Par Alex Lantier
Ce week-end, le ministre chinois des affaires étrangères Wang Yi s’est rendu à Téhéran et a signé un traité de 25 ans avec son homologue iranien, Javad Zarif. Les termes du traité n’ont pas été divulgués.
Toutefois, les médias américains ont noté qu’une version antérieure du traité, obtenue par des responsables américains et montrée au New York Times, prévoyait 400 milliards de dollars d’investissements chinois en Iran en échange d’exportations de pétrole iranien, ainsi qu’une alliance stratégique.
Pékin défie les sanctions économiques imposées par l’ancien président américain Donald Trump après qu’il a unilatéralement mis au rebut le traité nucléaire iranien de 2015 en 2018, et que le président américain entrant Joe Biden n’a toujours pas supprimé. En février, Biden a soudainement bombardé une milice soutenue par l’Iran en Syrie, tuant au moins 17 personnes.
Menaces américaines
La décision de Pékin de signer le traité avec Téhéran fait suite à un sommet sino-américain désastreux au début du mois en Alaska. Lors d’une intervention devant la presse avant même le début du sommet, le secrétaire d’État américain Antony Blinken a publiquement sermonné Wang en lui disant que la Chine devait accepter un « ordre international fondé sur des règles » établi par Washington, sous peine d’être confrontée à « un monde beaucoup plus violent et instable ».
Par la suite, le commandant de la flotte américaine du Pacifique, l’amiral John Aquilino, a menacé qu’une guerre entre les États-Unis et la Chine au sujet de Taïwan « est beaucoup plus proche de nous que la plupart ne le pensent ».
En signant un traité avec Téhéran, Pékin signale qu’il a conclu qu’il doit faire ses propres préparatifs contre une administration Biden qui sera agressive et implacablement hostile. Elle est sans doute confortée dans cette opinion par la propagande de guerre continue et sans fondement des politiciens américains, démentie par les scientifiques, alléguant que le COVID-19 a été fabriqué dans un laboratoire chinois.
Lors de la conférence d’Anchorage, Wang a répondu à Blinken en opposant l’engagement de la Chine envers le droit international à la politique étrangère de l’impérialisme américain au Moyen-Orient : « Nous ne croyons pas à l’invasion par le recours à la force, ni au renversement d’autres régimes par divers moyens, ni au massacre de la population d’autres pays, car tout cela ne ferait que provoquer des troubles et de l’instabilité dans ce monde. Et au bout du compte, tout cela ne servirait pas les intérêts des États-Unis. »
L’axe Pékin-Moscou-Téhéran prend forme
Avant de se rendre à Téhéran, Wang a accueilli son homologue russe, Sergei Lavrov, pour des entretiens dans la ville chinoise de Guilin, peu après que Biden ait dénoncé de manière provocante le président russe Vladimir Poutine comme un « tueur » qui n’a pas d’ »âme humaine ».
Lors de la signature du traité ce week-end, les responsables iraniens et chinois ont tous deux critiqué avec force les menaces de Washington. Zarif a qualifié la Chine : « d’ami des jours difficiles », ajoutant que « nous remercions et louons la position de la Chine pendant les sanctions oppressives. »
Wang a répondu: « Les relations entre nos deux pays ont désormais atteint un niveau stratégique, et la Chine cherche à promouvoir des relations inclusives avec la République islamique d’Iran. … La signature de la feuille de route pour la coopération stratégique entre les deux pays montre la volonté de Pékin de promouvoir les liens au plus haut niveau possible. »
Selon le journal d’État chinois Global Times, M. Wang a déclaré aux responsables iraniens que « la Chine est prête à s’opposer à l’hégémonie et à l’intimidation, à sauvegarder la justice et l’équité internationales et à faire respecter les normes internationales avec le peuple iranien et d’autres pays. »
Le programme d’investissement « Les Nouvelles Routes de la Soie »
Le traité, discuté pour la première fois entre le guide suprême iranien Ali Khamenei et le président chinois Xi Jinping en 2016, approfondit les liens économiques avec le Moyen-Orient que Pékin a cherché à développer avec son programme d’infrastructure Belt and Road Initiative (Les Nouvelles Routes de la Soie).
Citant l’ambassadeur iranien en Chine Mohammad Keshavarz-Zadeh, le Tehran Times rapporte que le traité « précise les capacités de coopération entre l’Iran et la Chine, notamment dans les domaines de la technologie, des industries, des transports et de l’énergie. » Les entreprises chinoises ont construit des systèmes de transport en commun, des chemins de fer et d’autres infrastructures clés en Iran.
Bien que Washington n’ait pas encore réagi publiquement au traité Iran-Chine, les responsables américains l’ont précédemment dénoncé comme un défi fondamental aux intérêts de Washington, combinant la propagande de la « guerre contre le terrorisme » avec des tentatives de raviver l’anticommunisme de la guerre froide.
