Il s’en est fallu de peu pour que la très surestimée crise grippale de l’an 2020 ne vienne faire perdre toute sa crédibilité au parti des gens de science, tantôt par leurs estimations dantesques et terrifiantes, tantôt par l’omniprésence vulgaire de la médecine des plateaux, mais également par la profusion d’injonctions contradictoires suivie d’un encadrement policier dont le niveau de pitrerie fut rarement atteint.
Au milieu du tumulte du monde un homme, d’apparence paisible, est venu rétablir la science médicale dans sa position dominante de prêtrise du monde contemporain : monsieur Didier Raoult.
Précisons d’emblée que les positions de monsieur Raoult ne seront pas l’objet du présent écrit ; en effet, il n’est pas pour nous déplaire que ce dernier participe à une revalorisation de l’art médical face à la gestion économique et technicienne du cheptel humain ; de même que les multiples manifestations de bon sens dont il fit preuve (en questionnant notamment l’utilité réelle de la sur-vaccination ; celle de la création de nouvelles médications pour des maladies dont le temps a prouvé que les anciennes réponses continuaient de faire effet ; celle du rôle symbolique qu’un homme peut endosser malgré lui durant des périodes troublées, etc.) ne peuvent qu’être saluées.
Plus que monsieur Raoult nous surprend l’engouement autour de sa personne dont il semble, à son corps défendant, plus victime qu’autre chose. Enfin, pour parler vrai, monsieur Raoult n’est qu’un prétexte pour rappeler ici la vivacité d’un mal plus grand que n’importe quelle épidémie : l’avènement d’une médecine techno-marchande de masse, déshumanisante et eugéniste, dont les partisans de tous bords se gardent bien d’évoquer la dangerosité réelle, occupés qu’ils sont à détruire ou idolâtrer l’archevêque marseillais.
I — L’idole des jaunes : le conformisme à l’ordre ancien comme élément d’apparente subversion
Apparaît déjà comme subversif à notre époque celui qui se conforme à l’ordre, récemment bouleversé, de l’accumulation de diplômes et de récompenses. En parlant le même langage que ses adversaires – celui des publications scientifiques et du dogmatisme universitaire –, monsieur Raoult fait seulement œuvre de contradicteur et jamais d’opposant à l’ordre établi, et ce n’est pas son accueil plus que favorable de la part de l’appareil étatique et médiatique qui saurait nous persuader du contraire.
Il est certain que par-delà l’image de français réservé et sûr de lui, c’est le besoin de représentation du peuple qui se fait sentir, mais là réside un écueil majeur : celui de considérer comme un camarade celui qui ne fait que remettre le système sur ses rails. Les interventions passées de monsieur Raoult dans le journal Le Point sont à cet égard riches d’enseignements ; posons-nous donc les bonnes questions. L’homme qui raisonne en termes de classements internationaux pour pousser à de plus grands investissements dans la recherche médicale, qui raisonne suivant la loi du nombre de publications, qui milite activement pour le progrès technologique en matière médicale alors même que celui-ci est indissociable de tous les ravages de la société techno-industrielle, cet homme mérite‑t’il d’être qualifié de rebelle ?
Au-delà même de son être, sa méthode de communication ne parvient pas à renverser la puissance incapacitante des écrans et la vocation de nouvelle prêtrise de la médecine moderne, tout à fait adaptée à l’université productrice du clergé contemporain. Que l’on soit bien clair, un bilan par voie de vidéo ne participe ni à l’émancipation intellectuelle ni à la désintoxication médiatique ; au mieux, il entretient ce goût du présent perpétuel et de la quête d’informations déliée du temps long. Là encore, le rebelle est indécelable, et plus encore se trouve renforcée la dépendance vis-à-vis des écrans et la passivité imposée qui les caractérise.
Plus que jamais l’amer constat de Pier Paolo Pasolini convient à notre époque d’omniprésence de l’image :
« [la télévision] constitue le lieu où se concrétise une mentalité qui, sans elle, ne saurait où se loger. C’est à travers l’esprit de la télévision que se manifeste concrètement l’esprit du nouveau pouvoir. Nul doute (les résultats le prouvent) que la télévision soit autoritaire et répressive comme jamais aucun moyen d’information au monde ne l’a été. […] Le fascisme, je tiens à la répéter, n’a pas même au fond, été capable d’égratigner l’âme du peuple italien, tandis que le nouveau fascisme, grâce aux nouveaux moyens de communication et d’information (surtout, justement la télévision), l’a non seulement égratignée, mais encore lacérée, violée, souillée à jamais… »[1].
