Ci-après, un appel récupéré sur le site de PMO (Pièces et Main d’Oeuvre). En date de 2014, il n’a rien perdu de son actualité, de sa pertinence. Aujourd’hui, plus encore qu’en 2014, à l’heure du confinement sur les rézoos antisociaux, un certain nombre de soi-disant antifascistes ou anarchistes, souvent des étudiants adhérant aveuglément aux dernières théories les plus progressistes issues des universités anglo-américaines, se permettent d’insulter en chœur — c’est plus simple ça évite de devoir réfléchir — diverses personnes ou groupes, en recourant notamment à des qualificatifs en « phobe » ou en « iste » : transphobe, putophobe, psycophobe, validiste, etc.
Beaucoup de ceux qui vitupèrent ainsi ne savent pas de quoi il retourne en réalité. Il suffit que ces « orgas » ou « personnes » soient « connues pour des positions » X ou Y (ou Z). Des amies qui militent en faveur de l’abolition de la prostitution (qui sont parfois elles-mêmes d’ex-prostituées), par souci de ce qui arrive aux prostituées en général, sont qualifiées « d’abolos », traitées de « putophobes » et parfois physiquement agressées. Des féministes qui militent pour les droits des femmes — et s’opposent à ce qu’on réduise le fait d’être femme à une opinion — sont traitées de « transphobes ». Des anti-industriels, des technocritiques ou des anarchoprimitivistes, du fait de leur opposition à la technologie et à l’industrie, sont accusés de vouloir éradiquer les personnes handicapées, et donc d’être « validistes » (ou « capacitistes »), voire « handiphobes ».
Philippe Muray le remarquait :
« Je suis frappé depuis quelques années par l’opération de médicalisation systématique dont sont l’objet tous ceux qui ne pensent pas dans la juste ligne : on les taxe de phobie. Et personne n’ose seulement délégitimer cette expression en la problématisant (c’est-à-dire en disant ce que se devrait de dire à tout propos un intellectuel : qu’est-ce que, au fait, ça signifie ?). Il y a maintenant des phobes pour tout, des homophobes, des gynophobes (encore appelés machistes ou sexistes), des europhobes, etc. Une phobie, c’est une névrose : est-ce qu’on va discuter, débattre, avec un névrosé au dernier degré ? Non, on va l’envoyer se faire soigner, on va le fourrer à l’asile, on va le mettre en cage. Dans la cage aux phobes. »
Les qualificatifs de « fasciste » et de « nazi » figurent également parmi les injures les plus utilisées par ces justiciers modernes — ils permettent de rapidement, et à peu de frais, diaboliser n’importe qui ou n’importe quoi.
Les « réseaux sociaux » et internet favorisent largement cette tendance. Il est plus facile d’insulter gratuitement n’importe qui quand on n’a pas la personne en face. On y échange bien plus d’anathèmes que d’arguments. Anathèmes qui font peur aux profanes, qui se rangent ainsi bien souvent, sans comprendre réellement la nature et la teneur du conflit, du côté de ceux qui s’imaginent ou prétendent défendre la justice. Quoi qu’il en soit, voici comment PMO introduit cet appel (signé par nombre d’excellentes maisons d’édition, d’auteurs et de traducteurs) :
« Voici quelques jours, un “Appel contre la censure et l’intimidation dans les espaces d’expression libertaire”, signé de quelques dizaines de groupes et de personnes, était posté sur plusieurs sites alternatifs, dont Indymedia Grenoble.
Il est aujourd’hui à la rubrique “Refusé” de ce site comme étant “insultant pour des camarades”. CQFD.
Nous avons signé cet appel que nous avons repêché dans les poubelles d’Indymedia, comme nous l’avions déjà fait une fois pour un bon texte (ici).
Cet appel est une réaction plutôt saine et de bonne foi de camarades choqués par les insultes, les coups de force, les menaces contre quiconque contredit l’orthodoxie du milieu. Ce qui n’est jamais discuté, c’est qui décide de cette orthodoxie, en vertu de quel mandat ou de quel pouvoir. L’informalité du milieu libertaire, qui exprimait un refus des structures autoritaires, notamment celles des partis et particules gauchistes et communistes, est mise à profit par certains pour opérer des prises de pouvoir opaques, brutales et sans appel.
