Note du traducteur : Je suis récemment tombé sur ce texte de John Gowdy, initialement publié en anglais à cette adresse, début 2020, et bien que ne partageant pas l’entièreté de son propos (qui s’adresse aux dirigeants, étatiques et entrepreneuriaux, qui semble bien naïf sur de nombreux points et problématique sur d’autres), il m’a semblé intéressant de le traduire pour certains éléments qu’il met en lumière, certaines questions qu’il permet de se poser. (Gowdy est professeur d’économie et d’études scientifiques et technologiques à l’institut polytechnique Rensselaer, une institution de recherche et une université américaine, spécialisée dans les domaines de la science et de la technologie et située à Troy, dans l’État de New York.)
Points clés
- La stabilité du climat de l’holocène a rendu possible l’agriculture et la civilisation. Auparavant, l’instabilité du climat du pléistocène ne le permettait pas.
- Les sociétés agricoles se sont caractérisées par des surexploitations et des effondrements. Le changement climatique a souvent participé à précipiter leur chute.
- Les estimations de type « business-as-usual » stipulent que le climat se réchauffera de 3 à 4 °C d’ici 2100 et de 8 à 10°C par la suite.
- Les futurs changements climatiques ramèneront la Terre dans ces conditions climatiques instables, du genre de celles du Pléistocène, et l’agriculture redeviendra impossible.
- De nouveau, les sociétés humaines se tourneront vers la chasse et la cueillette.
Résumé
Pendant la majeure partie de l’histoire de l’humanité, soit environ 300 000 ans, nous avons vécu en chasseurs-cueilleurs au sein de communautés durables et égalitaires [cliché discutable, NdT] de quelques dizaines de personnes. La vie humaine sur Terre, et notre place dans les systèmes biophysiques de la planète, ont changé de façon spectaculaire avec l’Holocène, l’époque géologique ayant débuté il y a environ 12 000 ans : Une combinaison sans précédent de stabilité climatique et de températures chaudes a rendu possible une plus grande dépendance aux céréales sauvages dans plusieurs régions du monde.
Au cours des milliers d’années suivantes, cette dépendance a précipité le passage à l’agriculture et l’avènement de vastes sociétés étatiques. Ces sociétés présentent un schéma développemental commun d’expansion et d’effondrement. La civilisation industrielle a commencé à se constituer il y a quelques centaines d’années, avec le recours aux combustibles fossiles, qui ont permis à l’économie humaine de croître aussi bien géographiquement qu’en termes de complexité sociale. Ce changement a été synonyme de nombreux bénéfices —[évidemment, cela dépend pour qui : pour les autres espèces vivantes ? Non. Pour l’ethnosphère, les nombreuses cultures et sociétés autochtones du monde ? Non, plus. Celles-ci ont été anéanties encore plus rapidement par la civilisation industrielle. Pour les humains exploités, asservis au Léviathan ? Non plus. Pour une minorité d’êtres humains, seulement, NdT]—, mais il a aussi généré la présente crise existentielle du changement climatique mondial. Les modèles climatiques indiquent que la Terre pourrait se réchauffer de 3 à 4 °C d’ici à 2100 et même de 8 °C ou plus à terme. Cela ramènerait la planète aux conditions climatiques instables du Pléistocène, lorsque l’agriculture était impossible. Des politiques pourraient être adoptées visant à rendre l’écroulement de la civilisation industrielle moins dévastateur et à améliorer les perspectives des chasseurs-cueilleurs du futur. Il s’agit notamment de politiques agressives visant à atténuer le changement climatique, à réduire la population, à ré-ensauvager la planète, et à protéger les dernières cultures indigènes du monde.
1. Introduction
Les humains anatomiquement modernes, Homo sapiens, habitent la terre depuis plus de 300 000 ans (Stringer & Galway-Witham, 2017). Pendant au moins 97 % de cette période, nos ancêtres chasseurs-cueilleurs ont vécu comme de nombreux autres grands prédateurs, en petits groupes intégrés dans divers écosystèmes spécifiques (Diamond, 1987 ; Gowdy, 1998 ; Ponting, 2007). Les populations humaines augmentaient et diminuaient en fonction des changements climatiques et des ressources alimentaires provenant directement du monde naturel — des centaines de plantes et d’animaux dont elles dépendaient. La vie humaine sur Terre, et notre place dans cette toile de la vie, ont radicalement changé au cours de l’Holocène, l’époque géologique qui a commencé il y a environ 12 000 ans : Une combinaison sans précédent de stabilité climatique et de températures chaudes a rendu possible une plus grande dépendance aux céréales sauvages dans plusieurs régions du monde.
Au cours des milliers d’années suivantes, cette dépendance a précipité le passage à l’agriculture et l’avènement de sociétés étatiques à grande échelle (Gowdy & Krall, 2014). Quelques milliers d’années après les débuts de l’agriculture sédentaire, celle-ci s’était largement répandue et dominait le Moyen-Orient, l’Asie du Sud, la Chine et la Méso-Amérique. Au cours de cette période relativement courte, l’agriculture a fait exploser la démographie de la population humaine mondiale, laquelle est passée de 4 à 6 millions à plus de 200 millions au début de l’ère commune (CE), il y a 2000 ans (Biraben, 2003). L’adoption de l’agriculture a fait empirer la situation de l’humain moyen pour des millénaires. Sa santé physique a décliné de façon spectaculaire. En outre, la plupart des humains naissaient désormais dans des systèmes de castes rigides, où ils vivaient, d’une manière ou d’une autre, comme des esclaves.
Selon Larsen (2006 p. 12) : « Bien que l’agriculture ait fourni la base économique permettant l’avènement des États et le développement des civilisations, les changements en termes de régime alimentaire et d’obtention de la nourriture ont provoqué une chute de la qualité de vie de la plupart des populations humaines au cours des 10 000 dernières années. » Avec l’adoption de l’agriculture, les humains sont devenus plus petits et moins robustes, et ont souffert de maladies plus débilitantes (de la lèpre à l’arthrite en passant par la carie dentaire), que leurs homologues chasseurs-cueilleurs (Cohen & Crane-Kramer, 2007).
