Sortie de l’état de nature

Sortie de l’état de nature
Chasse au lion à Ninive, 645-635 av. J.-C. Domaine public.

Sortie de l’état de nature

ALLAN ERWAN BERGER   J’étais en train de discuter avec l’ami Thibault et l’ami Etch quand il me prit soudain l’envie de devenir grandiose et lyrique. Puisqu’il était, dans notre conversation, question de solidarité, je ne pus m’empêcher de faire partager à mes compères une conclusion qui m’était venue après maintes cogitations : « C’est la solidarité qui nous a permis de sortir d’Afrique ! Sans la solidarité, qui fut la grande affaire des Humains, nous y serions encore ! »

Etch, qui porte en lui un sang africain beaucoup plus récent que le mien – qui date au mieux du temps des invasions maures –, se raidit et émit un « Quoi ? » assez sec, tout en ouvrant des yeux ronds, ce qui est toujours mauvais signe. J’insistai, inconscient de l’énorme boulette que j’étais en train de commettre. « Comment ? » articula Etch, dont les yeux devinrent carrés, ce qui m’inquiéta encore plus. Et je compris : j’étais en train d’insulter un continent tout entier ! Pour un gauchiste bien rouge comme il se doit, vert pomme et antiraciste par conviction autant que par nécessité, c’est le pompon suprême. Comment faire ?

Je repris depuis le début. « Imaginez que nous sommes, de tous les Vertébrés supérieurs, ceux qui ont été le plus dépourvus de tout : nous n’avons pas de crocs mais des quenottes, nous n’avons pas de griffes mais des ongles, nous ne possédons ni dards ni cornes ni carapace, ni venin, ni ailes, ni queue fouettante, ni fourrure ni vibrisses ni rien. Nos oreilles n’entendent que pouic, nos nez ne reniflent rien, et nos yeux sont tout à fait médiocres. Bref : perdus dans un océans de bêtes toutes plus monstrueuses les unes que les autres, nos ancêtres n’ont dû leur survie qu’à la solidarité, la seule arme qui fût à leur disposition pour échapper au triste destin d’être toujours la victime que le monde entier boulotte. »

La solidarité, caractère probablement inné mais aussi, chez nous, acquis au contact d’autres espèces qui la pratiquaient et que, grâce à notre puissant cerveau, nous étudiâmes, « …fut ce qui nous permit de conquérir l’Afrique, puis d’en sortir pour nous jeter sur le reste de la planète !

— Ah je comprends, me dit Etch. En fait, tu voulais dire que c’était la solidarité qui nous avait permis de sortir de l’état de nature ! La sortie d’Afrique n’en étant qu’une conséquence…

— Bien dit ! Exactement ! De l’état de nature ! Ouah ! » Comment pouvais-je n’y avoir jamais pensé ? C’est que je n’avais rien lu de Rousseau que son amusant Émile, et que je n’avais découvert Hobbes que cette année. Etch, qui avait plus de notions que moi sur ces deux penseurs, n’avait pas eu la moindre difficulté à mettre un mot sur un concept autour duquel je tournillais depuis des mois : la sortie de l’état de nature. On est un peu bouché, parfois.

La fabrication de l’Humanité

Nous ne pouvions pas naître à un meilleur endroit. Car il n’y a pas de berceau plus sauvage que l’Afrique, surdopée, foisonnante de vie, remplie de prédateurs infatigables et de petites proies surarmées. Le dessin de la pyramide alimentaire de ce continent fait apparaître toutes sortes de carnivores occupés à s’entre-assassiner, que redoutent et combattent d’abominables herbivores géants tels que rhinocéros, buffles, éléphants ou hippopotames. Viennent ensuite une foule d’espèces bien retorses, agiles, musclées, rapides, venimeuses, volantes, piquantes, mordantes et fourmillantes, jusqu’aux Singes, jusqu’aux Hominiens qui, pour leur malheur, ne firent pendant des ères entières peur qu’aux écureuils, aux coucous et aux musaraignes.

L’Afrique est le pire de tous les continents possibles pour qui a les capacités physiques d’un caniche. Alors, quand on part d’aussi bas dans un endroit aussi dingue, on ne peut s’en sortir qu’en devenant un monstre inédit. L’Afrique fut notre arène d’entraînement. Nous serions nés en Amérique du Sud, nous y serions encore, tellement ce continent est calme en comparaison de notre berceau.

