Gauchisme et Islam politique : le grand aveuglement

Gauchisme et Islam politique : le grand aveuglement

Depuis environ une décennie, de nombreuses organisations marxisantes ont opéré une grande réorientation stratégique en direction des populations immigrés et d’origine immigrée, s’appuyant sur un discours antiraciste et anti-autoritaire et investissant massivement le terrain propalestinien ; tout cela le plus souvent au nom de la lutte contre l’impérialisme. Je préfére préciser ici que je n’entends pas utiliser ce terme « islamo-gauchisme » comme une manœuvre de terrorisme intellectuel de bas étage (cadre dans lequel on l’entend le plus souvent), il ne s’agit pas d’une invective, simplement d’une critique qui, je l’espére, est un minimum constructive.

Les bases et l’ambition de cette stratégie

Commençons par un petit rappel des faits contemporains car il y aurait beaucoup à dire sur l’histoire du rapprochement entre Islam et marxisme. Dans tout les cas, de « l’armée verte » turque des années 20 au programme particulièrement tiers-mondiste du SWP britannique des années 70, ces rapports ont toujours existé et suscité des débats.

Plus récemment en France, on a vu une candidate du NPA en Provence en 2010 portant le voile islamique et ce dernier parti s’associer à de nombreuses initiatives condamnant le « racisme anti-musulman », y compris en compagnie d’organisations ouvertement communautaristes comme le Parti des Indigénes de la République1. D’autres organisations, plus confidentielles, comme l’OCML-VP, se sont quasi-uniquement dédiées à la lutte contre l’oppression des immigrés ou des jeunes d’origine immigrée. L’idée est aussi que finalement, la montée de l’Islam politique, radical ou non, n’est que le symptôme du mécontentement économique et social de la population et d’un rejet de l’impérialisme.

Il faut bien reconnaître que le pari semble alléchant, car c’est une frange importante de la population qui est visée. De plus, cette population est relativement vierge d’attache politique et théoriquement opposée au pouvoir oligarchique. Un certain nombre d’engagements sont aussi mutuels : la condamnation de l’impérialisme occidental au Moyen-Orient et la lutte contre le sionisme en particulier.

S’appuyer sur la culture des cités : rap et Islam

Cette stratégie s’appuie en partie sur une démarche métapolitique : un des moyens très souvent utilisé par ces organisations pour pénétrer le milieu “banlieusard” est culturel, plus précisement musical et religieux.

Musical avec le rap : en effet, le « rap conscient » est très clairement lié à l’extréme-gauche, il constitue un pont entre deux univers et a d’ailleurs rencontré un certain succés avec des figures comme Kenny Arcana ou La Rumeur. Malgré l’intérêt de cette démarche, qui renouvelle l’approche politique d’un certain nombre d’organisations, les résultats pratiques sont faibles : le recrutement dans ce milieu reste trés symbolique et peine à dépasser la sympathie de quelques compagnons de route.

Religieux avec l’Islam bien évidemment : voilà pourquoi de nombreux militants, par ailleurs massivement agnostiques ou athées, font de cette religion la religion des opprimés, des nouveaux prolétaires2 (ce qui est absurde, mais j’y reviendrai), n’hésitant pas à faire leur le combat contre « l’islamophobie » et à taire leurs critiques de l’intégrisme. Cette analyse repose en partie sur l’étude des mouvements islamiques de masse dans les pays musulmans : ceux-ci ont en effet souvent une base sociale trés proche de celle des anciens mouvements communistes des pays en question, avec une majorité de travailleurs pauvres et de chômeurs portant des revendications économiques récupérées par l’intégrisme plébéien. L’idée rappelle celle du front commun des communistes dans les années 30 : l’unité d’action à la base contre un péril plus grand. Malheureusement, cette tentative d’ouverture aux populations musulmanes tombe dans de nombreux écueils, dus à des erreurs d’analyse.