Ce n’est qu’au cours des 150 dernières années environ, que la longévité, la santé et le bien-être —[ça par contre, c’est tout à fait gratuit, comme si on connaissait, comme si on pouvait connaitre le bien-être des humains du Pléistocène, NdT]—, de la personne moyenne ont de nouveau atteint ceux du Pléistocène supérieur. En 1900, la durée de vie humaine moyenne était d’environ 30 ans, celle des chasseurs-cueilleurs du Pléistocène supérieur, elle, était d’environ 33 ans[1]. Étant donné les désastreuses conséquences économiques qui découleront du changement climatique et de l’anéantissement biologique, il est peu probable que ces améliorations puissent être maintenues. Il faut faire attention à ne pas considérer les réalisations du passé très récent comme représentatives des conséquences de la révolution agricole sur la santé et le bien-être.
L’agriculture et la civilisation ont été rendues possibles par le climat exceptionnellement chaud et stable de l’Holocène. Avant cela, les variations de température et de précipitations d’une année sur l’autre rendaient l’agriculture trop incertaine pour les communautés sédentaires relativement populeuses. Le climat de la Terre a été exceptionnellement stable pendant environ 10 000 ans. Mais, en même temps, en augmentant la concentration atmosphérique du CO2, nous avons précipité une nouvelle période d’instabilité climatique qui, selon les scientifiques, sera comparable aux conditions du Pléistocène.
Durant cette époque, les changements climatiques, le passage de périodes chaudes à des périodes glaciaires, ont été déclenchés par des variations des niveaux de CO2 atmosphérique d’environ 50 ppm autour d’une moyenne de 250 ppm. Les températures variaient dans un intervalle d’environ 4 °C par rapport à la moyenne. Au cours des 70 dernières années seulement, l’activité humaine a augmenté la concentration en CO2 de plus de 100 ppm, la faisant atteindre plus de 400 ppm, et la température moyenne de la Terre s’est réchauffée de 1 °C. À moins que des mesures draconiennes ne soient prises pour stopper les émissions de CO2, la température mondiale augmentera probablement d’au moins 3 °C par rapport à aujourd’hui d’ici l’an 2100 et pourrait même augmenter de 8 °C ou plus (engendrant ce qu’on appelle un méga effet de serre).
Compte tenu de l’importance de la population humaine, des effets probables du changement climatique sur la stabilité économique et sociale et de la fragilité du système agricole industriel mondial, il est peu probable que la civilisation humaine puisse survivre à ce méga effet de serre à venir. La perspective d’un effondrement de la civilisation fait désormais partie du discours scientifique et populaire (BBC, 2019 ; Diamond, 2019 ; Spratt & Dunlop, 2019). Dans la discussion suivante, les deux ou trois prochains siècles sont utilisés comme point de référence général des ultimes changements climatiques causés par l’homme. Cette vision à long terme permet d’éviter le marasme de l’opposition entre un « effondrement immédiat »et un effondrement de type « pic et déclin » (2012, Randers, 2008), et nous rapproche également du pic ultime probable des niveaux de température et de CO2 dans le cadre de la continuation du statu quo.
2. La stabilité du climat et l’origine de l’agriculture
Des preuves suggèrent que la stabilité climatique unique de l’Holocène a rendu l’agriculture possible, tandis que l’instabilité climatique des époques précédentes ne la permettait pas (Richerson, Boyd, &Bettinger, 2001 : Feynman &Ruzmaikin, 2018).
La figure 1 montre la température et la stabilité uniques de l’Holocène par rapport aux 45 000 années précédentes du Pléistocène. L’échelle verticale montre la température de surface de la glace du Groenland, et l’échelle horizontale correspond aux années.
Fig. 1. Évolution de la température au cours des 45 000 dernières années, d’après des carottes de glace du Groenland.
Source : History of Earth’s Climate 7.-Cenozoic IV-Holocene http://www.dandebat.dk/eng-klima7.htm. The vertical scale shows the temperature of Greenland ice surface (Co) in the Holocene compared to the previous Weichsel ice age (115,000–11,700 years ago).
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Au cours du Pléistocène, on retrouve plusieurs périodes lors desquelles le climat de la terre était aussi chaud qu’aujourd’hui, mais dont la durée est assez brève en comparaison de l’Holocène. Durant les 2,5 millions d’années du Pléistocène, une instabilité climatique dominait. La température moyenne du globe y variait parfois de 8 °C sur une période aussi courte que deux siècles (Bowles & Choi, 2012).
Les fluctuations climatiques imprévisibles d’une année sur l’autre avant l’Holocène, rendaient impossible toute tentative de développement agricole à grande échelle. La culture natoufienne, par exemple, a commencé à se tourner vers l’agriculture lorsque la température de la Terre a augmenté et s’est stabilisée, juste avant l’Holocène, mais a finalement renoncé à cause du refroidissement brutal du Dryas récent, qui a débuté il y a environ 13 000 ans (Munro, 2004).
Un autre facteur inhibant l’agriculture : la productivité des plantes à la fin du Pléistocène était faible en raison de la diminution des niveaux de CO2, qui atteignaient environ 200 ppm, contre 250 ppm au début de l’Holocène. Des preuves suggèrent que la quantité totale de carbone organique stockée dans les terres à la fin du Pléistocène était de 33 à 60 % inférieure à celle de l’Holocène (Beerling, 1999 ; Bettinger, Richerson & Boyd, 2009).
L’agriculture est née de la convergence d’un certain nombre de phénomènes apparemment sans rapport entre eux, entraînant l’évolution d’un système économique complexe et expansionniste. Parmi ces phénomènes, on peut citer la stabilité climatique sans précédent de l’Holocène, l’évolution de la socialité humaine et notre capacité à coopérer avec d’autres qui n’ont aucun lien entre eux. Une fois que l’agriculture a commencé à s’implanter, la sélection naturelle opérant sur des populations diverses et poussée par les exigences économiques de la production alimentaire excédentaire, a favorisé les groupes qui pouvaient le mieux profiter des économies d’échelle dans la production, de la taille plus importante des groupes et d’une division complexe du travail. La société humaine s’est transformée en une machine économique unifiée, interdépendante et très complexe (Gowdy & Krall, 2013, 2014, 2016).
3. Vulnérabilité face au changement climatique après la révolution agricole
Les données archéologiques et historiques concernant les premières sociétés étatiques agricoles témoignent d’un modèle commun d’expansion rapide, suivie d’un effondrement et d’une chute de la complexité (BBC, 2019 ; Diamond, 2005 ; Ponting, 2007 ; Tainter, 1988).
