maïs cireux génétiquement modifié sur le marché, mais elle ne l’a pas encore fait.
Note :
1. Neal Gutterson, directeur technique de Corteva jusqu’à l’année dernière, a siégé au conseil d’administration du CIMMYT de 2013 à 2019, date à laquelle il est devenu membre du conseil d’administration de la structure internationale qui chapeaute le CIMMYT, le système CGIAR. Parmi les autres membres de l’équipe de recherche CRISPR de Corteva, Renee Lafitte, travaillait auparavant au CIMMYT et à l’Institut international de recherche sur le riz (IRRI) et est maintenant directrice adjointe de la R&D sur les cultures au sein du programme de développement agricole de la Fondation Bill & Melinda Gates.
Source : Lire l'article complet par Mondialisation.ca
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