Comment, pourquoi avons-nous fini par nous considérer partout comme chez nous ? Pourquoi n’avons-nous même plus peur des requins, que nous commençons à vouloir protéger ?

On pense que c’est à cause de certaines mutations dans les séquences régulatrices des gènes du développement de la tête – dans un gène, une séquence régulatrice gère la façon dont la séquence codante agit : un peu, beaucoup, lentement, rapidement ; c’est un adverbe.

Nous naissons et demeurons jeunes. Notre espèce est la seule de tous les Hominidés à conserver jusqu’à la mort des caractères juvéniles qui, tous, ont favorisé à la fois notre dépendance à l’égard de nos congénères, et notre survie grâce à une formidable capacité de comprendre, de théoriser, d’expérimenter et de conclure.

Quels sont nos caractères juvéniles ? Pas beaucoup de poils, peu de menton, peu d’arcades sourcilières. Nous marchons debout comme les bébés singes au lieu d’aller à quatre pattes comme les grandes personnes.

Un joli trait, et non des moindres, nous explique bien des choses : le vagin des femelles humaines est cambré vers l’avant, comme chez les petites filles des autres singes, au lieu d’être arqué vers la colonne vertébrale comme il est d’usage chez les guenons adultes. Ce qui fait que les humains s’accouplent par devant. Mais comme les mâles de cette espèce ont gardé, de leurs ancêtres, un goût prononcé pour les signes sexuels de l’ancien temps, époque où ils allaient à quatre pattes et ne voyaient des filles que leurs popotins, ils sont toujours très attirés par les fesses ; chez eux, un bon postérieur vaut mille promesses. Ainsi, en France, où l’on est volontiers traditionaliste, les histoires de sexe sont-elles appelées des histoires de cul.

Mais le trait le plus étonnant, c’est notre tête, au développement de laquelle fut apparemment collé l’adverbe le plus éruptivement outrancier de tout le vocabulaire du Bon Dieu. Nous sommes tellement jeunes que, tout comme les juvéniles des autres singes, nous avons une tête disproportionnée ; mais la nôtre est si énorme qu’il faut que nos mères nous expulsent avant terme, ce qui fait que nous naissons encore à l’état de larves, incapables de rien faire sans aide, prématurés d’office. Cependant, c’est cette grosse tête qui nous aura sauvés des hyènes, des serpents et des lions.

La grosse tête :

Il y a, chez les Hominidés, une règle qui établit une relation directe entre la taille du cerveau et l’ampleur du système sensoriel-moteur. Gros muscles, gros cerveau ; petits muscles, petit cerveau. Vaste bidoche, vaste caboche.

On peut ainsi établir un graphique, avec en abscisse le poids de la bête, et en ordonnée son cubage cérébral. On obtient, depuis le gracile Pan paniscus jusqu’au massif Gorilla gorilla, une ligne relativement droite, qui indique assez clairement que tous les Hominidés respectent un même rapport cerveau/biceps. Cette ligne est un peu courbe, car la relation n’est pas tout à fait proportionnelle : le cerveau gonfle légèrement moins vite que la chair.

Et où sont les humains, dans ce beau graphique ? Ils sont terriblement loin, bien au-dessus, tout à fait dans les nuages. En outre, le long du temps, l’accroissement du volume s’accélère. Une vraie fusée :

  • Lucy : 300cm3, 1m10, il y a 2,5Ma, pointe le museau au-dessus de la ligne commune.
  • Ses enfants, chétifs Australopithèques, 45kg tout mouillés, ont un cerveau de 400 à 450cm3. Déjà, ils pulvérisent la norme. Le meilleur chimpanzé moderne ne leur arrive pas à la cheville. Mais voyez la suite :
  • 700.000 ans plus tard seulement, voici le roi de l’outillage, 1m30, 600cm3 ; habilis, qui aurait été ravi de recevoir une perceuse à piles pour son anniversaire.
  • Ensuite vient ou viendrait erectus : 55kg, mais 1000cm3 !
  • Et puis là, il y a 120.000 ans, Homo sapiens : 50-55kg, 1m60 à tout casser, et pourtant… 1400cm3… Un moteur de grosse cylindrée monté sur une trottinette. Mille quatre cent centimètres cubes ! Si nous avions respecté la règle commune, nous ne devrions même pas en avoir quatre cent.