En guise d’exemples, on peut citer l’empire akkadien, l’Égypte de l’Ancien Empire, les Mayas classiques et les Harappans de la vallée de l’Indus. Ces civilisations se sont désintégrées en raison de divers facteurs et notamment :
- le déclin de la fertilité des sols,
- l’érosion des sols due à la dépendance à l’égard de plantes annuelles,
- la salinisation des sols,
- une mauvaise gestion de l’eau et une incapacité à résister à des sécheresses prolongées.
Le changement climatique est de plus en plus considéré comme un facteur majeur des effondrements passées des civilisations (Diamond, 2005 ; Weiss & Bradley, 2001). Les États agraires ont également souffert de déséquilibres dus aux effets déstabilisateurs des inégalités fondées sur les castes (contrôle héréditaire des excédents économiques) et de la surexploitation du monde naturel (Scheidel, 2017 ; Scott, 2017).
Après l’avènement initial de l’agriculture, on observe une période de plusieurs milliers d’années où l’humanité se compose de petites communautés sédentaires — des sociétés « sans État » qui pratiquaient une combinaison d’agriculture et de cueillette. Scott (2017) soutient qu’au Proche-Orient, le long du fleuve Indus, de la côte chinoise et de la vallée du Mexique, ces premières sociétés agricoles étaient situées dans des zones humides riveraines de plaines alluviales inondables, ce qui rendait l’agriculture relativement facile et aisément complétée d’une variété de poissons, de plantes aquatiques et d’animaux. Ces sociétés de zones humides étaient « écologiquement résistantes à la centralisation et au contrôle par le haut ». Plusieurs facteurs ont été responsables de leur disparition ainsi que de la phase ultérieure de croissance démographique rapide et d’émergence d’États centralisés, notamment l’agriculture céréalière et la guerre en tant que politique économique de l’État, mais le changement climatique a été un facteur clé.
Le lien entre agriculture, déstabilisation du climat et effondrement civilisationnel est bien établi (Weiss, 2017).
- L’effondrement de l’empire akkadien fut déclenché par une grave sécheresse qui a duré des siècles (Kerr, 1998 ; Weiss et al., 1993).
- Plusieurs civilisations, en Chine, se sont désintégrées en raison d’inondations extraordinaires s’inscrivant dans un bouleversement climatique, il y a environ 4200 ans (Huang, Pang, Zha, Su, & Jia, 2011).
- L’effondrement de la civilisation maya a été attribué à une grave sécheresse (Haug et al., 2001).
- L’effondrement de la civilisation de la vallée de l’Indus a été provoqué par une sécheresse prolongée.
Au Moyen-Orient, la période d’il y a 5 500 à 4 500 ans était marquée par une aridité croissante et une forte baisse du niveau de la mer et du débit de l’eau dans l’Euphrate (Nissen, 1988). Les marais environnants se sont rétrécis, fournissant moins de moyens de subsistance à la population. L’augmentation de la salinité du sol a réduit la quantité de terres arables. La rareté croissante des alternatives à l’agriculture a augmenté la dépendance aux céréales.
Les conséquences négatives du rétrécissement de cette base de subsistance ont favorisé la concentration des populations et du pouvoir politique et économique. Scott (2017 p. 121) écrit :
« Le climat sec s’est révélé auxiliaire incontournable de l’État en mettant en quelque sorte à sa disposition un certain niveau de densité démographique et de concentration des cultures céréalières dans un espace étatique embryonnaire dont la constitution aurait été, à l’époque, impossible autrement. »
Le changement climatique pourrait également avoir joué un rôle important dans la transition vers des sociétés étatiques dans la vallée du Nil : Le débit du Nil a considérablement diminué il y a environ 5300 ans, entraînant une concentration accrue des populations et un contrôle plus centralisé en vue de gérer des ressources de plus en plus rares. L’aridité croissante a concentré la population dans de plus grandes agglomérations et a nécessité l’intensification de la production agricole pour compenser la diminution des ressources que fournissaient les zones (de moins en moins) humides. Avec la concentration des populations, une plus grande dépendance au stockage des céréales et sans la protection des marais, les villes sont devenues la cible de pillages : Le pillage et la guerre sont devenus un autre mode de subsistance tout autour du globe (Turchin, Currie, Turner, & Gavrilets, 2013).
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Après l’agriculture, un deuxième changement radical s’est produit dans l’organisation économique et politique des sociétés humaines, lorsque l’utilisation massive d’énergies fossiles a stimulé la révolution industrielle.
La vie économique est passée d’une vie essentiellement agricole à une vie dominée par la production, le commerce et la finance (Hall & Klitgaard, 2011). L’énergie que fournissent les combustibles fossiles est flexible, stockable et transportable, et a transformé tous les aspects de la société humaine, de la capacité d’un individu à travailler, à la taille de la population mondiale. Les combustibles fossiles ont également transformé le climat et nous ont asservis à des systèmes agricoles, industriels et financiers toujours plus complexes et fragiles.
L’agriculture industrielle moderne dépend de combustibles fossiles toujours plus coûteux à obtenir en termes de taux de retour énergétique (Hall & Klitgaard, 2011). Elle dépend également de la stabilité des marchés mondiaux et des institutions économiques, ainsi que de la capacité des technologies complexes à répondre rapidement à diverses menaces climatiques et biologiques.
Notre système d’agriculture industrielle dépend de la stabilité climatique relative de l’Holocène et des combustibles fossiles abondants et facilement accessibles, lesquels constituent la principale source d’émission de CO2 déstabilisant le climat.
4. Le méga effet de serre à venir
La plupart des déclarations concernant le changement climatique recourent à des phrases du genre « depuis la révolution industrielle, la température de la terre a augmenté de 1 °C ». C’est exact, seulement, l’altération de l’atmosphère terrestre par les activités industrielles est un phénomène encore plus récent et rapide que ce que l’on croit : La majeure partie de cette augmentation de 1 °C de la température moyenne de la terre depuis l’époque préindustrielle s’est produite depuis 1980. L’essentiel de l’augmentation du CO2 atmosphérique (d’environ 310 ppm à 410 ppm) s’est produit après 1950. 75 % de la combustion de combustibles fossiles et des émissions de CO2 d’origine anthropique dans l’atmosphère datent d’après 1970. Les effets de ces émissions de CO2 commencent à peine à se faire sentir.
Plus on parvient à les modéliser avec précision — en déterminant, par exemple, les effets de la réflexion de la lumière solaire par les nuages à mesure que la terre se réchauffe, ou en modifiant les modélisations à l’aide des événements de réchauffement passés, lesquels permettent de mieux calibrer les interactions entre le CO2, la température, l’élévation du niveau de la mer et les effets de rétroaction[2] — plus les conséquences potentielles du changement climatique paraissent alarmantes. Brown et Caldeira (2017) suggèrent qu’il y a 93 % de chances pour que l’augmentation de la température dépasse 4 °C d’ici la fin de ce siècle.
