Notions d’économie politique: les contradictions internes du capitalisme et ses implications contemporaines

Notions d’économie politique: les contradictions internes du capitalisme et ses implications contemporaines

Par Vincent Gouysse.  Pour www.marxisme.fr

Dans l’article précédent, (Notions d’économie politique: les contradictions du capitalisme et ses implications contemporaines – les 7 du quebec)  nous avons voulu donner un aperçu de la contradiction principale contenue en germe dans la production marchande et avons laissé de côté certains développements qui auraient fait prendre au texte de trop grandes proportions. L’article qui suit entend combler ces « manques ».

Karl Marx se concentra sur l’étude scientifique de l’économie politique afin de donner aux esclaves salariés la pleine conscience de leur exploitation, comme condition préalable nécessaire à leur libération. A l’inverse des sociétés qui l’ont précédé, où une classe exploiteuse en remplaçait une autre et où le travail de la majeure partie de la population restait exploité, le communisme vise à abolir toute forme d’exploitation de l’Homme par l’Homme. Karl Marx résumait ainsi le but fondamental du communisme par « l’abolition de la propriété privée » des moyens de production et de son corollaire, le travail salarié (renfermant en son sein toutes les contradictions du capitalisme).

Ce n’est pas un hasard si Karl Marx commença par critiquer les formes sacrées de l’aliénation (d’où la critique de la religion en général comme instrument de la domination des classes exploiteuses et arme d’intoxication de la conscience des masses exploitées – une religion qui peut même s’incarner dans le fidéisme « laïc » républicain). Les formes sacrées de l’aliénation s’opposent en effet à l’acquisition de la conscience de l’exploitation. Puis Karl Marx s’attacha, toute sa vie durant, à critiquer les formes profanes (matérielles) de l’aliénation de l’Homme. Il passa ainsi de la critique de la philosophie (le monde des idées) à la critique de l’économie politique (le monde réel)…

Le communisme a pour but de réaliser l’abolition de toute forme d’exploitation de l’Homme par l’Homme (au sein d’une nation comme entre les nations), non pas sous l’angle moral du seul humanisme (ce que prônaient les communistes utopiques dès le XVIIIème siècle), mais sous l’angle de la seule nécessité économique et historique : le capitalisme a engendré des forces productives qui sont trop puissantes pour la forme de propriété et d’appropriation privée de la production sociale. Cette dernière est débordée par les forces productives qu’elle a créées, entrave désormais le progrès scientifique, social et culturel de la société humaine et tend même spontanément à la rejeter dans la barbarie. Plus le niveau technique et la productivité du travail s’élèvent, plus la contradiction entre le caractère social de la production et l’appropriation par une poignée d’individus de la production sociale tend à plonger la société humaine dans le chaos, en premier lieu sous l’angle économique (infrastructure), puisque de plus en plus de bras sont évincés par la robotique, et par ricochet dans toute la superstructure idéologique et politique. La décadence et la décomposition de la première se reflètent inexorablement dans la décadence et la décomposition de la seconde…

Tout écart dans le monde réel se paie immédiatement par le froid rappel des lois économiques régissant la production marchande, fusse l’exploitation capitaliste restaurée sous la forme d’un puissant secteur monopoliste d’Etat avec à sa tête une nomenklatura « communiste » érigée en nouvelle classe exploiteuse : au cours de la période s’étendant depuis le milieu des années 1970 à la fin des années 1980, le social-impérialisme soviétique se trouve ainsi largué par l’Occident qui s’appuie alors puissamment sur l’industrialisation accélérée des « dragons asiatiques », sous l’angle notamment du développement technique et industriel (informatique et robotique par exemple). La sentence est sans appel : l’économie « soviétique » connaît alors une période de complète stagnation économique et industrielle, qui exacerbe ses contradictions internes sociales, politiques, inter-ethniques, etc. Durant la période 1978-1990, la production sidérurgique « soviétique » passe de 151 à 154 millions de tonnes, contre 45 millions de tonnes en 1955. On connaît la suite inéluctable : son brutal déclassement économique annoncé par l’explosion de sa sphère d’influence en 1989 et la dislocation de l’Etat multinational… Cet effondrement n’était pas une surprise pour les marxistes-léninistes, à l’instar d’Enver Hoxha qui remarquait le 15 janvier 1973 que :

« l’entrée de capitaux américains en Union soviétique aura pour effet d’éliminer rapidement les moindres vestiges des victoires de la grande Révolution socialiste d’Octobre, elle aura pour effet de désagréger l’Union soviétique en tant qu’union de républiques. C’est là le but de l’impérialisme américain : démanteler l’Union soviétique en tant que dangereuse puissance capitaliste rivale. (…) L’Union soviétique a été vendue aux Etats-Unis. Demain leurs successeurs démantèleront aussi l’Union soviétique en tant qu’État ».

Che Guevara, en dépit de son assimilation incomplète de l’économie politique marxiste, avait intuitivement senti le dangereux vent qui soufflait depuis le début de la déstalinisation et défendait l’héritage de Staline :

« C’est le petit père Staline qui m’a amené au communisme et personne ne viendra me dire que je ne puis lire Staline. Je l’ai lu à une époque où il était très mal vu de le lire. C’était une autre époque. Et parce que je ne suis déjà pas très malin, et qu’en plus je suis un cabochard, je continue à le lire aujourd’hui encore ; dans cette période nouvelle, maintenant qu’il est encore plus mal vu de le lire. Et tant à l’époque qu’aujourd’hui, je découvre chez Staline toute une série de choses qui sont très bonnes. Il convient de considérer Staline à partir du cadre historique dans lequel il évolue, il ne faut pas se contenter de le considérer comme l’une ou l’autre brute, mais au sein de ce cadre historique particulier. (…) Celui qui n’a pas lu les quatorze tomes des écrits de Staline ne peut pas se considérer comme tout à fait communiste. (…) C’est dans ce que l’on a appelé les erreurs de Staline que réside la différence entre un comportement révolutionnaire et un comportement révisionniste. Il [Staline] comprend le danger des rapports mercantilistes [de marché] et essaie d’en sortir progressivement en brisant l’opposition. La nouvelle direction [Khrouchtchev] par contre cède aux impulsions de la superstructure et place l’accent sur l’activité mercantile. (…)  Là où on applique la loi de la valeur, on introduit en fraude le capitalisme ».

Dans l’URSS désormais guidée par le « socialisme de marché » (c’est-à-dire le capitalisme classique avec davantage « d’acquis sociaux » à niveau de productivité du travail égal…), les analystes bourgeois occidentaux les plus intelligents avaient bien compris que le communisme était désormais bel et bien enterré, et que ne restaient plus du socialisme marxiste que des slogans mystificateurs destinés à enjoliver la réalité néo-capitaliste, ainsi que des « acquis sociaux » hérités de la période antérieure, socialiste. En 1975, le journaliste américain Hedrick Smith rapportait que « la nostalgie de Staline chez les soviets ordinaires fut une surprise pour moi » : « Je fis une découverte en m’apercevant que Staline avait encore un grand prestige latent chez les gens du peuple, et que Khrouchtchev était en général considéré sans la moindre indulgence, comme un rustre et un bousilleur, sauf dans l’intelligentsia libérale et parmi les victimes de purges réhabilitées qui avaient personnellement bénéficié de sa politique ». Parmi les témoignages rapportés par celui qui fût le chef du bureau de Moscou du New York Times figurait celui de Guennadi, le comptable d’une ferme d’État :