Nous ne sommes plus dans le schéma normal des Singes. Notre cerveau a été dopé. Nous avons reçu la connaissance du temps, avec les terreurs insondables du futur opaque. Nous avons reçu tout pouvoir pour observer, imiter, améliorer : songez qu’un enfant chimpanzé met des années à découvrir comment casser des noix, alors qu’il a sa mère sous le nez pendant tout ce temps-là, qui lui prépare sa nourriture ; nos enfants ne mettraient pas deux heures.

La solidarité anime nombre de nos histoires

Combien d’exemples, encore plus édifiants que celui qui vient maintenant, ont pu nous impressionner au cours des âges, et nous mettre sur le chemin de la plus radicale des solidarités !

Kruger Park est une vaste réserve de vie sauvage qui se trouve dans l’est du Transvaal, à la frontière avec le Mozambique. Lions et buffles y vivent tranquillement, les uns mangeant les autres comme c’est la tradition depuis des centaines de milliers d’années. Mais un jour, il se passa quelque chose qui mit en émoi une bande de touristes en visite dans le parc sans penser à mal, et qui les transforma en rebelles furieusement gauchistes, prêts à bouffer du lion à la première occasion. Voici ce qui se passa.

Un troupeau de buffles longeait paisiblement la berge d’un lac quand le grand mâle de tête détecta une menace tapie dans les herbes devant lui. Il s’avança, suivi de quelques membres de son clan, en direction du danger. C’étaient des lions, rampant aplatis, jaunes sur l’herbe jaune, et qui n’avaient d’yeux que pour cette viande qui venait à eux. Le grand mâle demanda le passage ; les lions répondirent en se jetant sur le groupe, qui détala.

Les prédateurs eurent tôt fait de rattraper un jeune buffle, qu’ils plaquèrent au sol mais, dans les roulades de l’instant, le groupe dégringola sur la berge et dérapa dans la boue. Calmement, on entreprit de remonter la prise vers le sec. Tandis qu’une lionne étouffait le veau en lui enfermant le museau dans sa gueule grande ouverte, les autres travaillèrent à l’immobiliser. Ceci prit du temps. L’enfant faiblissait. Un crocodile flaira la bonne affaire et se jeta lui aussi sur la proie, dans l’idée de la joindre à son garde-manger. Il s’ensuivit une courte mais intense bataille au cours de laquelle le pauvre gamin, écartelé mais toujours vivant, fut disputé par le crocodile et par les félins. Tout ceci sous les yeux horrifiés des buffles et des humains. « Ne peut-on rien faire ? » dit une personne. « C’est trop tard » répondit-on. « Le gosse est foutu. » Chez les buffles, on devait tenir de semblables propos, et la mère se désolait.

Cependant, le crocodile n’avait pas, dans l’eau du lac, d’aussi beaux appuis que les fauves dont les griffes tenaient fermement plantées dans la terre. Après un dernier coup de queue destiné à enlever le morceau, voyant qu’il n’arriverait à rien, le crocodile se recula. Les lions avaient vaincu. Ils remontèrent l’enfant sur l’herbe, et recommencèrent à vouloir l’étouffer. À cet instant, l’humeur chez les buffles changea, et les humains, devinant que quelque chose pouvait basculer, se tinrent encore plus attentifs.

Résistance !

Le troupeau avança, pétant de trouille mais résolu, la queue en l’air, et se mit en arc de cercle devant les lions en capture. Ceux-ci se relevèrent mais, voyant que les buffles ne pouvaient aller au travers de leur conditionnement et qu’ils hésitaient, tournoyant, ondulant mais n’attaquant point, ils se rallongèrent autour de l’enfant.

Tout d’un coup, un mâle n’y tint plus, et chargea. Une des lionnes se recula, et se fit courser par le buffle enragé. Cela donna du courage aux autres qui, en moins de dix secondes, se montèrent le bourrichon et se densifièrent, en front haineux face aux fauves. Le mâle revint et faucha une autre lionne, qu’il envoya valdinguer sous les cris admiratifs des touristes qui, à cette heure, n’en perdaient plus une miette et avaient pris fait et cause pour les buffles. Secouée mais indemne, la lionne bousculée prit la fuite en remontant le troupeau qui, dès lors, se scinda : les uns pourchassant la fuyarde, les autres pressant encore plus les lions restés allongés autour et sur le jeune buffle qui, étalé par terre, ne bougeait plus d’un poil. Était-il seulement encore vivant ?

