Dans une résolution adoptée le 23 mars 2016, le Conseil des droits de l’Homme de l’ONU explique que « le fardeau croissant de la dette auquel doivent faire face les pays en développement les plus endettés, en particulier les pays les moins avancés, n’est pas viable et constitue un des principaux facteurs qui empêchent de progresser dans le développement durable centré sur la population et l’élimination de la pauvreté (…). Pour bon nombre de pays en développement et de pays en transition, le service excessif de la dette a fortement limité la capacité de promouvoir le développement social et d’assurer des services essentiels pour créer les conditions indispensables à la réalisation des droits économiques, sociaux et culturels (…). Les pays en développement continuent de rembourser davantage chaque année que les montants effectifs qu’ils reçoivent au titre de l’aide publique au développement ».
Le FMI, en partie responsable de la crise actuelle
Par le développement de ses politiques d’ajustement structurel, imposant la libéralisation d’économies fragiles et des mesures d’austérité drastiques à nombre de pays du Sud en échange de possibilités d’emprunts, le FMI a fortement participé à ce constat du Conseil des droits de l’Homme de l’ONU. Aucun des pays appliquant l’ajustement structurel n’a pu soutenir de manière durable un taux de croissance élevé.
Partout, les inégalités sociales ont augmenté. Aucun pays « ajusté » ne fait exception à ce triste constat [1]. Ainsi, les coupes dans les dépenses publiques prônées par les institutions financières internationales (IFI) empêchent les pays « bénéficiaires » de l’aide du FMI d’assurer une certaine protection sociale à leurs citoyens.
Si aujourd’hui les pays du Sud voient leurs systèmes de santé débordés et ne sont pas en mesure d’assurer la protection de leur population face à la covid-19, c’est donc en grande partie dû aux politiques mortifères des IFI et notamment du FMI. Notons que ce constat n’est pas nouveau [2] et que des chercheurs du département de sociologie de l’Université de Cambridge, de l’Université d’Oxford et de la London School of Hygiene and Tropical Medicine avaient déjà dressé ce constat dans un article scientifique lors de l’épidémie d’Ebola en 2014. Leur étude concluait ainsi que « les exigences du FMI en matière de rigueur budgétaire ont affaibli les systèmes de santé des pays africains les plus durement frappés par le virus Ebola. Elles ont aussi empêché une réponse coordonnée pour lutter contre l’épidémie » [3]. Aujourd’hui, l’histoire se répète, montrant que le FMI ne sait pas tirer de leçon des crises passées et reste subordonné aux intérêts des créanciers privés qui doivent être remboursés coûte que coûte, au prix du bien-être des peuples du Sud. À la suite de l’épidémie d’Ebola, le CADTM avait réagi à travers plusieurs appels à l’annulation des dettes des pays concernés [4].
Quelles réactions et propositions du FMI dans la gestion de l’épidémie de covid-19
Le 4 mars 2020, lors d’une conférence de presse commune avec la Banque Mondiale, le FMI a présenté les grandes lignes des interventions qu’il prévoit dans le cadre de l’épidémie de covid-19. Les mesures présentées sont deux ordres : (i) l’augmentation de sa capacité de prêt pour les pays du Sud et (ii) la mobilisation de subventions pour alléger le service de la dette des pays les plus pauvres envers le FMI [5].
Depuis lors, la machine a été enclenchée par le FMI, qui a déjà annoncé plusieurs mesures concrètes :
- L’annonce ayant été la plus mise en avant par le FMI et la plupart des médias est l’allègement du paiement de la dette de 25 pays pauvres dont 19 pays africains pour un montant de 500 millions de dollars. Cette mesure annoncée doit permettre de couvrir pour six mois les remboursements de la dette envers le FMI et aux pays « d’allouer une plus grande partie de leurs maigres ressources à leurs efforts en matière d’urgence médicale et d’aide » [6]. Dans les faits, le FMI sera bel et bien remboursé via son fonds fiduciaire d’assistance et de riposte aux catastrophes, abondé notamment par les Pays-Bas, la Chine, le Royaume-Uni ou le Japon. Ainsi, le FMI n’annule pas les dettes des pays en difficulté et (i) garde son pouvoir de pression sur les gouvernements afin de réclamer des politiques d’austérité à l’avenir en conservant le lien débiteur-créancier et (ii) ne fait pas en sorte que ces dons permettent aux pays pauvres de faire face à la situation sanitaire – pour acheter du matériel médical et embaucher du personnel notamment.
- Des prêts d’urgence ont été accordés à plusieurs pays africains, tels que la Côte d’Ivoire. Ainsi, ce pays a obtenu un décaissement de 295,4 millions de dollars au titre de la Facilité rapide de crédit, c’est-à-dire sous forme de prêt à taux 0 remboursable en dix ans, et un décaissement de 590,8 millions de dollars au titre de l’Instrument de Financement Rapide (IF), un crédit qui doit être remboursé entre trois et cinq ans [7] .Le FMI profite donc de la crise pour renforcer et augmenter son pouvoir de pression sur les pays africains en alourdissant le fardeau de dettes déjà écrasant pour de nombreux pays. De plus, Mitsuhiro Furusawa, le directeur général adjoint du FMI, a déclaré qu’une fois l’épidémie de covid-19 sous contrôle, « il sera important que le déficit budgétaire revienne à sa trajectoire précédant la crise, pour préserver à la fois les acquis réalisés dans le cadre du programme avec le FMI et la viabilité de la dette à moyen terme ». Cette déclaration préfigure un retour en force du FMI après cette crise, comme cela avait été le cas après la crise de 2008.
