Le Loup dans la bergerie

En tant que titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal, il est devenu par la force des choses une espèce de spécialiste des problématiques liées aux changements climatiques. Nos médias écrits et électroniques accordent une grande place à ses analyses sur l’évolution du marché de l’énergie au Canada comme ailleurs dans le monde. Ces interventions l’amènent souvent à déborder de son champ d’expertise pour proposer un modèle de développement sociétal pour le moins discutable.

Je me propose d’examiner quelques-unes des récentes déclarations publiques de M. Pineau qui vont à l’encontre de la mouvance écologique à laquelle, personnellement, je m’identifie et pour laquelle je milite depuis des années.

Le faux paradoxe du rejet de l’exploitation des hydrocarbures au Québec

En septembre 2020, le journaliste du Devoir, Alexandre Shields, recueillait l’avis de Pierre-Olivier Pineau sur la possibilité de voir démarrer l’exploitation du gaz de schiste sur le territoire québécois. On se rappelle que le gouvernement du PLQ a mis un terme à une exploration à cet effet en 2017, faute de perspectives de rentabilité et d’acceptabilité sociale suffisante. Le professeur Pineau a répondu par la négative en déplorant le fait que les Québécois, en « s’interdisant » cette option, doivent combler leurs besoins en recourant à du gaz naturel en provenance d’autres provinces canadiennes et des États-Unis. Un gaz dont l’exploitation pourrait profiter à l’économie québécoise, selon lui, et que nous pourrions « réglementer de manière plus responsable ».

Selon les statistiques de 2020, le gaz naturel comble seulement 14% de nos besoins en énergie comparativement à 38% pour l’hydroélectricité. Rien ne permet de croire que le gaz de schiste qui pourrait être extrait chez nous serait meilleur pour l’environnement que celui que nous importons de nos voisins, en attendant de pouvoir le remplacer par du biogaz. Mais tout comme les fabricants de lessive qui se vantent de laver plus blanc que leurs concurrents, les sympathisants de ce type projets, à l’inverse du célèbre adage, croient que l’herbe est toujours plus verte chez eux.

N’en déplaise à M. Pineau, la majorité des Québécois refusent de transformer la vallée du St-Laurent en gruyère pour le bénéfice premier de promoteurs privés comme Questerre Energy. La même logique du gros bon sens a motivé leur rejet du pipeline Énergie Est de Trans Canada, destiné surtout à l’exportation du pétrole issu de sables bitumineux de l’Ouest via un terminal maritime au Nouveau-Brunswick. Le projet de GNL Québec au Saguenay avec son gazoduc de 782 km sera vraisemblablement abandonné pour les mêmes raisons.

Les Québécois ont fait le choix de l’hydroélectricité. Ils veulent bien s’accommoder de lignes de transmission sur leur territoire, mais pas de gros tuyaux dévolus au transport d’hydrocarbures fossiles, fussent-ils enfouis sous terre.

Pierre-Olivier Pineau voit le GNL d’un bon œil

Le 18 juin 2019, dans le deuxième d’une série de trois articles consacrés à l’exploitation du gaz naturel sur le site Ricochet Média, la journaliste Émilie Rivard-Boudreau invitait M. Pineau à donner son opinion sur le projet controversé de GNL Québec/Gazoduq. Deux semaines auparavant quelque 150 scientifiques avaient recommandé son rejet dans une lettre ouverte, faisant valoir que le GNL Saguenéen pourrait même retarder le passage aux énergies renouvelables dans les pays importateurs.

Qu’à cela ne tienne, le professeur Pineau souscrit à la thèse des promoteurs à l’effet que le gaz naturel de l’usine du Saguenay pourrait contribuer à réduire les GES dans les pays d’Asie et d’Europe : « Ce gaz-là a de très fortes chances de remplacer du charbon à l’étranger. Évidemment, il n’y a aucune garantie que ça va être du charbon, mais il y a quand même de très fortes chances et dans ce cas-là, c’est très positif pour le climat. L’argumentaire est tout à fait valable et je pense que c’est un bon projet ».

Un an et demi plus tard, GNL Québec n’a toujours pas conclu d’entente avec des clients importateurs désireux de remplacer leur charbon. Même si c’était le cas, le gaz naturel en provenance de l’Ouest canadien destiné à l’usine de La Baie serait issu à 85% de la fracturation hydraulique : un procédé qui à long terme contribue au réchauffement climatique autant que le charbon, en plus de fragiliser les sols et de menacer les nappes phréatiques.

