Hein qu’on dirait une belle Crise, ce gros crocodile? Allez, soyez raisonnables!

Honoré Daumier, La présentation.  

ALAN ERWAN BERGER —  En mathématiques, une proposition est une formule exposée à un jugement portant sur sa véracité. Par conséquent, il est nécessaire que la proposition soit vérifiable. « Le ciel est bleu » est une formule qui peut être vraie par beau temps, et fausse par temps couvert ; ainsi, bien qu’elle ne soit pas vraie tout le temps, c’est tout de même une proposition.

D’autre part, on peut, à partir de propositions jugées vraies, construire d’autres propositions : « quand le soleil brille en son zénith, le ciel autour est rouge » est bâtie sur le modèle « si A vrai, alors B vrai » ; elle est vérifiable, et se trouvera vraie sur certaines planètes, fausse sur d’autres.

Or, voici maintenant quelque chose de bien sournois… Mais, pour en apprécier le côté pernicieux, il convient avant tout de brosser son arrière-plan : d’ordinaire, les musulmans croient que ce qui a été transmis à leur prophète, c’est à la fois le mot et la signification. c’est-à-dire que Muhammad n’aurait été que le récitant d’une texte inspiré de A jusqu’à Z, les mots y compris, Dieu ayant parlé arabe.

Voici toutefois une phrase qui s’attaque hardiment à cette croyance : « Gabriel a apporté les significations […] Muhammad les a comprises et les a exprimées dans la langue des Arabes » Jalal al-Din al-Suyûtî (1445-1505) : al Itqân fi `Ulum al-Quran. Eh bien, mes pauvres amis, ceci n’est pas une proposition. Ce n’en est pas une, puisqu’on ne possède absolument aucun moyen d’étayer quelque jugement que ce soit à son sujet, soit qu’on la croie vraie, soit qu’on la croie fausse. Tout au plus peut-on dire qu’elle semble vraie, attendu qu’elle décrit assez bien le phénomène de l’inspiration.

De même, celui qui dirait au contraire « que Muhammad a tout récité sous la dictée de l’archange, et que rien n’est venu de lui en tant qu’humain » ne pourrait jamais trouver d’arguments probants pour consolider cette affirmation, car comment prouver que Dieu parlait arabe, et qu’il avait un secrétaire qui ne pensait pas ?

Et dans ce cas-là, expliquez-nous donc pourquoi un secrétaire ? Un buisson qui parle ferait tout aussi bien l’affaire, quand on ne veut qu’un dictaphone. Méfions-nous des affirmations qui ne sont pas des propositions, aussi belles soient-elles ; elles sont improuvables, et ne prouvent rien. Cependant, elles fleurissent sur les forums. C’est le bas-de-gamme de la pensée ; on les trouve tout juste au-dessus du borborygme.

Et qu’est-ce qu’une définition, alors ?

C’est une proposition de description, pour laquelle un consensus s’est dégagé. La définition d’un carré, d’un triangle, d’une ellipse sont de vraies définitions. Celles qu’on trouve dans les dictionnaires peuvent parfois être soumises à des préjugés qui en marquent l’époque ; elles sont donc incorrectes. Enfin, celles qu’on trouve dans les livres religieux ne valent pas un pépin de pomme, même si elles peuvent être très belles et emporter l’adhésion, comme celle qui suit, à propos de la révélation.

On sait que le mot vient du latin revelare, retirer le voile. L’occulté devient soudain visible ; ce qui est peu évident est mis en lumière. Voici donc la très belle définition qu’en donne le cheikh Muhammad Abduh dans sa Risâlat al-tawhîd, Cairo 1925 : « C’est la connaissance que l’homme trouve en lui-même, avec la certitude que cette connaissance lui vient de Dieu, soit de façon immédiate, soit par un intermédiaire ». Belle tentative de définition, qui plaira aux uns et fera hurler les autres, ce qui prouve bien qu’elle est loin d’avoir la puissance de la définition de l’eau, ou d’un cercle, ou d’un lapin ; je la trouve là aussi fort voisine de celle de l’inspiration artistique : remplacez « Dieu » par « muses », et oubliez donc cette histoire d’intermédiaire.

Petit exercice :

Un noble personnage, dont la parole est très encensée, a dit récemment une chose étonnante. Il s’agit maintenant de savoir si l’on doit en tenir compte, et de quelle manière. Voici l’objet : selon Jacques Séguéla, la taxation des riches s’apparenterait à du « Racisme financier ». D’après vous, ceci est-il une proposition, ou pensez-vous avoir reçu de frère Jacques une révélation, ou bien, ou bien ou bien ou bien… serait-ce encore autre chose ?

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