« Il se peut que l’intelligentsia rêve de démocratie, mais l’immense masse du peuple rêve de Staline, de son pouvoir fort. Ils ne sont pas réactionnaires, mais ils sont maltraités par leurs petits patrons, qui trichent et les exploitent, les détruisent. Ils veulent un chef à poigne qui foule aux pieds les petits patrons. Ils savent que sous Staline les conditions (économiques) n’étaient pas tellement bonnes, mais les directeurs des fermes d’Etat et les autres officiels ne les volaient pas, ils ne se moquaient pas d’eux. Il y avait au temps de Staline un contrôle sur les autorités locales ». (Source : Impérialisme et anti-impérialisme, pp. 371-372)

 

Contrôle permanent du bas vers le haut pendant toute la période historique de transition menant à la société communiste, telle est l’essence de la démocratie prolétarienne aussi appelée « dictature du prolétariat ». Que ce contrôle vienne à disparaître, et une nouvelle classe exploiteuse se constituera au sein même du personnel politique et administratif… Or la seule constitution des élites du Parti et de l’Etat en une nouvelle classe exploiteuse nomenklaturiste ayant proclamé l’extinction de la « lutte de classe » pour détourner impunément à son profit une partie du produit social, engendre la restauration d’une variante de propriété privée des moyens de production et donc des mécanismes économiques destructifs inhérents au capitalisme…

L’effondrement du social-impérialisme soviétique n’est pas de peu d’importance : en effet, comme nous l’avons déjà souligné, ce précédent historique (qui a impacté plus de 300 millions d’êtres humains brutalement propulsés dans un nouveau tiers-monde) témoigne du fait que face à la crise économique structurelle (en particulier son déclassement technologique), la bourgeoisie d’un grand pays pouvait parfaitement décider de supprimer brutalement les « chaînes dorées » de l’esclavage salarié ainsi que les branches d’industrie (ou le tissu économique) devenues obsolètes ! C’est précisément aujourd’hui le sens fondamental du « Grand Reset » https://les7duquebec.net/archives/260979 qu’a décidé de mettre en œuvre le Capital financier d’Occident sous couvert d’une crise économique soi-disant engendrée par la « crise sanitaire » du COVID-19 (délibérément prolongée), une crise de déclassement éminemment structurelle dont la phase finale couvait en fait depuis plus d’une décennie…  Quels secteurs promettent donc d’anéantir cette crise de déclassement ? A l’évidence, ceux hypertrophiés de la « société de consommation » occidentale longtemps célébrée comme « post-industrielle » afin d’éloigner le spectre tant honni du communisme, une société parasite (agonisante) s’abreuvant de la sueur et du sang des peuples des pays dépendants placés sous le joug colonial et maintenue sous perfusion au cours des deux dernières décennies par la dette publique. Les secteurs économiques menacés de ruine en Occident, ce sont le commerce de détail, les services, le tourisme de masse, l’industrie automobile, l’aéronautique civile, etc. Tous ces secteurs sont désormais sur le point de subir de plein fouet la crise de déclassement qui vient de débuter… Son échelle et son ampleur seront donc sans commune mesure avec celle qui frappa le social-impérialisme soviétique, qui restait une société semi-rurale et dont une part importante des revenus des exportations était constituée des matières premières, notamment énergétiques.

D’aucuns, en particulier les souverainistes, qu’ils soient de droite (RN) comme de « gauche » voire même « d’extrême gauche » (Front de Gauche), rêvent de « ré-industrialisation » pour tenter d’échapper à l’inéluctable déclassement. Donald Trump a essayé depuis 2017 en employant au passage des méthodes protectionnistes agressives mettant en danger le commerce et les investissements internationaux et engageant ouvertement une véritable Guerre Froide 2.0 avec la Chine. Pour quels résultats concrets ?

Selon les plus récentes statistiques économiques américaines, les USA n’ont pas vu la situation de leur commerce extérieur s’améliorer au cours des dernières années : ils conservent une dépendance commerciale extrême à l’égard de la Chine. En 2016, la balance commerciale de biens et de services des USA a enregistré un déficit de 481,2 milliards de dollars. Pour le seul commerce de biens, le déficit atteignait 749,8 milliards de dollars ! Après trois années de mandat de Donald Trump et en dépit d’une escalade de la Guerre commerciale avec la Chine, la balance commerciale américaine de biens et de services a enregistré un déficit de 576,9 milliards de dollars, et de 864,3 milliards de dollars pour le seul commerce de biens en 2019 ! La situation a donc continué d’empirer…

L’année 2020 ne devrait pas amener la moindre amélioration pour l’impérialisme américain, bien au contraire : sur la période de janvier à octobre (c’est-à-dire au cours des dix premiers mois), la balance commerciale de biens et de services a enregistré un déficit cumulé de 536,7 milliards de dollars. Pour le seul commerce de biens, le déficit se monte à 738,3 milliards de dollars ! Pour l’ensemble de 2020, le déficit du commerce de biens et de services devrait ainsi avoisiner 660 milliards de dollars et celui du seul commerce de biens flirter avec les 900 milliards de dollars ! Cette aggravation du déficit est essentiellement imputable à l’effondrement du volume des exportations de biens et de services alors que les importations ont été beaucoup moins impactées… Il faut dire que durant la période 2016-2019, le volume de la production industrielle américaine (mesurée en dollars constants de 2012) n’affiche qu’une hausse très modeste de 7,6 %. C’est la performance moyenne annuelle de l’industrie chinoise au cours des dernières années…

Pourquoi donc la première puissance impérialiste occidentale a donc échoué à relocaliser son industrie au cours des dernières années en dépit d’une politique pour le moins « musclée » ? Dans notre article précédent, nous avions insisté sur le fait que le capitalisme mettant en concurrence les entrepreneurs privés au sein d’une nation, jusqu’à des coalitions nationales voir supranationales d’entreprises monopolistes géantes contre leurs concurrentes. Dans cette guerre, la taille (et donc les capitaux est le premier facteur clef, or la Chine fait aujourd’hui jeu égal en termes de représentation de leurs entreprises monopolistes au sein du Fortune Global 500. Dans cette guerre économique permanente, c’est celui qui occupe une position privilégiée au sommet de la chaîne industrielle mondiale qui décide de la répartition de la plus-value mondiale extorquée dans l’ensemble de la chaîne de valeur industrielle mondiale. Les USA, longtemps situés au sommet dans le domaine de l’industrie mécanique, de l’automobile, de l’aéronautique, de l’espace, des semi-conducteurs et enfin de la propriété intellectuelle, ont déjà perdu leur leadership mondial dans presque tous ces domaines… le plus souvent au profit de la Chine qui a réalisé, notamment au cours des deux dernières décennies, une montée en gamme technologique accélérée qui lui a permis de rattraper, voir de dépasser le niveau technologique avancé de ses concurrents, et ainsi de se présenter aujourd’hui en position de force sur le marché mondial.