Sur le plan strictement écologique, la carboneutralité éventuelle de l’installation de GNL Québec, rendue possible grâce à notre hydroélectricité, représenterait un gain illusoire dans le processus d’extraction, de liquéfaction, de transport et de consommation du gaz à l’étranger. Sans oublier les effets délétères sur les mammifères marins causés par l’accroissement du trafic lourd dans le fjord du Saguenay à raison de 320 passages de super méthaniers annuellement.

Dans sa volumineuse étude d’impact environnemental GNL Québec avait commodément passé sous silence le fort pourcentage de fracturation de son gaz, mais c’était un secret de polichinelle. Le professeur Pineau ne pouvait pas l’ignorer. Tout comme il n’ignore pas qu’en raison des énormes investissements qu’ils représentent, de nouveaux oléoducs et gazoducs auraient pour effet de prolonger la dépendance des nations aux énergies fossiles.

La voiture électrique frappée d’anathème

Considérant le potentiel exceptionnel d’énergie renouvelable que possède le Québec, nos gouvernements ont instauré des mesures incitatives pour favoriser l’électrification des transports sur notre territoire, telles les subventions à l’achat et l’installation de nombreuses bornes de recharge en concertation avec le secteur privé.

S’il faut en croire le professeur Pineau, ce serait là une mauvaise stratégie. Dans son texte Quand est-ce qu’on commence la transition énergétique, paru le 29 décembre 2020 dans La Presse, il affirme que « l’insistance sur l’électrification, surtout celle des transports, nous détourne du véritable enjeu – celui de se diriger vers une mobilité durable. » Suivent les considérations usuelles sur la nécessité de favoriser le transport en commun, l’autopartage, le vélo et la marche, plutôt que les déplacements motorisés individuels qui causent la congestion routière et favorisent l’étalement urbain.

Comment l’accroissement du parc automobile en mode électrique pourrait-il contrecarrer ce noble objectif? M. Pineau qualifie de « transfert d’argent public pour des gens plus riches que la moyenne » les subventions gouvernementales accordées pour l’achat de ces véhicules. (Celles-ci totalisent actuellement 13,000 $ plus quelques centaines de dollars pour une borne de recharge domestique.) C’est pourtant grâce à ces subventions qu’au moins une partie de la population est en mesure de d’acquérir une voiture électrique très performante. Les utilisateurs, tous enchantés de leur achat, font valoir que la différence de prix qui subsiste avec un véhicule thermique conventionnel de catégorie équivalente s’amortit au bout de quelques années d’usage normal, grâce aux économies réalisées sur le carburant et les frais d’entretien.

La réduction de l’étalement urbain et l’implantation d’un réseau de transport en commun efficace dans les régions éloignées et moins densément peuplées ne sont malheureusement pas pour demain. Décourager les gens d’acheter des véhicules électriques pour épargner au trésor public quelques milliers de dollars est un non sens quand on sait que nos gouvernements subventionnent à coups de milliards les énergies fossiles.

 

Le principe du pollueur payeur à géométrie variable

Dans ce même article, M. Pineau affirme qu’il préconise l’instauration de taxes additionnelles pour les utilisateurs de véhicules les plus polluants. Cette louable recommandation n’a cependant pas été retenue dans le « Plan pour une économie verte » présenté le mois précédent par le gouvernement provincial, peu après le dépôt du plan fédéral, qualifié lui aussi de vert pâle par maints observateurs. La CAQ, a sans doute estimé que l’introduction d’un malus sur les motorisés très énergivores serait une mesure trop impopulaire auprès d’un large segment de sa base électorale.

Même s’il ignore ses recommandations, le gouvernement québécois se dit fier d’être un partenaire de la chaire de gestion que dirige M. Pineau. Il lui accorde depuis 2017 une subvention annuelle de 20,000 $. C’est bien peu, certes. Qu’on se rassure, depuis sa formation en 2013, l’essentiel du financement de l’organisme provient du privé, plus particulièrement de firmes du secteur des hydrocarbures. Bien entendu, il n’y a aucun conflit d’intérêt, selon le principal intéressé.

Toujours dans La Presse, un article de Jean-Thomas Léveillé paru le jour suivant, Ce qu’auraient pu faire Ottawa et Québec, recueillait les suggestions de plusieurs intervenants du domaine de l’énergie et de l’environnement, dont M. Pineau. Nous apprenons qu’il privilégie l’électrification du réseau ferroviaire au lieu du parc routier, car il a constaté une augmentation importante du transport par rail de 1990 à 2018, attribuable surtout au secteur manufacturier.

Curieuse stratégie. Pourquoi faudrait-il tout miser sur l’électrification d’un mode de transport au détriment de l’autre? M. Pineau sait bien que le nombre de poids lourds sur nos routes a également grimpé en flèche, atteignant 160,000 en 2018. C’est beau de vouloir décarboniser les locomotives mais notre réseau ferroviaire ne se rend pas partout en province pour assurer la livraison à nos portes. Le transport par camion demeurera toujours celui qui offre le plus de flexibilité, d’où l‘importance de le décarboniser dans le même temps.