II — La virginité retrouvée de la machinerie médicale inhumaine
Malgré les apparences, l’idolâtrie présente a redonné entière légitimité au corps médical en tant qu’autorité suprême, détentrice d’un pouvoir fondé sur la méconnaissance qu’ont les individus de leur propre corps. Telle méconnaissance ne peut bien sûr qu’entretenir la domination technicienne et marchande qui régit notre époque. Dans son dernier essai, Thérèse Hargot, se servant de l’exemple du traitement médical du corps féminin, ne manque pas de dévoiler avec justesse les incidences d’une médecine conçue non pas comme un art mais comme un rapport entre un objet de savoir (le médecin) et un objet de symptômes (le corps) :
« Puisque le corps féminin a mauvaise réputation, une médecine spécifique capable de le soigner devait se développer : la gynécologie. Du grec gunê, « femme » et logos, « science », elle est la spécialité consacrée entièrement à l’organisme de la femme et à son appareil génital. Il n’existe pas de médecine équivalente pour les hommes. Cette différence passe totalement inaperçue. Tout le monde trouve normal que les femmes fassent l’objet d’une attention particulière. […] Autrefois, les savoirs sur le corps des femmes et les savoirs sur la reproduction de la vie étaient entre les mains des sorcières, des matrones et des sages-femmes. Et puis d’un art, la médecine est devenue une science, à partir du XVIIe siècle. […] Étrangement, ça ne semble gêner personne que la gynécologie ne soit ni une médecine spécialiste d’une fonction du corps humain, ni une médecine spécialiste d’un type de pathologie. Ella a pour originalité de prendre en charge les femmes, ou plutôt le corps des femmes, dans sa globalité. Elle surveille attentivement le corps des femmes. Le médecin est présent à toutes les étapes de sa vie : de la puberté à la ménopause, du refus d’enfant au désir d’enfant. Il est concerté, il donne son avis et il a une réponse médicale à tout, ou presque. La seule problématique devant laquelle le gynécologue est démuni, c’est le manque ou l’absence de libido. […] C’est parce que la médecine positiviste porte en elle l’idéal du progrès, pas l’idéal de l’amour »[2].
Toutefois, il n’est plus à démontrer que l’idéologie habitant l’entité médicale pour le temps présent n’est autre que la poursuite du courant eugéniste né à la fin du XIXe siècle, profitant cette fois-ci de l’apport médical nazi, de la gestion entrepreneuriale de la santé et du progrès techno-industriel pour s’imposer sans heurts. Antoine Leca, professeur de droit médical à l’Université d’Aix-Marseille, dans son ouvrage L’ordre sanitaire national-socialiste : rémanence, résilience et récurrences au XXIe siècle : manuel anti-nazi[3] lance de multiples déflagrations à l’encontre de la médecine contemporaine mais également à son pendant logique, les thérapies alternatives et naturelles.
En redorant le blason de la médecine comme science et non pas comme art, la crise du coronavirus légitime la mise au pas du politique au profit du scientifique, et ce mouvement de dépossession parachève celui lancé par la bioéthique conjointement à la dévaluation de l’être humain. La bioéthique, prétendument vouée à la recherche d’une plus grande autonomie de la personne humaine, s’avère le meilleur allié de ceux qui souhaiteraient, pour des raisons comptables ou idéologiques, s’affranchir des principes de dignité et de bienfaisance avec lesquels doit impérativement cohabiter l’art médical. Au nom d’un droit à l’autodétermination individuelle, on justifie que les individus puissent volontairement disposer de leur corps sans entrave, quitte à, en additionnant les cas, faire de l’humain un amas de chair dont on pourrait disposer sans remords (de la vente d’organes, en passant par l’euthanasie, à la location du ventre d’une mère porteuse, il n’y a pas à douter que c’est le même processus qui est à l’œuvre).
Selon Antoine Leca : « L’État n’a pas besoin de centraliser le processus de décision. Il suffit qu’il laisse promouvoir un archétype de la beauté, un diktat de la performance […] ; Et qu’il rende la généralisation accessible à tous grâce au remboursement par la Sécurité sociale. […] Les pratiques eugéniques permises par le législateur ne sont pas imposées aux individus, la société les leur suggère. C’est ce que Vacher de Lapouge aurait appelé « la destruction à l’amiable des dégénérés »[4]
Ce même Vacher de Lapouge qui écrivait en 1899 : « Tout homme est apparenté à tous les hommes et à tous les êtres vivants. Il n’y a donc pas de droits de l’homme, pas plus que de droits du tatou à trois bandes, ou du gibbon syndactile que du cheval qui s’attèle ou du bœuf qui se mange. L’homme perdant son privilège d’être à part, à l’image de Dieu, n’a pas plus de droits que tout autre mammifère… Tous les hommes sont frères, mais être frères n’est pas de nature à empêcher qu’on se mange. Fraternité, soit, mais malheur aux vaincus ! La vie ne se maintient que par la mort. Pour vivre il faut manger, tuer pour manger »[5]. Le parallèle est flagrant entre ce discours et celui de dévaluation de l’être humain que l’on entend aujourd’hui au nom, par exemple, de la lutte contre le spécisme.
En guise de conclusion, il convient de rappeler que les querelles apparentes cachent bien souvent des réalités sordides et que la perte d’énergie qui accompagne le déroulement des combats partisans se fait à l’avantage direct du système techno-industriel qui, plus qu’aucun autre système sait s’appuyer sur les bons sentiments pour détruire toute possibilité de vie en dehors des limites qu’il trace.
Romuald Fadeau
- PASOLINI Pier Paolo ; « Acculturation et acculturation », 9 décembre 1973, in Ecrits Corsaires ; éditions Flammarion, Champs arts, 2009, pp. 51–52. ↑
- HARGOT Thérèse ; Qu’est-ce qui pourrait sauver l’amour ? ; éditions Albin Michel, 2020, pp. 89–92. ↑
- LECA Antoine ; L’ordre sanitaire national-socialiste : rémanence, résilience et récurrences au XXIe siècle : manuel anti-nazi ; éditions LEH, 2016. ↑
- Ibid. p94 ↑
- VACHER DE LAPOUGE Georges, L’ Aryen son rôle social ; Albert Fontemoing éditeur, Paris, 1899, pp. 511–512. ↑
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