L’assassinat du général Soleimani, martyr du monde multipolaire

L’assassinat du général Soleimani, martyr du monde multipolaire

Par Alexadre Douguine

Le contexte apocalyptique

L’assassinat du général Qasem Soleimani, commandant des forces spéciales d’Al-Qods du Corps des gardiens de la révolution islamique, le 3 janvier 2020, par des missiles américains, est un évènement qui intronise un état de fait totalement nouveau dans l’alignement des forces au Moyen-Orient.

Dans la mesure où le Moyen-Orient est un miroir des changements globaux de la géopolitique mondiale, cet événement prend une envergure qui affecte l’ordre mondial dans son ensemble. Ce n’est pas un hasard si de nombreux observateurs ont interprété la mort du général Soleimani, un héros de la lutte contre l’ISIL en Syrie et en Irak, comme le début d’une troisième guerre mondiale ou, à tout le moins, d’une guerre des États-Unis contre l’Iran. L’attaque de missiles iraniens sur deux bases militaires américaines en Irak le 8 janvier 2020 confirme, semble-t-il, cette analyse : La mort de Soleimani est le point de départ de la « bataille finale ». C’est précisément ainsi que cet événement a été perçu dans le monde chiite, où les attentes de la fin du monde et de la venue du Mahdi, le Sauveur promis à la fin des temps, sont si fortes qu’elles affectent non seulement leur vision religieuse du monde, mais aussi l’analyse des événements politiques et internationaux quotidiens. Les chiites voient la fin du monde comme une « bataille finale » entre les partisans du Mahdi et ses opposants, les forces du Dajjal. Les partisans du Mahdi seraient des musulmans (chiites et sunnites, mais à l’exception de courants tels que les wahhabites et les salafistes, reconnus comme extrémistes, « hérétiques » et « takfiri »), tandis que le Dajjal, l’Antéchrist islamique, est régulièrement associé à l’Occident, et en premier lieu aux États-Unis d’Amérique. La majorité des prophéties disent que la bataille finale aura lieu au Moyen-Orient, et que le Mahdi lui-même apparaîtra à Damas. La figure du Mahdi se retrouve également chez les sunnites, mais si les chiites croient qu’il s’agit de l’apparition de « l’imam caché » qui reste vivant mais « caché » jusqu’à ce jour, les sunnites quant à eux interprètent le Mahdi comme le leader du monde islamique qui apparaîtra à la fin des temps pour mener une bataille décisive contre le Dajjal, dans lequel la majorité des sunnites voient la civilisation matérialiste et athée de l’Occident moderne et, par conséquent, l’hégémonie américaine comme l’avant-garde la plus agressive de l’Occident.

Cette région est également directement impliquée dans d’autres récits apocalyptiques spécifiques à d’autres religions. Les Israéliens religieux (Haredim), par exemple, attendent la venue du Messie en Israël; c’est avec lui que le Temple de Jérusalem, le Troisième Temple, sera reconstruit. L’apparition de ce dernier est entravée par la mosquée al-Aqsa située à Jérusalem sur le site où se trouvait le deuxième Temple. Des sectes juives extrémistes, telles que les « Croyants du Mont du Temple », ont tenté à plusieurs reprises de construire un tunnel sous le mont sacré pour faire sauter al-Aqsa. Cela confère naturellement au conflit israélo-arabe une dimension particulière. Il est révélateur que le général Soleimani assassiné ait dirigé la division du Corps des gardiens de la révolution islamique appelée « Al-Qods », qui signifie « Jérusalem » et dont le principal objectif est d’empêcher les Israéliens de commencer à construire le troisième Temple, et de libérer la Terre Sainte des sionistes. Ce qui, selon les croyances des musulmans, devrait avoir lieu juste à la veille de la fin des temps.

Aux États-Unis, ce sont les sectes évangéliques extrêmes qui exercent une grande influence; dans l’esprit du « sionisme chrétien », elles interprètent les événements de la politique du Moyen-Orient comme un prélude au « second avènement du Christ », où les « ennemis du Christ » sont considérés comme les « armées du Roi Gog » du « pays du Nord », que les évangélistes associent traditionnellement à la Russie. En effet, la Russie opère activement en Syrie et renforce son influence dans toute la région.