En 2009, un jeune camarade marxiste-léniniste de France travaillant dans les joint-ventures (JV) Chine-Occident des secteurs industriels de haute technologie (aéronautique, ferroviaire à grande vitesse, nucléaire, etc.) nous apportait un précieux témoignage sur la réalité économique, sociale et politique chinoise. Son cœur de métier, c’était l’industrie mécanique de haute précision, c’est-à-dire la « mère de toutes les industries » et donc la « première ligne » du Front industriel mondial :

« Pour travailler précisément dans le domaine des machines-outils, je peux te garantir [que la Chine] possède certes sur son sol le plus grand nombre de machines-outils sophistiquées tous pays confondus, mais que les meilleures technologies sont toujours dans les JV Chine-étranger, notamment Coréen, Japonais, et Allemand (dans une moindre mesure, Italie). Les dernières machines-outils chinoises n’atteignent toujours pas le niveau de précision et de possibilités qu’offre la technologie des vieux pays impérialistes, ou même de l’impérialisme dynamique Coréen. Les Français sont déjà depuis longtemps dépassés dans ce domaine et sont donc d’une certaine manière « dépendants » du bon vouloir de l’impérialisme japonais et allemand pour son industrie lourde ! (…) Pour « La question de Taiwan », outre le gain politique et géostratégique énorme pour l’impérialisme chinois qu’aurait la réunification (je n’ai pas besoin de te les citer), l’industrie de production des machines-outils taïwanaises est extrêmement développée et permettrait à la Chine de faire un bon technologique de taille ! De toute manière les machines-outils taïwanaises et les industries taïwanaises sont déjà toutes sur le continent, ce qui fait que la réunification est déjà effectuée « de facto » ! »

Ce camarade soulignait également l’inéluctabilité de la future domination de l’impérialisme chinois ainsi que les confortables réserves de croissance endogènes dont disposait son économie :

« Tu parlais des JV, effectivement, sans même avoir à te donner des exemples que j’ai pu vivre ou des anecdotes que j’ai pu entendre de la part de responsables d’entreprises françaises telles qu’Areva sur le transfert de technologie, il suffit de lire la littérature ainsi que les analyses bourgeoises pour se rendre compte du désastre de la « coopération » avec l’impérialisme chinois et sa fameuse « émergence pacifique » et du coup fatal qu’il est en train de porter à l’impérialisme occidental. La Chine représente l’aboutissement du capitalisme à un niveau (par la taille de ce pays et sa démographie) certainement jamais atteint, c’est une chance pour nous de pouvoir observer ce phénomène et de comprendre le véritable sens des statistiques et autres indicateurs de progression de ce pays. (…) L’impérialisme chinois a une particularité intéressante qui est qu’il possède sur son propre territoire des régions entières soumises à un très fort niveau de pauvreté (…), tandis que certaines provinces qui reposent majoritairement sur l’export (notamment le Guangdong, le Fujian, le Zhejiang, ainsi que les provinces à la périphérie de Shanghai) possèdent une classe moyenne qui, dans certaines villes,  peut rivaliser  en terme de pouvoir d’achat et de qualité de vie avec celle de certains pays impérialistes en déclin. Ainsi, l’impérialisme chinois pourrait presque fonctionner « à cycle fermé » en utilisant une force de travail compétitive et peu chère puisée dans les provinces de l’intérieur, tout en asservissant les pays semi-coloniaux et/ou dépendants proches de son territoire tels que le Laos, la Thaïlande ou encore le Viêtnam et la RPDC. D’une certaine manière ceci est à rapprocher avec le fonctionnement de l’Union européenne, et l’utilité des « nouveaux arrivants » pour les pays impérialistes en déclin d’Europe occidentale. (…) Un dernier point intéressant à noter est que, malgré l’extrême inégalité que l’on peut observer en Chine (j’ai déjà assisté à des dîners d’affaires avec des apparatchiks à plus de 20 000 yuans la soirée, et des serveurs payés 900 yuans mensuels donner l’addition sans broncher), l’impérialisme chinois à réussi le tour de force de ne pas avoir créé de bidonvilles à l’extérieur de la ville. Ainsi, les travailleurs migrants logent en dortoirs dans l’usine, ou dans la banlieue de la grande ville, et les travailleurs migrants n’ayant plus de travail se font « renvoyer » rapidement dans leur campagne d’origine, ne possédant pas de permis de résidence de la ville dans laquelle ils travaillent (très difficile à obtenir), ils n’avaient de toute manière aucun droit à prétendre habiter une grande ville. Même leurs enfants n’avaient pas le droit de s’y faire scolariser.

Ceci pour bien t’expliquer la différence entre les résidents de ces grandes villes qui possèdent un niveau de vie comparable à beaucoup d’européens, et les exploités, le reste, la population « flottante » comme on dit ici. (…) Je partage tout à fait ton avis sur le sentiment « d’optimisme » des travailleurs chinois malgré les conditions pénibles. Ce qui est intéressant, c’est que c’est en Chine (par sa démographie et la part du secteur secondaire dans son PIB) qu’il y aurait potentiellement le plus de probabilités d’une révolution à grande échelle, et c’est certainement là que cela se fera le moins. (…) Ce qui a mis plus de 50 ans à se faire en France (désinformation massive des classes populaires par les mass-médias, consumérisme etc.) s’est opéré ici en moins de 15 ans. La propagande nationaliste est omniprésente, jusqu’à l’écœurement. Pour un occidental qui peut comprendre le Chinois, cela prête au départ à sourire, puis cela inquiète (…) Les cours de « marxisme » autorisés sont tout simplement des compilations révisionnistes à des fins de propagande nationaliste, une version « très chargée »‘ de nos cours d’éducation civique si l’on veut, que chaque étudiant a le devoir d’apprendre. Les Chinois n’étant pas dupes, ils se contentent d’apprendre ces cours de propagande pure (cela est obligatoire jusqu’au niveau de Doctorat !) mais ne comprennent généralement strictement rien au marxisme en général, l’élite économique chinoise préférant largement les théories économiques occidentales et les bonnes vieilles recettes des dragons asiatiques qui l’ont précédée. (…) Tous les cadres du PCC que j’ai pu rencontrer n’étaient que des bourgeois, petit-bourgeois ou hommes d’affaires opportunistes utilisant le Parti pour concrétiser leur réussite économique. Le PCC comporte en effet plus de 70 millions de membres. (…) Mais les ouvriers et paysans se rendent compte des bénéfices du capitalisme « aux caractéristiques chinoises », et leur situation est bien meilleure maintenant que s’ils comparent les famines abominables et la soumission à l’impérialisme étranger dû à la bourgeoisie compradore du Guomindang d’avant la république « populaire » ».

A son retour en France, ce camarade décrivait le changement d’ambiance dans ces termes :

« Ayant la chance de pouvoir maintenant vivre à Paris, c’est avec beaucoup d’intérêt que j’observe la structure géographique mise en place par les bourgeois pour se séparer nettement du lumpenprolétariat au sein même de la ville, les séparations ethniques au sein de la même ville, le climat de violence sociale très perceptible dans certains quartiers de la ville. La pauvreté gagnant du terrain, les nouvelles économiques difficiles pour la France, les mensonges éhontés de la propagande officielle… Il y aurait beaucoup d’observations et de comparaisons à faire avec la Chine, rien que sur le vent d’optimisme qui traverse l’esprit des gens de Pékin, malgré la misère et la condition horrible des travailleurs migrants de la ville… cela comparé aux travailleurs parisiens. Mais, grâce au grand travail d’abrutissement de la population française, une grande partie des travailleurs acceptent au final avec résignation, parfois même avec joie, la soumission et ne cherchent pas à en savoir plus. La médiocrité intellectuelle est très présente à Paris comme ailleurs ».

Une usine automobile chinoise à Chengdu (2016)  ̶  Les robots industriels dans le Monde : en 2019, la Chine a monopolisé 36,9 % du marché mondial des nouvelles capacités installées, contre 8,7 % pour les USA, soit moins du quart de la Chine…

Il y a donc déjà plus d’une décennie que l’équipement de l’industrie chinoise dépasse (en qualité comme en quantité) celui des plus puissants pays impérialistes d’Occident et que l’économie chinoise n’est plus stimulée par les exportations de biens de consommation (vers l’Occident) mais par les gigantesques investissements dans les infrastructures ainsi que la rapide croissance des classes moyennes dans les grandes métropoles du pays (et donc l’accroissement de sa consommation intérieure), tout en possédant un réservoir de main-d’œuvre bon-marché dans les régions de l’Ouest et du Centre. De tout cela, le français moyen n’a même pas conscience : ses « médias indépendants » se gardent bien de lui parler de cette réalité économique et sociale comparée, et en particulier des implications concrètes de la rapide montée en gamme technologique de la Chine. Quelle est donc la signification fondamentale du leadership industriel mondial de la Chine ?

