La proximité du gouvernement de l’Azerbaïdjan avec Israël explique l’alliance entre l’Iran et l’Arménie.
Par Omar Ahmed, le 8 octobre 2020
Source : Middle East Monitor
Traduction : lecridespeuples.fr
Le conflit renouvelé entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan au sujet de la région du Haut-Karabakh a le potentiel d’impliquer des puissances régionales telles que l’Iran, la Russie et la Turquie, et de devenir ainsi une guerre par procuration dans le Caucase du Sud. Le conflit est déjà en train de progresser vers une guerre pure et simple alors que les combats se sont maintenant intensifiés, avec des villes bombardées, un nombre croissant de morts et des allégations d’utilisation de bombes à fragmentation.
Comme pour la plupart des conflits frontaliers contemporains, celui-ci est à la fois complexe et multiforme, enraciné dans l’héritage de l’impérialisme et de l’effondrement de l’Union soviétique. Les deux pays ont obtenu leur indépendance de l’Empire tsariste russe en 1918 pour être intégrés à l’Union des Républiques socialistes soviétiques deux ans plus tard. À ce moment-là, des tensions ethniques et religieuses avaient déjà éclaté entre les Arméniens et les Azéris, tous deux revendiquant le Haut-Karabakh ; bien qu’à l’intérieur des frontières de l’Azerbaïdjan, cette région était et demeure principalement habitée par des Arméniens. Les hostilités se sont interrompues pendant un certain temps après la création de l’oblast autonome du Haut-Karabakh (NKAO) en 1923 par la République soviétique d’Azerbaïdjan. Pourtant, après la disparition de l’Union soviétique, la guerre a éclaté à nouveau, les Arméniens préférant se réunir avec l’Arménie historique et l’Azerbaïdjan voulant réaffirmer ses propres revendications de souveraineté et mettre fin à l’occupation arménienne. Cela a duré jusqu’à un cessez-le-feu en 1994 et l’émergence de la République de facto d’Artsakh, un État non reconnu internationalement enclavé à l’intérieur des frontières de l’Azerbaïdjan.
Cette longue paix a pris fin brusquement en raison d’une guerre très courte en 2016 qui a fait au moins 200 morts et a été considérée en grande partie comme une initiative de l’Azerbaïdjan, conséquence logique du manque de progrès dans les pourparlers de paix sous les auspices du Groupe de Minsk de l’OSCE (Organisation pour la sécurité et la coopération en Europe) coprésidé par la France, la Russie et les États-Unis. C’est au cours de ce conflit que l’Azerbaïdjan s’est attaqué à l’asymétrie de longue date avec l’Arménie qui avait toujours eu une armée supérieure. La Russie semble avoir été le principal bénéficiaire de l’escarmouche initiée par Bakou pour sauver la face, se repositionnant en tant que principal médiateur et renforçant sa position géopolitique dans le Caucase aux dépens de l’influence occidentale. Alors que Moscou reconnaît officiellement les revendications territoriales de Bakou, elle a un pacte de défense avec l’allié traditionnel arménien —qui ne s’applique pas à la région contestée— et est heureuse de fournir des armes aux deux parties.
Un pic des revenus pétroliers entre 2010 et 2015 a coïncidé avec un énorme budget militaire pour l’Azerbaïdjan. La plupart de son équipement militaire est acquis auprès de la Russie, et Israël est son deuxième partenaire commercial militaire. En 2016, année du dernier conflit, Bakou a dépensé près de 5 milliards de dollars en armes israéliennes, y compris pour des systèmes radar et des drones.
Le Premier ministre israélien Benjamin Netanyahou rencontre l’ancien ministre azerbaïdjanais des Affaires étrangères Elmar Mammadyarov, le 23 avril 2013 à Jérusalem.
