QUELLE MOUCHE TE PIQUE? (Francine Allard)

La vérité du monde
La poésie divague et louvoie dans les ruelles sombres
Un bien engueulé parmi nous
Appelle un chat un chat
Et je souris d’aise
(p. 9)

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YSENGRIMUS — Avec le recueil Quelle mouche te pique? (2010) de la poétesse québécoise Francine Allard, nous découvrons subitement un petit bestiaire illustré constitué de courts segments poétiques dont le Jacques Prévert de Paroles fut incontestablement un des grands ancêtres. Dans ce petit ouvrage bien carré (au sens littéral aussi: douze centimètres sur douze centimètres. C’est un petit livre carré), les magnifiques illustrations de Frédérique Guichard représentent une des indubitables forces motrices de l’exercice. Suivons-les, à défaut de pouvoir les reproduire.

En couverture, fatalement, il y a une mouche ou un frelon qui grignote des segments de couverture orange, avec en fond de fugitifs éléments d’alvéoles à miel. Ensuite, on a un zèbre qui se dézèbre en ce sens qu’il perd ses stries et passe au blanc tandis que la poétesse nous dit un mot de cette métamorphose uniformisante. Plus loin, un lion altier et roide piétine un roi de cartes. Roi des animaux, roi de la création? nous demande la poétesse. C’est ensuite une boite de sardines anthropomorphes dont, souplement, un hareng sort (dixit la poétesse). Puis, un escargot de coquille rubiconde, au corps ressemblant singulièrement à un doigt humain chemine tout doucement en sa spirale de bave livide, en compagnie du texte La Bavure de l’escargot. Suit un magnifique baudet chronométrique, mécanique, machinateur, sur fond de gros réveille-matin, et dont le corps entier fonctionne comme une magnifique, complexe, et délicate horlogerie ayant tendance (nous explique la poétesse) à chanter bien trop tôt le matin. Puis des loups gris et des loups blancs tournent sur la surface d’une mystérieuse sphère cosmique, à la queue leu leu (leu, l’ancien nom du loup, alors, fatalement). Lupus fugit, s’intitule le texte. Une nuée frétillante de poissons rouges accompagne ensuite un poème éminemment halieutique, et qui sent bon la marée. Télescopage sidérant et superposition visuelle, ensuite, entre chat, canard sauvage et ornithorynque, sur fond géométrique. La poétesse nous parle de cette surprenante éclectique charnelle que nous lègue, en ceci, la nature. L’émeu m’émeut, dit ensuite la poétesse, quand deux émeus cohabitent au premier plan d’une puissante montagne massive et rouge sang. On raconte qu’il a perdu la boule comme un chien dans un jeu de quilles nous signale-t-on ensuite, tandis qu’un pitou piteux albâtre, aux oreilles pointues et à l’œil vide, fait grise mine à trois quilles antiques flanquées de leur incontournable boule polychrome. Une sorte de gerboise sur fond de listes de paronymes impliquant le préfixe rat— rencontre le texte suivant, portant sur ce type de rongeur. Deux poules, mouillées ou sèches, contemplent pensivement un gros œuf en coupe qui semble incorporer pas moins de sept segments en strates en son puissant ventre. Un kangourou convoie ensuite le Petit Prince de Saint-Ex dans sa poche, le tout en saillie devant je ne sais quel blason héraldique triangulaire jaune vif. Un hippocampe miniature tout riquiqui sert de virgule conclusive au texte sur les sinueux hippocampes roses de notre temps. Et finalement, le plus figuratif des rhinocéros imaginable, survolé à bonne distance par deux pique-bœufs lointains, pensifs et émaciés, accompagne sereinement le texte Amitié de pachyderme. Patatras. Je vous le redis: Jacques Prévert n’est pas mort. Jean de Brunhoff lui tient même désormais compagnie et, fait capital… ce sont (enfin) deux femmes, en plus.