Dans notre premier article, nous avions souligné que le facteur déterminant dans la sphère de la production matérielle se ramenait en définitive au degré atteint par la productivité du travail, qui est à l’époque moderne étroitement corrélée au degré de mécanisation/automatisation/robotisation. L’industrie chinoise possède donc un outil industriel dont le niveau n’a pas d’équivalent dans le Monde. C’est un avantage comparatif industriel aussi structurel que déterminant sur ses concurrents, mais c’est loin d’être le seul ! En effet, le degré de productivité d’une économie est conditionné par un ensemble de facteurs dont voici les plus déterminants :

 Le degré de productivité de l’outil productif et le niveau de formation technique et scientifique de la main-d’œuvre, depuis l’ouvrier qualifié en passant par l’ingénieur jusqu’au Docteur en sciences ;

Le niveau des salaires réels (en proportion du produit social). Il est inversement proportionnel au niveau réel des profits. Il est aussi conditionné par la part des emplois productifs par rapport à l’emploi total inclus dans la sphère d’action du capitalisme (en particulier par rapport aux emplois non-productifs). Dans les pays impérialistes d’Occident, l’emploi dans le secteur (non-productif) des services représente aujourd’hui de l’ordre de 70 à 80 % de l’emploi total, contre 40 % en Chine. Si une partie de ces emplois improductifs, qui ne font que se repartager une fraction de la plus-value produite dans l’industrie et l’agriculture (et formant ainsi un taux de profit moyen à l’échelle d’une économie), sont essentiels à toute société (santé, éducation, services publics), leur tendance à enfler de manière démesurée au détriment de l’emploi dans la sphère de production matérielle témoigne de la tendance parasitaire lourde du capitalisme monopoliste. L’hypertrophie dans le domaine du commerce, de la finance, du management, du marketing, des services divers (plus ou moins socialement utiles…) est une tendance qui reflète le degré croissant de la productivité du travail et la nécessité d’occuper les bras devenus inutiles… Et ce n’est aujourd’hui pas un hasard si de nombreux emplois du secteur des services tendent aujourd’hui de plus en plus à être considérés comme « non-essentiels » par « nos » élites, quand bien même ils appartiennent à des secteurs d’importance stratégique comme l’éducation et la santé !… Mais qu’un pays impérialiste en vienne à perdre sa place privilégiée au sommet de la division internationale du travail et cette multitude de travailleurs improductifs deviennent un fardeau insoutenable interdisant de regagner à grande échelle en productivité. Sous le socialisme, la part des travailleurs occupés dans la sphère productive serait maintenue à un haut niveau, ce qui permettrait de diminuer la durée du travail à mesure que s’élèverait le degré de productivité du travail. L’emploi industriel représente pour sa part aujourd’hui autour de 30 % de l’emploi en Chine. Si dans les années 1950, l’emploi industriel représentait encore 30 % de l’emploi américain, il n’en représentait plus que 12,6 % en 2000 et 9,5 % en 2008. Durant la période 2016-2019, le nombre d’employés à temps plein dans l’industrie manufacturière américaine est passé de 12,3 à 12,8 millions, soit une augmentation de 0,5 million. Ces effectifs restent malgré tout en deçà de ceux de 2008 et 2000 (avec respectivement 13,4 et 17,3 millions). En outre, durant la période 2016-2019, le nombre d’emplois à temps plein dans l’ensemble de l’économie s’est élevé de 148,8 à 155,2 millions, la part de l’industrie dans l’emploi total a donc poursuivi son déclin de 8,3 à 8,2 %, de manière ralentie il est vrai, mais un déclin quand même… De toute évidence, la montagne a accouché d’une souris… La proportion des travailleurs américains occupés dans l’industrie est donc plus de trois fois moindre que celle de la Chine ! Cela signifie que seul un emploi sur douze est créateur de richesses aux USA, contre près d’un emploi sur trois en Chine ! C’est un avantage comparatif structurel évident qui permet, à productivité du travail égale, de tripler la masse de plus-value extorquée (à salaire égal) ou de tripler le niveau des salaires (à taux de profit égal)… Ce rapport est encore plus favorable à la Chine si l’on a en vue le fait que le secteur agricole représente 1 % de l’emploi américain. L’emploi agricole représente pour sa part aujourd’hui environ 30 % de l’emploi chinois (contre 50 % il y a vingt ans). Une partie de cet emploi correspond à de petits paysans vivant en quasi-autosuffisance et consommant peu de biens de consommation industriels. Ils sont donc presque exclus de la sphère d’action de la production marchande chinoise et ne pèsent pas significativement sur la répartition globale de la plus-value industrielle… ;

Le degré de concentration du tissu industriel, capable de moduler l’efficience globale du processus de production des biens : la dispersion de l’outil industriel et des différents sous-traitant participant à un processus de fabrication complexe renchérit le coût de production global qui est par exemple impacté par les longs transports. Concentrer les transformations industrielles de biens intermédiaires sur un territoire permet donc de conquérir un avantage comparatif structurel global sur le coût de production du produit final (par rapport à des productions concurrentes dont la chaîne industrielle serait dispersée sur de vastes territoires (comme Airbus en Europe) ;

La disponibilité d’infrastructures de transport efficientes, la construction d’un parc immobilier résidentiel et commercial moderne (à faible déperdition thermique) et l’usage de sources d’énergie à bas coût. Ce sont des questions que nous avons traité depuis plus d’une décennie et actualisé récemment. Avec une production significative d’énergies renouvelables à bas coût (en particulier hydro-électrique), un réseau de distribution d’électricité ultra-efficient, et des infrastructures de transport, notamment routières et ferroviaires, de tout premier ordre, la Chine n’a rien à envier à ses plus puissants concurrents et dispose là encore d’autres avantages comparatifs structurels de long terme…

C’est en raison de tous ces facteurs éminemment favorables à la Chine et défavorables à ses concurrents, que les lubies protectionnistes de l’aile souverainiste de la petite bourgeoisie nationaliste des métropoles impérialistes occidentales prétendant relocaliser l’industrie sont utopiques et mortes-nées dans le cadre de la production marchande internationale. Et comme on l’a vu dans l’article précédent, gare à ceux qui voudraient tenter de construire un capitalisme circonscrit à ses frontières nationales, coupé de l’accès aux marchés extérieurs… Ils seraient vite rattrapés par les lois immuables de la production marchande qui se chargeraient de paupériser leur prolétariat indigène tout aussi efficacement que la concurrence étrangère sur le marché international…

Ces digressions productivistes achevées, attachons-nous maintenant à élever nos esprits au-dessus de ces considérations bassement matérielles. Il nous apparaît en effet essentiel ici de traiter du caractère fétiche de la marchandise (et de la monnaie…) Ce fétichisme des rapports économiques et sociaux touche toutes les professions. Dans la société capitaliste, chacun recherche la valeur d’échange et sa forme ultime : l’argent. La valeur d’usage d’une marchandise n’est une qualité recherchée que dans la mesure où il est nécessaire pour les capitalistes individuels de se démarquer de la concurrence en proposant un produit meilleur marché ou de meilleure qualité qui trouvera un débouché. Son utilité sociale n’est donc appréciée et obtenue que de manière indirecte et presque accidentelle…

Le but du Capital n’est pas l’obtention de la valeur d’usage, mais celle de la valeur d’échange et la réalisation du profit, quand bien même la valeur d’usage est socialement inutile (comme pour nombre de produits alimentant les modes consuméristes éphémères), voir nuisible… C’est pourquoi une fraction du corps médical étroitement attachée aux puissants lobbys pharmaceutiques fait commerce de la médecine avec des médicaments dont les molécules sont étudiées autant que possible non pas pour guérir durablement les malades, mais pour entretenir et conserver aussi longtemps que possible un cheptel de malades, avec parfois des scandales sanitaires aussi explosifs que lucratifs pour certains (Médiator)… C’est pour cela que l’utilisation de remèdes efficaces et peu coûteux (à l’instar de la chloroquine et de l’Artemisia Annua pour le COVID-19) est devenue un sujet tabou dans les mass-médias…

Karl Marx a montré, notamment dans le Capital, que la fétichisation des rapports de production et des rapports sociaux induite de manière spontanée par la société capitaliste, nous condamnait à rester à la surface des choses, à n’en voir que les apparences et non les processus internes sous-jacents. Sous le capitalisme, les rapports de production et les rapports sociaux sont concentrés dans la cellule de base production de la production marchande : la marchandise. Le produit du travail social n’apparaît ainsi pas pour ce qu’ils est fondamentalement, à savoir le résultat du travail humain (immédiat comme accumulé) visant à la production des richesses matérielles et spirituelles nécessaires à la reproduction de la vie immédiate, mais comme un rapport d’échange et surtout un rapport entre les choses : une marchandise échangée contre de l’argent qui permettra d’acquérir une autre marchandise.

