Par Leonid Savin – Le 2 juillet 2020 – Source Oriental Review
Le 19 juin, la section non classifiée de la nouvelle Stratégie de défense de l’espace a été publiée par le Pentagone, et elle indique clairement que les États-Unis considèrent l’environnement comme un champ d’opérations.
Le document accessible au public est court, mais il montre explicitement la position et les intentions de l’armée américaine en ce qui concerne l’espace – pour atteindre et maintenir la supériorité militaire américaine.
Dans l’esprit des stratégies et doctrines précédentes, la Russie, la Chine, l’Iran et la Corée du Nord, (qui ne laisseront jamais les citoyens américains dormir sur leurs deux oreilles) sont une fois de plus utilisés comme justification.
Le façonnage de l’opinion publique sur ce sujet a débuté il y a des années. En 2017, le US Senate Select Committee on Intelligence a examiné un rapport spécial déclarant que la Russie et la Chine utiliseraient « tout l’éventail » des possibilités de guerre spatiale afin de « réduire l’efficacité militaire des États-Unis ».
Des peurs similaires ont été soulignées dans un article de Forbes publié en juillet 2019. Ce dernier évoquait la possibilité d’une cyber-attaque des satellites militaires américains par la Russie et la Chine. Il relevait également que « la guerre électronique de la Russie en Europe et au Moyen-Orient et les cyber-attaques de la Chine sont devenues la réalité de la guerre hybride des temps modernes ». L’article mentionne également les travaux du Consultative Committee for Space Data Systems, dont le rapport a été publié en 2015.
La nouvelle stratégie explique que l’espace ne constitue pas un « sanctuaire à l’abri des attaques », et que « les systèmes spatiaux sont des cibles potentielles dans des conflits de tous niveaux ». Elle indique également que « la Chine et la Russie constituent la plus grande menace stratégique du fait qu’elles développent, testent et déploient des capacités anti-spatiales ; elles disposent également d’une doctrine militaire commune d’emploi de ces capacités dans le cas d’un conflit qui s’étendrait au domaine spatial. La Chine et la Russie ont chacune amené des armes dans l’espace afin de réduire l’efficacité militaire des États-Unis et de leurs alliés, et de limiter notre liberté d’opérations dans l’espace ».
La stratégie inclut une approche des opérations de défense déclinée en quatre points :
- construire un avantage militaire visible dans l’espace ;
- intégrer l’espace dans les opérations nationales, conjointes et combinées ;
- modeler l’environnement stratégique ;
- coopérer avec les alliés, les partenaires, les industries et les départements et agences du gouvernement américain.
Elle stipule que le système de défense spatial américain existant n’a pas été conçu pour l’environnement actuel. Aujourd’hui, les intérêts américains dans l’espace ont atteint un tel niveau qu’ils n’améliorent pas seulement les capacités, mais sont également liés au style de vie et aux méthodes de guerre. En conséquence, la sécurité nationale des États-Unis et leur prospérité nécessitent un accès illimité à l’espace.
Cependant, en dehors des quatre nations déjà mentionnées, il n’y a aucune indication d’autre menace pouvant limiter l’accès des États-Unis à l’espace. Cela est intrinsèquement du au travail conjoint qui a lieu depuis des années dans la Station Spatiale Internationale.
L’idée de créer une force spatiale a été ébauchée par Donald Trump en Mars 2018 lorsqu’il signa la nouvelle Stratégie Nationale de Sécurité. A cette époque, il mentionna que « l’espace est un domaine militaire, tout comme la terre, l’air et la mer ». Il fut souligné que « dans les opérations militaires, l’espace n’est pas seulement un endroit depuis lequel nous soutenons les opérations dans d’autres domaines, mais un domaine de guerre en tant que tel ».
Le coût de mise en place de la force spatiale, et de son maintien pendant 5 ans serait de 13 milliards de dollars. Jusqu’en 2020, la US Air Force s’occupait des activités militaires dans l’espace, mais les attributions sont désormais bien séparées. Selon la US Air Force, la US Space Force compte un effectif de 13 000 personnes.
Le 21 Janvier, la US Space Development Agency a annoncé sept axes de travail, dénommés constellations. Ils sont ainsi définis :
- Transport : communication fiable entre les forces américaines à travers le monde ;
- Gestion de combat : assurer le commandement et le contrôle ;
- Suivi : détecter et suivre les missiles ennemis, y compris les missiles hypersoniques ;
- Surveillance : suivre les lanceurs ennemis au sol et d’autres cibles mobiles.
- Navigation : améliorer ou remplacer le GPS ;
- Dissuasion : dissuader des actions hostiles dans « l’espace lointain », i.e. de l’orbite géosynchrone à la distance lunaire 1 ; et
- Soutien : relier les systèmes satellite terrestres, y compris les lanceurs.
Tous ces axes devraient être en fonction activement à la fin des années 2020.
Au même moment, il fut annoncé que le Pentagone prévoit la création d’un grand nombre de nouveaux satellites. Ils seront apparemment moins chers (environ 10 millions de dollars chacun) et plus légers (quelques centaines de kilos). Un satellite sera construit chaque semaine et, à cette cadence, la nouvelle constellation sera mise en orbite en 2022, et sera complétée tous les deux ans.
Comme d’habitude, l’industrie de défense américaine a volontiers répondu à Gil Klinger, vice-président du département spatial de Raytheon, qui pense que « la communauté spatiale doit reconnaître le besoin d’intégrer pleinement toutes les forces spatiales américaines dans le combat ». Il indique qu’il ne s’agit pas uniquement de conserver des satellites opérationnels. Les opérations de soutien doivent également inclure l’harmonisation, l’intégration, et devenir une composante essentielle des capacités opérationnelles que les forces américaines utilisent dans d’autres domaines. Klinger propose le développement de forces spatiales combinées et collaboratives.
Dès Janvier 2020, la nouvelle force spatiale américaine avait débuté la construction d’un arsenal de 48 systèmes au sol. Ces armes sont conçues pour pouvoir brouiller temporairement les satellites de communication russes ou chinois dans les premières heures d’un éventuel conflit. Ils seront construits et mis en service au cours des sept prochaines années.
Le premier système construit par L3Harris Technologies Inc. a été déclaré opérationnel en mars 2020 après plusieurs années de développement, et la force spatiale américaine a signé un contrat pour 16 unités. Un nouveau système, nommé Meadowland, est également en cours de développement. Plus léger, son logiciel pourra être mis à jour, et il sera capable de brouiller plus de fréquences.
Il convient de retenir que la Russie a proposé à plusieurs reprises de signer un accord avec les États-Unis pour interdire l’usage d’armes dans l’espace. Mais les législateurs, les agents de renseignement et les hauts fonctionnaires américains qui écrivent sur un conflit possible dans l’espace préfèrent taire ce sujet.
Leonid Savin
Traduit par Clément, relu par Hervé pour le Saker Francophone
Notes
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