Un rapport de la Banque mondiale (2012 p. xiii) nous met en garde :
« Sans de nouveaux engagements et de nouvelles mesures de réduction des émissions de gaz à effet de serre, le monde risque de se réchauffer de plus de 3 °C par rapport au climat préindustriel. Même si les engagements et les promesses d’atténuation actuels étaient pleinement mis en œuvre, la probabilité de dépasser 4 °C d’ici 2100 resterait d’environ 20 %. Si ces engagements ne sont pas respectés, le climat global pourrait se réchauffer de 4 °C d’ici 2060. Outre ce réchauffement, doublé d’une élévation du niveau de la mer de 0,5 à 1 mètre, voire plus, d’ici 2100, on estime qu’un réchauffement de plus de 6 °C, avec une élévation du niveau de la mer de plusieurs mètres, se produirait probablement au cours des siècles suivants. »
La projection médiane du GIEC (2014) tablant sur des politiques non agressives et des émissions hautes pour 2100 est un réchauffement de 4 °C (RCP8.5). L’absence de politiques efficaces vis-à-vis du changement climatique, face à des dangers de plus en plus alarmants, suggère que les projections les plus pessimistes fournissent les scénarios de changement climatique les plus précis (Gabbatiss, 2017).
Les scénarios optimistes du GIEC (RCP2.6, RCP4.5) supposent des schémas de géo-ingénierie non encore réalisables pour éliminer le CO2 atmosphérique. Les émissions annuelles ont augmenté de manière significative depuis le protocole de Kyoto, il y a vingt ans. Aucun grand pays industriel n’est en voie de respecter les engagements de l’accord (très modeste) de Paris (Wallace-Wells, 2017). Il semble peu probable que les politiques nécessaires pour maintenir le réchauffement à des niveaux gérables soient mises en œuvre à temps pour éviter un changement climatique catastrophique.
Les conséquences à très long terme du changement climatique sont assez peu étudiées (Bala, Caldeira, Mirin, Wickett, &Delire, 2005 ; Gowdy & Juliá, 2010 ; Kasting, 1998). La plupart des projections du réchauffement climatique se concentrent soit sur l’année 2100, soit sur les effets d’un doublement du CO2 (par rapport au niveau préindustriel de 275 ppm, soit 550 ppm). Le manque d’attention portée au très long terme est une grave lacune, car les modèles intégrés de climat-carbone prévoient que si le CO2 contenu dans les ressources actuelles de combustibles fossiles in situ continue à être rejeté dans l’atmosphère, la concentration maximale de CO2 atmosphérique pourrait dépasser 1400 ppm d’ici l’an 2300, et la température moyenne de la planète pourrait augmenter de 8 °C ou plus (Bala et al., 2005 ; Kasting, 1998).
Un niveau de CO2 de 1400 ppm ferait croître le risque de voir la température augmenter de 20 °C, ce qui aurait certainement des conséquences catastrophiques pour toute vie sur Terre. Il est inquiétant de constater que les niveaux actuels de CO2 sont plus élevés que jamais au cours des 15 derniers millions d’années (Banque mondiale, 2012 p. xiv).
La variable la plus pertinente en ce qui concerne la politique climatique à entreprendre, est la quantité de CO2 dans l’atmosphère. La contribution humaine à l’augmentation du CO2 est en grande partie le résultat de la combustion de combustibles fossiles. À moins d’être associées à des politiques visant à laisser les combustibles fossiles dans le sol, les autres sources d’énergie ne feront que s’ajouter aux combustibles fossiles, au lieu de les remplacer.
L’augmentation future de la quantité totale de CO2 dans l’atmosphère dépend principalement de la quantité totale de combustibles fossiles brûlés. La quantité de carbone contenue dans les combustibles fossiles accessibles — principalement le charbon — est si vaste que si la combustion venait à se poursuivre, les options d’atténuation actuellement envisageables telles que la réduction modérée des taux d’émission de CO2, la séquestration (limitée) et le reboisement auraient un effet négligeable sur la concentration atmosphérique finale de CO2 (Caldeira & Kasting, 1993 ; Matthews & Caldeira, 2008). Même si les politiques d’atténuation du changement climatique réduisaient les taux d’émission de CO2, les concentrations atmosphériques de CO2 continueraient à augmenter jusqu’à ce que les émissions diminuent en se calant sur le taux d’absorption naturelle.
Une grande partie du CO2 émis reste dans l’atmosphère des siècles, voire des millénaires, après sa libération. Archer (2005) suggère que 300 ans est une bonne durée de vie moyenne pour le CO2 et que 17 à 33 % du CO2 restera dans l’atmosphère 1000 ans après son émission. Montenegro, Brovkin, Eby, Archer et Weaver (2007) suggèrent que le carbone libéré peut rester dans l’atmosphère en moyenne 1800 ans ou plus. Selon Archer & Brovkin (2008 p. 283) : « La séquestration complète prend place sur des centaines de milliers d’années. » À l’échelle de temps de la vie humaine, ou de générations humaines, les effets de la combustion des carburants fossiles sont irréversibles.
5. L’agriculture sera impossible dans le climat post-holocène
Une certaine instabilité climatique est donc déjà garantie par l’activité humaine récente. Nous reviendrons très probablement à la volatilité climatique du Pléistocène.
Concernant l’agriculture, le changement climatique aura divers effets néfastes, notamment au travers de l’élévation du niveau de la mer, de la hausse des températures moyennes, des chaleurs extrêmes, de la modification du régime des précipitations et du déclin des pollinisateurs.
Parmi d’autres changements moins bien évalués, mentionnons les effets sur les parasites agricoles, la composition des sols et la réaction des cultures à l’augmentation des niveaux de CO2. La figure 2 montre la volatilité possible du climat si la Terre retrouve le régime climatique des quelques derniers milliers d’années du Pléistocène. Bien entendu, la volatilité future ne suivra pas exactement le même schéma, mais cette figure représente une estimation approximative de ce qui pourrait se produire. L’agriculture était impossible dans le passé en raison de l’instabilité climatique et météorologique, et elle le sera probablement à nouveau si nous retournons la Terre dans des conditions climatiques similaires.