Si l’on met tout cela ensemble, le tableau est extrêmement inquiétant : l’assassinat du général Soleimani s’inscrit dans ce contexte d’attentes apocalyptiques et est interprété par beaucoup comme le point de départ de l’Armaggedon, ou à tout le moins comme un évènement analogue à l’assassinat de l’archiduc Ferdinand à Sarajevo, qui avait déclenché le début de la Première Guerre mondiale.

Ainsi, l’assassinat du général Soleimani et les représailles de l’Iran sur les bases américaines sont des événements très radicaux, chargés de significations fondamentales et dont les conséquences sont difficiles à prévoir.

Multipolarité vs. unipolarité

Étant donné l’ampleur de l’importance des événements qui ont déjà eu lieu au tout début de 2020, il est important de commencer leur analyse en gardant à l’esprit le contexte général plus large. Ce contexte est défini par le passage du système mondial du monde unipolaire qui s’est dessiné à la fin du XXe siècle sous la domination sans ambiguïté de l’Occident (plus précisément des États-Unis) à un monde multipolaire dont les contours sont devenus de plus en plus clairs, ceci en relation avec le retour de la Russie de Poutine dans l’histoire en tant que force souveraine et indépendante et avec l’aggravation des relations américano-chinoises au point de provoquer une guerre commerciale.

Dans sa campagne préélectorale, le président Trump a lui-même promis aux électeurs qu’il refuserait toute intervention et qu’il réduirait les politiques de néo-impérialisme et de mondialisme, ce qui en fait un partisan potentiel de la transition pacifique vers la multipolarité. Mais avec sa décision d’assassiner Soleimani, Trump a complètement renié cette possibilité et a confirmé une fois de plus la place des États-Unis dans le camp des forces qui lutteront désespérément pour préserver le monde unipolaire. Dans ces actions, derrière le dos de Trump ont surgi les néocons américains et les sionistes chrétiens qui acheminent les événements vers la bataille finale. Mais cette bataille – qu’elle commence maintenant ou un peu plus tard – se déroulera déjà dans de nouvelles conditions : Les succès de la Russie en politique internationale, l’essor impressionnant de l’économie chinoise, ainsi que le rapprochement progressif entre Moscou et Pékin ont fait du monde multipolaire une réalité, offrant ainsi à tous les autres pays et civilisations – y compris les grands pays comme l’Inde ainsi que les leaders régionaux comme l’Iran, la Turquie, le Pakistan, les pays du monde arabe ainsi que l’Amérique latine et l’Afrique – la possibilité de choisir leur place dans cette construction antagoniste : soit continuer à se situer en tant que satellites de l’Occident (c’est-à-dire en jurant fidélité à l’unipolarité agonisante), soit se placer du côté du monde multipolaire et chercher leur avenir dans ce contexte.

Le suicide de Donald Trump

Une situation fondamentalement nouvelle s’est développée autour des événements tragiques survenus en Irak le 3 janvier 2020 : Le général Soleimani, assassiné par les Américains, constituait une partie organique du monde multipolaire et représentait dans ce rapport de forces non seulement les Gardiens de la révolution islamique ou même l’Iran dans son ensemble, mais tous les partisans de la multipolarité. En quelque sorte, à sa place, on aurait tout aussi bien pu avoir un soldat russe accusé sans fondement par les États-Unis de participer à la réunification avec la Crimée ou au conflit du Donbass, un général turc faisant ses preuves dans la lutte contre les terroristes kurdes, ou un banquier chinois causant des dommages considérables au système financier américain. Soleimani était une figure symbolique de la multipolarité, tué par les partisans de l’unipolarité au-delà de toutes les normes du droit international.