La marchandise d’abord, et la monnaie ensuite (érigée en « marchandise universelle » permettant d’acquérir toutes les autres marchandises), semblent ainsi, de manière mystique, avoir une valeur intrinsèque immanente. Les économistes bourgeois de l’époque moderne rejettent la théorie ricardo-marxienne de la valeur-travail comme une abomination afin de perpétuer cette réification des rapports humains et de l’activité humaine. Sous le capitalisme, « un rapport social déterminé des hommes entre eux » « revêt ici pour eux la forme fantastique d’un rapport des choses entre elles ». Il est essentiel de combattre ce fétichisme dans la mesure où ce voile mystique recouvrant les rapports humains tend à masquer l’exploitation du travail et fait donc indéniablement les affaires de la classe dominante… Karl Marx résumait le fétichisme de la marchandise en remarquant que de même que « dans le monde religieux, l’homme est dominé par l’œuvre de son cerveau, il l’est, dans le monde capitaliste, par l’œuvre de sa main ».

Pour autant, si c’est la production de valeurs d’usage qui donne à la production sociale sa valeur fondamentale, n’en existent pas moins une foule d’entreprises ne produisant aucune richesse matérielle mais n’en réalisant pas moins des profits…

Ainsi, le commerçant qui vend sa marchandise au consommateur final « ajoute sa marge » sur le prix du producteur. Si l’on s’en tient aux apparences, le processus d’achat/vente crée donc de la valeur. En réalité, les marchandises sont en règle générale vendues au consommateur final à hauteur de leur valeur réelle (qui est fonction du quantum de travail social cristallisé en elles). Le processus de réalisation de la valeur d’une marchandise s’étale en fait depuis le coût de formation de la main-d’œuvre, qui comprend les biens et services mobilisés pour assurer sa croissance et sa formation (cette marchandise « force de travail » étant aussi désignée comme le capital variable), une marchandise qui met en mouvement l’outil de production (désigné comme le capital fixe) en vue de la production de nouvelles marchandises. Mais la réalisation de la valeur d’une marchandise exige également que celle-ci soit distribuée et vendue au consommateur final. Cela inclut les frais publicitaires engagés pour s’accaparer les débouchés à la consommation face à la concurrence, ainsi que les frais de distribution (transport et logistique) et enfin les frais de commercialisation. Ces étapes ne créent à proprement parler aucune valeur d’usage, c’est-à-dire ne créent pas de richesse matérielle, et consomment même une partie de la production sociale. Ces étapes modifient ainsi la valeur d’échange d’une marchandise, sans en modifier sa valeur d’usage. Au cours de ces étapes non-productives, le Capital industriel cède aussi naturellement que spontanément une fraction du profit réalisé dans le processus de production lui-même. Le Capital commercial se voit ainsi sous-traité l’acte final d’achat-vente par le Capital industriel et reçoit pour cela le profit moyen correspondant aux frais engagés, en proportion des frais de capital fixe (immobilier commercial) et du capital variable (salaire des employés commerciaux). Mais en lui-même, le secteur du commerce et des transports ne crée aucune richesse et ne fait que consommer une fraction de la production sociale issue de la sphère de production matérielle (industrie et agriculture). Dans les pays impérialistes d’Occident, le secteur dit des services s’accapare aux alentours des 4/5 de la production sociale…

C’est pourquoi en période de crise aigüe, quand il faut comprimer la valeur d’échange finale des marchandises, le Capital tend à privilégier la grande distribution au petit commerce, et le commerce électronique (voir la vente directe) à la grande distribution, sous l’angle de leur efficience croissante et dans le but d’abaisser les coûts de distribution comparés. L’effondrement des taux de la dette souveraine occidentale, qui est une manifestation du profit moyen en tant que « pari » sur de futurs profits eux-mêmes inévitablement rattachés à la sphère de production matérielle, témoigne du fait qu’il est devenu urgent pour le Capital financier Occidental de se délester à tous les niveaux du « superflu », c’est-à-dire d’une grande partie du tissu tertiaire hypertrophié désigné publiquement comme « non-essentiel » qui pèse sur le coût de la main-d’œuvre (sa fraction variable indexée sur le standard de vie social).

Avant la mi-mars 2020, « nos » élites avaient encore l’espoir que l’arme du COVID-19 les aiderait à mettre à terre leur grand rival stratégique, la Chine, en établissant un blocus sanitaro-diplomatico-économique destiné à créer chez elle des troubles économiques et sociaux majeurs et ainsi peut-être à reprendre la main sur une Histoire qui leur avait échappé. « Nos » élites escomptaient alors un « Grand Reset » complètement en leur faveur, mais une fois leurs espoirs douchés (avec  la fin pandémie en Chine et sa reprise économique rapide, il leur à fallu se rendre à l’évidence : il n’y aurait pas de « Grand Reset » mondial en leur faveur. Mais pourquoi pas au moins à l’échelle « locale » ? (nationale…) La pandémie du COVID-19, devint alors pour eux le prétexte idéal pour laminer la petite bourgeoisie, en la prolétarisant via les « aides » financées par la dette publique, et en redonnant à leur prolétariat si longtemps embourgeoisé un train de vie beaucoup plus spartiate. Les élites occidentales mettent depuis lors en œuvre des pratiques « d’ingénierie sociale » de type eugéniste… Le « Grand Reset » (excluant la Chine) aura bien lieu, au bénéfice des puissants lobbys des GAFAM qui vont au moins partiellement en tirer les ficelles… Quant au reste du tissu économique des « économies de bazar » d’Occident qui est encore soutenu par la dette publique dont la bulle menace d’exploser, il est devenu inutile et doit péricliter… On laisse ainsi « insouciamment » filer la dette publique (après une décennie d’austérité passée à faire de grands efforts pour tenter de juguler son explosion) car on sait que c’est fini : alors autant faire « open bar » avant l’apocalypse… Une fois les anciens états nations impérialistes occidentaux liquidés, « nos » élites pourront repartir sur une nouvelle « base économique » et un nouveau cycle d’accumulation du Capital, mais sans doute pas en tant que bourgeoisie internationalement dominante. Mais avant ce nouveau « cycle vertueux » (qui laissera de nombreuses victimes sur le carreau), il y aura d’abord une dévaluation massive de l’épargne et du coût de la main d’œuvre… En résumé, le processus de distribution des marchandises n’impacte que la valeur d’échange de la production sociale matérielle et ne lui ajoute aucune valeur d’usage. Son coût vient en défalcation du produit social dont il s’approprie et consomme une fraction. Plus les intermédiaires entre le producteur et le consommateur final sont nombreux, plus les frais de circulation des marchandises augmentent et plus le profit moyen de tous les acteurs tend à baisser… Voilà pour le fétichisme de la marchandise.