Fig. 2. Écarts de température par rapport à la moyenne, et aux projections futures
Source of Earth’s Climate 7.- Cenozoic IV-Holocene http://www.dandebat.dk/eng-klima7.htm.
D’après Battisti (cité dans Wallace-Wells, 2017), le climat pourrait rapidement devenir instable :
D’ici 2050, et si l’on se place dans un scénario d’émissions moyennement élevées, on prévoit un doublement de la volatilité des céréales aux latitudes moyennes. Dans des endroits comme la Chine, les États-Unis, l’Europe, l’Ukraine — pays qui constituent le grenier à blé du monde — l’instabilité, d’une année sur l’autre, due à la seule variabilité naturelle du climat en raison d’une température plus élevée, sera beaucoup plus importante. L’impact sur les cultures ira croissant.
La capacité de l’agriculture à s’adapter au changement climatique, dépendra de la rapidité des changements, ainsi que de leur gravité. L’agriculture intensive, hautement technologique et à grande échelle, nécessaire pour faire vivre des milliards de personnes, sera d’un coût prohibitif rien qu’en termes d’énergie nécessaire. La possibilité de déplacer massivement les cultures vers le nord afin d’éviter le réchauffement des températures est limitée en raison de la mauvaise qualité des sols dans des endroits comme le nord du Canada et de la Russie. De plus, les fluctuations de température seront plus importantes vers les pôles.
Les principales preuves sont anecdotiques, mais certains indicateurs nous montrent déjà que les problèmes posés par l’instabilité du climat seront plus importants que les avantages que l’on pourra tirer de saisons de croissance plus longues dans les régions du nord. Si l’allongement des étés au Groenland, par exemple, a augmenté la saison de croissance de deux semaines, ils deviennent plus secs et les précipitations sont devenues plus imprévisibles, ce qui a des effets néfastes sur les cultures et le bétail (Kintisch, 2016).
L’élévation du niveau de la mer constitue un facteur de stress majeur pour la production agricole en raison des pertes de terres arables, et de l’augmentation de la salinité due aux ondes de tempêtes. Selon Hansen et al. (2016) : lors du dernier interglaciaire, il y a environ 140 000 ans, la terre était environ 1 °C plus chaude qu’aujourd’hui, le niveau de la mer était de 6 à 9 mètres plus élevé, et il y avait des tempêtes extrêmes. Leur modélisation suggère qu’un réchauffement de 2 °C pourrait provoquer un arrêt du courant de l’Atlantique Nord, une fonte des glaces dans l’Atlantique Nord et les océans du Sud, provoquant des gradients de température accrus, des tempêtes plus violentes, et une élévation du niveau de la mer de plusieurs mètres dans un laps de temps très court de 50 à 150 ans. Fischer et al. (2018 p. 474) écrivent :
« Dans le passé, un réchauffement global moyen de 1 à 2 °C, avec une forte amplification polaire a été synonyme de changements importants dans le zonage climatique et la répartition spatiale des écosystèmes terrestres et océaniques. Un réchauffement de cette importance a également entraîné une réduction substantielle des calottes glaciaires du Groenland et de l’Antarctique, avec une augmentation du niveau de la mer d’au moins plusieurs mètres sur des échelles de temps millénaires. »
Wallace Broecker a qualifié la circulation thermohaline (thermo — pour température — et halin — pour salinité) de « talon d’Achille du système climatique ». Il estime que sans son parcours actuel, les températures hivernales moyennes en Europe chuteraient de 20 degrés ou plus. Selon lui :
« Il est certainement possible que l’accumulation gaz à effet de serre déclenche une autre de ces réorganisations des océans, précipitant ainsi les changements atmosphériques qui y sont associés. Si cela devait se produire dans un siècle, tandis que nous serons en train de lutter afin de produire suffisamment de nourriture pour nourrir la population prévue de 12 à 18 milliards d’habitants, les conséquences pourraient être dévastatrices. (cité dans Smith, 2019). »
Le déclin des pollinisateurs, que l’on constate d’ores et déjà, constitue une autre menace pour l’agriculture, partiellement due au changement climatique (Nations unies, FAO, 2019).
L’augmentation des températures aura un effet dévastateur sur la productivité agricole, notamment en raison de la sensibilité des céréales aux températures extrêmes. On estime que 60 % des calories consommées par l’homme proviennent seulement de trois céréales : le maïs, le riz et le blé. La modélisation de Battisti & Naylor (2009 pp. 240–241) indique une probabilité de plus de 90 % pour que les températures moyennes de la saison de croissance, dépassent les températures saisonnières les plus extrêmes enregistrées entre 1900 et 2006 dans la plupart des régions tropicales et subtropicales. Lors de la chaleur record de l’été 2003 en Europe, la production de maïs a chuté de 30 % en France et de 36 % en Italie. Une étude de 2008 a révélé que l’Afrique australe pourrait perdre 30 % de sa récolte de maïs d’ici 2030 en raison des effets négatifs du changement climatique. Les pertes de récoltes de maïs et de riz en Asie du Sud pourraient également être importantes (Lobell et al., 2008).
Le changement climatique exacerbera l’instabilité sociale et politique. Il est difficile d’établir une relation directe de cause à effet entre le changement climatique et les conflits sociaux, mais les corrélations sont suggestives (Burke, Hsiang, & Miguel, 2015).
Les guerres au Darfour et en Syrie et les migrations massives hors d’Afrique du Nord ont été liées à des sécheresses. D’après le climatologue Michael Mann : « Le soulèvement syrien a été provoqué par une autre sécheresse, qui a été la pire des sécheresses enregistrées — la pire depuis 900 ans, selon les paléo-registres. Cette grande sécheresse est à l’origine d’une grande partie des conflits que nous observons » (cité dans Wallace-Wells, 2017). Avec l’accélération du changement climatique, des migrations seront motivées non seulement par la sécheresse, mais aussi par l’élévation du niveau de la mer et l’inhabitabilité d’une grande partie de l’Asie du Sud et du Moyen-Orient, en raison de températures extrêmes.
Clark et al. (2016 p. 363) écrivent : « Étant donné que le réchauffement de déglaciation a entraîné une profonde transformation de la Terre et des systèmes écologiques, le réchauffement prévu de +2,0 à 7,5 °C par rapport aux conditions déjà chaudes de l’Holocène (à un rythme beaucoup plus rapide que lors de la déglaciation) va également remodeler la géographie et l’écologie du monde. » Les migrations massives et les conflits qui en résulteront à cause de l’eau et de la nourriture déstabiliseront très probablement les sociétés futures.
