par Aram Aharonian.
Toute la presse hégémonique spécule sur le vaccin contre le covid-19, la pilule (ou potion) miracle qui mettra ipso facto fin à la « pandémie ». Peu de gens ont pensé à la période post-pandémique, à ce que seront l’Amérique Latine et les Caraïbes, alors que les prévisions optimistes prévoient un chômage de 50 millions de personnes d’ici la fin de l’année et une pauvreté qui atteindra 230 millions de personnes, soit 37% de la population de la région.
La situation économique sera similaire à celle d’il y a dix ans : la Commission Économique pour l’Amérique Latine et les Caraïbes (CEPALC) parle d’une décennie perdue. Mais, pour être honnête, il y a d’autres pandémies que nous traînons depuis 1492 et pour lesquelles il semble n’y avoir aucun remède. Aujourd’hui, 96 millions de Latino-Américains et de Caribéens n’ont aucun revenu.
Nous sommes hypersensibles aux conséquences humaines du Covid-19 et la presse hégémonique – radio, journaux, magazines, télévision, réseaux sociaux – suit quotidiennement la course des sociétés pharmaceutiques transnationales pour savoir qui sera le premier à breveter le vaccin contre le coronavirus. On ne lutte pas contre la pauvreté ou la malnutrition, car ce n’est pas un business.
Pensons donc à la post-pandémie, au chômage et à la nécessité de nourrir des millions de concitoyens, sans accès au travail (et donc à la nourriture), alors qu’ils doivent choisir entre un morceau de pain et le quota internet ?
L’analyste chilien Marcos Roitman se demande s’il existe un vaccin contre la pauvreté ou contre la fuite des capitaux. Peut-on lutter contre la faim ? Un logement décent et une éducation publique de qualité sont-ils viables ? Dans notre région, les pauvres meurent chaque jour de maladies qui attirent beaucoup moins la presse, comme la rougeole, la dengue, la diphtérie, la maladie de Chagas, mais qui ont la même mortalité.
La faim, le manque de conditions d’hygiène, l’exploitation des enfants, le chômage, la traite des femmes ne sont pas considérés comme une pandémie et mourir de ces causes est un événement naturel. Ainsi, la nécropolitique apparaît comme une forme d’organisation sociale du capitalisme.
Est-il possible d’avoir une santé publique pour tous ? Il est évident que cela porterait atteinte à la santé privée, aux médecins-taximètres, aux cliniques privées et aux entreprises pharmaceutiques, entre autres. Les chiffres nous montrent que 22% de la population mondiale (600 millions de personnes) ne reçoit aucun soin médical, tandis que 115 millions d’enfants de moins de cinq ans souffrent de malnutrition chronique et que 700 enfants meurent chaque jour de diarrhée.
Les photos et les vidéos nous montrent nos nouvelles réalités qui, au nom du dieu Marché, comme la privatisation des soins de santé en les mettant entre les mains des vautours des sociétés de capital-risque, sont une atteinte à la dignité humaine. Les cadavres abandonnés dans les rues se multiplient dans les rues de Lima, Santiago, Bogotá, Quito, Rio de Janeiro et São Paulo. Morts du covid-19 ou de toute autre pandémie, notamment de la faim.
La mort pour ces gouvernements néolibéraux est leur arme de guerre, et ils continueront à tuer des citoyens, hommes, femmes et enfants, même si le vaccin covid-19 est mis au point. Car pour le capitalisme, les traitements des maladies et des pandémies sont la propriété d’une entreprise, nationale ou transnationale.
Nécropolitique, nécroéconomie
Achille Mbembe, un théoricien camerounais qui a inventé le concept de nécropolitique, souligne que la politique de la mort, orchestre les différents moyens par lesquels les armes sont déployées afin de parvenir à une destruction maximale des personnes et à la création de mondes de mort, formes uniques et nouvelles d’existence sociale dans lesquelles de nombreuses populations sont soumises à des conditions qui leur confèrent le statut de morts-vivants.
La nécropolitique, dit Mbembe, est liée au concept de la nécroéconomie : une des fonctions du capitalisme actuel est de produire à grande échelle une population superflue, que le capitalisme n’a plus besoin d’exploiter, mais qu’il doit gérer d’une manière ou d’une autre. Une façon de se débarrasser de ces populations excédentaires est de les exposer à toutes sortes de dangers et de risques, souvent mortels. Une autre technique consisterait à les isoler et à les enfermer dans des zones de contrôle. C’est la pratique du « zonage ».
