La diplomatie mexicaine réagit face aux Etats-Unis dans le cadre de la bataille diplomatique autour de la Banque interaméricaine de développement. L’élection du nouveau président de cette banque de développement -fondée en 1959 dans le but de réduire la pauvreté en Amérique latine et dans les Caraïbes- doit se tenir les 12 et 13 septembre prochains. Mais alors que ce poste est traditionnellement réservé à une personnalité latino-américaine, Donald Trump a décidé de présenter son propre candidat : Mauricio Claver-Carone. Né en Floride, ce conseiller de la Maison blanche pour l’Amérique latine est un farouche partisan de l’embargo contre Cuba et de la méthode forte pour venir à bout du gouvernement de Nicolas Maduro au Venezuela. Dans cette tribune publiée dans le quotidien espagnol El País, le Sous-secrétaire d’État pour l’Amérique latine et les Caraïbes du ministère des affaires étrangères du Mexique, Maximiliano Reyes Zúñiga, revient sur l’importance de ne pas « politiser » la banque de développement, une des principales sources de financement de la région.
« L’interprétation de notre réalité en utilisant les schémas des autres ne fait que contribuer à nous rendre de plus en plus inconnus, de moins en moins libres, de plus en plus solitaires » Gabriel Garcia Marquez. La solitude de l’Amérique latine (1982)
Il est essentiel d’éviter de politiser la Banque interaméricaine de développement qui est, et doit continuer d’être, le bras financier et technique de la région.
En juin dernier, l’administration Trump a créé la surprise avec la nomination de Mauricio Claver-Carone pour diriger la Banque interaméricaine de développement (BID). Les États-Unis ont ainsi enfreint la règle non écrite selon laquelle la Banque doit être dirigée par un latino-américain. Ils ont confronté notre région à un dilemme et ont ajouté un facteur de division, menaçant de briser des consensus durement acquis.
La BID trouve son origine dans la première conférence panaméricaine de 1890 et s’est concrétisée en 1959 sous l’impulsion du président américain de l’époque, Dwight D. Eisenhower. Dès sa création, elle a été conçue comme une banque régionale, basée à Washington mais gérée par les pays qu’elle sert. Ainsi, la BID a eu quatre présidents latino-américains : le Chilien Felipe Herrera (1960-1970), le Mexicain Antonio Ortiz Mena (1971-1988), l’Uruguayen Enrique V. Iglesias (1988-2005) et le Colombien Luis Alberto Moreno (2005-présent).
La BID a joué un rôle historique depuis sa création. Au cours des 61 dernières années, la Banque a financé plus de 260 milliards de dollars aux 26 pays emprunteurs d’Amérique latine, dans le but de réduire la pauvreté et de promouvoir le développement économique. Aujourd’hui, alors que nous traversons l’une des pires crises économiques, la BID est une fois de plus appelée à jouer un rôle historique.
Un ennemi invisible a provoqué la pire pandémie des temps modernes et son épicentre est actuellement l’Amérique latine. La CEPALC prévoit une baisse du PIB régional de 9,1% cette année, un chiffre jamais atteint auparavant. Dans ce scénario, la BID doit jouer un rôle clé en tant que source de financement pour la région, en élargissant encore ses prêts pour stimuler la reprise. À cette fin, il sera essentiel qu’elle soit dirigée par un latino-américain ayant une solide formation, et qu’elle soit profondément sensible aux besoins et aux particularités de la région.
Dans ce contexte, il est essentiel d’éviter de politiser la BID. Nous disposons d’une vaste infrastructure institutionnelle dans la région : au sein de l’OEA, nous décidons des questions politiques, la Celac est le mécanisme de coopération et de coordination des 33 pays d’Amérique latine et la BID est, et doit continuer d’être, le bras financier et technique de la région. Il est important que cet équilibre soit maintenu et, en raison de l’ampleur des défis auxquels la BID est confrontée, ses décisions devront être fondées sur des considérations économiques et financières solides, et non idéologiques.
La position du Mexique concernant l’élection [du nouveau président] de la BID est claire : [il faut] respecter la tradition et faire en sorte que le prochain président soit latino-américain. En diplomatie, les règles non écrites sont aussi fortes que les règles codifiées et sont une des sources du Droit international. Rompre ce précédent perturberait l’équilibre régional qui a permis à l’institution de fonctionner. D’autre part, le Mexique est résolument engagé en faveur du Sud – raison pour laquelle il a assumé la présidence pro tempore de la Celac – et, en toute cohérence, il se bat pour que la région préserve d’importants espaces. C’est pourquoi le Mexique a exprimé son soutien envers l’Argentin Gustavo Béliz, qui possède de nombreuses qualifications et une grande expérience au sein de la Banque, outre le fait que ce serait la première fois que cette organisation serait dirigée par un Argentin, l’une des principales économies de notre région.
Il est important de préciser que cette position n’implique pas un différend avec les États-Unis, avec lesquels nous entretenons d’excellentes relations, ce qui a été récemment confirmé par la visite du président Andrés Manuel López Obrador à Washington. Nous pensons que les pays de la Banque de développement de l’Amérique latine et des Caraïbes doivent être ceux qui la dirigent et maintenir ainsi l’équilibre par rapport aux partenaires ayant un plus grand pouvoir de vote.
Le siège de la BID est déjà situé à Washington et ce pays détient 30 % des droits de vote. Pour le bien de l’Amérique latine et de l’institution elle-même, la Banque interaméricaine de développement (BID) ne peut pas devenir la « Banque américaine de développement » (BAD).
Maximiliano Reyes Zúñiga, Sous-secrétaire d’État pour l’Amérique latine et les Caraïbes du ministère des affaires étrangères du Mexique.
Traduit par Luis Alberto Reygada (@la_reygada) pour Le Grand Soir
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