 

Pierre Olivier Pineau à la défense des oléoducs

Au soir même de son assermentation comme président des États-Unis, Joe Biden a décrété la mort de l’oléoduc Keystone XL sur lequel misait le gouvernement albertain de Jason Kenney pour écouler son pétrole des sables bitumineux. Est-ce une confirmation du déclin de cette ressource? Interviewé dans le cadre de l’émission Les faits d’abord de la première chaîne de Radio-Canada le 23 janvier dernier, M. Pineau diminue la portée du geste de Biden, le qualifiant de purement symbolique. Il affirme que cet abandon n’entraînera aucune baisse de l’exploitation et la consommation de pétrole aux États-Unis.

À en croire notre expert, la décision serait même contre-productive car le brut lourd de l’Alberta aurait été idéal pour approvisionner certaines raffineries étasuniennes. Celles-ci devront se tourner vers des sources d’approvisionnement situées en Amérique latine, tel le Brésil et la Colombie. Au lieu d’un pas en avant, on ne donc que déplacer le problème en privant le Canada d’un précieux apport financier. Vraiment?

Tout indique au contraire que les États-Unis disposent de suffisamment de réserves de pétrole de schiste sur leur territoire pour se passer sans problème du brut lourd canadien. Ils ne savent plus quoi faire de leurs excédents surtout depuis le ralentissement de l’éconcomie causé par la pandémie. La décision de renoncer aux sables bitumineux avait déjà été prise sous l’administration de Barack Obama en 2015 ; c’est Donald Trump qui l’a renversée une fois installé à la Maison Blanche. Il s’agit manifestement d’une décision mûrement réfléchie de la part des démocrates, lesquels ont réintégré du même coup l’Accord de Paris.

Je ne suis pas le seul à croire davantage en la volonté de Joe Biden de réduire la dépendance de son pays aux énergies fossiles qu’en celle de Justin Trudeau. Notre premier ministre tient depuis longtemps un double discours à ce chapitre. Nous apprenions encore tout récemment qu’il souhaitait autoriser une quarantaine de forages en mer au large de Terre-Neuve dans une zone pourtant censée être protégée.

Le prof Pineau conclut son intervention radiophonique aux Faits d’abord en affirmant que la consommation de pétrole va perdurer étant donné que les Canadiens, et les Québécois en particulier, continuent de privilégier les gros véhicules à essence pour leurs déplacements. Il nous présente toujours cela comme une fatalité. Comme si ces populaires véhicules, déjà offerts en version hybride, n’allaient pas bientôt l’être aussi en alimentation 100% électrique. Idem pour les camions-remorques, les autobus, les motocyclettes, la machinerie lourde. Sans oublier les locomotives, dont M. Pineau lui-même prônait l’utilisation dans une précédente entrevue. Encore faut-il pour cela que l’État envoie des signaux positifs en ce sens et maintienne des incitatifs fiscaux.

La motricité électrique ne règlera pas le problème d’embonpoint de notre parc automobile; mais l’élimination progressive de moteurs à combustion permettra de réduire les émissions de CO2, en plus de cette autre forme de pollution qu’ils engendrent : le bruit.

 

Pour couronner le tout

Ce ne sont là que quelques exemples du discours ambigu et parfois même incohérent de Pierre-Olivier Pineau. Si on excepte sa proposition (non retenue par la CAQ) d’introduire un malus à l’achat de grosses cylindrées, ses recommandations manquent singulièrement d’audace. Elles tendent à favoriser le statu quo au lieu d’encourager les Québécois à modifier leurs habitudes de consommation de l’énergie.

Je ne m’en soucierai pas tant que ça si le titulaire de la Chaire de gestion du secteur de l’énergie de HEC Montréal n’avait pas acquis une telle importance dans l’espace public. Il est même membre Des Universitaires, « un regroupement de professeur.e.s et de chercheuses et chercheurs qui prennent position publiquement en faveur de la lutte aux changements climatiques, et de la protection de l’environnement et de la biodiversité. »

Je ne comprends pas comment M. Pineau peut appartenir au même groupe que les nombreux scientifiques de renom qui s’opposent fermement aux aberrations qu’il a pour sa part soutenues : le mégaprojet Énergie Saguenay de GNL Québec, la poursuite de l’exploration pétrolière et gazière de même que la construction d’oléoducs et de gazoducs en sol québécois.

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Source: Lire l'article complet de L'aut'journal

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