Not In My Name

Allan Erwan Berger  —  Suite à la mémorable déculottée de toutes les listes « Front De Gauche » aux élections régionales de 2015 en France, les cadres dirigeants du Parti de Gauche, membre du Front de Gauche, n’ont rien trouvé de mieux que d’organiser des fusions techniques avec le Parti Socialiste. Je vous laisse imaginer le bonheur des militants, qui apprennent cette belle nouvelle par voie de communiqué. Ci-dessous, voici ma propre réaction, envoyée aux camarades de mon comité et aux membres de ma coordination départementale.

#NotInMyName

Donc le vote des militants n’aura servi à rien. En Île-de-France, personne ne veut entendre parler de fusion avec le PS au second tour, mais les dirigeants acceptent de fusionner. En Bretagne, les assemblées ont voté à d’écrasantes majorités pour ce principe de non fusion, et la coordination régionale a encore confirmé cette volonté ; que serait devenue cette pauvre volonté si, ici, le FDG avait fait autre chose qu’un score de la taille d’une pastille ? Étant soudain devenus intéressants pour le PS, nous aurait-on forcés à la fusion ?

C’est le soupçon qui grandit. Nous comprenons mieux pourquoi, lors de la dernière réunion du Conseil National du PG, où siègent – souverainement paraît-il – les délégués départementaux, ceux-ci, porteurs des voix et recommandations des comités, se sont vu infliger un traitement manipulatoire indigne d’un parti qui prétend ériger en vertus cardinales démocratie et transparence.

Voici un amendement, présenté par M*** au nom du département 35, qui propose que le PS soit dorénavant catalogué comme parti de droite. Soumis au vote des délégués dans des conditions un peu curieuses dont il conviendrait d’éclaircir les causes, cet amendement n’est accepté que par 40 % des votants. Le PS reste donc un parti de gauche. Mais voici que, par le jeu des « votes en cascades », toutes sortes d’amendements qui lui étaient subordonnés ne sont pas même examinés, et ne sont donc pas soumis au vote.

C’est ici qu’il faut détailler un point de fonctionnement. Face à la pléthore d’amendements qui remontent des comités à chaque fois qu’un texte leur est soumis, il a été institué une « commission des débats » dont le rôle, très utile, est de séparer les amendements recevables de ceux qui ne le sont pas, selon une grille de critères qui comprend la lisibilité, la redite en moins bien, la confusion etc. A priori, aucun critère de bien-pensance ou d’orthodoxie n’est requis pour franchir ce filtre. Mais il est une manœuvre de contournement qui pourrait, à l’occasion et en toute hypothèse, permettre tout de même d’éjecter les amendements dont « on » ne voudrait pas qu’ils risquent d’être votés. C’est la subordination des amendements.

Imaginons un amendement A auquel on subordonne les amendements B, C … Z : si A est voté, alors les B à Z seront examinés et soumis au vote ; mais si A n’est pas voté, alors les B à Z ne seront pas examinés ni soumis au vote. Cela peut être fort pertinent dans le cas où effectivement les B à Z ne prendraient sens qu’à la condition que soit voté leur amendement de tête… Mais lorsque ce n’est pas le cas, que penser du procédé ?

L’amendement de M*** fut placé, par la commission des débats, en tête de tout un wagon d’autres amendements qui lui furent déclarés « subordonnés », c’est-à-dire soumis à une conditionnalité de recevabilité qui leur échappait totalement, et ce malgré toutes leurs vertus supposables, pris individuellement. Dans le paquet, la commission glissa l’amendement portant que le PG ne fusionnerait en aucun cas avec le PS au second tour.

Nul doute que cet amendement aurait fait un tabac, les délégués au CN étant tous très au fait de la haine et du mépris hargneux que le PG suscite parmi les tenants du hollandisme ennemi de la finance. Mais, en subordonnant cette non-fusion avec le PS à la condition qu’il fallait que le PS soit d’abord reconnu comme un parti de droite (ce qui apparemment est sujet à discussions), la commission interdit aux militants de prendre cette mesure qu’un grand nombre trouvait pourtant basiquement hygiénique, tombant sous le sens, et séduisante pour l’électeur enragé que les compromissions d’appareil dégoûtent – et que l’abstention tente.

