DANIEL DUCHARME — Nous sommes quelque part au XXIIIe siècle dans un monde dévasté. Les hommes ont la mémoire tronqué, ayant perdu le fil qui les rattachait à la connaissance humaine accumulée depuis des siècles avant que ne survienne le cataclysme qui a projeté le monde dans le Chaos. Selon un discours véhiculé dans les chaumières, pendant ce grand tumulte, des hommes favorisés par la naissance et la richesse auraient quitté la Terre désolée pour une autre planète, aidés en cela par des extra-terrestres. C’est ce que d’aucuns appellent les Grandes Migrations. Mais il s’agit d’une hypothèse que ne partagent pas nécessairement les hommes de pouvoir pour lequel la réalité serait plutôt d’un autre ordre: le Chaos auraient provoqué des guerres incessantes entre les collectivités humaines, des guerres d’une intensité telle que les trois quarts de l’humanité aurait péri… Quand on pense aux prédictions des écologistes pour lesquels le monde actuel ne survivra pas au prochain siècle, il y a de quoi frissonner… Pourtant, Kid Jésus a été publié pour la première fois en 1980. Cela ne date pas d’hier, donc…
Mais revenons au roman de Pierre Pelot. Sur la Terre, les humains se débrouillent comme ils peuvent, dirigés par le Conseil confédéral planétaire. Dans les faits, la loi du plus fort prédomine et la vie est dure. Pour trouver des ressources enfouies après le Chaos, on a délimité de grandes zones interdites au peuplement : les Territoires de fouille. Dans ces zones inhospitalières, quasi contaminées, des hommes fouillent le sol, espérant trouver des vestiges de l’ancien monde – des documents, des objets utilitaires, des ressources énergétiques, etc. – qu’ils revendent aux autorités des territoires civilisés. Quand un territoire de fouille est épuisé, quand il a rendu tout ce qu’il avait à rendre, il est ouvert à la colonisation.
Le Territoire F est l’une de ces zones. C’est là que vit le jeune Julius Port, alias Kid, dans son Trax, une sorte de véhicule utilitaire. À l’instar de deux ou trois autres fouilleurs, il recherche des artéfacts. Un jour, un jeune homme arrive en trombe, surgissant de nulle part. Les fouilleurs, craignant pour leur vie, lui tirent dessus et son véhicule – un vieux trucs d’un autre âge, explose. Alano Teeshnik en sort et est recueilli par Kid qui, en lui amputant la main, lui sauve la vie en quelque sorte. Fuyant les bas quartiers d’une ville frontalière dans laquelle il aurait commis des méfaits, Alano ne reviendra plus jamais chez lui ; il passera sa vie aux côtés de Kid, assumant plus ou moins le rôle de son garde du corps.
Entretemps, après avoir écouté une cassette recueillie lors d’une fouille – une fiction racontant la vie de Jésus, sans doute -, Kid se fait appeler Kid Jésus. Il s’ouvre à Alano d’un projet… mais se laisse prendre au jeu de la révélation et commence répandre la « bonne nouvelle » auprès des fouilleurs, puis aux laissés pour compte des villes frontalières. Cette bonne nouvelle consiste en ce message: si nous adoptons un comportement digne d’un être humain (amour, partage, solidarité), les Migrants reviendront nous chercher pour nous emmener sur la Nouvelle Terre, cette planète lointaine qui rappelle le paradis des Chrétiens… Comme on peut s’en douter, ce message passe mal auprès des autorités et le récit de Pelot, soudain, se complexifie sans qu’on n’en perde le fil, toutefois. Mais je m’arrête ici, histoire de ne pas vous ôter l’intérêt pour la lecture de ce roman qui, malgré quelques points flous – comme l’identité exacte de Dyran O’Quien, ce journaliste qui enquête sur Kid pour écrire sa biographie -, mérite le détour. En effet, je me suis amusé à lire ce roman qui, comme tous les romans de science et fiction qui envisagent le monde après sa chute (écologique, sans doute… car les hommes et les femmes ne peuvent raisonnablement se multiplier sans que cela entraîne des conséquences désastreuses pour leur environnement et leur sécurité alimentaire), a quelque chose de terrifiant… même si Pierre Pelot ne manque pas d’humour et d’imagination : cette allégorie avec Jésus de Nazareth s’avère une heureuse trouvaille.
De Pierre Pelot, je ne connais que peu de choses et je vous encourage à consulter l’article sommaire que lui consacre les auteurs de
Wikipédia. Pour ma part, je me souviens seulement que mon ami Pierre Rivet a lu ses romans western dans sa jeunesse et qu’il en garde un souvenir impérissable. Cela suffit à me le rendre sympathique.
- Pierre Pelot. Kid Jésus. Bragelonne, c1980, 2008, disponible en format numérique sur toutes les plateformes.
Source: Lire l'article complet de Les 7 du Québec