Une assistance toujours très politique
Au 16 avril dernier, 102 pays avaient fait une demande officielle de prêt au FMI. Celui-ci en a accepté un grand nombre, notamment pour les pays suivants : Nigeria, Pakistan, Ghana, Tunisie, Sénégal, ou encore Albanie. Cependant, notons que le gouvernement vénézuélien, en conflit avec les USA a vu sa demande être refusée [8]. À l’opposé du cas vénézuélien, se trouve le « bon élève » chilien. Pour ce pays, où la population a manifesté pendant de longs mois contre les politiques d’austérité ces derniers mois, une ligne de crédit modulable de 24 milliards de dollars a été débloquée. La ligne de crédit modulable (LCM) « est un instrument qui permet au pays qui en bénéficie d’avoir accès à des montants importants à tout moment. Au-delà des fonds disponibles immédiatement en cas de besoin, elle est aussi une marque de confiance du Fonds dans la politique économique du bénéficiaire et un signal fort pour donner accès à d’autres sources de financement ». Cet exemple du Chili inquiète fortement les populations et les mouvements sociaux latino-américains, comme en Argentine, fortement marqués par les politiques d’austérité imposées par le FMI ces dernières décennies.
Le FMI n’annule pas les dettes des pays en difficulté et garde son pouvoir de pression sur les gouvernements afin de réclamer des politiques d’austérité
Ailleurs dans le monde, au Liban, après des mois de manifestations suite aux mesures d’austérité, le gouvernement n’a rien trouvé de plus original que de s’accorder avec le FMI pour la mise en place d’un plan quinquennal. Adopté fin avril, ce plan a pour objectif de réduire le déficit public et prévoit une hausse des impôts, un gel de l’emploi dans le secteur public, une hausse des prix de l’électricité et une baisse des subventions pour ce secteur. Il prévoit également une restructuration de la dette et du secteur bancaire. Refusée jusqu’à présent par l’Association des Banques du Liban.
Le FMI est également actif au Nord. En Ukraine, pays sous assistance depuis la guerre civile qui a éclaté en 2014, le FMI et le gouvernement ont négocié le 21 mai un accord de principe sur un nouveau programme d’aide de 5 milliards de dollars sur 18 mois « pour aider Kiev à surmonter la pandémie de coronavirus ». Cet « accord de confirmation » est avalisé en échange d’un programme de réformes. De longues semaines ont été nécessaires pour obtenir l’accord. Il fallait faire voter la loi surnommée « anti-Kolomoïski » dont le but est d’empêcher d’anciens propriétaires de banques de pouvoir récupérer leur entreprise si elle a été nationalisée et ce même s’il y a eu des vices de procédure, ne leur allouant au mieux qu’une compensation financière pour le préjudice subi, et surtout la loi concernant la levée du moratoire sur la vente des terres agricoles. La limite de surface qui peut être détenue par une seule personne physique était de 100 hectares, dès le 1er janvier 2024 les sociétés pourront acheter des terres agricoles à leur tour et la limite sera alors de 10 000 hectares [9].
L’alternative DTS
Le 14 avril 2020, Gordon Brown, ancien ministre des Finances et Premier ministre de Grande-Bretagne et Lawrence H. Summers, professeur d’économie à l’Université de Harvard et ancien ministre des Finances des États-Unis, publiaient une opinion dans le Washington Post, prenant position pour un renforcement des pouvoirs d’intervention du FMI, notamment à travers l’usage des DTS, droits de tirages spéciaux : il s’agit d’un système piloté par le FMI permettant aux pays membres de compléter leurs réserves.
Dominique Strauss-Khan propose lui le recours aux DTS combiné à un allègement des dettes des pays en développement. Selon l’ancien directeur du FMI, l’Occident s’expose sans cela notamment à une crise migratoire sans précédent… Des voix de gauche (et non de centre, telles que celles des néolibéraux cités ci-dessus) en appellent également aux DTS parallèlement à des annulations de dettes. Pourtant, cela en revient à oublier que les DTS sont une fois encore des prêts du FMI, qui impliquent remboursements avec taux d’intérêts et conditions.
Robin Delobel
Photo en vedette : par Rohan Makhecha, Unsplash
Article extrait de l’AVP n° 78 « Dette, coronavirus et alternatives », magazine semestriel du CADTM disponible gratuitement en pdf, en vente unique (5 €) et en abonnement annuel.
Notes :
[1] Toussaint E. (2019). « Retour sur la crise de 1982 ». AVP Dettes aux Suds, 3e Trimestre 2019, 1 p.
[3] Kentikelenis et al. (2014). The International Monetary Fund and the Ebola outbreak. The Lancet Global Health Vol. 3(2), p.69-70.
[5] FMI & Banque Mondiale (2020). Réponse du Groupe de la Banque mondiale et du FMI au Covid-19 (Coronavirus). Transcription de la conférence de presse de Mme Georgieva & M. Malpass du 4 mars 2020.
Robin Delobel Permanent au CADTM Belgique
Adrien Péroches CADTM Belgique
Source: Lire l'article complet de Mondialisation.ca