C’en fut trop. Des cris de guerre furent lancés, le front se mit en branle résolument, les derniers lions se relevèrent, se raccroupirent, se relevèrent, ne croyant pas à la fin de leur suprématie. Chez les buffles, les dernières peurs furent balayées, et la force évidente qu’une masse de barbaque en colère peut générer devint manifeste pour tous, jusqu’aux plus pétochards qui, dès lors, se lâchèrent, et avancèrent. Au même moment, le jeune se releva. Une lionne voulut le retenir mais une bonne menace collective la fit abandonner.

Les derniers lions, acculés contre la berge, ne surent plus quoi faire. À quatre mètres d’eux, une trentaine de buffles, appuyés par une multitude d’autres derrière, étaient en train de les pousser peu à peu vers l’eau, qui se trouve être le pays des crocodiles. Un des fauves se releva et s’enfuit sans demander son reste. Il fut rudement raccompagné. La dernière bête restante fila à son tour. Alors commença pour de bon une chasse aux lions, sous les cris enthousiastes des touristes en 4×4.

Les lions ne voulaient ni ne pouvaient croire à ce qui leur arrivait. Ils en revinrent même sur leurs pas, étonnés au-delà du possible par cette charge contre-nature qui renversait tous les usages, effaçait toutes les certitudes. Voulant regagner du territoire et de l’autorité, un des félins s’avança vers le mâle de l’avant, qui lui meuglait des insultes. Mais il flancha. Il parada trois pas puis fit un très digne quart-de-tour à droite avant de s’enfoncer dans les fourrés, à la recherche de ses congénères dispersés. Le jeune buffle, qui avait retrouvé son troupeau, fut entouré, choyé, léché, et tout le monde prit conscience qu’une leçon unique avait été donnée : un lion, ça ne se subit pas, ça se chasse. La vidéo de cet exploit fit le tour d’Internet.

Cette scène a dû se dérouler de nombreuses fois au cours des millénaires, et les Hominidés en vadrouille, à la queue leu-leu sur un sentier, estomaqués par le cran des buffles, durent en retenir qu’un autre monde était possible, et que la fraternité, qui est une solidarité de combat, pourrait leur en ouvrir les portes. Dès lors, ce ne fut plus qu’une question de temps avant que l’Afrique, berceau de l’Humanité, n’en devînt l’arène où l’espèce s’entraîna jusqu’à être partout chez elle, relativement tranquille, et juchée au sommet de la fameuse pyramide alimentaire.

L’intelligence nous aura conféré la possibilité de bien saisir l’absolue nécessité de développer la solidarité. La sélection naturelle fonctionna à plein pour nous purger des affreux : toujours dans nos histoires les méchants et ceux qui les suivent perdent, et dans l’Histoire aussi. Quand les temps mûrissent, que les grands monstres s’entretuent au milieu des carnages d’innocents, la solidarité devient l’unique planche de salut possible.

Au-delà des portes de l’Afrique

Et un jour, les portes de l’arène furent fracassées. Il en sortit un démon. Des animaux il avait pris le meilleur : griffes, crocs, lames, boucliers, poisons, apparences et illusions. Jusqu’aux peaux dont il se couvrait. Cette chimère terrifiante qui, en souriant aux bêtes, leur montrait les dents, revêtue de leurs cadavres, regarda par la porte, au-delà de la mer, et rêva au monde immense qui se déployait devant elle.

Nous savons, par l’étude des variétés de l’Herpès, qui est notre plus fidèle parasite, que l’être humain, sorti de l’état de nature, quitta l’Afrique dans le secteur de Djibouti, et qu’il aborda l’Arabie vers Aden, à la faveur, peut-être, d’un abaissement du niveau des mers dû à une lointaine glaciation. Traversant la péninsule, ce fier Moïse avant l’heure découvrit les jardins calmes étendus entre le Tigre et l’Euphrate. Il s’y installa, et de là rayonna.

À cette époque, l’humain était beaucoup plus variable qu’aujourd’hui, à tel point que même encore maintenant, quelques archéologues soutiennent qu’il y eut plusieurs espèces cohabitant. Mais les études récentes suggèrent qu’il s’agissait uniquement de Homo sapiens Linnæus 1758, les uns râblés et prognathes, les autres filiformes et au crâne en obus, tous discutant, depuis leur porche commun, à propos des magnifiques horizons du futur, que le soleil couchant rougissait de gloire et de mystère.

