Covid-19 : politisation, corruption et répression de la science

Covid-19 : politisation, corruption et répression de la science

Lorsque la science véritable est étouffée par le complexe médico-politique, les gens meurent.

Par Kamran Abbasi

Source : British Medical Journal, 13 novembre 2020

Traduction : lecridespeuples.fr

Le British Medical Journal, ou BMJ, est une revue médicale britannique existant depuis 1840. C’est l’une des revues de médecine générale les plus réputées, probablement le meilleur au monde selon Didier Raoult, qui évoque cet article et les problématiques qu’il mentionne dans la vidéo ci-dessous.

Les politiciens et les gouvernements répriment la science. Ils le font prétendument dans l’intérêt public, pour accélérer la disponibilité des diagnostics et des traitements. Ils le font pour soutenir l’innovation, pour mettre des produits sur le marché à une vitesse sans précédent, nous assurent-ils. Ces deux raisons avancées sont en partie plausibles ; les plus grandes supercheries sont fondées sur un grain de vérité. Mais le comportement sous-jacent est troublant.

La science est censurée à des fins politiques et financières. Le Covid-19 a déchaîné la corruption de l’État à grande échelle, et c’est une chose extrêmement nocive pour la santé publique [1]. Les politiciens et l’industrie pharmaceutique sont responsables de cette corruption opportuniste. Il en va de même pour bon nombre de scientifiques et d’experts en santé. La pandémie a révélé comment le complexe médico-politique peut être manipulé en cas d’urgence —un moment où il est encore plus important de sauvegarder la science.

La réponse pandémique du Royaume-Uni fournit au moins quatre exemples de répression de la science ou des scientifiques. Premièrement, la composition, la recherche et les délibérations du Groupe consultatif scientifique pour les urgences (SAGE) étaient initialement secrètes jusqu’à ce qu’une fuite dans la presse impose la transparence [2]. La fuite a révélé une implication inappropriée de conseillers gouvernementaux dans le SAGE, tout en révélant une sous-représentation de la santé publique, des soins cliniques, des femmes et des minorités ethniques. De fait, le gouvernement a également reçu récemment l’ordre de publier un rapport de 2016 sur les lacunes de la préparation à une pandémie, l’opération Cygnus, à la suite d’un verdict du Bureau du commissaire à l’information [3] [4].

Ensuite, un rapport de Public Health England (Santé Publique Angleterre) sur le Covid-19 et les inégalités. La publication du rapport a été retardée par le ministère de la Santé d’Angleterre ; une section sur les minorités ethniques a été initialement suspendue, puis, à la suite d’un tollé général, a été publiée dans le cadre d’un rapport de suivi [5] [6]. Les auteurs de Public Health England ont reçu pour instruction de ne pas parler aux médias. Troisièmement, le 15 octobre, le rédacteur en chef du Lancet s’est plaint qu’un auteur d’un article de recherche, un scientifique du gouvernement britannique, a été empêché par le gouvernement de parler aux médias en raison d’un « paysage politique difficile » [7].

Maintenant, un nouvel exemple concerne la controverse sur les tests d’anticorps au chevet des patients de Covid-19 [8]. L’opération Moonshot du Premier ministre dépend de la disponibilité immédiate et large de tests de diagnostic rapides et précis [9]. Elle dépend également de la logique discutable du dépistage de masse —actuellement testée à Liverpool avec un test PCR qui est loin d’être optimal [10] [11].

L’incident est lié à une recherche publiée cette semaine par le BMJ, qui révèle que le gouvernement a acheté un test d’anticorps qui, dans les tests en situation réelle, est bien en deçà des déclarations de performance faites par ses fabricants [12] [13]. Des chercheurs de Public Health England et des institutions collaboratrices ont raisonnablement poussé à publier les résultats de leur étude avant que le gouvernement ne s’engage à acheter un million de ces tests, mais ont été bloqués par le ministère de la Santé et le bureau du Premier ministre [14]. Pourquoi était-il important de se procurer ce produit sans examen minutieux ? La publication préalable de recherches sur un serveur de pré-impression ou sur un site Web gouvernemental est compatible avec la politique de publication du BMJ. Comme pour prouver cette censure d’Etat, Public Health England a ensuite tenté en vain de bloquer le communiqué de presse du BMJ sur cette recherche.

Les politiciens prétendent souvent suivre la science, mais c’est une simplification excessivement trompeuse. La science est rarement absolue. Elle s’applique rarement à tous les contextes ou à toutes les populations. Il n’est pas logique de suivre servilement la science ou les preuves avancées. Une meilleure approche consiste pour les politiciens, les décideurs nommés publiquement, à être informés et guidés par la science lorsqu’ils décident des politiques pour leur public. Mais même cette approche ne conserve la confiance du public et des professionnels que si la science est sujette à un examen minutieux et sans ingérence politique, et si le système est transparent et non compromis par des conflits d’intérêts.

