Note du traducteur (Nicolas Casaux) : J’ai tenu à traduire cet article pour deux raisons. D’abord pour ce qu’il expose. Ensuite, parce qu’il se trouve que Peter Gelderloos, l’auteur de Comment la non-violence protège l’État (que j’ai traduit et qui a été publié aux éditions Libre), dans un texte écrit en réaction à un article que j’avais écrit il y a longtemps, et entretemps supprimé pour diverses raisons, m’accuse de « transphobie » au moyen d’une incroyable enfilade d’arguments tous plus surréalistes les uns que les autres. Il affirme notamment que j’aurais mentionné Martine Rothblatt pour la seule raison qu’il gagne beaucoup d’argent, et rien d’autre, et que cela s’apparenterait donc à de l’antisémitisme doublé de « transphobie ». Les petits rebelles du site Rebellyon, qui ont traduit et publié le dégueulis de Gelderloos à mon encontre, n’ont rien trouvé de gênant dans cet argument, comme dans le reste de sa longue injure calomnieuse. Ainsi que je l’explique dans ma réponse à leur attaque vicieuse, je mentionnais Rothblatt pour plusieurs raisons, et principalement parce qu’il est l’auteur d’un livre intitulé From Transgender to Transhuman : A Manifesto on the Freedom of Form (« De Transgenre à Transhumain : Un Manifeste sur la Liberté de Forme »). Ce que Gelderloos et les rebelles de Rebellyon ont fort soigneusement et tout naturellement passé sous silence. L’intelligence et l’éthique d’un large pan des soi-disant antifascistes modernes sont à l’image de l’époque. Voici donc, sur le fameux Rothblatt que je n’aurais mentionné qu’en raison de quelque logique antisémite (?!), un texte écrit par Jennifer Bilek, une féministe états-unienne, initialement publié en anglais à cette adresse.
Martine Rothblatt est un entrepreneur et un avocat ayant contribué à l’essor du transsexualisme, du transgenrisme et du transhumanisme.
Au cœur de l’industrie émergente de « l’identité de genre » se trouve un homme en robe, qui exhibe des seins de femme avec ce genre de confiance que seuls acquièrent les hommes ayant connu une vie de privilèges. Martine Rothblatt, né en 1954, est un entrepreneur et un avocat très prospère. Fondateur de United Therapeutics, il a été plusieurs fois le PDG le mieux rémunéré de l’industrie biopharmaceutique. Il s’identifie comme un transsexuel et un transhumaniste et a beaucoup écrit sur les liens unissant les deux. Rothblatt estime que le dimorphisme sexuel humain est quelque chose de l’ordre de l’apartheid sud-africain, et que le transgenrisme est une route d’accès au transhumanisme — un exercice devant permettre de surmonter le « fleshism » [le terme anglais « flesh » correspond au mot « chair » en français, on pourrait donc traduire « fleshism » par « chairisme » ; il faut entendre par là une sorte de discrimination, dans la veine du sexisme, du racisme, etc., vis-à-vis de corps qui ne sont pas de chair et d’os : selon Rothblatt, préférer un corps de chair et d’os, c’est une forme de discrimination : le « chairisme », NdT].
En tant que membre de la Conférence internationale sur la législation et les politiques d’emploi transgenres (Conference on Transgender Law and Employment Policy, ICTLEP) depuis 1992, Rothblatt rédigea la première version du Rapport sur les lois sanitaires concernant les transsexuels et les transgenres (Transexual and Transgender Health Law Report), après avoir rencontré Phyllis Frye, un autre avocat transsexuel, au Texas. Cette petite réunion d’hommes ayant un penchant pour le port de sous-vêtements féminins initia un projet visant à promouvoir le transsexualisme à l’échelle mondiale et à déconstruire le dimorphisme sexuel humain. Le document rédigé par Rothblatt sera plus tard appelé la Charte internationale des droits de genre (International Bill of Gender Rights, IBGR). Phyllis Frye a été qualifié de « grand-mère du mouvement transgenre ». Si les perspectives transhumanistes de Rothblatt lui valent davantage d’attention, nous devons le considérer comme tout autant influent que Frye, sinon plus, en ce qui concerne la banalisation du transsexualisme (l’ancien nom de ce qui est aujourd’hui le transgenrisme). Un récapitulatif de leur rencontre et de l’essor culturel subséquent du projet transgenre peut être consulté à cette adresse.