L’Azerbaïdjan a établi des liens avec Israël peu de temps après son indépendance après la guerre froide en 1991. Il fait partie d’une poignée de pays à majorité musulmane qui ont des relations avec Tel Aviv ; en fait, l’Azerbaïdjan et la Turquie sont les seuls États à majorité musulmane non arabe dans cette position. Néanmoins, « l’axe turco-azerbaïdjanais » a eu un impact significatif sur les relations d’Israël avec l’Azerbaïdjan, les trois pays étant confrontés à des menaces sécuritaires et à des perceptions géopolitiques similaires. Cependant, la détérioration des liens entre la Turquie et Israël au cours de la dernière décennie a signifié que les relations avec l’Azerbaïdjan, riche en énergie, ont remplacé les relations avec la Turquie en importance pour l’État d’occupation. Israël tire la majeure partie de son pétrole des champs pétrolifères azerbaïdjanais de la mer Caspienne, bien que sa récente normalisation avec les Émirats arabes unis et le Bahreïn signifie qu’il a le potentiel de diversifier son approvisionnement en pétrole si le conflit dans le Caucase devenait incontrôlable.
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Il est intéressant de noter qu’historiquement, l’Azerbaïdjan avait un mouvement sioniste florissant, avec Bakou devenant « l’un des principaux centres » du nationalisme juif en 1891. Le mouvement était particulièrement actif pendant la république pré-soviétique, éphémère et indépendante, lorsqu’un sioniste représentait le Communauté juive au parlement.
Les observateurs non informés peuvent être surpris d’apprendre que bien que l’Iran ait des liens à la fois avec l’Arménie et l’Azerbaïdjan, il a tendance à favoriser son voisin chrétien orthodoxe par rapport à l’Azerbaïdjan, bien que ce dernier soit un pays à majorité musulmane chiite, quoique ayant un État laïc.
L’Iran a cependant des liens historiques et religieux avec l’Azerbaïdjan ; la dynastie safavide a établi sa base à Ardabil, dans la région de l’Azerbaïdjan iranien, et les Azéris forment le plus grand groupe ethnique d’Iran après les Perses, il y a plus d’Azéris en Iran qu’en Azerbaïdjan même. Cependant, le soutien de l’Iran à l’Arménie est mieux compris à la lumière de l’alliance de Bakou avec Tel-Aviv et Ankara.
L’Azerbaïdjan n’est pas seulement une source d’énergie inestimable pour Israël, mais il fournit également à Tel-Aviv des renseignements précieux sur les activités militaires dans le nord de l’Iran. Ainsi, Téhéran ne fait pas confiance à l’Azerbaïdjan ; cette méfiance est réciproque parce que Bakou est préoccupé par l’influence idéologique croissante de l’Iran parmi sa population chiite. La majorité des prisonniers politiques du pays seraient derrière les barreaux pour des délits liés à la religion, et les commémorations de l’Achoura sont étroitement surveillées par l’État.
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L’Iran doit faire preuve de prudence afin de ne pas s’aliéner sa grande minorité azérie car il y a déjà eu des rassemblements en faveur de l’Azerbaïdjan. Téhéran craint également que les sentiments nationalistes ne se répandent (ou ne soient répandus) à travers la frontière et enflamment le séparatisme azéri dans le pays. Cependant, les Iraniens azéris sont largement fidèles à l’État dont le Guide Suprême, l’Ayatollah Ali Khamenei, est d’origine azérie. L’arrivée de mercenaires syriens soutenus par la Turquie en Azerbaïdjan est également un véritable problème de sécurité pour Téhéran, étant si proche de la frontière, d’autant plus que les factions extrémistes sont actuellement la force dominante parmi celles qui se battent contre le gouvernement syrien à Idlib.
L’ancien ministre israélien des Affaires étrangères Avigdor Lieberman à Bakou le 10 février 2010 lors d’une réunion avec des membres de la communauté juive azérie dans une synagogue locale.
Contrairement à l’Azerbaïdjan, l’Arménie, alliée de l’Iran, a des relations « sous-développées » avec Israël et n’a ouvert une ambassade à Tel Aviv que le mois dernier. Les Arméniens ont déjà rappelé leur ambassadeur au sujet de l’approvisionnement continu d’Israël en « armes ultramodernes » à l’Azerbaïdjan, le qualifiant d’inacceptable. Même au milieu du conflit, des vols de fret civil azerbaïdjanais circulent entre Bakou, la Turquie et Israël et sont largement perçus comme transportant du matériel militaire destiné à être utilisé dans le Haut-Karabakh. Ironiquement, Israël se distingue également pour avoir officiellement refusé de reconnaître le génocide arménien, un sujet hautement controversé et sensible pour les Turcs.