La répression de la science et des scientifiques n’est ni nouvelle ni un phénomène particulièrement britannique. Aux États-Unis, le gouvernement du Président Trump a manipulé la Food and Drug Administration pour approuver à la hâte des médicaments non prouvés tels que l’hydroxychloroquine et le remdesivir [15]. À l’échelle mondiale, les gens, les hommes politiques et les achats sont corrompus par des agendas politiques et commerciaux [16].

Voir Le scandale de l’hydroxychloroquine. Rappelons que les pharmacies de nombreux pays, dont l’Espagne, délivrent sans ordonnance les médicaments du Protocole Raoult —association d’hydroxychloroquine (200 mg x 3 par jour pour 10 jours) et d’Azithromycine (500 mg le 1er jour puis 250 mg par jour pour 5 jours de plus).

La réponse du Royaume-Uni à la pandémie repose trop largement sur des scientifiques et d’autres personnes nommées par le gouvernement aux intérêts concurrents inquiétants, y compris des participations dans des entreprises qui fabriquent des tests de diagnostic, des traitements et des vaccins contre le Covid-19 [17]. Les personnes nommées par le gouvernement peuvent ignorer ou picorer à leur gré dans la science —une autre forme d’utilisation abusive car sélective— et se livrer à des pratiques anticoncurrentielles qui favorisent leurs propres produits et ceux d’amis et associés [18].

Comment la science pourrait-elle être sauvegardée en ces temps exceptionnels ? La première étape est la divulgation complète des intérêts concurrents du gouvernement, des politiciens, des conseillers scientifiques et des personnes nommées, tels que les responsables des tests et du traçage, de l’approvisionnement en tests diagnostiques et de la livraison des vaccins. La prochaine étape est une transparence totale sur les systèmes de prise de décision, les processus et le fait de savoir qui est responsable de quoi.

Une fois que la transparence et la responsabilité sont établies en tant que normes, les personnes employées par le gouvernement ne devraient idéalement travailler que dans des domaines sans rapport avec leurs intérêts concurrents. L’expertise est possible sans intérêts concurrents. Si une règle aussi stricte devient irréalisable, la bonne pratique minimale est que les personnes ayant des intérêts divergents ne doivent pas être associées aux décisions relatives aux produits et aux politiques dans lesquelles elles ont un intérêt financier.

Les gouvernements et l’industrie pharmaceutique doivent également cesser d’annoncer une politique scientifique critique par communiqué de presse. De telles mesures mal jugées laissent la science, les médias et les marchés boursiers vulnérables à la manipulation. Une publication claire, ouverte et préalable des bases scientifiques de la politique, des achats et des médicaments miracles est une exigence fondamentale [19].

Les enjeux sont élevés pour les politiciens, les conseillers scientifiques et les personnes nommées par le gouvernement. Leur carrière et leurs soldes bancaires peuvent dépendre des décisions qu’ils prennent. Mais ils ont une responsabilité et un devoir plus élevés envers le public. La science est un bien public. Il n’est pas nécessaire de la suivre aveuglément, mais il faut en tenir compte de manière équitable. Il est important de noter que la censure & la répression de la science, que ce soit en retardant la publication, en sélectionnant des recherches favorables ou en bâillonnant les scientifiques [cf. les nombreuses plaintes contre Didier Raoult, dont dernièrement celle du Conseil de l’ordre des médecins], est un danger pour la santé publique, causant des décès en exposant les gens à des interventions dangereuses ou inefficaces et en les empêchant de bénéficier de meilleures solutions. Lorsque ces dérives sont mêlées à des décisions commerciales, il s’agit également d’une mauvaise administration de l’argent des contribuables.

La politisation de la science a été déployée avec enthousiasme par certains des pires autocrates et dictateurs de l’histoire, et à présent, elle est malheureusement courante dans nos démocraties [20]. Le complexe médico-politique tend vers la censure de la science pour agrandir et enrichir ceux qui sont au pouvoir. Et, au fur et à mesure que les puissants réussissent, s’enrichissent et s’enivrent davantage de pouvoir, les vérités dérangeantes de la science sont supprimées. Lorsque la science véritable est étouffée, les gens meurent.

Déclaration d’intérêts : j’ai lu et compris la politique de BMJ sur la déclaration d’intérêts et je n’ai aucun intérêt pertinent à déclarer.