La Conférence sur la législation et les politiques d’emploi transgenres devint un projet international après que Frye a été contacté par une femme britannique s’identifiant comme transsexuelle, Stephen Whittle, aujourd’hui professeur de droit à l’Université métropolitaine de Manchester et président élu de l’Association professionnelle mondiale pour la santé des transgenres (World Professional Association for Transgender Health, WPATH), laquelle a développé une branche états-unienne (USPATH). Whittle a également joué un rôle déterminant dans l’essor de l’activisme trans, notamment au Royaume-Uni. Elle intégra l’équipe d’experts en droits humains ayant élaboré les lignes directrices internationales en matière de droits humains, les Principes de Jogjakarta, à l’Université Gadjah Mada de Jogjakarta, en Indonésie, en novembre 2006. Les principes dits SOGI (Sexual Orientation Gender Identity, Identité de genre et orientation sexuelle) furent ajoutés aux principes de Jogjakarta, sous le nom de Plus 10. Utilisés comme lignes directrices juridiques internationales, ils ne sont pas réellement des lois mais sont considérés comme tels par les ONG LGBT qui représentent le complexe médico-industriel, lequel investit dans les futures identités médico-techniques. Les soi-disant « experts en matière de genre » sont aussi sérieux que la mythologie de « l’identité de genre » elle-même.
Le Rapport sur les lois sanitaires concernant les transsexuels et les transgenres, initié par Frye et Rothblatt, puis Whittle, fit office de brouillon pour un autre document issu d’un comité mondial, décrivant les droits des transsexuels et des transgenres au Royaume-Uni, le Groupe de Travail Interdépartemental sur les Personnes Transsexuelles (Interdepartmental Working Group on Transexual People), proposé par un autre homme avocat, s’identifiant comme transsexuelle, Christine Burns (lol !), et mis en place par le secrétaire d’État à l’intérieur du Royaume-Uni en 1999. Ce groupe de travail était composé de représentants en provenance d’Écosse, d’Irlande, du Pays de Galles et des États-Unis.
Ces quatre juristes, qui s’identifient tous comme transsexuels, ont été les principaux instigateurs d’un projet visant à déconstruire le sexe dans la loi, à l’échelle mondiale, et à le remplacer par des identités médicales signalant ce que les gens ressentent vis-à-vis de de leur corps. Martine Rothblatt est allé beaucoup plus loin dans ce processus de déconstruction.
La quête du trans-be-manisme
Quelques années après la Conférence internationale sur la législation et les politiques d’emploi transgenres (ICTLEP), organisée par Rothblatt, Frye, Whittle et Burns, Rothblatt commença des études en vue d’obtenir un doctorat en éthique médicale à Londres. Il obtint son doctorat en 2001, grâce à une thèse sur le conflit entre l’intérêt privé et public dans la xénotransplantation — procédure impliquant la transplantation, l’implantation ou l’infusion dans un receveur humain de cellules, tissus ou organes vivants provenant d’une source animale non humaine. Il créa ensuite une ferme porcine visant à produire des organes à destination des humains. Son but est d’offrir la vie éternelle à l’humanité en remplaçant continuellement les organes humains au fur et à mesure qu’ils s’usent.
Rothblatt est un individu tenace et accompli. Il a travaillé à Washington dans le domaine du droit des communications satellitaires. Il a aussi travaillé pour la NASA, a été le PDG de GeoStar et le co-créateur de SiriusXM Satellite Radio.