6. Notre futur de chasseurs-cueilleurs
La transition vers la chasse et la cueillette résultera-t-elle d’un effondrement catastrophique de la civilisation ou d’une contraction semi-ordonnée ? On peut avancer de solides arguments en faveur d’un effondrement catastrophique soudain et d’une mort en masse d’Homo sapiens (Ehrlich & Ehrlich, 2013 ; Morgan, 2009 ; Spratt & Dunlop, 2019). Un reportage de la BBC sur l’effondrement des civilisations (BBC, 2019) affirme :
« Les sociétés passées et présentes ne sont que des systèmes complexes composés de personnes et de technologies. La théorie des “accidents normaux” suggère que les systèmes technologiques complexes s’écroulent régulièrement en raison de quelque défaillance. L’effondrement peut donc être un phénomène normal pour les civilisations, quelles que soient leur taille et leur complexité. Nous sommes peut-être plus avancés, technologiquement, aujourd’hui. Mais cela ne devrait pas nous amener à croire que nous sommes immunisés contre les menaces qui ont eu raison de nos ancêtres. Nos capacités technologiques vont d’ailleurs de pair avec de nouveaux problèmes, sans précédent historique. Et si l’échelle de notre civilisation est désormais mondiale, l’effondrement semble concerner aussi bien les empires tentaculaires que les royaumes naissants. Il n’y a aucune raison de croire qu’une plus grande taille pourrait nous préserver de la dissolution de notre civilisation. Notre système étroitement intriqué et mondialisé est, au contraire, davantage susceptible de propager des crises. »
Cela étant, l’effondrement n’est pas un préalable nécessaire à un avenir de chasseurs-cueilleurs pour notre espèce. Nous pouvons éviter l’effondrement et connaitre une sorte de contraction semi-ordonnée de la population humaine et de notre impact sur la biosphère. D’une manière ou d’une autre, en raison du stress environnemental que le changement climatique imposera à l’agriculture et du déclin inévitable de la production alimentaire, le nombre d’humains sur la planète diminuera de manière drastique au cours des prochains siècles.
À mesure que les populations humaines diminueront et que la production céréalière deviendra problématique, les sociétés étatiques telles que nous les connaissons deviendront de plus en plus difficiles à maintenir. Ce qui sera bon pour la planète et le bien-être des individus. Scott (2017) affirme que le citoyen moyen s’est trouvé mieux loti après l’effondrement des sociétés étatiques du passé. Il soutient que la période allant de l’apparition des États jusqu’à leur complète hégémonie, quelque 5000 ans plus tard, a été un « âge d’or des barbares ». Ces barbares bénéficiaient de l’autonomie nécessaire pour pratiquer une petite agriculture, la chasse et la cueillette. En outre, ils avaient la possibilité de s’approprier une partie du butin de l’État au moyen de raids et de pillages. Ces barbares, selon Beckwith (2009 p. 76, cité dans Scott pp. 232–233) :
« étaient souvent bien mieux nourris que les habitants des grands États agricoles et leur vie était moins dure et plus longue. On observait un flux constant de peuples qui fuyaient la Chine vers les royaumes de la steppe orientale où ils n’hésitaient pas à proclamer la supériorité du mode de vie nomade. De même, de nombreux Grecs et Romains rejoignaient les Huns ou d’autres peuples de l’intérieur de l’Eurasie, auprès desquels ils vivaient mieux et étaient mieux traités que chez eux. »
On peut envisager un déclin relativement lent de la production alimentaire et une diminution à l’avenant de la population et de la production économique, le tout suivant l’aggravation du changement climatique. La diminution de l’excédent économique limitera de plus en plus la capacité des États à conserver leur monopole de la violence et leur capacité à contrôler la population. C’est peut-être peu probable, mais si les effets du changement climatique s’avèrent suffisamment progressifs, un atterrissage en douceur vers une économie non agricole pourrait être possible.
Serons-nous trop stupides pour redevenir des chasseurs-cueilleurs ?
La taille du cerveau humain diminue rapidement depuis le passage à l’agriculture (de 1500cc à 1350cc). Ce fait est bien documenté et est indépendant de la race, du sexe et de la situation géographique. Henneberg (1988, p. 395), par exemple, écrit sur le déclin de la capacité crânienne en Europe et en Afrique du Nord pendant l’Holocène :
« Pour les hommes comme pour les femmes, la diminution au fil du temps est régulière, statistiquement significative et inversement exponentielle. Une diminution de 157cc (9,9% de la valeur la plus élevée) chez les hommes et de 261cc (17,4%) chez les femmes est considérable, d’un ordre de grandeur comparable à la différence entre les moyennes pour H. erectus et H. sapiens sapiens. »
Si notre corps avait rétréci au même rythme que notre cerveau, l’homme moyen mesurerait 1,40 m et pèserait 30kg. Selon Hawks (2011), la diminution de la taille du cerveau au cours des 10 000 dernières années est près de 36 fois supérieure au taux d’augmentation des 800 000 années précédentes. Rien ne prouve que notre cerveau se serait optimisé afin d’être plus efficace, et que nous soyons ainsi toujours aussi intelligents, voire plus intelligents qu’avant. Rien ne prouve que le cerveau humain serait devenu plus complexe à mesure qu’il rétrécissait.
Pour ne rien arranger, il est prouvé que des niveaux élevés de CO2 entraînent une diminution des capacités cognitives. Une étude récente a révélé une baisse de 15 % des capacités cognitives lorsque le taux de CO2 atteint 950 ppm, et une baisse de 50 % lorsqu’il atteint 1400 ppm. Le taux de CO2 ambiant atteindra très probablement 1000 ppm au cours du siècle prochain.
6.1. La continuation de l’agriculture sera peu probable après la transition climatique et la fin des combustibles fossiles
Sans la manne des combustibles fossiles du XXe siècle, et compte tenu de l’instabilité climatique future, des pénuries d’eau et de la dégradation des sols, l’agriculture céréalière à grande échelle deviendra impossible d’ici 100 à 200 ans. Les principales cultures dont nous dépendons montrent déjà des signes de stress dus au changement climatique. Environ la moitié de la population mondiale dépend du riz comme principale source de calories (Nguyen, 2005). La production de riz sera affectée par l’élévation du niveau de la mer et l’augmentation de la température moyenne. Des températures plus élevées entraînent une stérilité accrue des plants de riz et une perte nette d’énergie plus importante la nuit, car les plantes sont plus actives à des températures plus élevées.