Il est évidemment naïf de proposer un texte contre la censure à des censeurs. Et peu importe que ces censures soient prononcées en vertu d’interprétations créatives des chartes de modération. Au-delà, la question est de savoir si ces espaces d’expression sont libertaires, ou la propriété de factions particulières, avec leurs propres objectifs, et manipulant la bonne volonté libertaire à leurs fins propres. Des directions de fait, dont les membres se cooptent entre eux, ne sont connus de personne et ne rendent de compte à personne. Que des “vegan” ou des “queer” refusent dans leurs “espaces” des expressions qui contredisent leurs positions, quoi de plus normal. Nous ne publions pas de textes technolâtres sur ce site (sauf à titre de documents). En revanche, sur des sites, dans des lieux et des manifestations qui se prétendent des “espaces” de débat ouverts à toute la nébuleuse libertaire, interdire la contradiction s’appelle de l’autoritarisme.
Cet appel fera ricaner ceux qu’il vise. Peut-être suscitera-t-il des analyses sur les causes et les dégénérescences (en particulier théoriques) qui aboutissent à de tels comportements. Il faudrait dire enfin de quoi le “milieu” est le nom. »
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Empêcher des débats de se tenir dans des espaces « libertaires » par des menaces en amont ou par des interruptions intempestives (hurlements, coups et menaces de mort), répandre des accusations fallacieuses, pratiquer l’amalgame et l’anathème, inonder de commentaires injurieux des sites « libertaires » qui osent donner la parole aux auteurs mis à l’index, tels sont les comportements auxquels on assiste de plus en plus fréquemment de la part de nouveaux censeurs se décernant à eux-mêmes le label libertaire qu’ils refusent à d’autres.
Jouant avec une remarquable efficacité sur le sentiment de culpabilité des éditeurs, libraires, animateurs de sites ou de revues et organisateurs d’événements qui craignent plus que tout de se voir décerner des qualificatifs en « phobe », ces censeurs parviennent le plus souvent à leurs fins. Pour préserver une illusoire unité du milieu, beaucoup d’entre nous préfèrent, en effet, éviter les questions qui fâchent.
Ces pratiques autoritaires nous rappellent les agissements des staliniens français qui molestaient, menaçaient, interdisaient d’expression, et discréditaient tous ceux qui, parlant d’un point de vue de gauche, osaient dénoncer la face sombre de l’Union soviétique. Panaït Istrati, Victor Serge, et bien d’autres en ont fait l’amère expérience.
La destruction violente d’un repas carné par certains « vegans » intégristes lors des journées libertaires de Saint-Imier en août 2012 est un symptôme de ce nouvel état d’esprit. Plus récemment, en novembre 2014, Alexis Escudero auteur de La reproduction artificielle de l’humain et ses éditeurs (Le Monde à l’envers) invités à débattre au salon du livre libertaire de Lyon ont été violemment attaqués, événement qui fait écho à l’annulation d’une conférence de Marie-Jo Bonnet sur le thème « Résistance-Sexualité-Nationalité à Ravensbrück » prévue le 9 décembre 2014 au centre LGBT de Paris en vertu de menaces liées à ses positions en défaveur de la GPA.
Face à ces récents événements, nous estimons ne plus pouvoir continuer à nous taire devant ceux qui prétendent nous dicter ce que nous devons manger, boire, lire ou penser. Nous affirmons notre volonté de ne plus tolérer, au prétexte qu’elles émaneraient de gens de « notre milieu », des comportements autoritaires empruntés à la pire tradition stalinienne. Quiconque fait usage dans ces circonstances de violence verbale et à fortiori physique ne peut s’attendre à être traité en camarade et doit être expulsé sans ménagement des espaces de discussions et d’échanges. Nous appelons les organisateurs des salons et des rencontres libertaires à prendre une position claire sur ce point afin que ces lieux redeviennent de véritables espaces de rencontres et de débats. De sorte que notre participation n’apparaisse plus comme une caution apportée aux intrusions musclées des supplétifs de la police de la pensée.
Signatures :
Éditions Acratie ; Éditions Le Coquelicot ; Éditions de la Pigne ; Éditions de la roue ; Éditions Rue des Cascades : Éditions Le Monde à l’envers ; Éditions libertaires ; Collectif Lieux communs ; Éditions Le Pas de côté ; Editions Repas ; Editions Rytrut ; Editions de l’Eclat ; Editions L’Or des fous ; Éditions l’Échappée ; mensuel Courant alternatif.
