La destruction de l’agriculture européenne

La destruction de l’agriculture européenne

Article du numéro 16 de la revue Rébellion ( Mars-Avril 2006). quinze ans plus tard, le bilan est encore plus lourd… 

Aujourd’hui, l’agriculture européenne (et en particulier française) en est à chercher sa place dans un monde en mutation. Se rend-on compte qu’il y a un siècle à peine – quatre générations, quelle insignifiance dans l’histoire des populations -, après six mille ans d’existence, le monde paysan apparu au néolithique, s’appuyait toujours sur les mêmes valeurs traditionnelles et communautaires ? Que la majorité de la population européenne vivait dans les campagnes ? Que la majorité des produits alimentaires nécessaires à notre existence était produite en Europe ? Et qu’en moins de cent ans cette société enracinée dans une pérennité qui semblait immuable, a été abattue et remplacée par une autre civilisation. La situation actuelle du monde rural est révélatrice de l’évolution générale de notre monde moderne. Il s’achemine fébrilement vers sa propre autodestruction.

UN MONDE EN RUINES

En 1945, plus qu’un champ de ruines, c’est un cimetière paysan qui s’étendit à toute l’Europe. Comme en 1918 les carnages, dont portent témoignage sur les stèles de milliers de villages les noms de millions de disparus, auront surtout constitué un holocauste rural. La plupart des jeunes qui tombèrent sur les champs de bataille de la Guerre de 1939/45, étaient des garçons de ferme. De cette nouvelle boucherie, le monde paysan ne se relèvera pas. La Seconde Guerre Mondiale déblaya le terrain pour un réaménagement total de notre continent. L’agriculture se devant de devenir « productive et moderne » pour être rentable, on bouleversa les habitudes et les mentalités. Les enjeux économiques de « développement » vont dès lors faire table rase d’une civilisation paysanne, patiemment construite sur l’expérience, la sagesse et la mesure, dans l’harmonieuse connivence de l’homme et de la nature. En somme l’irréconciliable ennemi de l’idéologie du profit.

Dès 1945 furent installées en France, puis dans toute l’Europe, les structures indispensables à ce programme. Très tôt, l’Europe, baptisée «  verte » par anti-phrase orwellienne, s’attaqua à la société paysanne. Sous prétexte de reconstruction nécessitée par quatre années de guerre on imposa un plan de modernisation supposé mettre fin aux privations et aux rationnements. Et l’Europe verte prit son essor : chimie et mécanisation. L’une et l’autre, au fil des ans plus cataclysmiques, participèrent largement à l’explosion industrielle qu’encadrait une bureaucratie parasite, annonciatrice de totalitarismes inéluctables et qui se traduisit par un programme de bétonnage de villes nouvelles sans exemple dans aucune civilisation du passé. Ni la Mésopotamie, ni l’Egypte, ni Rome, dans leurs phases d’expansion somptuaires, n’égalèrent la frénésie du béton qui s’empara des Trente Glorieuses.

Toutes les nations occidentales, précipitées dans le même désastre, un demi siècle plus tard sont proches de l’agonie. En submergeant ces pays sous un déluge technologique et industriel on a soigneusement détruit l’environnement et réduit l’individu à n’être qu’un vagabond coupé de la Nature. Puis on a cassé l’industrie en prétendant la remplacer par une société de services. Enfin, ayant fait de cette dernière une construction artificielle, l’informatique a facilité sa délocalisation au gré de la cupidité des élites dominantes. Epilogue totalitaire pour un système capitaliste mondialisé dont le sort est entièrement décidé, manipulé, organisé par quelques milliers d’individus dont les lois terroristes et les polices de plus en plus puissantes et universelles interdisent même de constater les ravages.

SOCIETE DE ZOMBIES.

Tandis que se met en place, la dernière étape du programme d’éradication de toute pensée autonome, il faut d’urgence s’interroger sur ce champ de ruines et voire de tenter de changer, une fois de plus, le cours de l’Histoire.

