A Sidi Barrani, le président égyptien Al-Sisi affirme que l’Egypte avait toute légitimité à intervenir en Libye et que les villes de Syrte et de Benghazi sont une ligne rouge…

Bien que faisant face à une féroce guérilla au Sinaï et à un conflit éminemment stratégique avec l’Ethiopie au sujet d’un barrage en amont du Nil, véritable poumon de l’Égypte, c’est la Libye qui demeure en haut des priorités du Caire. Lors de sa visite sur la base militaire de Sidi Barrani, non des frontières avec la Libye, le président Abdelfatah Al-Sisi passa en revue les meilleures unités militaires égyptiennes et réaffirmant que l’intervention militaire de son pays en Libye est légitime et que la ville de Syrte, marquant la frontière entre la Tripolitaine et la Cyrénaïque ainsi que Benghazi, la capitale de la Cyrénaïque sont des lignes rouges. Un message à peine voilé en direction de la Turquie mais également l’Algérie puisque cette dernière avait répété au moins à deux reprise que Tripoli est une ligne rouge.

C’est cependant la Turquie qui est la plus engagée militairement aux côtés du gouvernement d’Entente Nationale de Tripoli ou GNA, le seul à être reconnu par les Nations Unies et c’est grâce aux forces turque que fut brisé le siège de Tripoli et que les forces de Haftar et leurs soutiens internationaux subirent de cuisantes défaites militaires sur le terrain. C’est encore les turcs qui permettent aux forces du GNA de se lancer à l’assaut de Syrte et de menacer la Cyrénaïque en anéantissant les forces du Maréchal Haftar et les mercenaires égyptiens, français, emiratis, tchadiens, soudanais, ukrainiens, grecs et kurdes.

La posture stratégique de l’Egypte laisse entendre que Le Caire n’obéit pas uniquement à l’Arabie Saoudite et aux Emirats Arabes Unis et qu’il exploite l’aide financière de ces deux pays pour promouvoir un ancien rêve de puissance régionale accordant la primauté de l’Orient sur le Maghreb. Et c’est bien dans cette optique qu’il faut comprendre le choix fort symbolique de Sidi Barrani, où eut lieu l’une des plus grandes batailles de la seconde guerre mondiale.

Indépendamment de sa sous-traitance pour les Emirats Arabes Unis, l’Egypte considère la Cyrénaïque et le gouvernement du parlement de Tobrouk (non reconnu) comme des vassaux dans un conflit entre l’Orient et le Maghreb. Cette posture est encouragée par l’effacement total et la faiblesse apparente de l’Algérie et de la Tunisie, pays qui semblent totalement hors champ et qui subissent depuis 2011 les contrecoups de la guerre en Libye, pays pourtant membre de l’Organisation de l’Union du Maghreb Arabe (UMA).

Pour l’Egypte, l’extension de sa zone d’influence est un très vieux rêve poursuivi inconsciemment depuis l’époque pharaonique et les guerres oubliées contre les Libbu ou les mercenaires Lybiques. On se rappellera que durant les années 50, l’Egypte de Nasser avait voulu mettre sous sa coupe des factions indépendantistes algériennes et l’Algérie indépendante avait échappé de très peu à une domination égyptienne en 1963.

La fiasco sans nom de l’OTAN en Libye et la guerre civile qui ravage ce pays très riche a laissé le terrain ouvert à toutes les interventions. Pour le moment, c’est la Turquie d’Erdogan, un pays membre de l’OTAN qui est en train de rafler la mise au détriment de ses « alliés ». Une éventuelle intervention militaire égyptienne « formelle » pour tenter d’empêcher la chute de Syrte et de Benghazi aura pour conséquence une confrontation avec la Turquie. Or même si les deux pays sont en très mauvais termes, voire en état d’hostilité, il demeure peu probable qu’ils veuillent en arriver jusqu’à une confrontation fort hasardeuse en Libye et il est fort à parier que les turcs se contenteront d’appliquer leurs nouvelles tactiques asymétriques mêlant drones d’attaques et coups de main musclés aux forces locales tandis que l’Egypte est plutôt tentée par une campagne de raids aériens en soutien aux forces de Haftar. Cela veut dire que le conflit ne changera pas de nature mais qu’il va durer dans le temps.

La bataille d’Al-Jufra où est située une importante base aérienne a fait sortir l’Egypte de la clandestinité. Ses troupes spéciales dont notamment des éléments de l’unité 999 opèrent déjà aux côtés des forces de Haftar et ont croisé le fer avec les redoutables forces spéciales turques, engagées aux côtés des forces du gouvernement de Tripoli.

Les objectifs de l’Egypte en Libye à très court terme se résument donc aux points suivants:

  1. Entraîner et fournir des armes aux tribus libyennes;
  2. Intervenir pour soutenir le gouvernement du parlement de Tobrouk;
  3. Assurer un soutien aérien tactique aux forces de Haftar;
  4. Modifier le rapport de forces sur le terrain en vue d’un cessez-le-feu.

Autant dire que ce ne sera pas du tout une tâche aisée.

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