C’est ainsi que fut sauvée la possibilité, pour le PG, de s’engager dans des processus de fusion avec le PS.

Mais quel cauchemar ! Le PS, c’est tout de même le parti qui pousse le scrupule jusqu’à renier jusqu’aux plus ténues de ses promesses ! C’est le parti de la Tour Triangle, le parti du Lyon-Turin, de Notre-Dame-des-Landes, de Rémi Fraisse grenadé, c’est le parti des perquisitions administratives, le parti où les militants écologistes sont repeints en ennemis de l’État et où les syndicalistes sont regardés comme des criminels ; c’est le parti des écoutes de masse, des lanceurs d’alertes punis. C’est enfin le parti dont la véritable cible n’est pas du tout le terrorisme ou le capitalisme, mais finalement la saine et juste contestation démocratique. Le PS est notre ennemi. Le PG veut aider le PS à survivre ? Maudit soit-il ! Je déchire donc ma carte.

Enfin quoi, Jean-Luc se serait fait assaisonner toutes ces années passées sur les plateaux de télé pour en terminer là, dans ce caniveau ? Sans moi. Pas en mon nom. Je ne donnerai pas un sou pour une formation politique qui ose prétendre me faire voter pour des gredins arrogants et hautains qui nuisent quotidiennement au gens de gauche, à mes parents, à mes enfants. Ils mentent et il faudrait les sauver ? Je déchire donc ma carte.

Un correspondant m’écrit  : « Le prochain CN sera l’occasion de régler les comptes et de faire avancer les mesures nécessaires (certain-e-s parlent déjà de révoquer les deux coordinateurs du PG). Si une telle éventualité se présentait, j’assure d’ores et déjà les camarades que je soutiendrais l’initiative. » J’admire cette combativité, qui me rappelle, en plus productif toutefois, celle de Gérard Filoche, l’homme qui croit que le PS peut encore être de gauche et qui s’accroche à cette idée comme une bernique à son caillou. Je poursuis la lecture : « La direction du PG ne peut pas balayer d’un revers de main ce que les militant-e-s ont décidé collectivement. » Et pourtant si, mon bon ami, puisque c’est le Secrétariat Exécutif National qui décide en dernier ressort ; pouvoir qui lui donne, au mépris de ce qui a été décidé lors du dernier congrès à Villejuif, le statut de gouvernement de facto, et renvoie le Conseil National prétendument souverain à une assemblée sans plus de pouvoirs que le Parlement Européen. Je déchire donc ma carte.

Écosocialiste, démocrate, persuadé que l’ère du peuple est la seule période historique capable de nous sauver, je refuse de cautionner de telles pratiques dont je juge qu’elles souillent le message que nous portons, et renvoient l’aurore de cette ère tant espérée aux calendes grecques, façon Syriza. Militant, risquant aujourd’hui à tout moment de me retrouver la cible d’une violence policière sans bornes judiciaires, je ne vais pas faire le martyr pour des collabos, devant un public d’électeurs indifférents à leur dignité et apeurés par trois musulmans dingues. Je déchire donc ma carte.

Et si quelque esprit taquin voulait ici suggérer que les rats quittent le navire à la première avarie, et que je fais partie du troupeau, je répondrais que ce n’est qu’une question de point de vue, puisque moi j’ai l’impression que, loin de s’enfuir, les rats se sont au contraire rassemblés dans la timonerie, où ils tiennent conseil, et que c’est le Parti socialiste qui a pris les commandes de leur petite bande tandis que nous, les militants, nous souquons.

Nous en payons aujourd’hui le prix : inaudibles, ridicules, battus, écartelés et bleuis de gnons, il faudrait encore que nous servions de marchepied à ceux qui nous ont infestés de l’intérieur ? Je me barre. Recommence ma vie de non-encarté.

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