Un raisonnement gauchiste s’éloignant du marxisme

Une conception erronée de l’impérialisme

Si aujourd’hui l’impérialisme existe toujours, sa nature a évolué depuis la fin du XXéme siécle et ne correspond plus tout à fait à la définition léniniste originelle; or c’est justement ce qu’une importante partie de l’extrême-gauche se refuse à voir. Nous sommes rentrés dans l’âge du capitalisme total, qui ne lutte plus principalement pour s’imposer par la force des baïonnettes à des territoires vierges, mais cherche à s’étendre aux rares secteurs qui lui échappent encore, quel que soit le pays et le continent. L’impérialisme n’est plus le fait de bourgeoisies nationales mais d’une classe trans-nationale qui s’appuie éventuellement sur quelques forteresses intouchables comme les Etats-Unis ou la Grande-Bretagne pour son travail de répression. Impérialisme décentralisé qui a ses dominants et ses dominés en France même, s’appuyant sur quelques métropoles ultra insérées dans la mondialisation, y compris dans leurs banlieues, face à des périphéries semi-rurales, des campagnes et des petites villes de province en voie de prolétarisation rapide3. Malgré cela, le discours dominant de la gauche dite radicale reste de refuser de considérer que l’on puisse être victime de l’impérialisme en France même et d’oublier que la majorité des “quartiers populaires” dont elle parle si souvent se trouvent hors des grandes métropoles, dans des territoires majoritairement peuplés de “petits blancs”.

Le lumpenprolétariat n’est pas un allié mais un ennemi

De plus, ces organisations se trompent d’alliés en pensant s’appuyer sur un nouveau prolétariat là où elles ne trouvent le plus souvent, dans les pays européens, qu’un lumpen-prolétariat atomisé. Ses membres, réduits à cette condition par les capitalistes, n’en sont pas moins leurs meilleurs alliés en période révolutionnaire : pour un profit facile, il n’hésiteront pas à se retourner contre les organisations qui les courtisent, comme de nombreux exemples historiques l’ont déjà prouvé.

Ils peuvent être également d’une autre utilité aux capitalistes : les derniers développements de l’actualité en sont une illustration : le djihadisme de l’E.I. est un avatar presque parfait du nihilisme mafieux animant la jeunesse hors-classe, passant avec facilité du trafic de drogue au takfirisme, deux faces d’une même pièce. Ce faisant, ils offrent un épouvantail commode à la bourgeoisie dont ils sont les idiots utiles (voire conscients et volontaires comme le sont probablement les chefs de ces organisations, quémandant l’argent du capital saoudien ou qatari). Si le parti bolchevik a pu être considéré comme le parti révolutionnaire du prolétariat russe, Daech est le parti révolutionnaire du lumpen-prolétariat occidental.

Une telle débauche d’énergie et de propagande en vaut-il la peine pour le maigre fruit récolté ? Ainsi les partis qui se tournent vers cet objectif de séduction sont conduits à diluer leur critique de la religion en tant qu’opium du peuple et à faire leur un certain nombre de revendications communautaristes voire cléricales alors que leurs cibles ne se rapprochent que rarement du marxisme (les marxistes étant souvent d’ailleurs leurs premières victimes). En ce sens, ils agissent eux aussi comme des idiots utiles.

Le résultat : abandon du prolétariat autochtone

Cette démarche entraîne aussi, ce qui est plus grave, la méfiance du prolétariat « autochtone », qui se sent abandonné, d’autant plus déclassé qu’il ne constitue même plus le cœur de cible des organisations censées le défendre. Celles-ci sont amenées à prendre position dans le débat sur l’immigration dans un sens favorable, pour complaire à leurs soi-disant alliés, là où elles devraient plutôt chercher à montrer que l’immigration massive est une conséquence du capitalisme, néfaste car instrument bien compris de division des travailleurs et de dumping social (il faudrait que nos gauchistes s’interrogent sur le soutien massif à l’immigration de la haute-bourgeoisie, notamment aux États-Unis). Le problème de ces courants est également de penser que refuser cette immigration est forcément une attitude xénophobe voire raciste, alors que les immigrés en sont eux-même les premières victimes : poussés par les ravages du capitalisme mondial, combien d’entre eux quittent de bon coeur leur pays et leur culture ?

De plus il y a un choix trés contestable dans le fait d’accepter un éventuel front commun avec l’Islam politique et le communautarisme arabe au nom de la lutte contre l’impérialisme mais de refuser cette même unité d’action avec des organisations populaires nationalistes ou patriotes : on accepte alors de discuter avec des personnes fortement opposées à certains principes phares de ces partis (égalité homme-femme, défens des homosexuels, laïcité etc…) mais on refuse de le faire avec d’autres au moindre soupçon de xénophobie, quand bien même ils partageraient l’objectif principal de renversement révolutionnaire du capitalisme ; voilà qui n’a pas de sens !

Pierre Lucius

1Ainsi sa porte-parole Houria Bouteldja qui prend réguliérement pour cible “la bonne pensée blanche”

2C’est la position du Socialist Worker’s Party britannique notamment

3Voir à ce sujet : “La France périphérique, comment on a sacrifié les classes populaires” du géographe C.GUILLUY

Source: Lire l'article complet de Rébellion

À propos de l'auteur Rébellion

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