Cette parenthèse contemporaine refermée, venons-en maintenant au fétichisme de la monnaie… La monnaie est avant tout un moyen (indirect) de mesure du quantum du travail social contenu dans la marchandise (par sa confrontation avec les autres marchandises sur le marché global). C’est donc un réseau de transmission plus ou moins moderne d’une information. C’est pourquoi le support de la monnaie peut n’avoir aucune valeur en lui-même : un bout de papier ou le paiement numérique. L’or est une exception, car en tant que métal rare (recherché dans l’industrie du luxe mais qui a aussi aujourd’hui une grande utilité dans le domaine des semi-conducteurs), il a une valeur élevée et permet donc de garantir une certaine quantité de richesses en circulation. L’or est donc perçu comme une « assurance ». Mais hormis cette exception, la richesse elle-même n’est pas contenue dans la monnaie qui n’est qu’un état transitoire de l’équivalence de la valeur entre deux marchandises établie dans le processus d’achat-vente. Et la simple revente d’une marchandise ne crée ainsi aucune richesse sociale. Qu’on supprime les marchandises et la monnaie ne vaut plus rien. Qu’on supprime la monnaie et on peut toujours pratiquer l’échange direct… La monnaie est un troc sophistiqué permettant de mesurer de manière « normalisée » la quantité de travail contenue dans une marchandise par rapport à une autre. Le premier problème de cette équivalence est qu’elle n’est pas établie de manière consciente (en mesurant directement la quantité de travail social (qui doit aussi prendre en compte la qualification de ce travail – et donc le coût de formation supérieur de cette main d’œuvre qualifiée). Sous le capitalisme, cette mesure d’équivalence n’est établie que par les oscillations permanentes du prix d’une marchandise (loi de l’offre et de la demande, selon que les capitaux affluent trop ou pas assez dans la branche d’industrie qui la fabrique) autour de son prix « naturel » formé par la quantité de travail contenue en elle. Mais en moyenne, à l’échelle de la société, une marchandise est vendue à son prix « réel » (qui représente une fraction du produit global du travail social proportionnelle à la quantité de travail social cristallisée en elle). En général, la quantité de monnaie en circulation n’a pas d’impact dans la création de richesse : si l’on double la quantité de billets en circulation, ils circuleront deux fois plus lentement. Par exemple, si l’on dépense 50 euros en faisant ses courses et qu’on les règle avec l’unique billet de ce montant dont on dispose, on l’utilisera sur-le-champ en totalité. Si l’on a pour 100 euros de billets, 50 euros continueront de dormir jusqu’aux prochains achats. Mais au final, on aura acheté et mangé autant. Et l’industrie agro-alimentaire aura le même volume de production…

Quand l’argent a du mal à circuler, cela témoigne seulement du fait que la richesse (le produit social) s’est concentrée à l’extrême à un pôle de la société et ne laisse même plus à ses esclaves de quoi vivre… Seul le capitalisme permet d’écrire cette égalité pourtant mathématiquement impossible : 85 = 3 500 000 000 ! En 2012, la richesse combinée des 85 milliardaires les plus riches de la planète égalait celle de la moitié la plus misérable de l’humanité… Que la classe exploiteuse vienne à disparaître et les travailleurs vivront toujours : ils travailleront toujours pour obtenir les moyens de leur subsistance. Les ouvriers n’auront aucun mal à continuer de vivre sans les capitalistes. La réciproque n’est pas contre pas vraie… En ce qui concerne la dette, le problème vaut surtout pour les dernières décennies. Au début du siècle, la grande masse du peuple ne connaissait guère le crédit à la consommation. Pour le capitaliste « préteur », la dette a un double caractère : l’aliénation matérielle et morale d’autrui, ainsi que la réalisation d’un profit (dérivé du profit moyen et lui aussi prélevé sur le profit initial créé dans la sphère de production matérielle. Ce qui produit la richesse, ce n’est pas la monnaie ou la dette, mais les moyens du travail accumulé par la société humaine sur de nombreuses générations. Et c’est la mise en action de ces moyens de production (dont la productivité varie en fonction du niveau technologique) par le travail humain qui est en définitive le seul facteur déterminant la quantité de richesse pouvant (théoriquement) être produite (dans des circonstances optimales, donc pas celles du capitalisme).

Ces moyens sont mis en œuvre :

1° d’abord pour assurer à la population les moyens de sa subsistance et

2° dans les sociétés aux classes sociales antagonistes où une minorité détient l’outil de production pour faire vivre cette caste parasite, qui peut en outre être oisive et dilapider la plus grande partie de la richesse sociale tout en laissant certains de ses esclaves mourir de faim… Sous le communisme, qui est le but final, la société sans exploiteurs, sans argent, sans misère, sans chômage et sans… travail, l’argent n’existera plus : « à chacun selon ses besoins ». « Sans travail », car la racine de travail en latin signifie « torture », car il était réservé aux esclaves… Sous le communisme, le travail disparaîtra (en même temps que la forme la plus sophistiquée de l’esclavage que le travail salarié a incarné) pour laisser la place à une activité humaine aussi créatrice que variée (productive et intellectuelle), une activité qui sera soulagée de ses tâches pénibles par la robotisation. On ne produira plus pour produire, parce que le capitalisme ne peut s’accommoder durablement d’une stagnation du volume de la production marchande (avec tous les gaspillages auquel cela pousse, comme l’obsolescence programmée et le gaspillage de ressources naturelles que cela entraîne) et les inégalités extrêmes que cela provoque, mais avec pour seul enjeu de répondre aux besoins économiques et sociaux réels !

Mais avant le communisme, il faut sortir du capitalisme et résister à la… résistance opposée par la classe exploiteuse, laquelle qui vit très bien, servie par maints esclaves, et n’entend pas perdre ses privilèges !… C’est le socialisme, une période de transition où :

on construit une industrie autonome (sans capitalistes nationaux ni étrangers) ;

on protège la société nouvelle (défense face aux Etats capitalistes hostiles)  ;

on apprend aux travailleurs à organiser et surveiller la production, une société où les gestionnaires de la propriété collective et les représentants du peuple sont révocables à tout instant et payés comme des ouvriers ;

on éduque les travailleurs en vue de hausser leur niveau de compréhension du monde (sciences sociales et sciences naturelles et techniques) pour que chacun puisse être polyvalent et que de plus en plus d’individus puissent même participer jusqu’à la recherche scientifique. Sous le socialisme, les travailleurs ne sont donc pas dépouillés du produit de leur travail par une caste d’exploiteurs. Sous le socialisme, les travailleurs ne se « salarient pas eux-mêmes », bien que la rémunération de leur activité sociale ressemble en apparence à un salaire payé en argent… Les travailleurs reçoivent l’intégralité du produit de leur travail, soit directement (« salaire »), soit indirectement (éducation, santé, retraite, services sociaux et culturels, défense). Même la fraction de la production sociale allouée aux investissements leur retourne en définitive, en permettant notamment l’extension future de la production. Il n’y a donc plus de capitalistes pour se mettre entre eux et le produit de leur travail et en détourner une fraction à leur profit… Et bizarrement, dans ces conditions, la production « marchande » d’une « autre sorte de marchandise » ne contenant plus de quantum de travail exploité par autrui (comme le soulignait si justement le camarade Staline), ne produit plus ni crises, ni chômage. Si tout cela est fait correctement, les travailleurs des autres pays restés capitalistes seront inévitablement tentés de se débarrasser de leurs propres capitalistes… C’est cette force d’attraction irrésistible que commençait à avoir l’URSS dans les années 1930… et qui a déterminé la bourgeoisie internationale et son avant-garde fasciste à s’employer à la détruire par les armes !… C’est aussi cet enjeu idéologique majeur qui détermina les cliques impérialistes d’Occident à « lâcher du lest » à leur prolétariat indigène dans l’immédiate après-guerre et à concéder à leurs esclaves des « acquis sociaux » financés par leur politique coloniale et le pillage du reste du monde capitaliste…

