Et si…

ALLAN ERWAN BERGER  — L’art dit ce qui ne peut se dire autrement. «Contre toutes les puissances de l’oubli, le livre nous reconduit sans cesse à notre liberté, il nous est école de dissidence.» La citation est de Michel Le Bris, dans une note, Introduction à Une amitié littéraire, correspondance entre Henry James et Robert Louis Stevenson, Verdier 1987.


Et si…

Je m’en doutais, nous nous en doutions, vous vous en doutiez, et maintenant ça commence à devenir officiel : les prix littéraires sentent le moisi. Luis de Miranda : « Les prix littéraires tuent car, chaque année, ces offices du bon goût élèvent artificiellement au rang de best-seller une littérature parfois frelatée, sans dimension épique, sans réelle ambition stylistique, créative ou sociétale. Je ne compte plus les lecteurs qui m’avouent, entre la honte et la colère, avoir été déçus par l’achat d’un livre portant la mention Prix Goncourt, Renaudot ou autre. » Cette phrase révoltante, ou révoltée, ou les deux, est tirée d’un billet que l’on peut lire avec profit ici : Les prix littéraires tuent. Oui monsieur oui madame.

Il y a plus de mille maisons d’édition publiant des romans en France, nous dit Miranda. En première approximation, aucune n’a accès à une quelconque des prix majeurs – Renaudot, Interallié, Goncourt etc. Voilà l’état de la littérature. J’entends : de la littérature papier.

Or, puisque ce qui donne du rayonnement à la litérature passe, en ce siècle peu vertueux, par le simulacre d’un jugement rendu par un jury désuètement snob farci de conflits d’intérêt à la sauce consanguine, et qu’on ne saurait sauter aux yeux du lecteur moyen sans en passer par le rituel du prix, puisqu’enfin c’est ce prix qui donne tout son prix à l’acte de lire et d’écrire, j’en viens à me demander s’il ne faudrait pas, nous autres les pure players de la littérature, singer ces crapuleuses institutions mais en montrant tout ce qu’elles ne sont pas, en étant simplement ce que nous sommes.

Et que sommes-nous ? Nous sommes des amoureux. Nous sommes nourris de désirs, nous sommes dépourvus de toute avidité, nous ne sommes pas ennemis ni même concurrents – pas encore – puisque nous nous sentons, éditeurs numériques, membres d’une fraternité. Or, Régis Debray nous l’a suggéré il y a peu, la fraternité se construit contre un adversaire. L’adversaire ici n’est pas le livre en papier, cette pauvre chose prise en otage. Non, il est en amont, il est si ancien ; c’est le même à travers les siècles, il veut tout, il ne laisse rien, il ne sait qu’être ogre ; il vend de la bouffe, des équipements, des bidules électroniques, de la « culture », des crédits, de la sécurité. Son but est toujours de tout manger. À commencer, dans le cas de la littérature, par les jurys, les éditeurs et les auteurs, pour finir par les lecteurs. Ligotez-moi tout ce petit monde ! ordonne-t-il dans ses fantasmes. Et si nous organisions un prix ?

Par exemple que chaque éditeur numérique choisisse, dans son catalogue, un livre à soumettre aux autres. Que ces cinq, huit ou quinze livres soient lus, étudiés, pendant trois mois, six mois. Puis que chaque éditeur vote pour un livre édité chez un autre. Un petit programme bidouillé sur un coin de table, un peu de php entre deux cafés et c’est dans la poche : numéro un, numéro deux, numéro trois. Les résultats sont publiés. Les lauréats ainsi mis en avant susciteront d’abord l’intérêt des lecteurs numériques. Les candidats non retenus y trouveront aussi leur compte, par le simple fait qu’ils auront été exposés (ne donnons pas les scores de ceux-là).

Voilà. Et si, nous aussi, profitant de notre jeunesse et de notre pureté actuelle, nous nous amusions à donner un prix à ce qui n’en a pas ?

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