En décidant de liquider Soleimani, Trump a agi en tant que puissance purement unipolaire – « ainsi en ai-je décidé, ainsi doit-il en être » – sans tenir compte des conséquences, du risque de guerre ou des protestations de toutes les autres parties. Comme les présidents américains précédents, Trump a agi selon la logique suivante : seuls les États-Unis peuvent à eux seuls coller les étiquettes « méchants » ou « gentils » et agir envers les « méchants » comme ils l’entendent. Théoriquement, Poutine, Xi Jinping ou Erdogan pourraient tout aussi bien être appelés « méchants », et la seule question serait alors de savoir s’ils sont capables de se défendre avec les moyens de défense disponibles, y compris contre les coups d’État (comme Erdogan l’a déjà fait) ou les « révolutions de couleur » (auxquelles l’Iran est constamment confronté et que l’Occident, avec l’aide de la « cinquième colonne » de libéraux, tente constamment d’inciter en Russie). Trump s’est imposé de manière convaincante et a sévèrement critiqué ces politiques de la part des administrations précédentes, tant républicaines que démocrates, mais en décidant d’assassiner Soleimani, il a montré qu’il n’est pas différent de celles-ci.

C’est un moment très important dans la transition de l’unipolarité à la multipolarité. Trump représentait l’espoir que cette transition puisse se réaliser pacifiquement, auquel cas les États-Unis ne seraient plus un ennemi, mais un participant à part entière, une position qui lui permettrait théoriquement de renforcer considérablement sa position de force de premier plan dans le contexte de la multipolarité et de s’assurer une place privilégiée dans le club multipolaire dans son ensemble. Ces espoirs se sont effondrés le 3 janvier 2020, après quoi Trump est devenu un président américain ordinaire, comme les autres – peut-être pas pire, mais certainement pas meilleur. Il a confirmé le statut des États-Unis comme dragon impérialiste agonisant, fou, malveillant et toujours dangereux, mais n’ayant aucune chance d’éviter la « bataille finale ». Après cela, Trump a rayé son propre avenir et l’avenir des États-Unis en tant que pôle dans le monde multipolaire. Ce faisant, il a signé la condamnation à mort de l’Amérique pour l’avenir.

Pour le monde multipolaire qui se renforce, les États-Unis ne sont plus un sujet du processus, mais un objet, tout comme Trump, en assassinant Soleimani, a traité non seulement Téhéran, mais aussi Bagdad, Ankara, Moscou et Pékin comme des « objets » représentant de simples obstacles au renforcement de l’hégémonie américaine. Cela signifie la guerre, car le choc de l’unipolarité et de la multipolarité est une bataille pour le statut de sujet. Aujourd’hui, il ne peut y avoir deux sujets: soit un seul, comme Trump a tenté de le rappeler, soit plus de deux, ce qui est la base des stratégies de la Russie, de la Chine, de l’Iran, de la Turquie et de tous ceux qui acceptent la multipolarité.

Le succès des puissances multipolaires et le nouvel équilibre des forces : La fin de l’Amérique

Cette analyse de l’équilibre des forces mondiales aiguise considérablement, si l’on peut dire, toute la structure de la politique mondiale, car elle ramène la situation à la politique dans l’esprit de George W. Bush, Obama ou Hillary Clinton. Trump, qui se moque si sarcastiquement d’Hillary, est aujourd’hui apparu dans le rôle de la sanglante sorcière mondialiste. Mais les événements de ces dernières années – le renforcement des positions de la Russie au Moyen-Orient et ses succès particulièrement frappants en Syrie, le rapprochement de la Russie et de la Chine et la convergence entre le projet d’intégration « One Belt One Road » (une seule ceinture, la seule route) et la stratégie eurasienne de Poutine, et même les mesures antérieures de Trump visant à éviter la confrontation directe qui ont permis le renforcement des forces multipolaires en Méditerranée (où le rôle le plus important a été joué par le rapprochement des positions entre Poutine et Erdogan) – avaient déjà modifié de manière irréversible l’équilibre des forces. C’est avant tout le cas sur le territoire étroitement adjacent au royaume d’Armageddon reconnu comme tel à l’unanimité, quoique avec des signes différents, par toutes les variétés de tenants de l’apocalypse parmi les politiques.