Si les pays impérialistes d’occidentaux ont pu obtenir l’assentiment tacite voir conscient de leurs propres esclaves pour aller réduire impunément d’autres être humains en esclavage à l’autre bout du Monde, c’est en premier lieu du fait des chaînes dorées qui ont facilité la pénétration profonde de l’idéologie bourgeoise. La véritable « liberté de pensée » commence avec la conquête de sa propre autonomie de pensée. Mais contrairement au mensonge libéral, aucun être humain n’accède spontanément à celle-ci pour la simple raison qu’il est éduqué (formaté…) par l’environnement dans lequel il a grandi. Or, comme le remarquait Karl Marx :

« A toute époque, les idées de la classe dominante sont les idées dominantes : autrement dit, la classe qui est la puissance matérielle dominante de la société est en même temps la puissance spirituelle dominante. La classe qui dispose des moyens de la production matérielle dispose en même temps, de ce fait, des moyens de la production intellectuelle, si bien qu’en général, elle exerce son pouvoir sur les idées de ceux à qui ces moyens font défaut ».

La conquête de la véritable autonomie de pensée de tout individu a donc pour préalable son affranchissement des idées et des préjugés véhiculés par les classes dominantes. Tant que cela n’est pas réalisé, les slogans sur la « liberté de pensée » des individus ne sont que des phrases creuses et mensongères destinées à duper les masses réduites en esclavage et à les soumettre à l’idéologie de la classe capitaliste. La revendication des réformistes de toutes sortes se résume en définitive à « nous ne sommes pas des esclaves : nous valons bien des « chaînes dorées » ! » Les réformistes mesurent le degré de « socialisme » d’un pays à l’aune de ses « acquis sociaux », et non des rapports de propriété formant la base de leur économie… Une façon de raisonner que dénonçait déjà Karl Marx il y a près d’un siècle et demi :

« Le socialisme vulgaire (…) a hérité des économistes bourgeois l’habitude de considérer et de traiter la distribution comme une chose indépendante du mode de production et de représenter pour cette raison le socialisme comme tournant essentiellement autour de la distribution ».

De même, les syndicats de collaboration de classe refusent de voir les travailleurs occidentaux être traités comme les ouvriers indiens ou roumains : « nous ne voulons pas de chaînes en toc : nous valons bien des « chaînes dorées » ! » Or ces « acquis sociaux » peuvent parfaitement exister à une large échelle dans un pays capitaliste, d’autant plus si celui-ci est situé au sommet de la division internationale du travail : cette situation de monopole lui permet en effet de s’accaparer l’essentiel de la plus-value produite à l’étranger dans les industries intermédiaires soit directement en sa possession, soit placées sous sa dépendance industrielle. Les « chaînes dorées » rendent l’esclavage salarié supportable pour le travailleur qui en bénéficie, voire même confortable dans les périodes économiques « fastes » : il accède en effet alors à un monde qu’il croyait hors de sa portée : celui de l’abondance et du luxe… Et sa conscience se met alors en totale adéquation avec sa nouvelle condition sociale et devient intégralement petite-bourgeoise !

« Hélas », de tels privilèges ne sont pas gravés dans le granit pour l’éternité : ils dépendent en premier lieu de l’évolution du rapport de force inter-impérialiste mondial, et un jour ou l’autre, tel impérialisme peut se voir déclassé par un concurrent-challenger. C’est alors le moment pour lui de revenir sur les « acquis sociaux » dont bénéficie son prolétariat indigène… Mais gare aux « élites », car pour paraphraser Karl Marx, « les classes moyennes » sont susceptibles de devenir « révolutionnaires » « lorsqu’elles se voient exposées à tomber bientôt dans la condition des prolétaires ». C’est indéniablement dans ce but d’endiguement préventif de la contestation sociale croissante que progresse aujourd’hui rapidement la démocrature sanitaro-sécuritaire !

Ceux qui pensent ne pas être des esclaves ou qui ne se posent même pas la question de savoir s’ils en sont, sont en fait doublement esclaves : non seulement ils sont les esclaves du Capital dans le monde matériel, forcés qu’ils sont de se louer à la classe capitaliste pour se procurer les moyens de leur subsistance et donc enchaînés à l’exploitation salariée, mais ils sont également les esclaves du Capital dans leur propre cerveau, puisqu’enchaînés aux illusions qu’ils se font sur leur propre condition économique et sociale. Manipulés et formatés quotidiennement par l’idéologie promue par la classe dominante, ils sont ainsi intégralement soumis, dans leur chair comme dans leur cerveau, à leurs maîtres ! Il est vrai que dans les périodes de prospérité, ils sont esclaves du consumérisme (érigé en « Dieu laïque » : Mammon), un matérialisme vulgaire à l’aune duquel ils mesurent leur « bonheur »… Mais quand la « société de consommation » vient à s’éteindre et commence à laisser la place aux privations, le retard de leur conscience pousse certains à adopter des comportements aussi autodestructeurs que dangereux pour leurs semblables : ils n’ont pas les moyens d’acheter le dernier iPhone à la mode ? Tant pis, ils agresseront un individu et lui voleront le sien !…

« Ne cherchons pas le secret du juif dans sa religion, mais cherchons le secret de la religion dans le juif réel. Quel est le fond profane du judaïsme? Le besoin pratique, l’intérêt personnel. Quel est le culte profane du juif ? Le trafic. Quel est son dieu ? L’argent. C’est de ses propres entrailles que la société bourgeoise engendre continuellement le juif. Quel était, en soi et pour soi, le fondement de la religion juive ? Le besoin pratique, l’égoïsme. Le besoin pratique, l’égoïsme, voilà le principe de la société bourgeoise, et il se manifeste comme tel dans toute sa pureté dès que la société bourgeoise a achevé de mettre au monde l’État politique. Le dieu du besoin pratique et de l’intérêt personnel, c’est l’argent. L’argent est le dieu jaloux d’Israël, devant qui nul autre dieu ne doit exister. L’argent avilit tous les dieux des hommes : il les transforme en une marchandise. L’argent est la valeur universelle de toutes choses, constituée pour soi-même. C’est pourquoi il a dépouillé le monde entier, le monde des hommes ainsi que la nature, de leur valeur originelle. L’argent, c’est l’essence aliénée du travail et de la vie de l’homme, et cette essence étrangère le domine, et il l’adore. Aussi, n’est ce pas seulement dans le Pentateuque ou dans le Talmud, mais dans la société présente, que nous découvrons l’être du juif d’aujourd’hui : non pas un être abstrait, mais un être éminemment empirique, non seulement comme mesquinerie du juif, mais comme mesquinerie juive de la société. Du moment où la société réussit à faire disparaître l’essence empirique du judaïsme, le trafic et ses prémisses, le juif est devenu impossible, parce que sa conscience n’a plus d’objet, parce que la base subjective du judaïsme, le besoin pratique, s’est humanisée, parce que le conflit entre l’existence individuelle sensible, et l’existence générique de l’homme est surmonté. L’émancipation sociale du juif, c’est l’émancipation de la société libérée du judaïsme ». (Karl Marx, A propos de la question juive, 1843)