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NOTES DE L’ARTICLE DU BJM

[1] Geoghegan P. Cronyism and clientelism. London Review of Books 2020 Nov 5. https://www.lrb.co.uk/the-paper/v42/n21/peter-geoghegan/cronyism-and-clientelism

[2] Scally G, Jacobson B, Abbasi K. The UK’s public health response to covid-19. BMJ2020;369:m1932. doi:10.1136/bmj.m1932 pmid:32414712

[3] Iacobucci G. Pandemic preparedness: Government must release 2016 report, says information commissioner. BMJ2020;371:m3953. doi:10.1136/bmj.m3953 pmid:33046458

[4] Department of Health and Social Care. Policy paper. Annex B: Exercise Cygnus report. 5 Nov 2020. https://www.gov.uk/government/publications/uk-pandemic-preparedness/exercise-cygnus-report-accessible-report

[5] Public Health England. Disparities in the risk and outcomes of COVID-19. 2020. https://assets.publishing.service.gov.uk/government/uploads/system/uploads/attachment_data/file/908434/Disparities_in_the_risk_and_outcomes_of_COVID_August_2020_update.pdf

[6] Khunti K, Platt L, Routen A, Abbasi K. Covid-19 and ethnic minorities: an urgent agenda for overdue action. BMJ2020;369:m2503. doi:10.1136/bmj.m2503 pmid:32576558

[7] Horton R. Tweet, 15 Oct 2020. https://twitter.com/richardhorton1/status/1316711967554506753

[8] Boseley S. Antibody tests bought by UK government “less accurate than maker claims.” Guardian 2020 Nov 12. https://www.theguardian.com/world/2020/nov/12/covid-antibody-test-bought-uk-government-less-accurate-than-makers-claim

[9] Iacobucci G, Coombes R. Covid-19: Government plans to spend £100bn on expanding testing to 10 million a day. BMJ2020;370:m3520. doi:10.1136/bmj.m3520 pmid:32907851

[10] Iacobucci G. Covid-19: mass population testing is rolled out in Liverpool. BMJ2020;371:m4268. doi:10.1136/bmj.m4268 pmid:33144291

[11] Iacobucci G. Covid-19: rapid test missed over 50% of positive cases in Manchester pilot. BMJ2020;371:m4323. doi:10.1136/bmj.m4323 pmid:33158908

[12] Mulchandani R, Jones HE, Taylor-Phillips S, et al., EDSAB-HOME and COMPARE Investigators. Accuracy of UK Rapid Test Consortium (UK-RTC) “AbC-19 Rapid Test” for detection of previous SARS-CoV-2 infection in key workers: test accuracy study. BMJ2020;371:m4262.pmid:33177070

[13] Gill D, Ponsford MJ. Testing for antibodies to SARS-CoV-2. BMJ2020;371:m4288. doi:10.1136/bmj.m4288

[14] Armstrong S. Covid-19: Government buried negative data on its favoured antibody test. BMJ2020;371:m4353. doi:10.1136/bmj.m4353

[15] Cohen K, Kupferschmidt K. The “very, very bad look” of remdesivir, the first FDA-approved COVID-19 drug. Science 2020 Oct 28. https://www.sciencemag.org/news/2020/10/very-very-bad-look-remdesivir-first-fda-approved-covid-19-drug

[16] Transparency International. Corruption and covid-19—the story so far. 8 Jul 2020. https://www.transparency.org.uk/corruption-coronavirus-covid-19-latest

[17] Ennals E. Government test tsar has £770,000 shares in drugs firm that sold us £13million of “pointless” antibody screening kits—after it emerged that Sir Patrick Vallance has a financial interest in company racing to find vaccine. Daily Mail 2020 Sep 26. https://www.dailymail.co.uk/news/article-8776339/Test-tsar-770-000-shares-firm-sold-13million-pointless-antibody-screening-kits.html

[18] Armstrong S. Covid-19: Government faces legal action over £75m contract for antibody tests. BMJ2020;371:m4427. doi:10.1136/bmj.m4427

[19] Mahase E. Covid-19: Vaccine candidate may be more than 90% effective, interim results indicate. BMJ2020;371:m4347. doi:10.1136/bmj.m4347 pmid:33168562

[20] Bollyky TJ, Kickbusch I. Preparing democracies for pandemics. BMJ2020;371:m4088. doi:10.1136/bmj.m4088 pmid:33097482

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À propos de l'auteur Le Cri des Peuples

« La voix des peuples et de la Résistance, sans le filtre des médias dominants. »[Le Cri des Peuples traduit en Français de nombreux articles de différentes sources, principalement sur la situation géopolitique du Moyen-Orient. C'est une source incontournable pour comprendre ce qui se passe réellement en Palestine, en Syrie, en Irak, en Iran, ainsi qu'en géopolitique internationale.]

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