L’évolution des événements qui suivra inévitablement l’assassinat du général Soleimani verra la confrontation entre, d’une part, les États-Unis et l’Occident aux côtés de leurs mandataires régionaux tels qu’Israël, l’Arabie saoudite et certains États du Golfe et, d’autre part, les puissances multipolaires que sont la Russie, la Chine, l’Iran, la Turquie et d’autres, franchir une nouvelle étape. Les États-Unis utilisent la politique de sanctions et de guerre commerciale contre leurs adversaires de telle sorte qu’un pourcentage toujours plus important de l’humanité se retrouve subir les sanctions américaines, et ce non seulement en Asie, mais aussi en Europe, où des entreprises européennes (principalement allemandes) ont été sanctionnées pour avoir participé au projet Nord Stream. C’est une manifestation de l’arrogance de l’hégémonie américaine, qui traite ses « partisans » comme des laquais et les gère par des punitions physiques. Les États-Unis n’ont pas d’amis, ils n’ont que des esclaves et des ennemis. Dans cet État, la « superpuissance solitaire » se dirige vers la confrontation, cette fois-ci pratiquement avec le reste du monde. À chaque occasion, les « esclaves » d’aujourd’hui chercheront sans aucun doute à échapper à l’inévitable reconnaissance de leur collaboration avec l’usurpateur unipolaire.

Washington n’a tiré aucune leçon de la volonté du peuple américain qui a élu Trump. Le peuple n’a pas voté pour la poursuite de la politique de Bush/Obama, mais contre elle, pour son rejet radical. Les élites américaines (et, plus largement, mondialistes) n’en ont pas tenu compte, et ont plutôt considéré le sentiment populaire comme simple produit des machinations de « hackers russes » et de « blogueurs ». Et maintenant, alors que Trump tend à nouveau partiellement la main à l’élite mondialiste agressive qui a perdu tout sens de la rationalité, la « majorité silencieuse » américaine n’a plus qu’une seule option : se détourner totalement du gouvernement américain. Si même Trump a fini par devenir un jouet entre les mains des mondialistes, cela signifie que les méthodes légales de lutte politique ont été épuisées. À moyen terme, l’assassinat du général Soleimani s’avèrera être le signal du début d’une véritable guerre civile aux États-Unis même. Si personne n’exprime la volonté de la société, alors la société elle-même entrera dans un mode spécial de sabotage passif. C’est ce à quoi il faut s’attendre aux États-Unis. Alors le peuple américain, pleinement dans l’esprit de ses traditions culturelles et politiques, choisira la multipolarité, et ce ne sera pas avec l’État, mais contre l’État « détourné » par l’élite mondialiste que même la première personne à la Maison Blanche n’est pas en mesure de contrer. L’assassinat de Soleimani signifie la fin de l’Amérique.

Le camp unipolaire est en crise profonde

Les partenaires européens des États-Unis ne sont guère prêts à une confrontation brutale avec le club multipolaire. Ni Merkel, qui a reçu une nouvelle gifle avec le Nord Stream, ni Macron assiégé par les Gilets jaunes et qui comprend maintenant d’une manière ou d’une autre qu’il faudra faire face au populisme (d’où sa « position spéciale » sur la Russie et les projets de création d’une armée européenne), ni Boris Johnson, qui vient de réussir à arracher la Grande-Bretagne au marécage étouffant de l’UE libérale (et qui n’est guère susceptible d’échanger aussi rapidement sa souveraineté durement acquise, quoique relative, contre un nouvel esclavage au profit des fous américains qui ont perdu tout sens du réalisme), ne brûlent d’envie de se jeter dans le feu d’une troisième guerre mondiale attisée par Washington et d’y être incinérés sans laisser de trace. L’OTAN s’effondre sous nos yeux autour de la Turquie, qui ne soutient plus les Etats-Unis dans aucun domaine au Moyen-Orient ou en Méditerranée orientale (ce que les Turcs appellent la « patrie bleue », le Mavi Vatan), c’est-à-dire sa propre zone de contrôle souverain. Le soutien de Washington à Israël, qui sape ses relations avec le monde arabe et, plus largement, avec le monde islamique, reste inconditionnel et totalement irrationnel – ou, pourrait-on dire, désespéré et même provocateur. Dans le même temps, Trump réduit l’alliance des États-Unis avec l’Arabie saoudite à un accord financier, ce qui ne constitue pas une base d’espoir pour une alliance à part entière, dont les États-Unis sont en fait génétiquement incapables.