Il nous avait fallu des centaines de milliers d’années pour nous implanter en Afrique ; nous allions nous répandre dans le reste du monde, si vide en comparaison du Berceau, en un claquement de doigts. Aujourd’hui, nous faisons le tour du globe en quatre-vingt heures.

L’atavisme, qui sert à tout expliquer de ce qui paraît nébuleux dans les couches fossiles de nos comportements, nous pousse encore à l’agressivité envers nos anciennes sources d’effroi. Mais depuis longtemps maintenant nous avons vaincu, et de très antiques histoires nous incitent à tirer un trait sur notre passé sauvage, pour nous civiliser.

Civilisation :

2013_11_24_bLa civilisation est un processus qui institutionnalise la solidarité, et qui l’affine ; voyez Norbert Elias. L’exemple devant souvent venir d’en haut, ce sont nos vieux héros qui nous montrent le chemin. À commencer par Gilgameš, dont l’épopée est « antérieure de plusieurs siècles à l’Iliade et au Mahâbhârata », écrit Jean Bottéro dans la présentation de ce vieux récit qui contient même en son sein une histoire datant pile du Déluge. Gilgameš, jeune prince arrogant d’une puissante cité, fier connard invincible, va s’associer après de chauds combats à son opposé parfait, le sauvage Enkidu, élevé avec les gazelles, pur et innocent, naturel, indomptable et sage. L’un va déteindre sur l’autre : aventures de tavernes, aventures en montagnes. Au cours de multiples péripéties où ils affronteront monstres de la nature et sortilèges, les deux amis vont se civiliser, s’humaniser. Leur force se soumettra à la sagesse. À leur mort, les dieux placeront leurs noms dans les étoiles pour que chaque mortel en soit éclairé… Dans le bassin Égéen, c’est Héraclès qui tient le rôle, en débroussaillant les derniers restes de la sauvagerie brute du monde, pour y installer la droiture, le devoir, la règle et l’ordre. De sangliers en gorgones, le héros partout abattra la bête, jusqu’au plus profond du cœur de quelques rois brutaux. La civilisation est en marche.

Aujourd’hui, nous sommes arrivés aux confins de notre monde. Cependant, les peurs antiques nous taraudent toujours, alors qu’elles n’ont plus lieu d’être : notre puissance est sans limites connaissables. N’importe quel quidam en Europe mobilise plus d’énergie que Gilgameš le fit en toute sa vie de bambochard frénétique. La planète, notre nouvelle arène, est sur le point de s’effondrer sous nos coups. Nous n’en sortirons pas sans faire confiance à la nouvelle forme de solidarité à laquelle nous sommes acculés, sous peine d’extinction : la solidarité complète avec tout ce qui vit. Le Front de Gauche, en France, porte cette lumière – il n’est pas le seul, je tiens à le préciser immédiatement pour ne peiner personne, mais lui la porte avec panache, pétards et fumigènes, et il s’active, fouetté d’un indéniable sentiment d’urgence.

Il est donc normal que ce rassemblement de gauchistes se sente coupé de la population par de vastes abîmes d’incompréhension, car sa mission est double : apostolique évidemment, mais aussi prophétique. « C’est que nous manipulons souvent des idées encore peu pensées, mais heureusement déjà pensables » me dit en substance l’ami Yannick un soir. Des alliances de circonstance avec les Écologistes, qui sont les devanciers du Front de Gauche en matière d’environnement, sont donc dans l’ordre culturel des choses.

Je détaillerai dans quelques semaines le principal moteur de l’activité politique aujourd’hui dans le peuple engagé de gauche : l’esprit collaboratif, qui autorise des ajustements en temps presque réel, par le biais de boucles de rétroaction qui se passent petit à petit des processus anciens, trop marqués par la rigidité partidaire – comme ces derniers font plus souvent office de filtres que d’accélérateurs, ils sont amenés à perdre de leur importance.


Illustration latérale : Héros maîtrisant un lion, Khorsabad, 713-706 av. J.-C. Domaine public. L’interprétation est la suivante : dompter la force sauvage pour la faire sienne, plutôt que la détruire.

Source: Lire l'article complet de Les 7 du Québec

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