Malgré l’arsenal avancé dont dispose l’Azerbaïdjan, y compris les drones turcs qui ont été si efficaces en Syrie et en Libye, ses soldats conscrits sont mal entraînés et ont un moral bas. Étant donné qu’ils sont soutenus par des mercenaires syriens non formés et mal équipés, il n’est pas surprenant que des sources arméniennes aient fait état de nombreuses victimes parmi les forces azerbaïdjanaises et que les réseaux sociaux regorgent d’images graphiques de soldats azerbaïdjanais tombés au combat. NetBlocks a signalé un blackout des réseaux sociaux et des communications en Azerbaïdjan à la suite de la déclaration de la loi martiale « pour empêcher les provocations à grande échelle » de l’ennemi.
« En attendant les Barbares » : une femme arménienne sur le pas de sa porte à Stepanakert/Khankendi, capitale du Haut-Karabakh/Republique d’Artsakh, octobre 2020.
L’Arménie se considère confrontée à une menace existentielle, le Premier Ministre Nikol Pashinyan accusant la Turquie et l’Azerbaïdjan de « poursuivre le génocide arménien ». Le rejet par la Turquie d’un cessez-le-feu à ce stade et l’insistance de l’Azerbaïdjan à aller de l’avant, après avoir capturé plusieurs villages aux forces arméniennes, ont rendu le désengagement arménien du conflit et la reddition face aux exigences de Bakou « presque impossibles » à imaginer. Le terrain montagneux et surélevé favorise les Arméniens et l’arrivée de l’hiver restreindra gravement les progressions de l’Azerbaïdjan.
Il va sans dire que l’histoire troublée de la Turquie avec les Arméniens et l’absence de relations diplomatiques, ainsi que le fait que les Azéris sont une nation turque, signifient qu’Ankara soutient pleinement l’Azerbaïdjan. Même le chef du parti d’opposition turc IYI a annoncé son soutien à la politique du gouvernement sur l’Azerbaïdjan, exprimant l’espoir qu’il se concentre sur le renforcement des liens avec les pays turcs au lieu des Frères musulmans dans les pays arabes.
L’Azerbaïdjan est donc crucial pour le pan-turquisme néo-ottoman et la connexion de la Turquie au monde turc au sens large à travers l’Asie centrale, mais l’Arménie est sur le chemin. Cependant, en termes pratiques et réalistes, la Turquie est également dépendante des importations de gaz azerbaïdjanais, qui ont bondi de 23% au premier semestre de cette année, bien que cela puisse changer si Ankara peut exploiter son propre champ gazier récemment découvert et il s’avère économiquement viable.
Tout comme l’intention de la Russie de renforcer sa présence dans le Caucase, la Turquie recherche un résultat similaire, qui est conforme à sa politique étrangère affirmée. Selon le Président Recep Tayyip Erdogan, le soutien de la Turquie à Bakou fait partie de la recherche de sa « place méritée dans l’ordre mondial ». Dans le jeu du pouvoir à somme nulle, ni l’Iran, ni la Turquie, ni la Russie ne se contenteraient de permettre à l’un ou à l’autre de dominer le Caucase. Les empires russe, ottoman et safavide se sont tous affrontés dans cette région dans le passé, et leurs équivalents modernes le feront à nouveau, bien que par procuration, si la situation sur le terrain se détériorait. Cependant, tout soutien au peuple azéri, qu’il soit fondé sur des liens religieux ou ethniques, ne justifiera pas nécessairement le soutien de son gouvernement pro-israélien.
***
Bachar al-Assad : Erdogan est le principal instigateur du conflit dans le Nagorno-Karabakh
Interview du Président de la République Arabe Syrienne, Bachar al-Assad, par Sputnik TV, le 9 octobre 2020.