Ainsi, les États-Unis entrent dans une troisième guerre mondiale entre une unipolarité agonisante et une multipolarité qui ne cesse de se renforcer dans des conditions bien pires encore que celles de l’administration précédente. Dans ces circonstances, Trump devrait encore être réélu, alors que ceux qui l’ont poussé à tuer Soleimani vont encore essayer de le faire tomber pour l’avoir fait. Après l’assassinat de Soleimani, la guerre et la paix ne font que miner la position de Trump. L’assassinat de Soleimani est une décision fatale qui sera sa perte. Les positions des populistes européens de droite qui ont soutenu ce geste suicidaire de Trump ont également été considérablement affaiblies. Le fait est qu’ils n’ont même pas choisi le camp de l’Amérique, mais qu’ils ont pris position pour une unipolarité mourante – et cela peut détruire n’importe qui.

Les nouvelles perspectives du monde multipolaire

Dans ce contexte, les pays qui sont tombés sous le coup de sanctions, en premier lieu la Russie, la Chine et l’Iran lui-même, ont déjà appris à vivre dans ces conditions et ont réagi en développant leurs propres armes stratégiques (Russie), leur propre structure économique (Chine, y compris au-delà de son propre territoire dans le cadre de l’énorme espace du projet de la Route de la soie), une énergie indépendante (Iran) et une géopolitique régionale indépendante (Turquie). Il ne reste plus qu’à redistribuer parmi les membres du club multipolaire les atouts les plus forts, et la multipolarité deviendra un adversaire véritablement sérieux et relativement invulnérable. Plus cet adversaire sera fort, plus il y aura de chances d’éviter une troisième guerre mondiale dans sa phase chaude et d’attendre l’effondrement de l’unipolarité, qui viendra inévitablement d’elle-même.

Un certain nombre de conséquences de l’assassinat du général Soleimani sont déjà claires. L’Iran a déclaré que le Pentagone était une organisation terroriste aux côtés de Daesch, ce qui signifie que ce qui est arrivé au général Soleimani pourrait arriver à n’importe quel soldat américain. Comme il n’y a pas eu de réponse à l’attaque de missiles sur les bases américaines en Irak, l’Iran aura pleinement confiance dans son efficacité au combat et commencera à développer des armes avec une vigueur renouvelée, en s’appuyant principalement sur la Russie. Il est important que dans ces circonstances, l’Iran ait déjà déclaré son retrait du traité sur la non-prolifération des armes nucléaires – après tout, il n’a rien à perdre. Un autre État islamique, le Pakistan, possède déjà des armes nucléaires. Tout comme un autre opposant régional à l’Iran : Israël. Téhéran n’a plus de raison de traiter avec ceux qu’il considère officiellement comme des « terroristes ».

La position de l’Irak, où les chiites constituent la majorité, est également importante. Pour l’ensemble du monde chiite, le général Qasem Soleimani était un héros incontesté. D’où la demande du Parlement irakien de retrait immédiat de toutes les troupes américaines du territoire irakien. Bien entendu, une décision parlementaire démocratique ne suffit absolument pas pour faire reculer les tueurs américains cyniques – ils seront là où ils le jugeront nécessaire et où ils auront quelque chose à gagner. Mais cela signifie le début d’une mobilisation générale anti-américaine de la population irakienne – non seulement des chiites, mais aussi des sunnites, qui sont radicalement anti-américains (d’où la raison pour laquelle de nombreux partisans sunnites de Saddam Hussein ont rejoint Daesch, croyant qu’ils se battaient contre les Américains avec lesquels les chiites avaient passé un accord). Aujourd’hui, tout le monde, tant les chiites que les sunnites irakiens, réclament le retrait des troupes américaines, puisque désormais la quasi-totalité de la population irakienne, à l’exclusion de certains des Kurdes que les États-Unis ont de toute façon cyniquement trahis récemment, est prête à entamer une lutte armée contre les occupants. C’est déjà beaucoup, mais l’Irak pourrait aussi compter dans sa guerre anti-américaine sur la Russie et partiellement sur la Chine, qui représentent ensemble les colonnes de la multipolarité, ainsi que sur l’Iran et la Turquie.