Combien ont seulement conscience du fait que cette société en train de se constituer sur des chapelets de mégapoles de béton et de verre, jaillies de romans de science-fiction devenus reportages d’actualité, fonce vers un état balançant entre bâillon et famine ? La destruction en France de l’agriculture paysanne entre 1960 et 1980, avec l’élimination de 4 millions de paysans sur les 6 millions qu’ils étaient en 1945, au prétexte qu’ils manquaient d’efficacité et n’étaient pas capables intellectuellement d’assimiler les techniques de culture et d’élevage modernes, se prolongea, au cours de la décennie suivante, par l’expulsion d’un autre million. Le processus arrive à son terme avec quelques 300.000 agriculteurs résiduels … Produisant néanmoins deux fois plus que les 6 millions de 1945 !

Au cours de ces cinquante années, par dressage pédagogique dans les lycées agricoles et technologique dans les instituts agronomiques, a été imposée une agriculture qui non seulement fit exploser le cadre naturel au nom de l’ultra productivisme, mais qui transforma de fond en comble la psychologie de la société rurale. Devenue en deux générations un agrégat de zombies, sans repaires, dénués de toute connaissance instinctive et vitale de la nature et du monde naturel. Une société d’ombres, mûres pour toutes les tyrannies.

Il a été largement montré comment l’alchimie des sols, fruit d’une perpétuelle et lente maturation de ses composants chimiques due à l’action de milliards d’organismes vivants, donne aux plantes dont se nourrissent les animaux ainsi qu’à ces derniers, tout ce dont ils ont besoin pour être vigoureux. L’homme est au bout de la chaîne et accumule les bienfaits de ces aliments naturels. Il aura fallu des milliers d’années de microscopique évolution des techniques et des sélections pour que l’on aboutisse à ce miracle qu’était encore il y a quelques décennies l’agriculture occidentale, à la fois riche, naturelle et productrice suffisamment pour un monde adéquatement équilibré entre citadins consommateurs et paysans producteurs.

La révolution « verte » de la productivité fut en réalité une révolution noire. Celle de la chimie et de l’industrie mécanique. On a, littéralement massacré la nature à coup de bulldozers et de tracteurs d’assaut. On a détruit sur un demi mètre le sol arable enrichi au cours des siècles de fumures organiques. On a décapé ce sol arable par des techniques de labours démentielles, par des irrigations folles, par des déforestations sauvages. On a déversé des millions de tonnes d’engrais chimiques, asphyxiant pour des siècles les organismes vivants qui peu à peu disparurent. Enfin, pour se débarrasser des parasites endurcis par la désagrégation de la biodiversité, on inventa les pesticides, molécules chimiques de synthèse qui non seulement asphyxient mais pénètrent dans le métabolisme des êtres vivants, plantes ou animaux. On stérilisa ainsi des millions d’hectares, ne produisant plus qu’une forme de culture hydroponique où les plantes ne poussent qu’en fonction des apports nutritionnels de synthèse.

L’EXCEPTION DES « BIO »-CARBURANTS 

Tous ces produits toxiques déversés dans les cultures, nous les retrouvons maintenant dans nos organismes. Au bout du compte, le métabolisme des hommes aussi a été atteint. Et sont-ils des hommes d’ailleurs ? Plutôt des « consommateurs nés ». Des esclaves de la publicité. Des serfs lobotomisés qui accueillent déjà avec enthousiasme les puces micronisées qui vont pouvoir se substituer à l’éponge chimique qu’est devenu leur cerveau.

