Les olives à pizzas

Allan Erwan Berger — Cela fait des mois et des mois que certain camarade m’enquiquine à vouloir me faire commettre de petits billets à propos de tel ou tel sujet élevé de la gastronomie, chose éminemment française qui aurait donc toute sa place dans une rubrique hebdomadaire placée sous le chapeau des Sept de l’Hexagone, mais voilà, j’ai toujours été sec en matière de commentaire cuisinier. Jusqu’à ce que.

Petite malédiction rapide

Sortant de ma sieste avec encore sur la langue le goût infect de ces petites olives cuites et misérables que des imitations d’hommes parsèment ici et là sur certaines pizzas industrielles avant de congeler le tout en un grand disque froid, plat, insipide et cassant, je n’ai pu m’empêcher de pousser un grand feulement dégoûté qui m’a jeté encore tout échevelé sur mon clavier. Vous autres au Canada n’avez pas de ces soucis-là : d’expérience je sais maintenant que vos pizzas industrielles sont certes constituées d’ingrédients qu’il conviendrait de classer dans la catégorie des légumes à peine regardables, des sauces auxquelles mieux vaut rendre un culte préventif avant que de les ingurgiter, et d’un fromage qui apparemment ne pousse qu’en boulettes de la taille d’un grêlon, et dont on se demande si une vache a véritablement contribué un jour à la fabrication, mais au moins la pâte est-elle épaisse et bonne, et l’ensemble est non seulement somptueux comme une de vos pâtisseries baroques, mais abondant en goût, généreux en matière, et dispensateur d’harmonie, de bien-être et de sérénité conviviale. Ce qui est loin d’être le cas de la pizza industrielle française, croyez-m’en. Donc vous avez tout compris à la pizza, et nous peu.

J’en veux pour preuve les olives.

Les vôtres ? Elles sont noyées dans la masse des choses à manger qu’on trouve sur vos pizzas, tandis que les nôtres – pardon d’être un peu véhément –, elles dépassent, elles font saillie, en goût comme en couleur, infectes petites taupinières carbonisées dominant la morne plaine d’une feuille farinée peinte à la tomate et sillonnée de quelques vergetures fromagées aromatisées d’un jambon fade et que rehausse, aux moments grandioses, un éclat de poivron vert.

Alors que tout de même !

Sur mon marché hebdomadaire de la place des Lices à Rennes, on trouve une bonne douzaine de stands où l’on vend des olives, marinées dans les préparations les plus expressives, les plus poétiquement gourmandes, avec pour conséquence que s’affichent dans leurs saladiers de présentation des prix qui rappellent ceux qu’un traiteur de luxe aime à pratiquer pour ses préparations à base de foie de palmipède engraissé parfumées aux lamelles de champignons rares.

À côté de ces extrémistes du condiment, on trouve, dans les IGA du coin (Lidl, Leader Price, Carrefour market, Super U etc.), de très honnêtes bocaux d’olives vertes ou noires qui ont été attendries dans une saumure sans esprit, mais sans vice. Rien à redire, c’est encore mangeable.

Entre les deux, on peut, par souci de ne pas se ruiner tout en mangeant du bon, aller se défouler le gésier en achetant soit chez un turc, soit chez un grec, des olives de Kalamata et d’autres lieux célèbres, pour un prix raisonnable et une saveur enlevante. Libre à nous de mettre ces petites choses avec ou sans noyau sur une pizza de notre fabrication.

Mais les olives de nos préparations surgelées…

Ô pauvres de nous ! On sent qu’elles ont passé leur vie dans une saumure conçue par les plus incultes des petits démons insipides et rosâtres qui vivent sous le troisième cercle des Enfers, le fameux cercle des gourmands où, du reste, l’on est en train de chauffer ma place. Oui car sous ce cercle terrible et fort peuplé, et lui faisant comme un pôle négatif, se trouve un cercle clandestin voué à la thématique de la sale bouffe : c’est le cercle des incontinents de la cuisine, le cercle des bouchés à l’émeri, qui n’ont aucun sens ni artistique ni culinaire. Il faut avoir été un barbare à peine humain pour y accéder, il faut avoir été un semi-crétin capable de grands ravages culturels et émotionnels, mais de ravages commis médiocrement, sans le savoir, sans faire exprès… commis en respectant les consignes de la direction, ou celles de l’emballage.

Vous y attendent, dans une ambiance d’étuve parfumée aux vapeurs de cervelas industriel, de boudinés démons à la peau de saucisse synthétique, occupés à touiller la saumure dans laquelle ils vont vous plonger, ô vous les amateurs de charcuterie en plastique et de sauce en flacon péteur ! Cette même saumure qui, plus tard, propulsée vers la surface grâce à des ascenseur express, deviendra la sinistre saumure des olives à pizzas surgelées. La recette en est sordide ? le goût aussi, qui rappelle un mélange de glaires nasales pour le côté salé, et de sueur d’aisselle pour l’amertume. Plonger n’importe quel fruit dans ce bouillon terne transforme la chose… en chose, justement, et en plus jamais rien d’autre. Une olive ainsi traitée, puis congelée sur son bloc de peinture à la tomate, puis décongelée dans un four portée à 240°C donne au fruit, ou à ce qu’il en reste, une saveur qui, moi, me ramène immédiatement au temps lointain où je rôdais, désœuvré et sale, en été, au bord de l’Huveaune, un petit ruisseau suburbain qui servait d’égout à ciel ouvert à plusieurs quartiers de Marseille, en France du sud. S’échappaient de ce marigot en ébullition lente des nappes de flatulences chaudes, désolantes pour l’esprit comme pour les plantouilles qui osaient croître en ces lieux, et dont l’odeur pétrolico-intestinale me hante aujourd’hui à chaque pizza industrielle promenée sous mes narines. C’est la même, voyez-vous. Au relent près. Ma maudite petite madeleine à moi.

Je pense sincèrement que les êtres qui ont trouvé génial de gaspiller des millions d’oliviers pour décorer nos pizzas avec ces petites mines antipersonnel à moitié planquées sous un bavouillis de fromage fondu, ces êtres ne sont pas de notre monde. Mais ils le contrôlent ! Ils sont les habitants d’un cercle ancien, et vivent dispersé au milieu des Terriens. Ce sont les marchands de saloperies, et nous sommes plongés dans leur cercle dès l’enfance, sans alternative durable, sans espoir net, sans autre horizon qu’une enceinte de barquettes vides ayant contenu divers produits frelatés dès leur conception, et que visitent les mouches. Décorées d’étoiles vulgaires chantant la gloire de tel ou tel rabais temporaire et putassier, ces collines de barquettes bouchent la vue et l’imagination.

De ce cercle immense, les olives à pizza, avec leur goût de caleçon bouilli, en sont la décoration principale. Le sapin de Noël a ses boules, le cocu a ses cornes, notre monde a ces olives, comme un petit rappel nauséabond de la permanence de la bassesse dans le rôle de valeur suprême du capitalisme.

FIN

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