Dans cette situation, la position de la Russie est essentielle : d’une part, la Russie n’est pas impliquée dans les contradictions régionales entre les États, les ethnies et les courants religieux, ce qui rend sa position objective et son aspiration à la paix et à la restauration de la souveraineté de l’Irak sincère et cohérente ; d’autre part, la Russie dispose d’un niveau d’armement important pour soutenir la guerre des Irakiens pour la liberté et l’indépendance (comme cela a été fait en Syrie, où la Russie a démontré toute son efficacité, ou comme cela se passe actuellement en Libye). L’Irak est en train de devenir la principale plate-forme de la politique mondiale, et une fois de plus, nous avons affaire à une civilisation très ancienne, au cœur du Moyen-Orient, sur cette terre qui, selon la géographie biblique, était autrefois le « paradis sur terre » et qui est aujourd’hui transformée en son contraire.

Maintenant, le plus important dans ces circonstances est de tirer profit de ce qui, d’un point de vue global, devrait être considéré comme « l’erreur fatale » de Trump. L’assassinat du général Soleimani n’améliore pas les positions des États-Unis, mais exclut plutôt un scénario pacifique de transition vers la multipolarité et prive Trump de toute chance de réussir une réforme à long terme de la politique américaine. La situation d’Israël, encerclé par une haine totale des les peuples environnants, devient extrêmement problématique. Lorsque l’existence d’Israël ne dépend pas d’un équilibre complexe des forces, mais d’un seul camp qui perd rapidement sa domination, sa situation devient extrêmement risquée. Israël, en tant que projet trop hâtif et pseudo-messianique créé par des nationalistes pro-occidentaux qui avaient décidé de ne pas attendre le Messie mais de remplacer son arrivée par leur propre volontarisme, risque d’être victime de la mort de l’ordre mondial unipolaire – et pour cela il peut bien « remercier » Trump ainsi que l’extrême droite israélienne qui l’a poussé vers de telles démarches suicidaires.

La Russie est persévérante et gagnante

Qu’en est-il de la Russie ? La Russie n’est pas pressée de prendre clairement le parti de l’Iran, alors qu’en Iran même, une partie de l’élite préfère négocier avec les États-Unis et éviter un rapprochement avec Moscou. Dans les deux puissances, Russie et Iran, la « sixième colonne » [1] a agi en tandem en essayant par tous les moyens de briser l’axe Moscou-Téhéran et d’empêcher une alliance russo-chiite étroite qui, malgré tout, a pris forme en Syrie, où les Iraniens (sous le général Soleimani) et les Russes ont combattu côte à côte contre des extrémistes faisant objectivement le jeu du monde unipolaire. De telles tentatives vont certainement se poursuivre, et les mondialistes vont essayer d’utiliser la « cinquième colonne » en Iran dans une stratégie de « révolution de couleur » pour renverser les conservateurs et plonger l’Iran dans le chaos de la guerre civile. L’Occident est certainement aussi prêt à lancer le même scénario en Russie, et cela devient de plus en plus pertinent alors que nous approchons de la fin du dernier mandat de Poutine, qui représente le principal gage d’une politique souveraine et multipolaire de la Russie

Le monde unipolaire est condamné, mais il serait insensé d’espérer qu’il cède sans combattre. De plus, l’assassinat du général Soleimani exclut un scénario pacifique pour l’avenir, car on ne peut plus attendre de Trump et de Washington qu’ils acceptent volontairement ce changement de l’ordre mondial et, par conséquent, qu’ils acceptent de reconnaître la légitimité de toute autre puissance que les États-Unis.