Kucharik et Serbin (2008) ont estimé que chaque augmentation supplémentaire de 1 °C de la température estivale entraînerait une baisse de la production de maïs et de soja de 13 % et 16 %, respectivement. Le blé subit également les effets négatifs du changement climatique. Un modèle de simulation d’Asseng, Foster et Turner (2011) utilisant des données australiennes a montré que des variations de 2 °C de la température moyenne de la saison de croissance peuvent entraîner une réduction de 50 % de la production de céréales.
En supposant qu’il y ait un déclin précipité de la population humaine et que notre espèce soit à nouveau caractérisée par des bandes éparses de chasseurs-cueilleurs, l’agriculture reviendrait-elle un jour ? Probablement pas. (1) les températures seraient trop instables pour les principales cultures céréalières, (2) les variétés de riz, de blé et de maïs actuellement cultivées ne pourraient pas survivre sans l’aide de l’homme et disparaîtraient, et (3) les chasseurs-cueilleurs humains du Pléistocène n’ont pas « choisi » l’agriculture, et il est peu probable que ceux du futur le fassent (Gowdy & Krall, 2014).
6.2. L’environnement recouvrira la santé lorsque la domination humaine de la Terre cessera
Plusieurs expériences « naturelles » ont eu lieu dans le sillage d’abandons involontaires de vastes zones par l’être humain, à la suite d’évènements imprévus. Les terres contaminées autour de Tchernobyl et de Fukushima, au Japon, sont désormais riches en faune et en flore, tout comme le no man’s land démilitarisé entre la Corée du Nord et la Corée du Sud. Lorsque la domination de l’homme sur la nature prend fin, le monde biologique fait montre d’une étonnante capacité à se guérir lui-même. Que restera-t-il de la nature au 22ème siècle et au-delà ? Probablement assez pour faire vivre des chasseurs-cueilleurs humains. Une évolution rapide se produira dans de « nouveaux » territoires. Le rétablissement des plantes et des animaux dépendra de la gravité des effets du changement climatique sur le monde biologique, par exemple de la quantité de terres habitables après l’élévation du niveau de la mer et l’augmentation des températures régionales (aboutissant à des moyennes invivables dans divers endroits).
Étant donné la résilience de la nature, lorsque la pression humaine est supprimée, il y a lieu d’être optimiste. On assistera sans doute à quelques massacres d’animaux sauvages pendant la période de contraction —d’innombrables armes (à feu) circulent sur la planète — mais les munitions, facteur limitant, s’épuiseront rapidement. Et si l’on en croit l’Histoire, la plupart d’entre elles seront utilisées contre d’autres humains.
7. Pouvons-nous faire quelque chose ? Quelques initiatives politiques s’inscrivant dans une perspective à long terme sur le changement climatique :
La vision économique habituelle n’est d’aucune utilité dans la conception de politiques à long terme concernant le changement climatique. […] En outre, la théorie standard et les recommandations politiques basées sur l’étude des « préférences » humaines se fondent presque toujours sur les préférences des Occidentaux du monde capitaliste. Henrich et al. (2010) ont documenté les biais des enquêtes de préférences, et ont conclu que les visions du monde des habitants des pays DINGO (Démocratiques, Industrialisés, Nantis, Gouvernés, Occidentalisés) sont aberrantes par rapport à la plupart des cultures humaines. Étant aussi mauvais à déterminer les préférences des humains vivant aujourd’hui, comment pourrions-nous connaître les préférences de ceux qui vivront des centaines d’années dans le futur ?
L’économie, comme la science, ne peut être utilisée pour répondre aux questions d’éthique et formuler des jugements de valeur. Comme le disent Clark et ses collaborateurs (2016 p. 366) : « Une évaluation des risques liés au changement climatique ne prenant en compte que les 85 prochaines années [jusqu’en 2100] d’impacts du changement climatique ne fournit pas les informations essentielles aux parties prenantes, au public et aux dirigeants politiques chargés de prendre des décisions au nom de tous, avec des impacts qui se feront sentir pendant des millénaires. »
Plusieurs initiatives largement débattues pourraient réduire l’impact humain sur le monde naturel, et améliorer nos chances de survie à long terme après un effondrement ou un déclin progressif de la civilisation. Si nous devons revenir à la chasse et à la cueillette dans le futur, ces politiques faciliteront la transition et amélioreront les perspectives de survie de nos descendants.
7.1. Ré-ensauvagement
Le « ré-ensauvagement » consiste à protéger et restaurer les grands écosystèmes primordiaux et les zones de nature sauvage existantes et à établir des corridors entre eux (MacKinnon, 2013 ; Monbiot, 2014).
Le « ré-ensauvagement » comprend des projets comme l’initiative de conservation de Yellowstone au Yukon, la ceinture verte européenne le long de l’ancienne frontière du rideau de fer, et l’initiative Buffalo Commons pour les grandes plaines américaines.
La beauté de ces projets est que, pour la plupart, ils nécessitent peu d’investissements, sauf pour établir des réglementations et des servitudes, ainsi que pour la collecte et le suivi des informations scientifiques. Une fois mis en place, la nature s’occupe du reste.
La réintroduction des loups dans le parc de Yellowstone en 1995, soixante-dix ans après leur extermination, nous fournit un bon exemple de la résilience naturelle, au travers des effets qu’elle a produits. De nombreuses « cascades écologiques » positives imprévues se sont produites, notamment l’augmentation des populations de castors, lesquels ont créé des habitats pour les oiseaux, les loutres et les élans. La présence des loups a réduit les populations de coyotes, entraînant une augmentation du nombre de petits mammifères qui, à leur tour, ont augmenté le nombre de hiboux, de renards et de blaireaux.
Chaque fois que la conversation porte sur la préservation de la nature, certaines personnes réagissent immédiatement et agressivement en s’exclamant : « Et les gens ? Vous vous souciez de la nature plus que des hommes ! » Mais la restauration de la nature n’a pas pour but d’empêcher les humains de s’y intégrer : elle a pour but d’empêcher les marchés et l’économie industrielle de la désintégrer. Le conflit se situe entre la nature et l’exploitation économique, non entre la nature et les hommes. La reconnexion avec le monde naturel nous rend plus humains, pas moins.