Il a également dirigé le projet biopolitique de l’Association internationale du barreau (à l’intersection entre la biologie humaine et la politique) visant à élaborer un projet de Déclaration universelle sur le génome humain et les droits de l’homme pour les Nations unies (dont la version finale a été adoptée par l’UNESCO le 11 novembre 1997 et approuvée par l’Assemblée générale des Nations unies le 9 décembre 1998). Il a beaucoup écrit sur la nécessité, selon lui, de revoir notre système de catégorisation des personnes en hommes ou femmes en fonction de leurs organes génitaux, sur l’immortalité numérique et l’avenir de la création (des) d’êtres humains, sur les nouvelles technologies de reproduction, le dépistage génétique et la cartographie de l’ADN.
[Aparté du traducteur : Dans son livre intitulé From Transgender to Transhuman : A Manifesto on the Freedom of Form (« De Transgenre à Transhumain : Un Manifeste sur la Liberté de Forme »), Rothblatt confond n’importe comment, selon ses besoins, genre et sexe, identité et « identité sexuelle », assimile le dimorphisme sexuel à une caractéristique mentale (ce qui lui permet de soutenir qu’il n’existe pas), affirme que nous sommes d’ailleurs tous transgenres vu que nous possédons chacun une « identité sexuelle unique », que la reproduction sexuée est elle aussi transgenre puisqu’elle mélange des genres (sic), parmi d’innombrables élucubrations de la même farine. Rothblatt écrit par exemple :
« De la même manière, je vois maintenant qu’il est également trop contraignant qu’il n’y ait que deux formes juridiques, humain et non-humain. Il peut y avoir des variations illimitées de formes, allant de la chair pure à des formes purement informatiques, des corps et des esprits constitués de divers degrés d’électroniques entre les deux. Pour être transhumain, il faut être prêt à accepter que nous avons une identité personnelle unique, au-delà de la chair ou du logiciel, et que cette identité personnelle unique ne peut pas être bien exprimée par les seuls qualificatifs d’humain et de non humain. Elle exige une expression unique et transhumaine. »
Et :
« Le concept de base du transhumanisme est que l’homme n’a pas besoin d’un corps de chair, tout comme une femme n’a pas besoin d’un vrai vagin. L’humanité, c’est dans l’esprit, tout comme l’identité sexuelle. Étant donné que les logiciels sont de plus en plus capables de penser, d’agir et de ressentir des choses, comme les humains, ils devraient être traités comme des compagnons humains et accueillis comme des membres de l’espèce technologique Persona creatus. »
Aussi :
« La liberté de genre est donc la porte d’entrée vers une liberté de forme et une explosion du potentiel humain. Il nous faut d’abord prendre conscience que nous ne sommes pas limités par notre anatomie sexuelle brute. Puis vient la prise de conscience que nous ne sommes pas du tout limités par notre anatomie. L’esprit est la substance de l’humanité. L’esprit est plus profond que la matière. »]
Rothblatt pense non seulement que nous pouvons vivre indéfiniment, mais après avoir rencontré Ray Kurzweil, de Google, et s’être épris de sa théorie de la singularité, il a créé une organisation religieuse, le Mouvement Teresem, afin de promouvoir l’utilisation géoéthique (éthique mondiale) des nanotechnologies en vue de prolonger la vie humaine. Teresem organise des programmes éducatifs et soutient la recherche et le développement scientifiques dans les domaines de la cryogénie, de la biotechnologie et de la cyber-conscience. Il a travaillé en partenariat avec Kurzweil afin de promouvoir une adaptation cinématographique du livre de Kurzweil intitulé Humanité 2.0.