Notons que certains des poèmes sont sans illustration. Leur savoureuse expressivité compense pleinement l’éventuel manque que nous feraient (très éventuellement, au fin du fin du tout éventuel) ressentir les pages sans image. Les poèmes, en soi, forment un ensemble solidement cohérent. Ils donnent à découvrir une joyeuse synthèse d’humour, d’expressivité et de philosophie sapientiale ou sociale. Pour la bonne bouche, en voici un qui réunit harmonieusement, toutes ces lumineuses et transcendantes caractéristiques.

La lenteur du monde
Vishnou réincarné en tortue
Mettait des heures à se mouvoir à travers les lumières du monde
Détresse du dieu venu sauver les Hommes
Tout est pareillement exprimé dans les livres sacrés
On attend un sauveur trop lent depuis des millénaires
(p. 48)

Mais il y a plus, beaucoup plus. C’est que tous les poèmes de ce recueil ont la savoureuse caractéristique de fonctionner selon une grammaire narrative et poétique parfaitement stable. On y unit une anecdote concrète avec un thème animalier unitaire. L’exposé se déploie, vivement, comme un petit texte à chute mais ladite chute n’est pas factuelle, narrative ou thématique. Elle est plutôt verbale. C’est soit un calembour (le jars marche avec une cane — p. 8), soit un court dicton populaire (une sirène suspecte chez qui tout finit en queue de poisson — p. 40), soit un composite des deux (la maison de Freud avait une araignée dans le plafond — p. 32). Le rythme de cette grammaire uniforme s’installe promptement, à la lecture, et une portion importante du plaisir de découverte des poèmes réside dans le fait d’en décoder les ressorts dans le texte suivant… puis dans le texte suivant… etc.

Tant et tant que ce petit ouvrage fonctionne aussi, un peu, pas mal, comme une sorte de fiche complémentaire du fameux Atlas de Littérature Potentielle. Un jeu s’instaure et, pour mon plaisir, et aussi le vôtre, j’ai subitement ressenti le désir inextricable de le jouer. Voici donc un texte original inédit, construit, hic et nunc, selon la grammaire d’engendrement mise en place par Francine Allard dans Quelle mouche te pique?:

Macaque du bout du monde
Un macaque japonais
Baille ses stances, assis sur une grosse roche
Il me rappelle un ami proche
Qui n’effeuillait jamais
La marguerite au complet
Il disait toujours en chemin
Qu’il lui semblait devoir bifurquer
Vers un destin distinct
Tapi sous un tout autre kami, l’ami tatami
Puis il ajoutait: il n’y a pourtant ni bout du monde
Ni fleuve, ni pont… que le soleil, le vent
Et les macaques à gueules de chiens intérieurement se diront:
Jappons!
(par Paul Laurendeau, selon la grammaire d’engendrement de Quelle mouche te pique?)

Eh ben voilà. Tous à nos claviers. La poésie qui fait sourire, c’est souvent aussi celle qui fait écrire. Il y a bel et bien ici un dosage d’ingrédients qui arrive à manifester une virtuosité d’écriture tout en faisant sentir que ce qui se fait là est fondamentalement faisable et que quand on tient la bonne thématique, embobinée sur la bonne machine, l’engendrement du texte coule de soi(e), concrètement, subtilement ou non. Toujours dans le vrai et le pensif, toujours dans le lettré et l’ordinaire, et surtout, toujours en jubilant, quelque part…

Le recueil de poésie Quelle mouche te pique? comprend 41 poèmes. Il est illustré de dix-sept dessins animaliers en couleur, de l’illustratrice trifluvienne Frédérique Guichard. Sa fiche éditoriale officielle se lit comme suit: Quelle mouche te pique? Un assemblage de mots vivants qui célèbrent l’intimité de l’Homme et des animaux des fables. Ceux qui grognent et qui griffent, qui miaulent et qui lèchent, qui meurent puis disparaissent. Ici, Francine Allard exerce un grand art, celui de la poésie qui mène indéniablement à l’esthétique de la parole.

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Francine Allard, Quelle mouche te pique?, 2010, Éditions d’Art Le Sabord, 60 p., illustré de dix-sept dessins de Frédérique Guichard.

Source: Lire l'article complet de Les 7 du Québec

À propos de l'auteur Les 7 du Québec

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