7.2. Réduire rapidement la population humaine
La population humaine approche maintenant les 8 milliards. Elle augmente à un taux annuel de 1,1 %, ce qui représente environ 83 millions de personnes supplémentaires par an. Les projections à long terme sont très spéculatives, et entrevoient tout et son contraire, de la croissance galopante à l’effondrement de la population, qui tomberait à 2,3 milliards en 2300[3]. La vision la plus largement acceptée de l’évolution démographique est celle de la « transition démographique ». Si les revenus continuent d’augmenter dans la plupart des pays et que les personnes les plus riches ont moins d’enfants, la population mondiale devrait atteindre un pic situé entre 9 et 11 milliards vers l’an 2100.
Mais certaines statistiques récentes suggèrent que cette vue pourrait être erronée. En Europe, au cours des dix dernières années environ, les taux de fécondité ont augmenté. En Afrique, les taux de fécondité ont baissé pendant quelques années, mais, au lieu de continuer à baisser comme le prévoit la transition démographique, ils sont maintenant stabilisés autour de 4,6.
Bien entendu, l’effet de la croissance de la population humaine sur le monde naturel est complexe, il dépend aussi de l’utilisation d’énergie, de la consommation de matériaux et de la technologie. Ainsi que Paul et Anne Ehrlich, Herman Daly et d’autres partisans du contrôle de la population le soutiennent depuis longtemps, la population, la surconsommation et l’emploi de technologies destructrices sont tous responsables de la destruction du monde naturel tel que nous le connaissons (Daly, 2012 ; Ehrlich & Ehrlich, 1990). La diminution de la population humaine devrait consister en une stratégie coordonnée de planification familiale, d’autonomisation des femmes et d’égalité économique. Cependant, tous les problèmes auxquels nous sommes confrontés sont exacerbés par une population croissante.
Comme le dit Paul Ehrlich :
« Résoudre le problème de la population ne résoudra pas les problèmes du racisme, du sexisme, de l’intolérance religieuse, des guerres, des inégalités économiques flagrantes. Mais si nous ne résolvons pas le problème de la population, nous ne résoudrons aucun de ces problèmes. »
7.3. Protéger les cultures traditionnelles encore existantes
La survie à long terme d’une espèce dépend de sa capacité à s’adapter aux changements des conditions environnementales. L’évolution opérant au niveau des populations et non des individus, l’adaptabilité dépend de l’existence d’une diversité suffisante au sein des populations. Il pourrait sembler que la diversité humaine s’accroît, au motif qu’on retrouve de plus en plus de cultures et de races différentes dans quelques endroits spécifiques. Cependant, à l’échelle mondiale, les cultures humaines s’homogénéisent de plus en plus à mesure que les États du monde adoptent les valeurs et le mode de vie des pays DINGO (Démocratiques, Industrialisés, Nantis, Gouvernés, Occidentalisés) (Henrich, Heine, & Norenzayan, 2010).
Compte tenu des changements sociaux et environnementaux imminents auxquels nous sommes confrontés, il est d’autant plus important de soutenir et de protéger les cultures indigènes qui subsistent dans le monde et qui ont encore la capacité de vivre en dehors de la civilisation moderne. Il existe encore des sociétés humaines qui n’ont que peu de contacts avec le monde extérieur. Ces groupes sont peut-être les seuls à posséder les compétences nécessaires pour survivre à une apocalypse climatique, sociale ou technologique.
8. Résumé et conclusion
Le changement climatique a été un moteur majeur de l’évolution biologique et sociale de l’espèce humaine. Pendant quelque 97 % de notre existence, nous avons vécu en tant que chasseurs-cueilleurs au Pléistocène, une époque géologique caractérisée par des variations climatiques extrêmes, des périodes glaciaires et des périodes chaudes. L’agriculture, peut-être la principale transition dans notre évolution sociale, a été rendue possible par le climat exceptionnellement chaud et stable de l’Holocène.
Cette stabilité climatique est déjà compromise par les émissions de CO2 issues de l’utilisation massive de combustibles fossiles par l’économie industrielle. Si nous continuons à en brûler pendant encore quelques décennies encore, nous détraquerons largement le système climatique. Sans la stabilité climatique et l’énergie abondante et bon marché du XXe siècle, il est peu probable que l’agriculture soit possible au XXIe siècle et au-delà. La civilisation s’effondrera ou disparaîtra progressivement au cours des siècles à venir.
Le potentiel écroulement à venir de la civilisation ne devrait pas nous faire renoncer à l’atténuation du changement climatique au travers d’un changement radical du système agro-industriel global, d’un combat pour la justice sociale ou de quelque programme politique progressiste. Nos perspectives de survie s’amélioreront considérablement si nous limitons l’augmentation des températures à 3 °C, au lieu de finir à 6–8 °C, en mettant en place des politiques sociales et environnementales visant à réduire les pires effets du changement climatique. À long terme, la vision d’un retour à un mode de vie de chasse et de cueillette est follement optimiste en comparaison des dystopies technologiques envisagées par de nombreux auteurs de science-fiction et philosophes sociaux. Toutes les caractéristiques qui nous caractérisent en tant qu’espèce — la compassion pour les autres, l’intelligence, la prévoyance et la curiosité — nous viennent du Pléistocène (Shepard, 1998). Nous sommes devenus humains en tant que chasseurs et cueilleurs et nous pourrons retrouver notre humanité en retournant à ce mode de vie.
John Gowdy
Traduction : Nicolas Casaux
Nous ne reproduisons pas les références, qui peuvent être consultées sous l’article original, à l’adresse suivante : https://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0016328719303507
- Cette estimation, pour le Pléistocène supérieur, est basée sur les études de Kaplan, Lancaster et Hurtado (2000) concernant des chasseurs-cueilleurs contemporains. Les estimations de l’espérance de vie sont notoirement difficiles à comparer en raison des différences de mortalité infantile, des effets des guerres et des épidémies, et d’autres facteurs locaux. ↑
- Les scénarios « alarmistes » ne devraient pas être rejetés d’emblée. Le modèle climatique du MIT prévoit une probabilité de 10 % d’un réchauffement de 7 °C sans politique agressive de lutte contre le changement climatique. Cette faible probabilité ne signifie pas « aucune chance » et cette possibilité doit être prise en compte dans le cadre de politiques prudentes en matière de changement climatique. https://globalchange.mit.edu/research/research-tools/risk-analysis/greenhouse-gamble ↑
https://en.wikipedia.org/wiki/Projections_of_population_growth ; United Nations. World population prospects. https://esa.un.org/unpd/wpp/Publications. ↑
Source: Lire l'article complet de Le Partage