Qui se soucie des marins ?

Qui se soucie des marins ?

«Marin est le second métier le plus dangereux au monde. Le premier est pêcheur.» Cette phrase assassine est extraite du documentaire Cargo. La face cachée du fretréalisé en 2016 par le réalisateur français Denis Delestrac. Pourtant, très peu de personnes connaissent la vie de ces hommes et de ces femmes et encore moins leurs besoins physiques et spirituels. C’est pour venir en aide aux marins qu’un petit groupe de laïcs catholiques écossais a créé en 1920 l’Apostolat de la mer. L’organisation est aujourd’hui de plus en plus connue sous le nom de Stella Maris, selon le vocable marial signifiant «étoile de la mer».

«Nous nous assurons du bienêtre des marins dont personne ne se soucie. Personne!» me lance le diacre Paul Racette lors d’une entrevue. Directeur du Foyer des marins de Trois-Rivières, il connait bien leur réalité.

«L’organisation Stella Maris vise à favoriser et à soutenir la vie chrétienne de ces gens et également de combler leurs besoins essentiels partout à travers le monde. Sur les bateaux, ils ont de quoi se nourrir. Généralement! Il arrive des cas d’exception. Nous en voyons quelques fois. Ils ont de quoi se vêtir pour travailler sur le bateau. À part cela, oublie ça! On leur donne le minimum. Le restant? Bah…», souligne Paul Racette.

Le Foyer des marins est tenu à bout de bras par le diacre et une vingtaine de bénévoles. Là, les marins peuvent prendre un bon café, écouter la télévision, jouer au billard, s’acheter des vêtements à prix très modique, des friandises et des souvenirs. Une minifourgonnette est à leur disposition s’ils veulent aller au centre-ville, assister à une messe ou visiter le Sanctuaire Notre-Dame-du-Cap. Par-dessus tout, les marins profitent du wifi pour entrer en contact avec leur famille qu’ils n’ont pas vue depuis des semaines, voire des mois.

Cheap labor

La mission du Foyer consiste également à s’assurer que les marins sont bien traités à bord du cargo. «Quand un bateau arrive – et c’est notre première mission –, nous nous assurons d’y monter pour les rencontrer. Nous allons vers eux pour leur offrir nos services, pour être à leur écoute. Nous allons prendre un café dans leur cuisine. Nous jasons ensemble. Ils nous partagent ce qu’ils vivent», explique Paul Racette, le diacre québécois.

Les marins qui sont à bord proviennent de différents pays (Philippines, Inde, Ukraine, Chine…). La langue commune est l’anglais.

«On ne voit pas d’Américains, de Canadiens, d’Européens, mis à part ceux de l’Europe de l’Est. Les marins naviguent neuf mois en mer, les officiers quatre mois. Les simples marins sont du cheap labor», selon le directeur du Foyer.

Bien qu’une multitude d’organisations, allant des syndicats jusqu’aux grandes organisations, comme le Bureau international du travail, veille sur les droits des marins, il est très facile pour les armateurs de ne pas les respecter une fois dans les eaux internationales.

Pour aider les Foyers de marins, Jean-Paul II a publié, en 1997, une lettre apostolique elle aussi intitulée Stella Maris sur l’apostolat maritime, dans laquelle il émet des directives concernant la mise sur pied d’une structure nationale avec à sa tête un évêque-promoteur. Au Canada, c’est l’évêque auxiliaire de Montréal, Mgr Thomas Dowd, qui occupe cette fonction depuis 2014.

«J’ai été surpris par ma nomination», avoue-t-il. En effet, le monde maritime et la pastorale conçue pour les marins n’étaient pas familiers à Mgr Thomas Dowd, comme à la plupart des catholiques, d’ailleurs.

Crime organisé

Aujourd’hui, l’évêque est un fervent promoteur de la cause des marins et des travailleurs dans les ports. Avec d’autres évêques, il a créé un comité d’étude afin de mieux répondre aux multiples besoins de ces travailleurs de la mer. Il aimerait, entre autres, s’inspirer des meilleures pratiques dans le domaine en Europe et plus particulièrement en Angleterre.

«Dans certains pays, la coordination entre le gouvernement, les Églises et les syndicats est mieux structurée. Il est plus facile alors de faire des actions militantes au profit des marins», explique l’évêque.

En écoutant Mgr Dowd, on comprend aisément pourquoi, en certaines circonstances, les marins ont besoin d’une telle coalition internationale. «Sur les bateaux usines qui pêchent et transforment le poisson, il y a des cas d’esclavagisme. Des gens sont achetés et vendus, puis transférés d’un bateau à l’autre. Ils ne sont pas payés, ou très peu. Dans l’industrie de la pêche, il existe beaucoup d’organisations criminelles. Certains ports dans le monde sont contrôlés par le crime organisé.»


Cet texte a été publié dans le numéro spécial EXIL sous le titre « La pastorale maritime ». Pour en voir la version papier, cliquez ici.

https://le-verbe.com/communiques/les-routes-de-lexil-numero-special-automne-2020/

Il arrive également que les marins ne reçoivent pas leur paye. «On découvre par exemple que le propriétaire du bateau ne respecte pas le contrat d’emploi. Ils sont au milieu de l’océan… Le pape François parle des périphéries. Je peux vous dire que le milieu de l’océan Pacifique, c’est pas mal périphérique, merci!» lance Mgr Dowd.

L’Église catholique n’est pas la seule à soutenir les marins et les pêcheurs. D’autres mouvements œcuméniques font de même. Il y a notamment la North American Maritime Ministry Association, créée en 1932. L’Église catholique y a ses représentants. Jason Zuidema, pasteur de l’Église chrétienne réformée, en est l’actuel directeur général.

Pour Jason, l’importance des Foyers des marins réside surtout dans le fait que les bénévoles et les employés se donnent pour eux. «La présence d’un aumônier, d’un laïc est importante. C’est le lien social qui est le plus important dans le ministère auprès des marins. La présence d’une personne qui monte à bord du bateau et qui dit aux marins: “Le monde vous oublie, mais moi, je ne vous oublie pas. Je suis là. Je veux vous aider. Dites-moi ce que vous voulez et je vais le faire” revêt une importance capitale.»

Jason Zuidema, qui a connu la pastorale maritime en travaillant au Foyer des marins de Montréal alors qu’il était étudiant à l’université, croit que l’abandon des marins est voulu ainsi par les armateurs, qui pèsent très lourd sur l’économie mondiale. «Ils veulent rester cachés.»

Il montre également du doigt le fait que la population en générale ne porte pas attention à ces étrangers qui pourtant sont responsables de la distribution de plus de 75 % de leurs biens de consommation.

«Ce ne sont pas des paroissiens, ni nos amis, ni des membres de nos familles. Ce ne sont pas des personnes de mon quartier. Ce sont des personnes qui viennent d’ailleurs. On aime que cela soit caché. C’est plus facile, car nous pouvons nous procurer des biens à moindre prix.»

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À l’évidence, grâce au diacre Paul Racette, à Mgr Thomas Dowd et au pasteur Jason Zuidema, les marins sont moins seuls. Lorsque je leur demande ce qui les motive dans leur ministère, tous me citent le discours de Jésus: «J’étais étranger et vous m’avez accueilli…»

Si le Christ avait été parmi ces marins et ces pêcheurs, il aurait assurément ajouté: «J’étais un marin seul sur l’océan et vous m’avez visité…»


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