De plus en plus d’Européens consomment des nourritures industrielles surgelées ou stérilisées, « transformées en UE », et fréquentent les cantines où les repas se fabriquent à millions d’exemplaires dans des « laboratoires aseptisés », se pressent dans des halls ou des bouges plus ou moins salubres où l’on cuisine à la chaîne des viandes et céréales baignées d’huiles suspectes. Ces viandes, ces huiles, ces céréales sont désormais « importées hors CEE », comme la plus grande partie des fruits et de plus en plus de légumes embarqués par avions cargo à des milliers de kilomètres de nos marchés. Dans l’indifférence de tous se met en place la dernière phase de destruction planifiée de l’agriculture européenne. Pour l’instant les statistiques ne montrent pas l’ampleur du phénomène parce que la balance commerciale européenne est faussée par la part considérable qu’y prend l’exportation des aliments transformés, souvent d’ailleurs à partir de matières premières importées.

La désertification rurale, inscrite dans les règlements de la PAC 2006, s’accroît. Favorisée par les besoins considérables d’un aménagement urbain qu’imposent le contrôle social des population (l’extension des zones résidentielles servant à parquer les classes moyennes expulsées des centres villes par la spéculation et des banlieues par l’insécurité), l’extension sans fin des plates-formes aéroportuaires consacrées au tourisme de masse et l’explosion que personne n’entend maîtriser de la navigation aérienne. Les paysans partent à la retraite et meurent sans transmettre leurs exploitations. Les remplacent des « néo-ruraux » qui n’exploitent plus les terres. Se fait pressante une demande forte en « territoires d’oxygénation » réservés au tourisme et aux loisirs, indispensables aux ensembles mégapoliens, et en décharges géantes, conséquences d’une société de consommation devenue hystérique.

Mis bout à bout, tout ceci condamne à très court terme l’agriculture européenne. La seule exception devant être les millions d’hectares dont on sait qu’ils seront réservés à la production de soi-disant « bio »-carburants. Un marché très particulier, exigeant des productions à faible coût afin de maintenir le niveau d’activité propre à une société de consommation. Cette agriculture là, sera chimique, électronique. Elle fera appel à des matériels mécaniques extrêmement lourds, à des techniques biogénétiques et annexera les dernières grandes plaines alluviales européennes non encore bétonnées.

Pour le reste, ce sont l’Amérique du Sud – notamment le Brésil et l’Argentine – les Etats Unis, les pays de l’Est européen et la Chine qui sont mobilisés pour devenir les producteurs des nourritures – industrielles, chimiques et génétiquement transformées – dont se repaît la société de consommation mondiale. De plus en plus de débats, convenus et truqués, s’instaurent dans les media autour de l’émergence fulgurante de la Chine sur la scène planétaire. Comme si le concept économique, politique, culturel de « communisme de marché » dont elle s’est investie, accompagné justement par l’immense battage médiatique, n’était pas une mise en scène des forces mondialistes pour tenter de sauver le capitalisme moribond. Le système chinois est en effet l’incarnation de ce que voudrait imposer la globalisation : une société totalitaire, où une oligarchie dominerait des masses réduites à la misère. Avec 1,2 milliards d’habitants et des centaines de millions de ses paysans en train d’être expulsés de leurs terres, la conversion chinoise à une agro-industrie géante de libre-échange laisse mal augurer de la qualité des aliments dont elle s’apprête à inonder le monde. Mais dans ce domaine comme dans les autres, est-ce tellement important ? Et la fonction de ce nouveau monde en émergence n’est-elle pas, à la fois, de renforcer la domination de l’oligarchie sans frontières, d’intoxiquer le plus grand nombre d’individus et de participer activement à la conservation du modèle capitaliste ?

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À propos de l'auteur Rébellion

Rébellion est un bimestriel de diffusion d’idées politiques et métapolitiques d’orientation socialiste révolutionnaire.Fondée en 2002, la revue Rébellion est la voix d’une alternative au système. Essentiellement axée sur les sujets de fond, la revue est un espace de débats et d’échanges pour les véritables opposants et dissidents. Elle ouvre ses colonnes à des personnalités marquantes du monde des idées comme Alain de Benoist, David L’Epée, Charles Robin, Pierre de Brague, Thibault Isabel, Lucien Cerise … Rébellion se veut également un espace « contre-culturel » au sens large (arts, littérature, musique, graphisme).

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