Rothblatt est apparu avec sa femme Bina, et leur fille, Jenesis à l’émission The View, en 2016, où il a été interviewé par Whoopi Goldberg (Goldberg est l’animatrice d’une émission de télé-réalité trans). Un quatrième membre de la famille était également là lors de cette interview. Bina48 est un robot créé par Rothblatt, une réplique de sa femme aussi bien intérieurement qu’extérieurement. Rothblatt souhaite installer la conscience de Bina dans son robot et de la distiller éventuellement en données numériques pour vivre indéfiniment dans le cyber espace. Il croit fermement que les robots sont des personnes sans peau, d’où l’importance de se défaire du « chairisme ».
Rothblatt a écrit un essai ayant fait l’objet d’un examen par des pairs en 2008, publié par l’Institut d’Ethique et des Technologies Emergentes (Institute of Ethics and Emerging Technologies), intitulé « Sommes-nous déjà des transbemans ? », alors qu’il dirigeait United Therapeutics. Cet essai spécule sur la réinvention de notre espèce et invente un nouveau terme appelé beme. Il a écrit :
« Le point crucial de cet essai, c’est que dans une société de l’ère de l’information, le “beme est plus puissant que le gène”. Cela signifie que les unités de caractère ou d’existence transmissibles sont plus importantes que l’information génétique. Par exemple, la plupart des gens ont pour compagnon une personne avec laquelle ils ne partagent aucune génétique en dehors de la génétique générale de leur communauté. Cependant, une relation interpersonnelle durable n’est possible que si les deux partenaires partagent une forte appréciation des caractéristiques de l’autre — leur caractère, leur nature et leurs unités d’existence.
Affirmer que le “beme est plus puissant que le gène”, c’est être en désaccord avec l’adage selon lequel “les liens du sang sont les plus forts”. La relation la plus forte qu’expérimentent la plupart des gens, celle avec leur conjoint, ou avec leur meilleur ami, n’est pas une relation de sang. D’autre part, les bemes ne sont pas comme de l’eau. Une personne accumule ses bemes au fil du temps et les fait évoluer comme elle le souhaite afin de mener une vie agréable. Au lieu de “les liens du sang sont les plus forts”, c’est affirmer que “les esprits sont plus profonds que la matière”.
Cet essai vise à nous ouvrir les yeux sur le fait que, notre société étant désormais basée sur les bemes plus que sur les gènes, elle doit logiquement reconceptualiser les limites de son espèce. »
Cela fait moins de trente ans que Rothblatt a rédigé le premier document proposant une fiction juridique de la désincarnation, et un peu plus de dix ans qu’il écrit sur la reconceptualisation des limites de nos espèces. Nous sommes maintenant confrontés à la banalisation de cette désincarnation au travers de l’industrie émergente de « l’identité de genre ». Est-ce vraiment ce que nous voulons ? Souhaitons-nous avaliser la déconstruction de ce qui nous rend humains, nos racines biologiques dans le sexe ? Si non, il est temps d’agir. La désincarnation est d’ores et déjà institutionnalisée et profondément ancrée dans le marché. Les enfants servent d’animaux de laboratoires dans des expériences à la fois psychologiques et médicales qui les dissocient de leur corps. Leurs écoles sont devenues des centres d’endoctrinement, le plus important cabinet de droit international au monde a été recruté en vue d’aider à la construction juridique de « l’enfant transgenre », et plus de cinquante cliniques ont vu le jour, aux États-Unis, au cours des dix dernières années, afin de manipuler leur puberté et leurs hormones, les plaçant sur la voie d’une médicalisation à vie, à une époque où nous n’avons jamais été autant séparés les uns des autres par les machines.
La balle est dans le camp de ce prétendu « mouvement des droits humains ». Si nous aimons notre humanité, il n’y a pas de temps à perdre. Le temps nous est compté pour enrayer cette fuite de la chair, de la mortalité et de la nature, motivée par la technologie et l’hubrisme.
Jennifer Bilek
Traduction : Nicolas Casaux
Relecture : Lola Bearzatto
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