Gérard Amaté (auteur) ; Michel Baillieu (Groupe Kropotkine – FA) ; Jacques Baujard (Librairie Quilombo) ; Xavier Beckaert (auteur de Anarchisme. Violence, Non-violence, Éditions du Monde lLa Femme du soldat inconnu, Éditions libertaires) ; Colin Bonnet (Collatérale éditions) ; Isabelle Bourgueil (ed. L’Or des fous) : Venant Brisset ; Paul Boino ; Jean-Marie Brohm (revue Quel sport ?) ; Sedira Boudjemaa (artiste peintre) ; Marie-Claire Calmus (Chroniqueuse à la revue l’Emancipation et auteure des Chroniques de la Flèche d’Or) ; Gianni Carrozza (La Question sociale) ; Daniel Colson (membre du collectif de la Griffe à Lyon) ; Jutta Bruch ; Éric B Coulaud (créateur et animateur du site Éphéméride anarchiste) ; Éduardo Colombo (membre du Comité de rédaction de Réfractions) ; Christian Calvi (militant anticapitaliste) ; André Danet (Finir la révolution ! la société autogérée pour sortir de la crise, Éditions de l’Épervier) ; Denis Carnus (ami d’alternative libertaire – Mille Babord) ; Béatrice Carnus (amie d’AL, adhérente association Mille Bâbords) ; Jean Luc Debry (auteur du Cauchemar pavillonnaire, Éditions de l’Échappée) ; Daraguy ; Loïc Debray (co-auteur de RAF-Fraction armée rouge, L’Échappée) ; Jean-Marc Delpech (auteur de Alexandre Jacob, l’honnête cambrioleur, Atelier de création libertaire) ; Monique Douillet ; Jean Claude Driant (membre de l’association et des éditions CRAS) ; Jean-Pierre Duteuil (auteur de Mai 68 un mouvement politique Acratie) ; Alain Dropsy (FA Creuse) ; Felip Equy (militant libertaire) ; Maryvonne Nicola Equy ; Jean Pierre Garnier ; Daniel Guerrier (Éditions Spartacus) ; C. Gzavier (co-auteur avec JW de La tentation insurrectionniste (Acratie 2012) ; Annie Gouilloux (traductrice de Lewis Mumford pour les éditions de la Roue et les éditions de La Lenteur) ; François Heintz ; Charles Jacquier ; Jean-Michel Kay (éditions Spartacus) ; Jean-Michel Lebas ; Jean-Pierre Lecercle (éditions Place d’Armes) ; Alain Léger (libraire et éditeur) ; Hugues Lenoir (Groupe commune de Paris-FA, collaborateur du Dictionnaire biographique du mouvement libertaire francophone) ; Bernard Marinone (CNT Energie) ; Sébastien Navarro (presse indépendante) ; Fabien Ollier (directeur de la revue Quel Sport ?) ; Jean-Louis Paul (Ressouvenances) ; Philippe Pelletier (groupe Makhno-FA) ; PMO (Pièces et main d’œuvre) ; Toni Prima (militant libertaire) ; Serge Quadruppani ; Bastien Roche (librairie Quilombo — CNT) ; Marie-Christine Rojas Guerra (Chroniques syndicales sur Radio libertaire) ; Gilbert Roth (CIRA Limousin) ; Azucena Rubio (militante libertaire) ; Claire Ruph ; Bruno Signorelli (Temps critiques) ; Christophe Soulié (auteur de Liberté sur paroles chez Analis) ; Henri Simon (Echanges et mouvement) ; Dictionnaire biographique du mouvement libertaire francophone) ; Annick Stevens (membre du Comité de rédaction de Réfractions) ; Pierre Thiesset (éditions Le Pas de côté) ; André Thomas (Editions Tribord) ; Nicole Thirion (La Question sociale) ; Catherine Thumann (collaboratrice de la presse indépendante) ; Tomjo (auteur de L’Enfer Vert, l’Échappée, 2013) ; Marc Tomsin (Rue des Cascades) ; Matias Velazquez (membre du CIRA Marseille et CIRA Limousin) ; Jacques Wajnsztejn (auteur de Rapports à la nature, sexe, genre et capitalisme (Acratie 2014) et membre du comité de rédaction de la revue Temps critiques)
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