Source : Syria News
Traduction : lecridespeuples.fr
[…] Journaliste : Je vais maintenant passer à des informations brûlantes, et nous, en Russie, suivons ce qui se passe actuellement dans la région du conflit arménien et azerbaïdjanais, et la Turquie y joue certainement un rôle. Est-ce négatif ou positif, ce n’est pas à moi de juger, mais je voudrais connaître votre avis sur les politiques de la Turquie et d’Erdogan. Ainsi, ces dernières années, la Turquie a essayé de maximiser son influence internationale. Nous voyons tous sa présence en Libye, son intervention en Syrie, les différends territoriaux avec la Grèce et le soutien désormais ouvert à l’Azerbaïdjan. Que pensez-vous de ce genre de comportement d’Ankara et d’Erdogan personnellement ? La communauté internationale devrait-elle accorder plus d’attention à ce type de néo-ottmanisme ?
Président Assad : Soyons francs et clairs ; Erdogan a soutenu les terroristes en Syrie, et il soutient les terroristes en Libye, et il a été le principal instigateur et initiateur du récent conflit qui a eu lieu au Haut-Karabakh entre l’Azerbaïdjan et l’Arménie. Donc, je résumerais son comportement comme dangereux, pour différentes raisons. Tout d’abord, parce qu’il reflète le comportement des Frères musulmans ; les Frères musulmans sont un groupe extrémiste terroriste. Deuxièmement, parce qu’il fomente la guerre dans différents lieux pour détourner l’attention de sa propre opinion publique en Turquie et l’empêcher de se concentrer sur son comportement à l’intérieur de la Turquie, en particulier après ses relations scandaleuses avec Daech en Syrie ; tout le monde sait que Daech vendait du pétrole syrien à travers la Turquie sous l’égide des forces aériennes américaines, et bien sûr, l’implication des Turcs dans la vente de ce pétrole est de notoriété punlique. C’est donc son objectif, et c’est dangereux.
Ainsi, que la communauté internationale en soit consciente ou non, le mot « communauté internationale » ne désigne en réalité que quelques pays : les grandes puissances et les pays riches, et appelons-les les influenceurs sur la scène politique. La majorité de cette communauté internationale est complice de la Turquie dans son soutien aux terroristes. Ainsi, ils savent ce que fait la Turquie, ils sont heureux de ce que fait la Turquie, et la Turquie est un bras pour ces pays dans la réalisation de leurs politiques et de leurs rêves dans cette région. Donc, non, nous ne pouvons pas du tout parier sur la communauté internationale. Vous pouvez parier sur le droit international, mais il n’existe pas parce qu’il n’y a pas d’institution pour appliquer le droit international. Nous devons donc dépendre de nous-mêmes en Syrie et du soutien de nos amis.
Journaliste : Alors, plus précisément sur ce conflit. Selon certaines informations, des terroristes appartenant à des groupes qui combattaient auparavant en Syrie seraient actuellement transférés dans cette zone de conflit entre l’Arménie et l’Azerbaïdjan. Pouvez-vous confirmer cela ? Avez-vous des informations sur les combattants qui se rendent de Syrie vers…
Président Assad : Nous pouvons certainement le confirmer, non pas parce que nous avons des preuves, mais parfois si vous n’avez pas de preuves, vous avez des indicateurs. En Syrie, la Turquie a utilisé des terroristes venant de différents pays. Ils ont utilisé la même méthode en Libye ; ils ont utilisé des terroristes syriens en Libye, peut-être avec d’autres nationalités. Il est donc évident et très probable qu’ils utilisent cette méthode au Haut-Karabakh parce que, comme je l’ai dit plus tôt, ce sont eux qui ont lancé ce problème, ce conflit ; ils ont encouragé ce conflit. Ils veulent réaliser quelque chose et ils vont utiliser la même méthode. Nous pouvons donc affirmer avec certitude qu’ils ont utilisé des terroristes syriens et d’autres nationalités au Haut-Karabakh. […]
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