Et Karl Marx, qu’on ne saurait soupçonner « d’antisémitisme » puisque d’origine juive, de conclure : « Moins vous êtes, plus vous avez… Ainsi, toutes les passions et toutes les activités sont englouties dans la cupidité ». Si à l’instar de Karl Marx nous ne conditionnons pas notre bonheur à l’accumulation d’objets, le bonheur des individus nécessite cependant qu’ils ne vivent pas dans la misère et la précarité et qu’ils puissent avoir accès à la culture, aux loisirs, en d’autres termes que leurs besoins fondamentaux variés (matériels comme spirituels) soient pleinement satisfaits : nous ne sommes pas non plus des ascètes faisant vœu d’une « chasteté » rigoriste vis-à-vis du monde des objets… Staline ne disait d’ailleurs pas autre chose du but fondamental du socialisme :

« … quand les éléments capitalistes sont anéantis, et les pauvres affranchis de l’exploitation, la tâche des léninistes n’est pas de fixer, de maintenir la pauvreté et les pauvres, les conditions qui les engendraient ayant été supprimées, mais de supprimer la pauvreté et d’élever les pauvres au niveau d’une vie d’aisance. Il serait stupide de croire que le socialisme puisse être édifié sur la base de la misère et des privations, en restreignant les besoins personnels et en abaissant le niveau de vie des hommes au niveau de vie des couches pauvres, lesquelles d’ailleurs ne veulent plus elles-mêmes rester pauvres et marchent à grandes enjambées vers l’aisance. Qui a besoin d’un pareil socialisme, s’il est permis de l’appeler ainsi ? Ce ne serait pas du socialisme, mais une caricature du socialisme. Le socialisme ne peut être édifié que si les forces productives de la société se développent vigoureusement ; s’il y a abondance de produits et de marchandises ; quand les travailleurs mènent une vie aisée et que la culture monte impétueusement. Car le socialisme, le socialisme marxiste, ne signifie pas compression des besoins individuels, mais leur extension et leur complet épanouissement ; non point limitation ni refus de les satisfaire, mais satisfaction pleine et entière de tous les besoins des travailleurs hautement cultivés ».


En conclusion, nous ne sommes pas de ceux que les médias bourgeois aiment à qualifier d’employés « indignés », pleurant la destruction des « chaînes dorées » de l’esclavage salarié. Non ! Nous ne sommes pas non plus des « pigeons » ou des « moutons » s’insurgeant seulement contre les « excès » d’un système qui a si longtemps été en mesure de leur assurer « panem et circenses », c’est-à-dire « du pain et des jeux » en échange de la paix sociale. Non ! Comme le dit un camarade, « le mouton a toujours peur du loup, mais c’est le berger qui le bouffe ». Notre ennemi principal n’est pas le « loup » (celui que notre berger désigne comme l’ennemi extérieur : l’ouvrier et le capitaliste chinois par exemple), mais « notre » propre berger, c’est-à-dire les élites prédatrices qui conduisent quotidiennement une fraction de leur propre troupeau à l’abattoir… Nous sommes les esclaves du Capital, et nous savons que la profonde crise économique structurelle que nous traversons depuis 2008 et dont nous vivons aujourd’hui la phase finale va nécessairement aboutir à aggraver à un degré extrême les conditions de l’esclavage salarié.

A l’inverse des réformistes de toutes nuances, c’est-à-dire des laquais masqués du Capital, nous ne prétendons pas que nous « améliorerons » le système ou que nous préserverons les « acquis sociaux » sans avoir besoin de sortir du cadre des rapports de production capitalistes. Non ! Nous sommes des esclaves libérés de leurs chaînes spirituelles, entrés en révolte et préparant leur affranchissement du joug de l’esclavage salarié dans le monde réel ! Pour reprendre les termes de Lénine, « l’esclave qui a pris conscience de son esclavage et s’est dressé dans la lutte pour son affranchissement, cesse à moitié d’être un esclave ».

« La classe possédante et la classe du prolétariat représentent la même aliénation humaine. Mais la première se complaît dans cette aliénation de soi, elle éprouve l’aliénation comme sa propre puissance et possède en elle l’apparence d’une existence humaine ; la seconde se sent anéantie dans l’aliénation, elle voit en elle sa propre impuissance et la réalité d’une existence inhumaine. (…) Au sein de cette antithèse, le propriétaire privé représente donc le parti conservateur, le prolétaire le parti destructeur. Celui-là agit en vue de maintenir l’antithèse, celui-ci agit pour l’anéantir. Si, dans son mouvement économique, la propriété privée s’achemine d’elle-même vers sa propre dissolution, elle le fait uniquement à travers une évolution indépendante d’elle, inconsciente, contraire à sa volonté et inhérente à sa nature, simplement en produisant le prolétariat comme prolétariat, la misère consciente de sa misère morale et physique, la déshumanisation qui, consciente d’elle-même, tend à s’abolir elle-même. Le prolétariat exécute la sentence que la propriété privée prononce contre elle-même en engendrant le prolétariat, tout comme il exécute la sentence que le travail salarié prononce contre lui-même en produisant la richesse d’autrui et sa propre misère. Si le prolétariat triomphe, il ne sera nullement devenu le côté absolu de la société, car il ne triomphera qu’en s’abolissant lui-même et en abolissant son contraire. A ce moment là, le prolétariat aura disparu tout autant que son antithèse qui est aussi sa condition, la propriété privée ». (Karl Marx et Friedrich Engels, La sainte famille – Critique de la critique critique, 1845)

De par la résistance multiforme opposée par le Capital ainsi que le niveau culturel souvent défavorisé de ses esclaves, Karl Marx était lui-même bien conscient que le chemin menant au renversement du capitalisme serait semé d’embûches, que le prolétariat aurait sans doute à souffrir de son manque d’expérience et d’erreurs et pourrait ainsi subir des revers temporaires. Il soulignait d’abord le fait qu’« à mesure que le travail se développe dans la société et devient, par suite, source de richesse et de culture, se développent chez le travailleur pauvreté et inculture, et chez le non-travailleur, richesse et culture ». Il lançait ainsi aux ouvriers :

« Vous aurez à traverser quinze, vingt, cinquante ans de guerres civiles et de guerres entre peuples, non seulement pour changer les rapports existants, mais pour vous changer vous-mêmes et vous rendre capables d’exercer le pouvoir politique ». (Karl Marx, Scission au sein de la ligue des communistes, 15/09/1850)

A travers plusieurs documents, notamment en 2007 et 2014, nous nous sommes pour notre part efforcés de tirer les leçons (positives comme négatives) de la première expérience de construction du socialisme à grande échelle et de longue durée : l’URSS. La « troisième voie » prétendant rejeter aussi bien les dérives « totalitaires » du capitalisme que du communisme est un leurre, une utopie petite-bourgeoise, qui n’a aucune base matérielle. La société humaine ne peut en effet avoir que deux bases de développement : ou bien la propriété individuelle des moyens de production, ou bien leur propriété collective.

 

Aussi, ceux qui désirent sincèrement se libérer du joug de l’esclavage salarié doivent-ils s’instruire de la riche expérience de leurs aînés… Il leur faudra également reconstruire des liens sociaux, une solidarité, une communauté d’intérêts avec leurs compagnons d’esclavage, sur le plan local comme à l’international. C’est aussi cela, résister : résister à l’isolement des individus, à l’idéologie du « je suis unique, je vaux mieux que les autres, … donc j’ai légitimement le droit de les écraser », ou ce qui revient au même : « libre à chacun d’exploiter le travail de son prochain afin d’en extorquer le maximum de profit ! »

Source: Lire l'article complet de Les 7 du Québec

À propos de l'auteur Les 7 du Québec

Les 7 du Québec a pour mission de susciter la réflexion et l'engagement social et politique par le débat et le choc des idées afin de susciter des voix et d'ouvrir des voies de solutions aux problèmes contemporains.Le webzine Les 7 du Québec publie chaque jour des textes de réflexion sur les grands enjeux de société.

Laisser un commentaire

Votre adresse courriel ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *

Recommended For You