par Leslie Varenne.
De Côte d’Ivoire comme de Guinée Conakry parviennent des images insoutenables. Ces images-là, personne n’aurait dû les revoir, les scénarii avaient été écrits, les alertes données, mais il est trop tard, le feu a pris.
Un enfant qui meurt, c’est toujours l’enfant de quelqu’un, c’est toujours de la peine et des pleurs et personne ne devrait s’habituer à voir des images de jeunes adultes, d’adolescents machettés en sang ou tombés sous les balles. Mais la colère devient rage lorsque l’horreur a été anticipée et que les bras des dirigeants comme ceux des institutions régionales ou internationales sont restés croisés. Ils ânonnent toujours les quelques mots à leur disposition dans leur langage diplomatique aseptisé « élection, transparence, inclusivité, dialogue, démocratie » ; en lieu et place de dire tout simplement et très clairement « respect des Chartes, des constitutions et du droit international : pas de troisième mandat » car un enfant qui meurt…
No pasaran
Il ne fallait pas être grand clerc ou prophète pour savoir que « l’affaire des troisièmes mandats » ne passerait pas et allait embraser l’Afrique de l’Ouest. Les diplomates qui ont, dit-on, quelques lettres, auraient dû méditer cette phrase du général De Gaulle prononcée à Alger en 1943 : « S’il existe encore des bastilles, qu’elles s’apprêtent de bon gré à ouvrir leurs portes. Car, quand la lutte s’engage entre le peuple et la Bastille, c’est toujours la Bastille qui finit par avoir tort. » Les « Bastilles » d’Abidjan et de Conakry sont en train d’être prises, mais à quel prix ?
Le bruit des balles
À Conakry, depuis que l’opposant Cellou Dalein Diallo a annoncé sa victoire le 19 octobre, son domicile est encerclé par les forces de l’ordre et le bruit des balles résonne sans discontinuer dans la ville. Selon des contacts dans ce pays, la maison d’un général aurait été attaquée, des véhicules sont en flammes ici et là dans la capitale, il y aurait eu déjà plus de quinze morts et des dizaines de blessés. Pourtant, les jeunes continuent à « prendre la rue » en criant le nom de leur vainqueur.
La vue du sang
À Abidjan et dans certaines villes de l’intérieur comme Dabou, Bonoua, Bongouanou, des heurts ont eu lieu avec aussi des morts et des blessés. S’il faut rester très prudents quant aux images reçues tant il peut y avoir de manipulations, il ne fait cependant aucun doute que des violences se propagent un peu partout dans le pays, mettant le plus souvent en cause les « microbes », ces jeunes armés de machettes utilisés pour agresser les manifestants. Néanmoins, malgré les risques, la désobéissance civile s’étend.
À qui la faute ?
Cellou Dalein Diallo, en se déclarant vainqueur avant que la Commission nationale électorale indépendante (CENI) ne prononce les résultats officiels, est-il responsable des violences ? Aurait-il dû, comme en 2010 et 2015, attendre que ladite commission annonce la victoire d’Alpha Condé au second tour ou au premier et que toutes les institutions et chancelleries le reconnaissent Président malgré les fraudes ? C’est méconnaître l’ampleur de la colère populaire car, dans ce cas, ses soutiens se seraient choisi un autre leader assurément moins pacifiste.
Les Ivoiriens en lutte contre le troisième mandat sont-ils eux aussi coupables des horreurs en cours en appelant au boycott de l’élection et à la désobéissance civile ? À dix jours de l’élection, alors que le pays s’enflamme, que la violence est déjà installée, lors d’une nouvelle mission le 20 octobre, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest, la Cedeao, a exhorté « les candidats à se concentrer sur des points réalistes devant aider au dénouement des différends en vue d’une participation inclusive, transparente, crédible et non violente à l’élection présidentielle ».
Alors que la maison brûle, l’organisation sous-régionale ne sort même pas les lances à eau et répète à l’envi : « inclusive, transparente, crédible »… Quels sont les points réalistes devant aider au dénouement des contestations que propose la Cedeao ? Que les Ivoiriens croisent les bras et se rendent sagement aux urnes lors d’une élection dont ils réfutent toutes les modalités.
La petite musique qui monte…
Dans ce même communiqué, la Cedeao appelle à faire preuve de tolérance et à éviter les discours haineux. Dans de nombreux journaux, les violences sont décrites comme ethniques ou rapportées comme des affrontements communautaires. Par conséquent, il ne serait pas surprenant qu’en Guinée, la question peule commence à faire débat. Or, si sporadiquement, il peut y avoir des tensions ici et là, elles apparaissent presque toujours en période électorale. D’une part parce qu’elles sont instrumentalisées par les pouvoirs en place. D’autre part, en Guinée Conakry comme en Côte d’Ivoire, aucune ethnie n’est majoritaire et même, à considérer que le vote pourrait être essentiellement communautaire, pour gagner, il faut nécessairement avoir des ralliements ou des alliances.
Ramener ces violences aux questions ethniques revient à occulter la dimension politique, la démocratie, les troisièmes mandats, les impossibles alternances pacifiques, la longévité des Présidents en place… Une manière facile de se défausser de leurs responsabilités pour tous ceux n’ont rien fait ou laissé faire, ainsi que tous ceux qui se sont compromis, y compris par leurs écrits.
source : https://www.iveris.eu
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