En décembre dernier, alors que l’on spéculait sur la signature du traité, le directeur du personnel de planification politique du département d’État américain, Peter Berkowitz, l’a dénoncé à Al Arabiya. Il a affirmé que l’adoption du traité serait « une très mauvaise nouvelle pour le monde libre » : « L’Iran sème le terrorisme, la mort et la destruction dans toute la région. Le fait qu’il soit habilité par la République populaire de Chine ne ferait qu’intensifier la menace. » Les trois décennies écoulées depuis la guerre du Golfe menée par les États-Unis contre l’Irak et la dissolution de l’Union soviétique en 1991 ont mis à nu cette rhétorique. L’élimination de l’Union soviétique en tant que principal contrepoids militaire aux puissances impérialistes de l’OTAN n’a pas conduit à la paix, et l’Iran n’a pas été la principale source de « mort et de destruction ».
Pendant trois décennies, Washington et ses alliés impérialistes européens ont dévasté des pays comme l’Irak, l’Afghanistan, la Libye et la Syrie, tuant des millions de personnes sur la base de mensonges tels que l’affirmation selon laquelle l’Irak cachait des « armes de destruction massive ».
Les dénonciations de l’Iran et de la Chine par Berkowitz sont liées à l’inquiétude croissante de Washington, qui craint de perdre sa position hégémonique mondiale en raison des débâcles de ses guerres, de l’affaiblissement de son poids industriel et économique, et maintenant de sa gestion désastreuse de la pandémie. Depuis que les puissances de l’OTAN ont lancé une guerre pour un changement de régime en Syrie en 2011, en soutenant d’abord les milices islamistes puis les milices nationalistes kurdes, l’Iran, la Russie et de plus en plus la Chine sont intervenus pour soutenir le président syrien Bachar el-Assad.
Avec le traité Chine-Iran, il est désormais clair que ces guerres de l’OTAN portent en elles les germes d’un conflit mondial, comme au XXe siècle, pour le contrôle des marchés mondiaux et l’avantage stratégique. Le poids industriel croissant de l’Asie et plus particulièrement de la Chine en tant qu’atelier pour les sociétés transnationales a intensifié ces conflits géopolitiques.
Le commerce de la Chine avec le Moyen-Orient a atteint 294,4 milliards de dollars en 2019, ayant dépassé le commerce américain avec le Moyen-Orient en 2010. Pékin est le premier partenaire commercial de Téhéran et prévoit de développer davantage les infrastructures reliant la Chine, via le Pakistan, l’Iran et la Turquie, à ses principaux marchés d’exportation en Europe dans le cadre de son initiative « Belt and Road« .
Deux tendances parmi le grand capital iranien
Le sort du traité Chine-Iran est incertain. Il fait certainement face à une puissante opposition interne en Iran, où de larges sections de la classe dirigeante ont cherché en vain à développer des liens avec l’Europe face aux sanctions américaines. L’ancien président Mahmoud Amhadinejad s’est engagé à ce que « la nation iranienne ne reconnaisse pas un nouvel accord secret de 25 ans entre l’Iran et la Chine », lorsque le traité a été annoncé pour la première fois en juin.
Les médias chinois se sont efforcés de démentir les allégations américaines selon lesquelles le traité visait Washington. Le Global Times s’est plaint que le traité Chine-Iran ait été « interprété par certains médias occidentaux dans une perspective de compétition géopolitique… pour dépeindre la coopération bilatérale entre la Chine et l’Iran, qui s’approfondit normalement, comme un défi contre les États-Unis ».
Pékin et Téhéran ne cherchent pas la guerre avec Washington, mais l’impérialisme américain a clairement fait savoir qu’il se réservait le droit de bombarder ou d’envahir tout pays qu’il considère comme un défi à son hégémonie. Les régimes chinois et iranien – qui oscillent entre la recherche d’un accord et le défi aux puissances impérialistes – n’ont en fin de compte aucune solution progressiste à ce danger croissant de guerre, enraciné dans la faillite du système capitaliste mondial. En dernière analyse, éviter une guerre nécessite la mobilisation de toute de la classe ouvrière internationale.
Le traité Chine-Iran souligne comment la redistribution mondiale du poids économique et industriel a sapé les alliances internationales (OTAN – OTASE) et les alignements géopolitiques existants.
La contradiction qui, selon les grands marxistes du 20e siècle, a conduit à la guerre mondiale – entre l’économie mondiale et le système dépassé de l’État-nation – réapparaît avec une force énorme. La question cruciale qui se pose est de mobiliser la classe ouvrière sur un programme socialiste international contre la guerre.
Source: Lire l'article complet de Les 7 du Québec