Ce qui reste à faire pour les puissances du monde multipolaire – Russie, Chine, Iran, Turquie, Irak et tous les autres – c’est de forcer tous ceux qui s’opposent désespérément à la multipolarité à l’accepter. Après tout, il ne s’agit pas de forcer qui que ce soit à accepter la domination russe ou chinoise. C’est en cela que la multipolarité diffère de l’unipolarité. Le monde multipolaire laisse à chacun le droit de construire la société qu’il veut avec les valeurs qu’il choisit. Il n’y a pas de critères universels ici ; personne ne doit rien à personne si ce n’est le respect de son droit à renforcer sa propre identité, à construire sa propre civilisation (que cela plaise ou non) et à vivre dans son propre avenir (et non dans celui d’un autre). La contrainte à la multipolarité ne sacrifie que le monde unipolaire, l’hégémonie américaine et l’idéologie libérale totalitaire avec son système capitaliste comme universels. L’Occident peut rester libéral et capitaliste aussi longtemps qu’il le souhaitera, mais les frontières de cette idéologie et de ce système économique, si toxiques pour les autres cultures, doivent être strictement définies. C’est le but de la lutte en cours – la lutte au nom de laquelle le martyr du monde multipolaire, le héros de la Résistance, le grand général iranien Qasem Soleimani, a donné sa vie.

Source: https://www.geopolitica.ru/en/article/qasem-soleimani-martyr-multipolar-world-and-new-geography-great-war-continents

Traduction: Maria Poumier


[1] Concept créé par Alexandre Douguine, pour désigner ceux qui en Russie, se rangent derrière Poutine, mais pour faire primer dans son camp l’option néo-libérale. « La mission historique de faire revivre la Russie est le principal objet de la haine de la sixième colonne. Elle joue dans l’intérêt d’une civilisation qui est une alternative à la Russie. En fait, c’est la même chose que la cinquième colonne mais en faisant seulement semblant d’être autre chose ».Voir https://lesakerfrancophone.fr/la-6eme-colonne

Source: Lire l'article complet de Réseau International

À propos de l'auteur Réseau International

Site de réflexion et de ré-information.Aujourd’hui nous assistons, à travers le monde, à une émancipation des masses vis à vis de l’information produite par les médias dits “mainstream”, et surtout vis à vis de la communication officielle, l’une et l’autre se confondant le plus souvent. Bien sûr, c’est Internet qui a permis cette émancipation. Mais pas seulement. S’il n’y avait pas eu un certain 11 Septembre, s’il n’y avait pas eu toutes ces guerres qui ont découlé de cet évènement, les choses auraient pu être bien différentes. Quelques jours après le 11 Septembre 2001, Marc-Edouard Nabe avait écrit un livre intitulé : “Une lueur d’espoir”. J’avais aimé ce titre. Il s’agissait bien d’une lueur, comme l’aube d’un jour nouveau. La lumière, progressivement, inexorablement se répandait sur la terre. Peu à peu, l’humanité sort des ténèbres. Nous n’en sommes encore qu’au début, mais cette dynamique semble irréversible. Le monde ne remerciera jamais assez Monsieur Thierry Meyssan pour avoir été à l’origine de la prise de conscience mondiale de la manipulation de l’information sur cet évènement que fut le 11 Septembre. Bien sûr, si ce n’était lui, quelqu’un d’autre l’aurait fait tôt ou tard. Mais l’Histoire est ainsi faite : la rencontre d’un homme et d’un évènement.Cette aube qui point, c’est la naissance de la vérité, en lutte contre le mensonge. Lumière contre ténèbres. J’ai espoir que la vérité triomphera car il n’existe d’ombre que par absence de lumière. L’échange d’informations à travers les blogs et forums permettra d’y parvenir. C’est la raison d’être de ce blog. Je souhaitais apporter ma modeste contribution à cette grande aventure, à travers mes réflexions, mon vécu et les divers échanges personnels que j’ai eu ici ou là. Il se veut sans prétentions, et n’a comme orientation que la recherche de la vérité, si elle existe.Chercher la vérité c’est, bien sûr, lutter contre le mensonge où qu’il se niche, mais c’est surtout une recherche éperdue de Justice.

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