Mbembe souligne que la fonction génétique du capitalisme est de produire des races, qui sont en même temps des classes. La race n’est pas seulement un complément au capitalisme, mais quelque chose qui s’inscrit dans son développement génétique. Au début du capitalisme, du XVe siècle à la révolution industrielle, l’esclavage des Noirs était le plus grand exemple de l’imbrication des classes et des races.
« Dans les conditions actuelles, la manière dont les noirs étaient traités à cette époque s’est étendue au-delà des noirs eux-mêmes. Le « devenir noir du monde » est ce moment où la distinction entre l’être humain, l’objet et la marchandise tend à disparaître et à s’effacer, sans que personne – noirs, blancs, femmes, hommes – ne puisse y échapper », dit-il.
Il affirme que c’est précisément à partir de la nécropolitique et de la nécroéconomie que l’on peut comprendre la « crise des réfugiés », conséquence directe de deux formes de catastrophes : les guerres et la dévastation écologique, qui s’affirment mutuellement. Les guerres sont des facteurs de crises écologiques et l’une de leurs conséquences est d’encourager les guerres.
La crise des réfugiés est également liée à la « repopulation du monde », car les sociétés du Nord vieillissent, leur besoin de repeupler augmente, et la migration illégale est une partie essentielle de ce processus, qui va probablement s’intensifier dans les années à venir. La réaction de l’Europe est schizophrène : elle érige des murs autour du continent, mais elle a besoin de l’immigration pour ne pas vieillir, explique Mbembe.
Le gouvernement privé indirect au niveau mondial est un mouvement historique des élites qui aspirent, en fin de compte, à abolir le politique. Détruire tout espace et toute ressource – symbolique et matérielle – où il est possible de penser et d’imaginer ce qu’il faut faire du lien qui nous unit aux autres et aux générations qui suivent.
Pour ce faire, les élites procèdent par des logiques d’isolement – séparation entre pays, classes, individus les uns des autres – et de concentration des capitaux où il est possible d’échapper à tout contrôle démocratique – expatriation des richesses et des capitaux vers des paradis fiscaux déréglementés, entre autres. Ce mouvement ne peut se passer de la puissance militaire pour assurer son succès : la protection de la propriété privée et la militarisation sont aujourd’hui corrélées, elles doivent être comprises comme deux sphères d’un même phénomène.
La crise humanitaire comme business
La biopolitique nécessaire au capitalisme (préserver la vie et la santé pour garantir la normalité de l’accumulation) a dû être combinée avec la nécropolitique (faire mourir ceux qui sont déjà jetables). Les déclarations du lieutenant-gouverneur du Texas, Dan Patrick, qui a déclaré que les plus de 70 ans devraient être laissés pour compte afin de sauver l’économie américaine, sont choquantes.
La pandémie fera des millions de morts parmi les citoyens, mais laissera des millions de dollars à quelques entrepreneurs aux poches pleines, comme les propriétaires de systèmes de communication ou certaines entreprises pharmaceutiques, avec le rêve de vendre des milliards de doses de vaccin.
Mais ceci, bien qu’immoral, n’est pas nouveau non plus : le coût du traitement contre l’hépatite C est de 1,5 euros mais la dose se vend à mille euros. Médecins sans frontières a souligné que dans un pays pauvre, un vaccin ou un médicament coûte 68 fois plus cher que dans un pays développé.
La vérité est que des dizaines de millions des 630 millions de Latino-Américains et de Caribéens supportent l’aliénation sociale et le confinement sous la faim : peu de gouvernements ont créé des plans pour aider leurs citoyens, qui dans plusieurs pays ont recours à des pots populaires ou communs et à la solidarité de classe pour faire face à la pandémie.
Est-ce la montée du « capitalisme des catastrophes », qui vient après la pandémie ?
La crise humanitaire n’est pas seulement la pandémie de covid-19. C’est dans la majorité de nos pays que la faim, la pauvreté, l’inégalité, la misère et le chômage coexistent avec l’évasion fiscale, la fuite des capitaux et l’exploitation des ressources naturelles par les sociétés transnationales et contre la nature et la souveraineté.
Aucun vaccin n’est recherché pour ces pandémies : le capitalisme, dans sa course nécropolitique, ne les combat pas. Elle les encourage.
source : http://estrategia.la
traduit par Réseau International
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